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Introduction

Les comportements suicidaires sont encore souvent considérés comme un phénomène rare chez les personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Cependant, un nombre grandissant de milieux de pratique en santé et services sociaux au Québec assurant des services auprès de ces populations constate l’importance de cette problématique et les défis que représentent le dépistage et l’intervention adaptée et ont entrepris, à cet égard, des travaux de réflexion sur les besoins et les pratiques. Cette problématique constitue une préoccupation grandissante au sein des milieux de pratique qui ont fait appel aux auteurs pour développer des connaissances cruciales pour la pratique. Dans les milieux de la recherche, la problématique suicidaire dans le domaine de la DI ou du TSA s’avère très peu explorée. La compréhension du phénomène est complexifiée par l’hétérogénéité de ces populations et la méconnaissance de leurs modes d’expression de la détresse (Furniss & Biswas, 2012 ; Richa, Fahed, Khoury, & Mishara, 2014). L’incidence des idéations, tentatives et suicides complétés par les personnes présentant une DI ou un TSA est très mal connue et n’a pas encore fait l’objet d’études populationnelles rigoureuses au Québec ou ailleurs au Canada.

Cet article présente les résultats de travaux s’inscrivant dans un effort concerté entre milieux de la recherche et de la pratique pour améliorer les connaissances sur les comportements suicidaires et sur les pratiques d’estimation du risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA. Suite à la recension de la littérature scientifique portant sur la problématique suicidaire des personnes présentant une DI ou un TSA, il est proposé de réaliser une consultation d’experts issus des milieux de pratique en DI ou en TSA, de la prévention du suicide et de la recherche/évaluation. Ce second volet poursuit deux objectifs spécifiques: (1) identifier et décrire les thématiques importantes pour comprendre la problématique suicidaire des personnes présentant une DI ou un TSA et pour lesquelles des connaissances pertinentes sont à développer; 2) formuler des constats et recommandations basés sur une consultation d’experts pour améliorer les connaissances sur le suicide chez les personnes présentant une DI ou un TSA.

Recension de la littérature

Les bases de données PsycInfo, PubMed, ERIC, SCOPUS et Google Scholar furent utilisées avec les mots clés suivants : intellectual deficien*, disabili*, autis*, Suicid*. Les publications retenues devaient être des études originales (qualitatives et populationnelles) traitant des comportements suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA ou de la présence de DI ou TSA chez les personnes suicidaires. Seules les recherches publiées depuis 1980 ont été retenues.

Prévalence des comportements suicidaires

Très peu d’études ont estimé la prévalence des comportements suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA. En ce qui concerne la DI, la seule étude épidémiologique sur les décès est finlandaise (Patja, Iivanainen, Raitasuo, & Lonnqvist, 2001) et elle a montré que 0,4% des personnes présentant une DI se sont suicidées sur une période de 35 ans, avec un taux de suicide de 13/100 000 pour les femmes (similaire à la population féminine générale) et de 19,3/100 000 pour les hommes (un tiers de celui de la population masculine générale). Dans les populations DI adultes, les comportements suicidaires ont été étudiés chez les patients hospitalisés ou suivis en psychiatrie aux États-Unis avec des prévalences de comportements suicidaires observées très variables selon le niveau de DI, entre 0 % dans le cas de DI sévère, 0,06 % (Hurley, Folstein, & Lam, 2003) et 2,6 % (Menolascino, Lazer, & Stark, 1989) dans celui de DI légère. Dans un échantillon issu de la population canadienne présentant une DI et recevant des services sociaux, Lunsky (2004) a observé une prévalence de 11 % de tentatives de suicide et 23 % d’idéations suicidaires. Chez les jeunes présentant une DI hospitalisés en psychiatrie aux États-Unis, 21 % l’ont été après un comportement suicidaire (Walters, Barrett, Knapp, & Borden, 1995), 60 % l’ont été pour idéations (Carlson, Asarnow, & Orbach, 1994).

Chez les personnes ayant un TSA, une étude sur un échantillon issu de la population générale des personnes ayant un TSA au Royaume-Uni a observé que 40 % de personnes interrogées ont des idéations suicidaires et 15 % ont fait une tentative de suicide (Balfe & Tantam, 2010). Une étude anglaise récente sur 374 adultes nouvellement diagnostiqués avec un TSA a montré que les idéations et comportements suicidaires étaient neuf fois plus communs dans cet échantillon que dans la population générale (Cassidy, Bradley, Robinson, Allison, McHugh, & Baron-Cohen, 2014). Onze adultes ayant un TSA psychiatrisés ont été évalués en Italie (Raja, Azzoni, & Frustaci, 2011). L’étude a montré qu’une personne s’est suicidée, aucune n’a fait de tentative de suicide (contre 15 % des personnes hospitalisées sans TSA), mais la moitié avait des idéations suicidaires (contre 25 % de la population hospitalisée sans TSA). Dans une étude rétrospective japonaise, Kato et al. (2013) ont observé que 7 % des personnes hospitalisées pour une tentative de suicide avaient un TSA. Deux études ont traité des populations de jeunes ayant un TSA vivant dans la communauté. Shtayermman (2007) rapporte un taux de 50 % d’idéations suicidaires tandis que Mayes, Gorman, Hillwig-Garcia et Syed (2013) donnent plutôt un taux de 10,9 % d’idéations et de 7,2 % de tentatives de suicide. Parmi les jeunes ayant un TSA en traitement psychiatrique aux États-Unis, 20 % présentaient des idéations ou des tentatives de suicide (Hardan & Sahl, 1999; Storch et al., 2013). Une étude récente, traitant de personnes ayant un TSA et un haut niveau de fonctionnement vivant de manière autonome dans la communauté en Ontario, a montré que 35 % d’entre elles indiquaient avoir fait au moins une tentative de suicide (Paquette-Smith, Weiss, & Lunsky, 2014).

