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Introduction

La présente recherche est réalisée en République Démocratique du Congo (RDC), l’un des pays africains où les enfants autistes ne reçoivent pas le diagnostic d’autisme. En effet, en RDC, l’autisme est encore fort peu connu, même dans le milieu médical. Certains praticiens continuent à le définir comme une maladie mentale alors qu’au sein de la société, cette condition est assimilée, en majorité, à ceux qui ont la sorcellerie ou à ceux qui portent la malédiction de la lignée familiale. Historiquement, Sanua (1984) et Tinbergen (1974), Bakare et Munir (2011) rapportent qu’il y a à peine deux décennies, l’autisme était considéré exclusivement comme une maladie de civilisation occidentale notamment dans les pays industrialisés avec une forte technologie et une prédominance de la famille nucléaire. Ces chercheurs soulignent également qu’à cette époque, l’autisme était perçu comme un trouble relativement rare en Europe occidentale et en Amérique du Nord. En ce qui concerne le continent africain, la perception était à l’effet que ce trouble était rare parmi les familles noires. Toutefois, les connaissances actuelles prouvent que, contrairement à ce que rapportent ces auteurs, les caractéristiques de l’autisme peuvent être identifiées chez n’importe quel enfant, quels que soient sa race, sa culture et son niveau socioculturel. De fait, les recherches sur l’identification de nouveaux gènes impliqués dans l’autisme (Fombonne, Zakarian, Bennett & al. 2006); les pathologies génétiques associées (Seltzer, Abbeduto, Krauss, Greenberg & Swe, 2004) ou les causes infectieuses (Kliman, 2006) montrent la complexité de l’étiologie de l’autisme. En effet, cette étiologie reste encore mal connue bien qu’il semble y avoir un consensus dans la communauté médicale pour admettre la multiplicité de ses causes et son origine organique (par opposition à l’hypothèse psychogénique). Ces avancées sur la génétique et la neurologie nous permettent de ne pas limiter les étiologies de l’autisme aux seuls facteurs technologiques.

Autisme et enfance en Afrique

Selon le DSM-IV-TR (APA, 2000), l’autisme fait partie des Troubles Envahissants de Développement (TED) caractérisés par l’«altération qualitative des interactions sociales et de la communication ainsi que par le caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités». Son diagnostic constitue un processus long et lourd qui implique l’intervention d’une équipe multidisciplinaire composée de parents et différents professionnels.

En Afrique, en raison de multiples interprétations, généralement de nature culturelle, les enfants qui présentent des indices cliniques autistiques ne reçoivent pas le diagnostic spécifique correspondant à leur trouble. Si, certains d’entre eux bénéficient d’une prise en charge, celle-ci n’est pas adaptée à la problématique autistique. De fait, ces enfants sont dès lors pris en charge au même titre que ceux qui ont une maladie mentale, une surdité, des troubles de caractère ou encore une déficience intellectuelle isolée. Plus particulièrement, certains enfants congolais avec autisme sont assimilés à ceux qui ont un diagnostic social de la sorcellerie si bien que dans ces conditions, plusieurs d’entre eux ne sont pas scolarisés. En effet, il existe en RDC au sein du ministère de l’Éducation nationale, et particulièrement dans l’enseignement primaire, secondaire et professionnel, une « Direction de l’enseignement spécial ». Cependant, bien qu’elles soient agréées par l’État congolais, les écoles d’enseignement spécialisé sont majoritairement financées par des fonds privés et des églises traditionnelles. Notons, par exemple, que jusqu’en 2006, la ville de Kinshasa comptait 24 institutions d’enseignement spécialisé. Parmi celles-ci, on trouve une institution catholique subventionnée par l’État qui comptait 12 succursales à travers la ville. En réalité, parmi les 12 institutions, seulement deux ont été initiées par l’État. Toutes les autres ont été initiées par des institutions privées. Ces institutions organisent soit l’enseignement ordinaire avec des classes d’enseignement spécialisé (classes inclusives), soit un enseignement essentiellement ségrégué. Elles s’occupent particulièrement des enfants soupçonnés de présenter une déficience intellectuelle, une surdité, ou une cécité et/ou encore un handicap moteur. Certains enfants sont orientés vers l’apprentissage professionnel (menuiserie, couture, reliure, etc.) alors que pour les autres, il n’existe ni service, ni institution spécialisée.

