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Introduction

Cet article présente les grandes lignes de l’exploration et de la mise en place d’une pédagogie où créativité et collaboration visent essentiellement la reconnaissance du potentiel des élèves polyhandicapés et leur statut d’apprenant à part entière.

La recherche-action, « Évaluer, intervenir et assurer un suivi pour répondre au développement global de l’élève polyhandicapé : expérimenter une approche créative », financée par le MELS 2008-2010, répond aux besoins exprimés par une enseignante et les membres de l’équipe intervenant dans sa classe. Ces derniers désiraient mieux connaître leurs élèves globalement et non uniquement par l’identification de leur handicap ou de leurs limites, pour ainsi tendre à favoriser leur développement et leur épanouissement individuel. D’emblée, le ques-tionnement sur l’intervention et surtout la réflexion sur la cohérence des pratiques professionnelles se sont amorcés dès les premiers moments de ce projet. Pour prendre conscience collectivement des liens existants entre la connaissance de l’élève et ses effets sur leurs apprentissages, l’ensemble des acteurs scolaires s’est mobilisé vers un travail de plus en plus concerté (Caya, 2011).

Problématique et éléments théoriques

Devrions-nous à nouveau insister sur le fait que l’on connaît peu l’élève polyhandicapé ou ayant une déficience intellectuelle profonde (DIP). Le regard porté sur celui-ci se fait souvent à travers la lunette de ses déficits ou encore, de son plan d’intervention individualisé. Cette situation souligne plus spécifiquement ses lacunes, ses manques ou ses besoins plutôt que sa personnalité, ses talents ou même ses goûts (Ouellet, Caya et Tremblay, 2011b). Enseigner à ces enfants soulève des problèmes à différents points de vue : la connaissance même de ces apprenants, leur implication dans la réalisation d’une proposition d’activité d’apprentissage, le besoin d’intervention individuelle plutôt que collective, les écarts dans le mode de communication, le travail d’équipe en complémentarité (Ouellet et Caya, 2009). Ce ne sont ici que quelques aspects à prendre en considération dans une classe de cette nature. D’ailleurs, la culture d’accompagnement est plus souvent basée sur un modèle médical et rééducatif (Horth, 1998) qui favorise avant tout le bien-être, la sécurité et le confort, plutôt que sur le modèle pédagogique ou psychopédagogique soutenant le développement de compétences (MELS, 2004) ; la priorité accordée à l’horaire et au temps d’enseignement est un exemple issu du modèle d’intervention actuel.

Les potentialités d’apprentissage, d’expression créative, de participation scolaire et sociale sont aussi mal connues. L’observateur externe aura parfois l’impression que ces enfants sont passifs et ne peuvent s’engager dans un processus d’apprentissage. Une difficulté rapidement soulevée est celle liée à la communication, aux lacunes du langage verbal et de l’expression (Langevin, Dionne et Rocque, 2004 ; Tremblay et Jacques, 2004). D’ailleurs, on a souvent pris l’habitude de tout faire à la place de l’enfant et de vouloir le protéger. Aussi, l’environnement est un facteur de plus en plus important, les conditions facilitantes ou nuisibles pour l’aider à décider par lui-même doivent être une préoccupation de tous les instants pour les intervenants (Fougeyrollas, 1998; Paré, Parent, Rémillard et Piché, 2010). Il n’y a que peu de place à la personne différente, celle qui ne partage pas le rythme de notre société de performance. L’école étant une micro-société, il ne faut pas sous-estimer que les réalités sociétales actuelles se vivent aussi par ces élèves. L’école est le lieu pour construire notre rapport au monde, donner du sens aux savoirs acquis et surtout apprendre à faire sa place dans la société (Beaumatin et Laterrasse, 2004).

Un dernier point néanmoins important à soulever concerne la prise en compte de la diversité des tâches des intervenants d’une classe d’adaptation scolaire et sociale, incluant la spécialisation des différents acteurs et le leadership psychopédagogique de l’enseignante dans l’accompagnement du développement des élèves ayant des besoins particuliers (Moreau, 2010). Un travail de collaboration interprofessionnelle, dans un contexte de communauté d’apprentissage, est nécessaire pour s’assurer de répondre aux besoins de tous (Savoie-Zajc, 2010 ; Ouellet, Caya et Tremblay, 2011a).