En bref, il y a peu d’études qui portent spécifiquement sur la problématique suicidaire des personnes présentant une DI ou un TSA et celles effectuées le sont auprès de populations diverses (populationnelle, en service, hospitalisées, en suivi psychiatrique) et avec des méthodes variées. Il apparaît toutefois clairement que malgré l’incidence relativement faible de suicide (bien que comparable à la population générale (Mikami et al., 2009 ; Raja et al., 2011), la présence importante de tentatives et d’idéation suicidaires tant chez les populations présentant une DI qu’un TSA réitère l’importance d’approfondir les connaissances sur cette problématique.

Facteurs de risque et de protection

Chez les personnes présentant une DI, les évènements stressants (Hardan & Sahl, 1999; Hurley & Sovner, 1998; Lunsky & Canrimus, 2005), l’isolement social (Lunsky, 2004; Lunsky & Canrimus; Patja et al., 2001), les deuils et pertes de personnes, de milieux de vie ou d’objets (Hurley & Sovner; Lunsky; Patja et al.; Walters et al., 1995), les abus vécus (Lunsky, 2004; Lunsky & Canrimus; Walters et al.), la présence de troubles concomitants (Benson & Laman, 1988; Lunsky; Menolascino et al., 1989), les problèmes de communication (Patja, 2004; Walters et al., 1995) et la présence d’une DI plus légère (Benson & Laman, 1988; Patja et al.) sont plus souvent associés à des comportements suicidaires. Bien que plusieurs facteurs soient identifiés dans la littérature, les auteurs ne précisent pas l’importance relative de chacun ou encore n’identifient pas de regroupements déterminants pour cette population.

Chez les personnes ayant un TSA, les études sont moins nombreuses (Richa et al., 2014), et les facteurs de risque les plus cités sont la présence d’abus et d‘intimidation (Mayes et al., 2013; Mikami et al., 2009; Shtayermman, 2007), l’hospitalisation en psychiatrie (Paquette-Smith et al., 2014) et la présence de troubles mentaux concomitants (Mayes et al.; Mikami et al.; Raja et al., 2011; Storch et al., 2013).

Ainsi, à la lumière des écrits analysés, l’incidence des comportements suicidaires de ces populations ne peut être clairement déterminée sur la base des données existantes. Elle varierait selon le diagnostic (DI ou TSA), le niveau de DI et l’âge (surtout chez les personnes avec un TSA). Il n’existerait pas d’outils ni de protocoles cliniques adaptés et valides spécifiques pour repérer et estimer le risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA. Il ne semble pas non plus y avoir eu de réflexion approfondie sur les similitudes et les différences dans le processus suicidaire entre ces deux groupes et la population générale à risque de suicide qui permette de valider auprès des personnes présentant une DI ou un TSA l’utilisation d’outils et d’approches d’estimation existants (développés pour la population générale). Il apparaît donc nécessaire de mieux comprendre comment s’expriment les comportements suicidaires chez ces populations, et ce, afin de pouvoir les identifier et intervenir de façon adaptée.

Objectifs du projet

Le présent projet vise à compléter les connaissances scientifiques produites à ce jour sur la problé-matique suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA par l’intégration des connaissances issues des milieux de l’intervention en DI ou en TSA et d’identifier les questions à développer dans de nouvelles recherches.

Le projet poursuit donc deux objectifs spécifiques : (1) identifier et décrire les thématiques importantes pour comprendre la problématique suicidaire des personnes présentant une DI ou un TSA et pour lesquelles des connaissances pertinentes sont à développer; 2) Formuler des constats et recommandations basés sur une consultation d’experts pour améliorer les connaissances sur le suicide chez les personnes présentant une DI ou un TSA.

Ce projet ne comprenant pas de recueil de données auprès de participants à la recherche, aucune certification éthique n’était nécessaire. Cependant, nous avons assuré la confidentialité des informations données par les professionnels consultés en ne diffusant que des synthèses générales de données.