Problématique

Malgré les connaissances actuelles et les outils disponibles, certains chercheurs dont Peeters (1999) et Filipek et al., (1999) spécifient que l’autisme peut être confondu avec la surdité, certains troubles émotionnels ou de langage, la déficience intellectuelle ou une simple lenteur dans le développement. Certains enfants autistes ne présentent aucune anomalie physique alors que chez d'autres, on peut déceler des conditions associées telles que l'hyperactivité ou l'infirmité motrice cérébrale. Les symptômes spécifiques qui se manifestent peuvent varier énormément d'un enfant autiste à un autre et également changer avec le temps. Dans cette foulée, l’enfant peut manifester des déviances comportementales discrètes tant qu’il est petit et l’entourage montre peu d’attention par rapport à ses initiatives, qui sont pourtant des actions nécessaires à son développement. En conséquence, la détection de l’autisme est relativement tardive, ce qui implique, pour ceux qui ont la chance de consulter un spécialiste, un diagnostic également tardif comme cela est le cas dans certains autres pays.

Or, faute d’un diagnostic précis, certains enfants autistes sont scolarisés dans l’enseignement spécialisé pour ceux qui ont une surdité ou une déficience intellectuelle isolée. Ils sont considérés non pas comme porteurs d’autisme, mais plutôt assimilés à ceux qui présentent un trouble de comportement, une déficience intellectuelle ou une surdité. En revanche, d’autres sont scolarisés dans l’enseignement ordinaire où leurs difficultés d’adaptation suggèrent des troubles d’apprentissage scolaire ou un déficit d’attention avec hyperactivité, particulièrement pour ceux qui présentent également des troubles de comportements. En plus de la difficulté à établir un diagnostic, il appert que les professionnels de première ligne ignorent comment identifier les signes précoces de l’autisme chez les très jeunes enfants notamment en raison de l’absence de formation en la matière. Ainsi, ce contexte traduit une problématique complexe. D’abord, il importe de démontrer comment distinguer les enfants autistes (critères diagnostics) de ceux présentant d’autres conditions. De plus, il faut former des intervenants ou des spécialistes à l’utilisation d’instruments d’évaluation appropriés afin d’ultimement offrir une intervention soutenant le développement de l'enfant autiste au maximum.

Objectifs et question de recherche

Le principal objectif consiste à tracer un portrait des différentes étapes pouvant conduire à l’établissement d’un diagnostic d’autisme en Afrique, et plus particulièrement en RDC, un environnement où les critères de diagnostic de ce trouble sont encore méconnus. La présente étude vise donc à évaluer, à l’aide de certains outils spécialisés, une population d’enfants scolarisés et non scolarisés, soupçonnés de présenter une déficience intellectuelle, une maladie mentale, une surdité, des troubles de caractère ou de la sorcellerie, dans l’objectif d’identifier ceux qui répondent également aux critères de diagnostic de l’autisme.

Plus spécifiquement, l’étude propose deux questions de recherche. En milieu congolais, les enfants autistes peuvent-ils être identifiés parmi ceux qui ont une déficience intellectuelle, une surdité, des troubles de caractère, une maladie mentale voire parmi ceux qui reçoivent le diagnostic social de la sorcellerie ? Des outils destinés au diagnostic de l’autisme validés en occident sont-ils susceptibles de permettre de dépister l’autisme chez des enfants congolais ?