Par conséquent, en prenant trois angles complémentaires, (a) celui de l’élève par son portrait complet, (b) celui des besoins énoncés par le plan d’intervention individualisé élaboré par une équipe et (c) celui du travail collaboratif des intervenants impliqués dans la préparation des scénarios pédagogiques de la classe, nous avons proposé une démarche créative d’encadrement et de travail d’équipe visant à mettre tous les efforts d’intervention dans les mêmes visées, voire celles de la reconnaissance du potentiel et du soutien au développement de compétences de l’élève ayant de multiples handicaps.

L’exploration d’une pédagogie créative

La créativité est sans doute le mot le plus utilisé dans notre quotidien et en particulier dans le monde de l’éducation. Être créatif fait référence à l’ouverture, la disposition au changement, à l’élan pour la nouveauté et surtout à un sentiment de sécurité psychologique qui permet de maîtriser l’anxiété face à l’inconnu ou à l’incertitude (Ouellet, 2010). En effet, la pédagogie créative est l’utilisation de différentes modalités singulières, parfois inspirées par les arts, pour atteindre la personne dans son unicité, son individualité, dans ce qui la démarque. Elle favorise l’adaptation ou l’innovation pédagogique selon les besoins des élèves ou de la classe. Cette approche pédagogique rejoint la pédagogie différenciée (Caron, 2003) ou encore la pédagogie universelle (Rousseau, 2010). Dans ce projet, le jeu libre ou structuré, la musique, la motricité, l’art plastique, le jeu dramatique, le multimédia (vidéoclip de l’enfant) ont tous été mis à contribution pour rejoindre l’élève et trouver, voire retrouver, un mode de communication commun à tous.

Une classe est une microsociété, et telle la société, elle est en perpétuel changement, mouvance, ajustement. Oeuvrer dans une classe nécessite les qualités mentionnées précédemment et, de surcroît, être l’enseignant, avec tous les défis que cela comporte, est un travail qui exige des compétences professionnelles très spécifiques, dont celles du leadership et de la coopération (Caya, 2011 ; Moreau, 2010).

Le programme en déficience intellectuelle profonde

Il y a quelques années, le MELS proposait une version à l’essai d’un programme éducatif conçu pour les élèves ayant une déficience intellectuelle profonde. Ce programme est construit autour de six compétences.

L’ensemble des compétences est pris en compte dans les différents outils développés pour accompagner le processus d’apprentissage de l’élève. Ainsi, en tenant compte des exigences de ce programme, des scénarios thématiques incluant un matériel pédagogique ont été réalisés selon les indices de progression des élèves ayant une DIP (version à l’essai, MELS, 2004).

Un modèle d’évaluation, d’intervention et de suivi (EIS)

Le EIS, traduit et adapté du programme de Bricker (2002) par Dionne et al. (2006), fournit un premier modèle pour réfléchir autour de l’intégration de trois concepts-clés : évaluation, intervention et suivi. Bien qu’il ne soit pas possible d’utiliser cet outil comme tel, à cause principalement du groupe d’âge des élèves de la classe, le modèle inspire néanmoins l’équipe et permet de comprendre les différentes modalités d’évaluation, d’intervention et de suivi à mettre en relation à partir du programme en DIP. Il suggère une hiérarchie de domaines, de buts et d’interventions permettant d’élaborer un plan d’intervention intégrant ces trois aspects (EIS). Le plan d’intervention individualisé devient ainsi directement lié à la démarche pédagogique de la classe. Il permet de développer un cahier d’observation afin de noter les progressions de l’élève et, surtout, sert de point de référence commun à tous les intervenants de la classe pour favoriser la cohérence des interventions futures. Ce modèle propose donc une démarche qui apparaît essentielle pour accompagner l’enfant dans ses apprentissages et pour encadrer l’équipe. En complément, le EIS donne à l’enseignante des pistes pour élaborer des outils d’observation permettant de faire un portrait complet et ponctuel de chaque élève en tenant compte de la microgradation des objectifs à atteindre.

La question de recherche et les objectifs 

La question de recherche se formule ainsi : « Comment une approche pédagogique créative basée sur le potentiel de l’élève et des scénarios pédagogiques signifiants peut-elle contribuer au développement global de l’élève polyhandicapé ? ».

Les objectifs sont :

  1. Expérimenter une approche pédagogique créative et documenter les effets sur le développement global de l’élève polyhandicapé : portrait de ses intérêts, talents et potentialités (effet sur les élèves).

  2. Élaborer un matériel pédagogique à partir de scénarios d’apprentissage thématiques et documenter l’appropriation par les intervenants dans un travail de concertation (effet sur les intervenants).