Méthode

Consultation d’experts

La consultation d’experts a été menée sous forme d’une journée d’échange, tenue en juin 2013, suivie d’une démarche de consultation courriel des participants au cours des deux mois suivants. Les participants ont été invités à titre d’experts dans l’un des trois thèmes-clés de la problématique : 1) la DI ou le TSA; 2) la prévention du suicide et, 3) le développement d’outils cliniques adaptés aux clientèles DI ou TSA; ainsi que de deux niveaux d’expertise : 1) intervention et 2) recherche. Ils ont été sélectionnés par référence dans les réseaux de la santé des services sociaux, du suicide et de la recherche. Au total, 75 personnes ont participé à la démarche. Trente-deux participaient à la fois à la journée d’échange et au processus de consultation (42.7 %) et 23 n’ont participé qu’à cette seconde étape de la démarche. Par ailleurs, 75 % des participants provenaient des milieux de pratique, 15 % du réseau de la recherche universitaire et 10 % des organismes de soutien en situation de crise suicidaire. Les participants ont été informés que les constats issus des échanges feraient l’objet d’une analyse et d’une diffusion.

Les thématiques retenues pour alimenter la discussion avec les experts ont été ciblées au moyen d’une consultation de cliniciens professionnels du CRIDTED de Montréal (deux sessions de travail préparatoire) ainsi qu’à partir des éléments abordés dans la recension des écrits. Les thèmes choisis sont ceux qui posaient les plus grands défis sur le plan de la compréhension et de l’estimation du risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA. Ces thématiques sont listées dans le tableau 1.

La journée d’échanges s’est ouverte sur une session plénière visant à décrire les objectifs et le contexte de la consultation, ainsi qu’à donner les définitions-clés des thèmes et concepts sur lesquels les groupes seraient amenés à travailler. Ensuite, les participants ont été séparés en six groupes de travail de cinq à sept membres, soutenus par un animateur dont la tâche consistait à tenir l’agenda des travaux et à relancer les discussions si nécessaire. Chacun des groupes a tenu trois séances de discussion portant sur les thèmes à l’étude. Chaque groupe devait se prononcer sur la façon dont les thèmes discutés se présentaient chez les personnes présentant une DI ou un TSA, les différences potentielles entre ces deux groupes et avec la population générale. À la fin de chaque session de discussion, le groupe devait dégager et écrire ses principales conclusions sur une affiche qui était ensuite exposée dans la salle pour référence. Une dernière plénière a permis de faire une synthèse des conclusions des groupes de discussion, apporter les précisions nécessaires, tenir un panel, aborder des thématiques qui n’avaient pas fait l’objet de discussion par les groupes et enfin, identifier des besoins de développement de connaissances dans le domaine de l’estimation du risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA.

Une synthèse des contenus des échanges a été produite suite à cette journée puis diffusée aux experts sollicités. Ces derniers étaient invités à donner leur opinion sur la fidélité de cette synthèse et devaient indiquer si la synthèse reflétait (1) leurs discussions et (2) leur propre opinion sur les différents thèmes abordés. S’ils le désiraient, ils pouvaient apporter des précisions sur les thèmes abordés lors du forum, ou ajouter de l’information sur des thèmes non abordés.

Résultats

Validation des contenus de la synthèse de la journée d’échange

Vingt-trois experts ont rempli le questionnaire de validation. Sur une échelle en trois points (pas du tout, partiellement, complètement), les répondants ont évalué que la synthèse reflétait les discussions et recommandations du groupe (170/204 réponses – 83 % ont coté « complètement » et les autres ont coté « partiellement ») et qu’elle correspondait à leur propre perception (202/264 réponses – 76 % ont coté « complètement » et les autres ont coté « partiellement »). Ils ont formulé des commentaires et précisions (N = 95) qui ont enrichi la réflexion et contribué à approfondir la synthèse.

Risque suicidaire en DI et TSA : synthèse des discussions du processus de consultation d’experts

Les constats principaux sur les thèmes discutés sont synthétisés dans le tableau 1. La section suivante présente une analyse détaillée des discussions et recommandations des experts quant à l’estimation du risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA. Les analyses de la consultation permettent ainsi de souligner l’importance de tenir compte des spécificités de la DI et du TSA dans l’estimation du risque suicidaire. Certains critères apparaissent comme spécifiques à ces groupes par rapport à la population générale.

Tableau 1

Thèmes abordés lors du forum et constats principaux issus des groupes de discussion

Thèmes abordés lors du forum et constats principaux issus des groupes de discussion

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Se référer au niveau de base du fonctionnement de la personne

Il est important de bien connaître le niveau de base du fonctionnement de la personne afin de repérer les changements susceptibles d’indiquer la présence d’une crise suicidaire. Ce niveau de base se traduit par les caractéristiques définissant le fonctionnement habituel de la personne, la nature et l’importance des facteurs de risques présents et la stabilité des facteurs de protection habituels. Ces éléments sont mis en perspective avec les caractéristiques propres à la personne concernant sa compréhension de la mort, sa perception du temps, ses capacités de communication ainsi que toute caractéristique définissant la réalité perçue de cette personne. Les changements à l’égard du niveau de base sont considérés comme des indicateurs importants et proximaux du risque suicidaire.