Méthode

Pour procéder au dépistage de l’autisme auprès des enfants de Kinshasa, il a d’abord fallu sensibiliser aussi bien les professionnels (psychologues, directeurs d’écoles, enseignants, médecins, logopèdes et éducateurs) travaillant avec des enfants se trouvant en situation de divers handicaps que leurs parents. Cette sensibilisation a porté sur la description des TED et sur les critères de diagnostic de l’autisme. Le principal support de référence a été la révision du Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux, 4e édition (DSM-IV-TR, APA, 2000).

Onze établissements ont participé aux séances de sensibilisation : deux institutions qui organisent des consultations neuropsychiatriques, une institution spécialisée dans le handicap social (enfants de la rue, conseil familial, etc.) et huit écoles d’enseignement spécialisé dont six organisent l’enseignement spécialisé intégré et deux autres, l’enseignement spécialisé ségrégué. Nous avons également inclus les référents du réseau de la Réhabilitation à Base Communautaire (RBC) du handicap international de Belgique en RDC, Coordination de Kinshasa.

Au total, 139 personnes ont été sensibilisées pendant deux ans et demi soient 92 professionnels (66.2%) et 47 parents (33.8%). Suite à cette sensibilisation, ces personnes ont été chargées d’informer l’équipe de recherche des enfants soupçonnés de présenter des TED en vue de leur évaluation systématique. Au fur et à mesure que les cas suspectés ont été signalés, deux catégories d’enfants se sont formées : les scolarisés et les non scolarisés. Pour ceux qui ne sont pas scolarisés, l’attention fut portée sur ceux qui vivent au sein de leur famille afin de constituer les données d’anamnèse.

Deux hypothèses nulles ont été formulées selon lesquelles, il n’y aurait pas de différence entre les scores à trois instruments diagnostiques (EATA, ADI-R et CARS) et que les performances des enfants scolarisés et non scolarisés seraient équivalentes.

Participants

Pour faire partie de l’étude, un enfant devait répondre à quatre critères d’inclusion soit : (a) être un enfant scolarisé au sein d’une école d’enseignement spécialisé et soupçonné d’être autiste; (b) être un enfant non scolarisé vivant en famille et soupçonné d’être autiste; (c) être identifié à l’aide de l’Échelle d’évaluation de l’autismeet des autres troubles apparentés (EATA) (Kraijer, 1997; Kraijer, Roeyers, Petra, Mukau, 2001) comme étant autiste; (d) être identifié à l’aide de l’Échelle d’évaluation de l’autisme infantile (CARS) (Schopler & Reichler, 1988) et par l’Interview pour le diagnostic de l’autisme (ADI-R) (Lord, Rutter & Le Couteur,1994).

Au départ, un total de 70 enfants sont signalés comme présentant un TED dont 32 au sein des institutions scolaires et 38 au sein des familles (non scolarisés) (Tableau 1; Fig.1). L’équipe de recherche exclut 15 enfants qui ne semblent pas répondre aux critères d’un TED (soit 21.4% de l’échantillon total) dont 9 scolarisés et 6 non scolarisés. Parmi les enfants scolarisés exclus, 3 sont épileptiques, 4 malentendants et 2 présentent une infirmité motrice cérébrale associée aux troubles de langage. Fait à noter, les enseignants qui n’ont pas été en formation signalent 15.6% de cas comparativement à 12.5% par ceux qui ont participé aux diverses formations. Parmi les enfants non scolarisés exclus, quatre présentent des troubles psychomoteurs (retard de la marche et de langage) dont l’anamnèse a révélé pour certains une encéphalopathie infantile liée à une méningite pendant la petite enfance alors que les deux autres présentent une surdité simple. Au final, 23 enfants scolarisés (soit 71.9%) et 32 enfants non scolarisés sont retenus et évalués à l’aide de l’EATA, du CARS et de l’ADI-R en vue d’identifier ceux qui répondent réellement à la description de l’autisme. La majorité de ces enfants a été signalée par les parents et les médecins qui ont participé aux séances de sensibilisation.

