Voici un ouvrage, issu du mémoire de maîtrise en histoire de l’autrice, consacré à une ethnographie de la région de Charlevoix, durant la période suivant la Seconde Guerre mondiale. L’approche, clairement territoriale, fait la part belle autant à la géographie qu’à l’histoire et à l’ethnographie, dans une perspective genrée. Postulant la migration saisonnière des hommes à l’extérieur de la région, l’autrice s’interroge sur le rôle des femmes en leur absence ou présence et élabore son cadre d’analyse en fonction de ces prémices. Consacrée à l’espace économique de la région, la première partie de l’ouvrage montre la manière dont s’organise l’exil provoqué par la migration saisonnière des hommes, qui doivent aller chercher ailleurs un salaire, tandis que se déploie la pluriactivité pour les femmes qui restent sur le territoire afin de s’occuper du foyer, des terres et de la subsistance familiale. Ce modèle classique de division sexuée du travail semble être renforcé par les migrations masculines, stratégies qui permettent aux familles de demeurer dans la région, tout en obtenant un revenu suffisant, et dont l’autrice cherche à mesurer l’effet sur les femmes qui restent à la maison. Dans cette partie, l’autrice s’appuie surtout sur les analyses des géographes et des économistes qui ont montré combien la région est alors inhospitalière, malgré sa beauté qui deviendra plus tard un attrait touristique non négligeable. Cependant, au cours des années 1940, ce n’est encore qu’une terre aride de roches, « de fleuve et de forêt sauvage et indomptée » (p. 8). Dans un contexte où le développement économique est limité, l’établissement des populations dans la région connaît de nombreux soubresauts. L’autrice rappelle que ce territoire, habité par les autochtones qui y pratiquaient la chasse et la pêche, connaît les premiers établissements européens pendant les années 1670. La région réunit finalement vers les années 1950 environ 30 000 personnes après trois phases de peuplement, marquées par des migrations continues. Il en ressort une vision certes un peu mythique et folklorique du « paysan charlevoisien, nationaliste et catholique », vision qui englobe toutefois une réalité plus tenace d’une population fortement endogamique, où il y a peu de hiérarchisation socioéconomique à cause de la saturation rapide des bonnes terres dès la fin du xixe siècle. Toutefois, souligne l’autrice, c’est sans compter les stratégies de colonisation adoptées par ces familles pour subsister qui s’établissent soit dans les nouvelles terres ouvertes au Saguenay, soit à Montréal, en Abitibi ou même dans l’Ouest canadien ou en Nouvelle-Angleterre. À côté de cette émigration en famille, qui caractérise de nombreux Charlevoisiens et Charlevoisiennes, « cette population de voyageurs » (p. 26), on trouve aussi ceux et celles qui restent et qui constituent plus de la moitié de la société. C’est le règne de la pluriactivité, mêlant travail de la terre et en forêt, avec des migrations saisonnières à l’extérieur du territoire. Précisons-le de nouveau, ce sont les hommes qui migrent et les femmes qui restent, « suivant la division traditionnelle des tâches », ajoute l’autrice qui s’appuie sur les travaux réalisés au Portugal pour étayer son hypothèse, ainsi que sur les récits de vie qu’elle a recueillis auprès des femmes interrogées pour son étude (p. 30-31). Cette hypothèse qui devient son postulat de départ est corroborée par de nombreux témoignages, mais on ne sait pas si l’autrice a posé la question du départ des femmes aussi. N’y avait-il pas des jeunes femmes qui allaient chercher de l’emploi ailleurs de façon saisonnière? Les départs des familles impliquaient également de nombreuses femmes, celles-ci n’étant pas toutes des mères de famille. Je crois qu’il aurait été utile ici de remettre en question à tout …
Marie-Pier Bouchard, Vivre au coeur de « paroisses de femmes » dans la région de Charlevoix, 1940-1980, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 176 p.[Record]
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Yolande Cohen
Université du Québec à Montréal