Identifier des facteurs de risque de suicide

Les experts ont considéré qu’il est important d’apprendre à faire la distinction entre les déclencheurs d’une détresse en général de ceux d’une crise suicidaire en particulier. Par ailleurs, une attention devrait aussi être portée au parcours de vie ainsi qu’aux moments critiques associés à la vulnérabilité des personnes présentant une DI ou un TSA. La reconnaissance des périodes de vulnérabilité et des moments critiques, combinée à la connaissance du niveau de base des personnes, semblent des indicateurs importants afin d’estimer le risque suicidaire.

Diversifier les sources d’information

L’importance de diversifier les sources d’information lors de l’estimation du risque suicidaire auprès de ces personnes semble primordiale afin de pallier aux limitations dans les capacités de communication fréquemment rencontrées chez cette population. Il est proposé de se référer à la famille, aux différents intervenants ainsi qu’aux personnes partageant le milieu de vie de la personne.

Adapter les moyens et les niveaux de communication

Les experts ont souligné le besoin d’adapter la communication sur le suicide aux caractéristiques particulières de ces populations. L’adaptation des modes de communication pourrait s’inspirer des outils d’estimation du risque suicidaire développés pour les enfants et des outils d’évaluation psychologiques spécifiquement développés pour les personnes présentant une DI ou un TSA. Il est également important de ne pas suggérer les réponses (en reformulant ou proposant des options) lors de l’investigation du risque suicidaire, car ces personnes seraient particulièrement sensibles au phénomène de désirabilité sociale. Les outils utilisés pour estimer le risque suicidaire chez ces personnes devraient également comporter des supports visuels pour explorer les notions liées à la mort, à la souffrance psychologique, à la détresse suicidaire et aux émotions.

Discussion

À la lumière des constats issus des écrits scientifiques disponibles, l’analyse des résultats de la consultation d’experts apporte quelques éléments nouveaux, mais confirme également certaines données importantes.

La réalité des comportements suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA

Malgré le manque de données de recherche fiables, il semble y avoir un consensus sur le fait que la problématique suicidaire existe chez les personnes présentant une DI ou un TSA. Les résultats de recherche montrent des variations importantes dans l’incidence des comportements suicidaires entre des personnes avec différents niveaux de DI et celles présentant un TSA. Toutefois, la grande variation dans les types d’échantillons étudiés (en milieu psychiatrique ou communautaire) rend difficile les comparaisons entre groupes et avec la population générale. Elle soulève le besoin d’effectuer des études populationnelles et épidémiologiques plus approfondies afin de bien comprendre l’ampleur et les variations des comportements suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA (Richa et al., 2014).

L’expérience des cliniciens oeuvrant auprès des personnes présentant une DI ou un TSA telle que relatée par les experts consultés montre que les manifestations suicidaires semblent présentes plus souvent qu’on ne le pense et l’estimation de leur incidence par la croyance apparemment commune qu’il s’agit d’un phénomène rare. Dans les dernières années, des cas de comportements suicidaires significatifs ont été rapportés au Québec, qui ont mis la problématique en lumière dans le réseau des CRDITED. Par conséquent, le besoin émerge dans les milieux d’intervention de mieux intervenir dans ces situations et développer des bonnes pratiques. Les experts consultés ont soulevé le besoin d’approfondir les connaissances sur les questions suivantes : Quelles sont l’incidence et la nature exacte des comportements suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA ? De quelle façon cette incidence et ces caractéristiques sont comparables à celles de la population générale ? Est-ce que les différences, si elles existent, en font des groupes distincts à considérer pour l’estimation du risque suicidaire ? Plus de travaux sont nécessaires afin de répondre à ces questions.

Les caractéristiques des crises suicidaires

Un second point important concerne les caractéristiques des crises suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA, les modèles explicatifs et les facteurs de risque et de protection en jeu dans le développement des crises suicidaires dans ces groupes. Les écrits restent trop parcellaires dans ce domaine en ne proposant que des descriptions sommaires de certains facteurs de risque et de protection présents chez les personnes présentant une DI ou un TSA. Il n’existe pas encore de consensus issu des recherches sur ces facteurs. Les experts consultés ont discuté de la nécessité d’améliorer la compréhension des processus en jeu dans le développement d’une crise suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA. Plusieurs facteurs de risque et moments critiques dans le parcours de vie des personnes présentant une DI ou un TSA ont été identifiés et sont susceptibles d’intervenir dans le développement d’une crise suicidaire chez ces personnes et, par conséquent, devraient être pris en compte lors de l’estimation du risque. Toutefois, même s’il n’existe pour le moment aucune donnée scientifique concernant les liens entre ces caractéristiques et la crise suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA, le groupe d’expert les a considérées comme importantes et essentielles à explorer empiriquement.