Dans l’échantillon initial, 68% des enfants scolarisés et 78% des enfants non scolarisés soupçonnés de présenter un TED sont des garçons. Le niveau scolaire de la majorité des enfants scolarisés correspond à la pré-maternelle et ces enfants sont caractérisés par une incapacité à réaliser un certain nombre d’activités correspondant à la première année de maternelle (gribouillage, pré-lecture, activités mathématiques, etc.). En revanche, le niveau des enfants non scolarisés est équivalent à la 2e maternelle. Dans l’ensemble, peu d’enfants présentent le niveau correspondant à la 1re année primaire. L’âge chronologique de la majorité se situe dans la tranche de 3 à 11 ans.

Certaines précisions doivent être apportées en ce qui concerne les enfants non scolarisés. D’abord, certains n’ont jamais fréquenté l’école, d’autres y ont été, mais furent exclus en raison de l’importance des comportements déviants qui ont interféré de manière significative aux apprentissages. Des parents ont retiré leurs enfants de l’école puisqu’ils présentaient des difficultés d’apprentissage importantes et de mauvaises notes scolaires à répétition. En dépit de toutes ces raisons, plane l’indignation des parents à la suite de l’infernal diagnostic social de la sorcellerie collé à leurs enfants par l’entourage immédiat en lien avec la perception sociale du handicap en RDC. Devant le risque de perdre leur dignité et leur prestige social, certains parents ont alors choisi de garder leurs enfants à la maison parce qu’ils ne croient pas que les apprentissages scolaires peuvent guérir la sorcellerie. Dans ce cas, certains parents ont recours à la prière auprès du pasteur ou du marabout afin que leur enfant soit délivré des esprits qui bloquent son développement.

Description des outils et résultats des évaluations

Évaluation des TED à l’aide de l’EATA[1]

Les participants retenus pour l’évaluation préliminaire (n = 55) comme présentant les TED sont tous soumis à l’examen de pré-inclusion à l’aide de l’EATA. (Tableau 2). Il s’agit d’un instrument spécialisé destiné à évaluer les personnes dont le TED est associé à une déficience intellectuelle. Cet outil a été largement utilisé depuis 1990 pour l’évaluation des enfants qui ont une déficience intellectuelle en Hollande et en Belgique (Kraijer, 1997). Il s’agit d’un questionnaire constitué des différents items à compléter par le clinicien. Ces items sont basés sur les trois principales caractéristiques de l’autisme, dont l’altération de la communication, des interactions sociales et la présence des comportements stéréotypés. La balance des scores est de 1, 2 ou 3 et le score total maximum est de 19. Il ne nécessite pas la collaboration du participant, mais plutôt des données cliniques relatives à l’observation. Il peut être administré soit avec les parents, soit avec l’intervenant principal de l’enfant. La classification des scores de l’EATA est répartie en trois catégories : (a) participants avec TED (dont les scores varient entre 10 et plus); (b) participant dont le diagnostic du TED est incertain (scores entre 7 et 9) et (c) participants sans TED (scores entre 0 et 9).