Puis, un sous-objectif s’est développé en cours de projet : établir le lien entre les objectifs du plan d’intervention individualisé de l’élève et les compétences à développer pour favoriser sa participation sociale.

Démarche méthodologique

La recherche-action a été choisie pour fournir un encadrement de travail et de réflexion à l’équipe pédagogique et éducative (Dolbec et Prud’homme, 2009 ; Caya, 2011). Cette recherche s’est déroulée sur une durée de deux ans. La prochaine section présente les éléments méthodologiques suivants : les participants à la recherche, les instruments de collecte de données et finalement l’analyse des données.

Participants à la recherche

Neuf élèves (n = 9) fréquentent la classe d’adaptation scolaire, la seule classe de la commission scolaire à recevoir les élèves ayant de multiples handicaps. L’équipe pédagogique est formée d’une enseignante, de deux éducatrices spécialisées, de trois intervenants et de deux enseignants spécialistes, éducation physique et musique (n = 8). En plus des parents, le directeur de l’école s’est impliqué dans le projet ainsi que deux enseignantes, une du secteur régulier et une provenant d’une autre classe d’adaptation scolaire. Ces personnes ont permis de recueillir des informations-clés portant sur les élèves, dans une situation de généralisation des apprentissages vécue à l’extérieur de la classe ou à la maison.

Instruments de collecte de données

Plusieurs instruments de collecte de données ont été utilisés dans le projet. Nommons ici : le plan d’intervention individualisé (PII) afin de s’assurer de la pertinence des intentions pédagogiques, les portfolios des élèves incluant des vidéoclips de ses réalisations permettant de vérifier le développement des compétences visées, des entretiens avec les parents à l’an 1 ainsi que des comptes-rendus de rencontre d’équipe, des entrevues collectives et individuelles avec les intervenants et un gestionnaire pour valider, ou du moins vérifier, le transfert des apprentissages ainsi que l’appropriation des outils et de la démarche.

Analyse des données

Afin de respecter les fondements de la recherche-action qui, rappelons-le, se veut un cycle constant entre la recherche, l’action et la formation, l’analyse des données s’est réalisée en partie d’une façon intuitive en cours de projet (an 1), puis à l’aide du logiciel N’vivo (an 2) à la fin du projet. L’analyse est basée sur des catégories émergentes et pré-déterminées. Les catégories pré-déterminées font référence aux compétences visées par le programme du MELS (2004) – premier objectif – tandis que les catégories émergentes font référence à la perception des intervenants du potentiel de l’élève ayant un handicap comme apprenant – deuxième objectif. Les classifications ont été validées par la chercheuse, l’enseignante de la classe et une assistante de recherche impliquée dans le projet.

Présentation des résultats

Les résultats se présentent selon les principaux objectifs définis précédemment : 1) l’effet du projet sur les élèves et 2) l’effet du projet sur les actions ou interventions dans la classe.

Au départ, l’élaboration de profils d’apprentissage de l’élève, intégrant le portrait et les particularités issues du PII, a permis une cohérence dans les actions éducatives. Lors des rencontres de planification, la mise en commun des expertises et des expériences vécues auprès des élèves a particulièrement bonifié les suivis et les transitions, ayant un effet direct sur la qualité des apprentissages et leurs transferts.

L’effet sur les élèves

Les profils d’apprentissage individualisés répondent adéquatement aux besoins particuliers des élèves polyhandicapés. L’élaboration de ces profils s’appuie sur (a) un portrait détaillé de l’élève réalisé à l’aide du EIS (Dionne et al., 2006), (b) l’évaluation des six compétences du programme scolaire prescrit (MELS, 2004) et (c) les grilles d’observation (Caya, 2009-2010). Des activités d’apprentissage basées sur la créativité – exercices musicaux, activités de peinture, stimulation par la danse – ont été proposées aux élèves. Les réalisations concrètes et les réussites des apprenants ont été clairement identifiées et documentées. La connaissance des caractéristiques de chaque élève, qui ont été prises en compte dans l’intervention, l’observation, le suivi et l’évaluation, a permis de micrograduer les exigences, de faire connaître l’ensemble des informations à l’équipe et aux parents et finalement de comprendre les modes d’apprentissage de chaque élève.