L’intention suicidaire

Dans la population générale, l’intention suicidaire est associée à la perception que la personne a du geste qu’elle pose et à la fonction que ce geste a pour elle (De Leo, Burgis, Bertolote, Kerkhof, & Bille-Brahe, 2004). Elle se définit par le sérieux ou l’intensité du désir de mettre fin à sa vie (Beck, Resnik, & Lettieri, 1974). Par contre, cette intention peut être extrêmement difficile à observer. En effet, elle peut fluctuer dans le temps, présenter des degrés variés, être difficile à exprimer, nécessiter une interprétation de la part du clinicien. Parfois aussi l’intention est de ne plus souffrir et la mort est perçue comme un moyen d’y parvenir. Cette définition de l’intention alimente probablement le préjugé à l’effet que la DI protègerait du suicide en raison du manque de capacité à faire le lien entre l’action à entreprendre et l’intention suicidaire. On le retrouve par exemple clairement énoncé dans le manuel édité par De Leo et al. et dans le discours des milieux cliniques relayé par les experts consultés. Ces difficultés incitent d’autres spécialistes à ne pas inclure la notion d’intention dans l’estimation du risque rapproché d’un passage à l’acte suicidaire, mais dans l’étude du risque suicidaire à plus long terme (De Leo et al.) et de traiter le geste indépendamment de l’intention exprimée. À la lumière de ces débats, les manifestations de l’intention suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA et l’utilisation de la notion d’intention dans l’estimation du risque suicidaire chez ces personnes doivent faire l’objet d’études supplémentaires.

Éléments affectant la compréhension de l’intention suicidaire

Plusieurs facteurs spécifiques aux personnes présentant une DI ou un TSA ont été identifiés pouvant influencer l’intention suicidaire (sa présence et son expression).

Permanence de la mort

Il est important d’explorer la compréhension que les personnes présentant une DI ou un TSA ont de la mort afin de vérifier dans quelle mesure la référence à la mort qui est exprimée correspond à l’expression d’un désir de mettre définitivement fin à sa vie. Comprendre la mort signifie être conscient de ses dimensions d’irréversibilité, d’inévitabilité et de l’universalité (Gonzales-Puell, 2009; McEvoy, MacHale, & Tierney, 2012). Les études sur la compréhension de la mort chez les personnes présentant une DI montrent qu’elle varierait selon le niveau de DI : d’aucune conscience de la mort avec une DI profonde à une compréhension partielle avec une DI légère (Meeusen-van de Kerkhof, Van Bommel, Van De Wouw, & Maaskant, 2006). McEvoy et al. ont observé que les personnes présentant une DI avaient en majorité une compréhension partielle ou émergente de la mort, dans laquelle l’universalité et l’irréversibilité de la mort étaient plus faciles à comprendre que son inévitabilité.

Dans cette perspective, en l’absence de recherches sur l’influence de la perception de la mort sur le développement de comportements suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA, certains experts consultés lors du forum ont indiqué qu’il est pertinent d’aider ces personnes à développer leur compréhension générale de la mort afin de les aider à bien comprendre certaines de leurs émotions de détresse et de deuil. Cette approche permettrait également de réduire le risque de banaliser l’expression d’idéations suicidaires par les intervenants et d’aider les personnes à comprendre la différence entre le désir de mourir et celui de ne plus souffrir.

Perception du temps

La notion de temps est importante dans une perspective de prévention du suicide. Dans la population générale, la présence de tentatives de suicide antérieures est un important facteur de risque du décès par suicide, considérant qu’entre 30 % et 60 % des personnes répètent un geste suicidaire et qu’entre 10 % et 15 % des personnes ayant déjà fait une tentative de suicide décèdent par suicide (Kerkhof & Arensman, 2004). L’analyse de la présence et de la fréquence de tentatives antérieures est un élément clé pour identifier le risque suicidaire. Parallèlement, le désespoir est un prédicteur important des tentatives de suicide (Hawton, Comabella, Haw, & Saunders, 2013; Victor & Klonsky, 2014). Son corolaire, l’espoir et sa reconstruction, est un levier majeur sur lequel se construit l’intervention en cas de risque suicidaire (Snyder, 2002). La notion d’espoir se base sur la représentation de soi dans son environnement avec un sens du temps comme linéaire, mais avec une répétition cyclique de certains éléments qui permet de lier le présent à un futur imaginé, les moyens d’atteindre ses objectifs, la capacité de prévoir des moyens alternatifs au suicide, la motivation d’atteindre ses objectifs et une perception émotionnelle des évènements et obstacles (Snyder). Le désespoir et l’espoir s’inscrivent donc dans le temps et nécessitent une bonne compréhension du présent, du passé et du futur.

L’inscription de soi dans le temps semble un concept complexe à analyser chez les personnes présentant une DI ou un TSA. D’après les études menées par Zukauskas, Silton et Assumpção (2009), les personnes ayant un TSA ont une expérience très factuelle des dimensions présentes et futures du temps. Elles se projettent dans le futur à partir d’éléments concrets, factuels et stéréotypés. Elles peuvent avoir des difficultés à replacer les évènements dans le passé, le temps peut sembler raccourci.