Tableau 1

La population cible des enfants soupçonnés d’autisme

La population cible des enfants soupçonnés d’autisme

M = Masculin; F = Féminin

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Lors de son administration en famille, les entretiens ont eu lieu avec les parents ou des proches. Au sein des institutions scolaires, ils ont eu lieu avec les titulaires des classes ou les autres intervenants de soutien (psychologue, kinésithérapeute, surveillant ou le directeur de l’école). Pour nous assurer de la fidélité des scores fournis par cet instrument deux évaluations sont réalisées : par les membres de l’équipe de recherche (1èr évaluateur) et par nous même (2e évaluateur). Les scores des participants sont soumis à un traitement statistique à l’aide du test non paramétrique Kappa de Cohen (1960) qui permet de chiffrer l’accord entre deux ou plusieurs évaluateurs en vue d’obtenir la concordance du taux d’accord et d’étudier les désaccords observés en vue d’y remédier. Un accord parfait a été obtenu entre les évaluateurs sur base des scores de 12 participants inclus au dépistage dont 6 scolarisés et 6 non scolarisés. La proportion des participants qui a été signalée avec un TED a été évaluée dans la population générale à 74.5% pour les deux catégories d’évaluateurs (Kappa = 1). Tous les participants qui ont été identifiés avec un TED chez les premiers évaluateurs l’ont également été chez le second. Inversement, tous les participants révélés comme Non-TED par les 1ers évaluateurs l’ont également été chez le second évaluateur. L’évaluation des 55 participants à l’aide de l’EATA révèle que 41 participants (74.55%) présentent un TED, 4 (7.27%) des troubles indifférenciés et 10 (18.18%) ne présentent pas de TED (Tableau 2).

Évaluation du CARS et de l’ADI-R

Pour identifier les enfants qui ont réellement de l’autisme, les 55 signalés comme présentant un TED sont évalués à l’aide du CARS et de l’ADI-R (Tableaux 3 et 4). Le CAR (Schopler & Reichler, 1988) est un instrument diagnostique destiné à identifier les enfants porteurs de marqueurs autistiques en vue de les distinguer des ceux porteurs d’autres troubles du développement sans syndrome autistique associé. Sa sensibilité se situe sur le fait qu’il permet d’identifier les signes d’autisme discrets ou moyens chez certains participants en les distinguant de ceux dont les troubles sont sévères. Il s’agit d’une échelle incluant 15 items comportementaux. Les 15 items réunissent (a) les traits décrits initialement par Kanner; (b) d'autres caractéristiques notées par Creak (1964), qu’on retrouve chez beaucoup d'enfants autistes, mais pas chez tous; (c) des éléments additionnels utiles pour le repérage des symptômes caractéristiques des plus jeunes enfants autistes. Pour administrer le CARS, les enfants ont été observés dans leurs groupes d’appartenance respectifs (familles et écoles spécialisées) en situation structurée lors de la réalisation de certaines activités (griffonnage, lecture d’images, jeu d’improvisation, chatouillement, jeu de balle, jeu de faire semblant, etc.) et lors de la passation du test du Bonhomme de Goodenough (Goodenough, 1957). Ils ont été également observés en situation non structurée (observation de l’enfant non scolarisé dans sa famille en vue de relever ses modes de relation avec parents, frères et soeurs, ou autres et observation des relations avec les pairs à l’école pendant la récréation chez l’enfant scolarisé). Les données d’observation ainsi récoltées ont été complétées par les entretiens avec les parents et les enseignants. Les dossiers individuels des enfants recrutés au sein des institutions spécialisées ont été également analysés.

En plus du CARS, les participants ont été évalués avec l’ADI-R. Il s’agit d’un instrument diagnostique destiné à obtenir des descriptions détaillées des comportements nécessaires au diagnostic différentiel des troubles globaux du développement et plus particulièrement de l’autisme infantile. La description des comportements est obtenue grâce aux entretiens semi-structurés avec la personne responsable de l’enfant ou avec un proche. Le diagnostic est basé sur les règles algorithmiques de la Classification mondiale des maladies (CIM-10) et du DSM-IV-TR, en rapport avec la définition de l’autisme, et se réfère aux trois dimensions caractéristiques à savoir : altération d’interaction sociale, altération de la communication et présence des stéréotypies dans le comportement avec restriction d’intérêts et de jeux. Étant donné que cet instrument permet d’évaluer avec précision les anomalies du développement pouvant être associées à tous types de retard général ou spécifique, nous l’avons utilisé en dernier lieu afin de porter un diagnostic définitif des cas évalués. De cette manière, nous avons pu comparer directement les scores de l’ADI-R avec ceux obtenus au CARS pour l’ensemble des enfants évalués. Les seuils limites ont été appliqués pour chaque domaine en référence au manuel « Interview pour le Diagnostic de l’autisme –R, Recherche, 3ème édition révisée, 1991». Pour administrer l’ADI-R, des visites à domicile ont été effectuées ce qui nous a permis (a) d’observer l’environnement social et physique de l’enfant, (b) de s’assurer de rencontrer les parents et d’exclure la variable « retard » ou « absence » aux rendez-vous, (c) de rencontrer d’autres personnes significatives à l’enfant, et (d) de s’assurer que les parents se sentent de plus en plus à l’aise en racontant comment l’enfant vit au sein de sa famille. Dans la majorité de cas, les réunions ont eu lieu en présence des parents, mais aussi de tous ceux qui vivent avec l’enfant (oncles, tantes, cousins, amis du frère, etc.). Les entretiens mixtes avec les parents ou proches de l’enfant ont eu lieu en famille en français et en lingala[2]. L’interview étant élaborée en français, une traduction simultanée a été nécessaire en lingala.