Un exemple provenant des observations de l’équipe illustre ces résultats. À partir du scénario pédagogique thématique « Je suis un artiste », les différents intervenants élaborent des situations d’apprentissage pour chaque secteur d’activité, en fonction des six compétences du programme. Pour l’atelier de peinture, l’élève choisi les couleurs, le pinceau ou l’éponge, le format de la toile et l’illustration qui représente son milieu culturel (tracteur, moto, camion, fleurs, animaux, etc.). Il réalise, avec un soutien approprié à ses besoins, une toile correspondant à une expression individuelle de sa réalité. Il est filmé tout au long du processus. Par la suite, un montage vidéo est réalisé pour lui permettre de visualiser son propre cheminement et aussi de le diffuser à l’ensemble des personnes impliquées de près ou de loin auprès de ce jeune (parents, élèves et intervenants). Ainsi, tous sont des témoins de sa réussite : son processus, ses apprentissages, l’expression de son potentiel. Le scénario thématique est exploité en musique, en danse ou en activité motrice et tient compte de toutes les compétences proposées dans le programme éducatif. Chaque intervenant partage l’expérience vécue avec l’élève. Au final, un portfolio de l’élève est constitué pour illustrer, voire célébrer, ses réussites et permettre l’évaluation des compétences visées.

L’effet sur les actions et les interventions

À partir de meilleures connaissances de l’élève et de la compréhension des visées éducatives communes, soit le développement de compétences et la reconnaissance de son potentiel, des intervenants travaillant auprès de cette clientèle reconnaissent l’importance de développer des activités d’apprentissage à partir des scénarios thématiques. Ces activités sont élaborées par les membres de l’équipe afin de planifier les interventions et rendre le plus complémentaire possible les intentions pédagogiques. Par exemple, le « thème de l’enquêteur », ciblant la permanence de l’objet, est exploité en activité libre, en arts plastiques, en musique et en éducation physique. Chaque enseignant ou intervenant est appelé à planifier des actions mettant en scène la recherche d’un objet manquant. Ce thème permet de travailler chaque compétence du programme et d’évaluer la progression de l’élève dans plusieurs contextes. Dans cette collaboration, la créativité de chacun est sollicitée : ouverture, écoute, adaptation, innovation, résolution de problèmes. Ici, la pédagogie créative prend tout son sens par la confiance et la collaboration ressenties entre chaque intervenant, exprimées par le partage des idées, même farfelues, invitant les uns et les autres à sortir de leur zone de confort. À plusieurs reprises, il est mentionné que les limites provenaient souvent des intervenants plutôt que des élèves. La compréhension de l’utilité et la finalité du plan d’intervention individualisé a permis aux membres de l’équipe d’approfondir leur réflexion quant à la pertinence de cet outil, devenu pour eux incontournable, voire essentiel.

Conclusion

Finalement, nous demeurons tous des apprenants et cette recherche-action a permis de constater qu’une meilleure connaissance du potentiel de l’enfant permet de mieux cibler les objectifs dans le PII et par conséquent, de moduler les interventions en fonction de ces objectifs. Celle-ci a donc permis d’explorer diverses interventions créatives inspirées des arts et en particulier des scénarios thématiques adaptés et de mettre au coeur de la démarche une approche pédagogique créative et ouverte. De fait, les actions pédagogiques et éducatives ont favorisé des apprentissages significatifs chez l’élève et, par ricochet, facilité leur transfert. Par ailleurs, ce projet a aussi servi à porter un regard neuf sur ses modes d’apprentissage, mettant ainsi en relief ses intérêts et ses potentialités plutôt que ses limites ou ses difficultés. Des moyens visant la cohérence des interventions auprès des élèves ont été expérimentés et ont permis de prendre conscience de l’importance de l’environnement, facilitant ou non les interventions. Les résultats montrent l’interaction entre l’évaluation, l’intervention et le suivi en lien avec les apprentissages réalisés par les élèves et le travail collaboratif de tous les acteurs scolaires impliqués dans le projet.

En conclusion, cette recherche-action a permis de nourrir une réflexion sur les pratiques collaboratives en ciblant l’importance de centrer les interventions sur les potentialités de l’élève malgré ses handicaps. Par ailleurs, deux autres projets, un de type collaboratif portant sur les rôles des intervenants (Caya, 2011) et un autre de type recherche-développement sur un environnement-école créatif et inclusif s’adressant à tous les élèves de l’école (Ouellet, Caya et Deschênes, 2011) ont été réalisés. À la suite de ces expériences, le défi est de maintenir le cap sur l’innovation et la mise en place de conditions facilitant ces pratiques.