En l’absence d’études ayant abordé cette relation, les experts ont soulevé les questions suivantes par rapport au lien entre temporalité, suicide et DI et TSA : Quel rôle faire jouer aux tentatives antérieures dans l’estimation du risque suicidaire, si la personne a des difficultés avec la temporalité ? Comment intégrer l’utilisation des projets à moyen et long terme pour construire l’espoir dans une démarche d’intervention? Quel est le rôle de l’impulsivité d’une personne dans la mesure où la distorsion du temps peut brouiller l’estimation du risque suicidaire et rendre plus présents et actuels des évènements anciens, et créer alors un cumul plus fort d’expériences négatives? Il peut donc être difficile d’appliquer ces paramètres temporels à l’estimation du risque chez ces populations sans prendre des précautions qui restent à identifier.

Contrôle sur sa vie et autodétermination

Ces facteurs pouvant influencer le déroulement de la crise suicidaire ont été identifiés par les experts lors du forum (et non pas préalablement définis). Le rôle et la portée potentiels de ces notions restent toutefois à approfondir. La question de l’auto-détermination est importante dans le suivi des personnes présentant une DI ou un TSA et l’exercice de l’autodétermination passe, en grande partie, par la capacité à se contrôler (Haelewyck & Nader-Grosbois, 2004). Aussi, les personnes présentant une DI peuvent avoir un autocontrôle limité, ce qui est un des facteurs de risque reconnu pour les comportements agressifs et impulsifs (L'Abbé & Morin, 2001). Il reste à explorer la manière dont les comportements suicidaires peuvent être affectés par l’autodétermination et l’autocontrôle dans ces populations.

Automutilation

Ce facteur a été amené par les experts lors du forum. La question du lien entre automutilation et comportement suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA ne semble pas encore avoir été étudiée. Selon les experts consultés, la question de l’automutilation doit être explorée davantage à la fois d’un point de vue théorique et clinique, et ce, afin de bien comprendre si comportements suicidaires et automutilation sont des phénomènes différents ou s’ils appartiennent au même continuum pour les groupes de personnes présentant une DI ou un TSA. Aucune étude n’a encore été menée sur les liens entre comportements suicidaires et automutilation dans ces groupes. Cette question est particulièrement importante dans le contexte où l’automutilation est un phénomène courant chez ces groupes de personnes. Par exemple, dans une recension des écrits, Furniss et Biswas (2012) ont observé que l’automutilation apparait chez 32 % de personnes présentant une DI. Un des défis importants de l’identification des comportements suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA peut venir de l’incidence importante des comportements d’automutilation et de la difficulté à évaluer adéquatement l’intention de la personne.

Communication sur le risque suicidaire

La communication autour de l’intention suicidaire est un élément central de toute activité d’estimation du risque suicidaire. Dans la population générale, cette communication passe essentiellement par un échange verbal entre une personne et un intervenant. L’intention suicidaire se manifeste par le langage, de façon directe (je veux mourir, je veux me suicider) ou indirecte (vous serez mieux sans moi, la vie ne vaut pas la peine, etc.) (Silverman, 2011).

Les problèmes de communication sur le suicide chez les personnes présentant une DI ou un TSA sont identifiés dans la littérature, mais très peu de solutions sont proposées, sauf par des recommandations en lien avec l’utilisation de certains termes et la nécessité de poser des questions simples et directes dans le processus d’estimation du risque suicidaire (Ludi et al., 2012; Merrick, Merrick, Lunsky, & Kandel, 2006). La communication d’émotions est un sujet en général très peu traité en lien avec la DI (L'Abbé & Morin, 2001; Rojahn, Lederer, & Tassé, 1995). Les personnes présentant une DI vivent des émotions complexes, mais n’ont pas toujours appris à les exprimer de façon adéquate ni à faire la distinction entre elles (L'Abbé & Morin). Les émotions associées à une crise suicidaire peuvent donc être difficiles à comprendre et à exprimer.

Selon les experts consultés, la communication sur le suicide avec les personnes présentant une DI ou un TSA peut être rendue plus ardue par des difficultés dans la maitrise du langage et du sens de certains termes. L’intention suicidaire peut se manifester de façon non verbale par des changements d’état par rapport au fonctionnement habituel de la personne. La discrimination, par les intervenants, du sens à donner à ces changements, est un défi important et l’identification de l’intention suicidaire est un problème majeur dans l’estimation du risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA.