Tableau 2

Catégorie diagnostique à l’EATA

Catégorie diagnostique à l’EATA

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Tableau 3

Scores au CARS et à l’ADI-R

Scores au CARS et à l’ADI-R

Légende : N-aut. = Non autisme ; Aut.L-M.= Autisme léger-modéré ; Aut. Sév.= Autisme sévère; Aut. = autisme.

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Tableau 4

Scores globaux de la catégorie diagnostique d’autisme

Scores globaux de la catégorie diagnostique d’autisme

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L’évaluation à l’aide du CARS révèle, pour les enfants non scolarisés (n = 32), que 20 (62.5%) répondent aux critères diagnostiques de l’autisme. Parmi eux, 6 (18.8%) présentent un autisme léger-modéré et 14 (43.75%) un autisme sévère. L’âge de la majorité des enfants non scolarisés (28.1%) se situe entre 10 et 14 ans. Les plus jeunes sont âgés entre 5 et 9 ans (18.8%) et les plus âgés entre 15 et 19 ans (16.6%). Donc, il y a une forte concentration (43.8%) d’enfants qui sont âgés de 5 à 12 ans ce qui correspond à l’âge scolaire. (Tableau 3). Pour les enfants scolarisés (n = 23), 17 (73,91%) répondent aux critères diagnostiques de l’autisme. Parmi eux, 2 (8,9%) présentent un autisme léger et 15 (65,2%) un autisme sévère.

Figure 1

Vue générale de la procédure d’évaluation diagnostique

Vue générale de la procédure d’évaluation diagnostique

Les sujets ont été aléatoirement choisis parmi ceux présentant divers troubles de développement. Tous ceux qui ont reçu le diagnostic d’autisme ont également reçu le diagnostic du retard mental.

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L’évaluation à l’aide de l’ADI-R révèle que 20 enfants non scolarisés (62.5%) sont autistes tout comme 17 enfants scolarisés (73.91%). Ainsi, l’utilisation de ces deux instruments permet d’identifier que 37 enfants (67.27% de l’échantillon total) répondent aux critères diagnostiques définitifs d’autisme (Tableau 4). Au sein des deux groupes, tous les participants qui ont reçu le diagnostic d’autisme font partie de ceux qui ont reçu le diagnostic des TED à l’EATA.

En comparant les scores obtenus au dépistage (EATA) avec ceux obtenus au CARS et à l’ADI-R, le nombre de cas a été réduit dans une proportion de 7.3%. Il y a donc un fléchissement des scores entre la première évaluation destinée au dépistage des TED et la seconde évaluation destinée au diagnostic de l’autisme. Cette différence peut être liée à la grande sensibilité et sévérité du CARS et de l’ADI-R. Ainsi, l’analyse des scores combinés de deux groupes (non scolarisé et scolarisé) confirme un diagnostic d’autisme sévère pour 52.7% et d’autisme léger-modéré pour 14.5% des enfants évalués. (Tableau 3).