Afin de palier à ces difficultés, quatre types de pistes d’action sont proposés par les experts : (1) Il est important d’utiliser un langage simple et concret, comportant des questions brèves et contextualisées qui évitent l’utilisation de réponses par oui ou par non. (2) Il est essentiel de procéder à une vérification de la compréhension que la personne présentant une DI ou un TSA a des mots qu’elle et l’intervenant utilisent, ainsi que la compréhension qu’elle a des conséquences de certains gestes. (3) L’utilisation d’outils visuels (incluant divers pictogrammes, images ou échelles) adaptés aux limitations particulières des capacités de communication des différentes personnes présentant une DI ou un TSA apparaît également importante dans l’estimation du risque suicidaire. De plus, et en continuité avec les approches d’intervention déjà utilisées avec les personnes présentant une DI ou un TSA, il est important d’aider la personne à organiser sa pensée autour de la problématique suicidaire sans toutefois induire des réponses particulières susceptibles de ne pas refléter ses propres préoccupations. (4) La communication directe avec la personne ne suffit pas. L’estimation du risque suicidaire devrait également miser sur l’observation des comportements et des habitudes de vie de la personne et des changements qui se produisent dans ce domaine.

Facteur de risque et de protection

Peu d’études ont analysé les facteurs de risque et de protection des crises suicidaires chez les personnes présentant une DI ou un TSA et à ce jour, il n’existerait pas de modélisations permettant de comprendre comment ces facteurs agissent chez ces populations. Il est donc actuellement difficile de dire si les personnes présentant une DI ou un TSA présentent des processus suicidaires similaires à la population générale, pouvant donc être estimés suivant les mêmes critères.

En complément des facteurs de risque identifiés par les études antérieures (évènements stressants, isolement social, deuils et pertes, abus, troubles concomitants, problèmes de communication, niveau de DI), les experts consultés ont identifié certains facteurs de risque leur apparaissant les plus discriminants dans l’estimation du risque suicidaire chez ces personnes. Ce sont le deuil des parents (et autres pertes importantes pour les personnes), le désespoir (situation insoutenable, souffrance très importante), les tentatives de suicide antérieures ou la présence de comportements mettant la vie en danger, les changements significatifs du fonctionnement de base (ex : perte d’intérêt), l’impulsivité, l’intimidation, le rejet, l’humiliation ou le harcèlement, la consommation de substances, l’annonce du diagnostic de DI ou de TSA et les difficultés à l’accepter, ainsi que la non-révélation de son état DI ou TSA aux intervenants externes lors d’interventions de crise, ce qui peut limiter le déploiement d’interventions adaptées.

Selon les experts, même si plusieurs facteurs de risque associés à la problématique suicidaire sont communs (troubles de santé mentale, pertes, dépendances, etc.) entre la population générale et les personnes présentant une DI ou un TSA, les différences soulignées portent sur l’importance de leur impact sur ces dernières. Plusieurs de ces facteurs auraient un impact significativement plus grand pour elles que pour les personnes issues de la population générale. Cet impact accentué pourrait trouver sa source dans la présence d’un état de vulnérabilité préalable (Richa et al., 2014) ou de particularités cognitives associées au TSA (Richa et al.). L’augmentation des facteurs de risque constituerait une source de déséquilibre supplémentaire susceptible de précipiter une situation de crise suicidaire. Cette hypothèse reste à vérifier empiriquement.

Les facteurs de protection identifiés dans les écrits sont rares. Une série d’études rapporte qu’un niveau élevé de DI pourrait constituer une source de protection contre les comportements suicidaires (Patja, 2004; Patja et al., 2001). Cette association pourrait en partie être expliquée par les difficultés de ces personnes à comprendre la mort et à développer une intention suicidaire. Dans ce domaine, les experts consultés ont identifié les croyances qui gardent en vie (même des pensées rigides, comme la conviction que le suicide ne peut pas être une option, « ça ne se fait pas »), la présence d’une famille offrant du soutien, des raisons de vivre fortes, la présence d’un réseau élargi de soutien et de soins, la présence d’intervenants, la désirabilité sociale et le caractère influençable des personnes, le fait de vivre plus facilement dans le moment présent, une bonne intégration sociale et le développement d’habiletés sociales, le dévoilement de la condition ou du diagnostic, le sentiment d’appartenance ainsi que le développement de bonnes habiletés de communication.

Au même titre que les facteurs de risque, il semble que les facteurs de protection apparaissent similaires à ceux de la population générale, mais que leur présence aurait un impact plus grand pour les personnes présentant une DI ou un TSA.

Estimer le risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA

Enfin, un troisième point important à relever, qui découle de l’hétérogénéité des populations présentant une DI ou un TSA ainsi que de la méconnaissance des caractéristiques de la crise suicidaire dans ces groupes, concerne la difficulté que nous avons encore à nous positionner sur les bonnes pratiques d’estimation du risque suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA (Ludi et al., 2012). Les articles scientifiques publiés et les experts consultés se rejoignent clairement sur cette question cruciale pour l’intervention.