Les scores obtenus à l’EATA ont été comparés avec ceux de CARS et de l’ADI-R sur la base d’une hypothèse nulle selon laquelle il n’y a pas de différence entre les scores de trois instruments diagnostiques. Pour confirmer cette hypothèse, les données ont été soumises au calcul statistique de corrélation de Bravais-Pearson. L’analyse des résultats obtenus révèle une corrélation significativement positive entre les scores totaux à l’EATA et au CARS (r = .718, p < .0001). Entre les scores de l’EATA et ceux de l’ADI-R, une corrélation significative et positive est observée (r = .553, p <.0001) tout comme entre les scores du CARS et ceux de l’ADI-R (r = .567, p < .0001). Ainsi, les scores obtenus aux trois instruments d’évaluation révèlent qu’il existe une relation entre ces résultats.

Évaluation du fonctionnement intellectuel

Tous les participants qui ont reçu le diagnostic d’autisme ont été évalués avec les tests Bonhomme De Goodenough et WISC-R en vue de distinguer ceux dont l’autisme serait associé à une déficience intellectuelle. Bien qu’il est scientifiquement admis que la déficience intellectuelle ne fait pas partie des critères de diagnostic de l’autisme, des recherches montrent que dans la plupart des cas, l’autisme est associé à une déficience intellectuelle, habituellement de sévérité moyenne (QI: 35-50) (APA, 2000 ; Tidmarsh & Volkmar, 2003).

Les résultats observés au WISC-R (QI < 69 = 100%) et au test de Bonhomme De Goodenough indiquent que tous les participants évalués présentent une déficience intellectuelle. Aux sous-échelles verbales et de performance de la WISC-R, 90% des enfants non scolarisés présentent une déficience intellectuelle moyenne alors que les scores globaux révèlent une déficience intellectuelle moyenne pour tous les enfants évalués. Par ailleurs, les résultats obtenus avec le test de Bonhomme De Goodenough indiquent que 60% des enfants évalués présentent une déficience intellectuelle sévère comparativement à 1 seul enfant selon les résultats observés au WISC-R.

Les performances intellectuelles des participants qui ont reçu le diagnostic d’autisme ont été comparées avec les scores obtenus au test de Bonhomme de Goodenough (1957) et ceux des sous-échelles de la WISC-R Wechsler (1974) sur base d’une hypothèse selon laquelle il n’y aurait pas de relation entre les scores aux deux tests. Pour confirmer cette hypothèse, les données ont été soumises au calcul statistique de corrélation de Bravais-Pearson.

Les scores globaux des participants non scolarisés ont révélé que la corrélation n’est pas significative entre le QIT à la WISC-R et les scores du Bonhomme de Goodenough (r = .287, p = .219). Par contre, en considérant les scores des sous-tests, la corrélation est significative et positive entre le QIP à la WISC-R et les scores du Bonhomme de Goodenough (r = .671, p = .001). Une corrélation significative et positive est également observée entre le QIP et le QIV de la WISC-R (r = .874, p < .001). Pour les enfants scolarisés, les scores globaux révèlent une corrélation non significative entre le QIT à la WISC-R et les scores du Bonhomme de Goodenough (r = .045, p =.219), mais une corrélation significative et positive entre le QIP et le QIV (r = .782, p = .001). Enfin, il n’y a pas de corrélation entre le QIP de la WISC-R et le QI du Bonhomme de Goodenough (r = .102).

La comparaison des performances des participants évalués (n = 37) indique une corrélation non significative entre le QIT à la WISC-R et le QI obtenu au Bonhomme de Goodenough (r = .238). Toutefois, il existe une différence significative aux scores des sous-tests, particulièrement entre le QIV et le QIP de la WISC-R (r = .900, p < .001) et le QIP de la WISC-R et les scores du Bonhomme de Goodenough (r = .494, p < .001).

En confrontant les résultats de notre recherche avec les formes d’autisme décrites par Cohen et al. (1960) et Poirier (1996), il appert que tous les participants à notre étude peuvent être intégrés dans la catégorie d’autisme de bas niveau au regard des scores de la WISC-R et du Bonhomme de Goodenough.

Discussion

La première question de recherche concerne la possibilité d’identifier, parmi des enfants scolarisés ou non et présentant une déficience intellectuelle, une surdité associée ou non à des comportements étranges, des troubles de caractère ou un diagnostic social de sorcellerie, ceux qui présentent également de l’autisme. La seconde question de cherche consiste à savoir s’il est possible de recourir à l’utilisation d’outils qui ont été validés en occident pour évaluer et dépister efficacement l’autisme chez des enfants congolais.

En réponse à ces questions, les résultats observés (Tableaux 1 à 4) vont en ce sens, peu importe la diversité des groupes d’enfants qui sont soupçonnés (scolarisés ou non, troubles de développement, sorcellerie, etc.) et ce, tant pour diagnostiquer un TED que de l’autisme. En d’autres termes, les outils (EATA, CARS et ADI-R) ainsi que les classifications (DSM-IV-TR, APA, 2000); (CIM-10, OMS, 1994) utilisés pour le diagnostic de l’autisme permettent d’identifier de manière efficace cette catégorie d’enfants en contexte africain même si les critères de diagnostic de l’autisme sont méconnus. De fait, bien qu’il nous soit impossible de généraliser nos conclusions à l’ensemble des enfants africains (taille de l’échantillon, représentativité, etc.), les résultats obtenus nous permettent tout de même de présumer que cette catégorie d’enfants existe bel et bien tant à Kinshasa qu’à travers toute la RDC.

Sur la base de ces résultats et contrairement à ce que rapportent certaines études selon lesquelles l’autisme est plus répandu dans les pays occidentaux et fortement technologiques (Muideen, Bakare & Munir (2011) ; Sanua (1984), nous croyons en l’universalité de l’autisme à travers toutes les catégories sociales. Toutefois, un défi de taille subsiste à savoir augmenter le niveau de connaissance des Congolais. De fait, l’absence de diagnostics de TED et d’autisme chez les enfants congolais est attribuable, en partie du moins, à la méconnaissance des critères décrits par les systèmes de classification clinique et internationale en vigueur. Cette méconnaissance serait liée, comme le rapportent Mukau, Roeyers et Devlieger (2010) à la prédominance de l’approche culturelle sur l’approche biomédicale. En effet, dans la conception sociale du handicap chez les Bantous, l’approche culturelle à une primauté sur l’approche biomédicale. Les marqueurs caractéristiques de l’autisme et ceux de la déficience intellectuelle sont attribués aux forces dominantes des ancêtres. Il s’agit pour certains d’une punition infligée aux vivants qui ne respectent pas les principes sociaux de « lignage ». De ce fait, les concepts « autisme » et « déficience intellectuelle » suscitent un conflit symbolique dans la conception africaine entre le réel et l’irréel. Cela conduit certains parents à résister à un diagnostic articulé en fonction du modèle biomédical. Ceci explique également, en partie, le manque de scolarisation et l’absence des soins adaptés pour plusieurs enfants présentant des comportements fortement déviants.

En résumé, les résultats de cette recherche vont dans le sens de celles de Bildt et al. (2005); La Malfa, Lassi, Bertelli, Salvini, & Placidi (2004) ; Kraijer (1999) qui identifient que plusieurs enfants présentant une déficience intellectuelle présentent également un TED ou de l’autisme. De plus, nous postulons qu’en milieu africain, il est possible d’identifier les enfants TED parmi ceux qui fréquentent à tort les écoles spécialisées pour enfants avec surdité, ceux internés en cellules psychiatriques parce qu’ils sont considérés comme présentant une psychose infantile et ceux délaissés parce que l’on croit qu’ils sont assimilés à ceux qui ont la sorcellerie.