La présence de comportements suicidaires a été estimée de façon différente selon les études, sans qu’il n’existe d’outils spécifiques adaptés à ces groupes. Dans la plupart des cas, lorsque les personnes ont été hospitalisées pour une tentative de suicide, il n’y a pas d’indication sur la manière dont cette tentative a été identifiée (Kato et al., 2013; Lunsky & Canrimus, 2005; Mayes et al., 2013; Walters et al., 1995). Certaines études recommandent que les méthodes pour évaluer le risque suicidaire chez les personnes présentant une DI (Hurley & Sovner, 1998) et chez les personnes ayant un TSA (Shtayermman, 2007) soient adaptées à leur niveau cognitif et de langage. Lunsky (2004) indique qu’il faut utiliser plusieurs sources d’information (intervenants, proches), pour bien estimer le risque suicidaire chez les personnes présentant une DI afin de tenir compte des lacunes possiblement induites par les difficultés cognitives et de langage de ces personnes. Mayes et ses collaborateurs ont estimé la présence de comportements suicidaires chez des jeunes autistes à partir de deux questions posées aux mères. Raja et al. (2011) ont posé des questions directes à des adultes autistes sur leurs idéations, intentions et comportements suicidaires et Lunsky (2004) a fait la même chose avec des adultes présentant une DI légère.

Les experts consultés ont relevé la présence de défis cliniques majeurs à l’estimation du risque suicidaire auprès des personnes présentant une DI ou un TSA. Ces constats portent sur le caractère non homogène de cette population, de la perception que les manifestations suicidaires constituent un phénomène peu fréquent chez cette population ainsi que les besoins importants d’adaptation des outils d’estimation requis.

Des populations non homogènes

Le premier défi concerne la très grande diversité des caractéristiques définissant les personnes présentant une DI ou un TSA. Les différences quant aux habilités cognitives, verbales et sociales selon le diagnostic DI ou TSA, selon le niveau de la DI ou la présence de troubles concomitants, amènent des défis importants pour accéder à l’information nécessaire à l’estimation du risque suicidaire. L’estimateur devrait invariablement adapter son mode de communication, le niveau de difficulté des concepts abordés et les sources d’informations pertinentes.

Rareté perçue du phénomène

Certains milieux d’intervention perçoivent que la problématique suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA est un phénomène rare. Les participants du forum s’accordent pour exprimer leur inquiétude face aux difficultés de développer et de consolider une expertise des pratiques d’estimation du risque suicidaire quand le problème que l’on cherche à traiter est méconnu et, jusqu’à présent, perçu comme relativement rare.

Adaptabilité des outils d’estimation du risque suicidaire

Cette préoccupation réfère à la question plus large de la standardisation des pratiques d’estimation du risque suicidaire. Convient-il d’utiliser, avec les populations présentant une DI ou un TSA, les outils développés pour la population générale ou faut-il adapter ou construire des outils répondants aux particularités de ces groupes ? Ludi et al. (2012) ont analysé des instruments d’estimation du risque suicidaire à portée universaliste pouvant être utilisés avec les jeunes présentant une DI. Ils ont identifié certains défis importants associés au niveau de lecture ou de compréhension, à la complexité des réponses possibles, aux difficultés avec la pensée abstraite et à la présence de composantes non verbales dans l’expression du risque suicidaire chez les jeunes présentant une DI. Cette analyse tend à appuyer l’argument pour une approche spécifique et le développement d’outils dédiés aux clientèles suicidaires DI/TSA. Les experts consultés lors du forum ont émis deux types d’avis sur ce sujet. Les premiers suggèrent de développer de nouveaux outils spécifiques, visuels et variés pour l’estimation du risque suicidaire auprès des personnes présentant une DI ou un TSA. Ces outils devraient comporter une trame commune avec les outils développés pour la population générale (comme la Grille d’estimation de la dangerosité d’un passage à l’acte suicidaire (Lavoie, Lecavalier, Angers, & Houle, 2012) implantée largement au Québec), mais présenter des paramètres adaptables au cours de l’intervention pour tenir compte des caractéristiques de ces populations et permettre de recueillir des informations auprès de multiples sources. Une seconde opinion est qu’il serait préférable d’appliquer les outils actuellement utilisés auprès de la population générale en les intégrant dans des structures cliniques qui, elles, feraient l’objet d’adaptation. Il est nécessaire de poursuivre la réflexion sur cet enjeu clinique important.

Conclusion

Aux vues des connaissances et des questions actuelles, il semble hasardeux de considérer la suicidalité chez les personnes présentant une DI ou un TSA comme chez la population générale.

Tant les écrits scientifiques que le forum d’experts soulèvent des questions et des manques importants quant à la compréhension de la problématique suicidaire chez les personnes présentant une DI ou un TSA, notamment l’incidence, les facteurs de risque, le rôle des limitations cognitives dans la compréhension et l’expression de la détresse et des idéations suicidaires ou encore, les différences potentiellement importantes entre DI et TSA. L’amélioration des connaissances sur ces dimensions influencera nécessairement les façons de concevoir l’estimation du risque suicidaire auprès de ces populations, que ce soit pour les critères discriminants ou les procédures efficaces d’estimation.

Au-delà des facteurs décrits dans les recherches existantes, les préoccupations des experts consultés permettent de pousser la réflexion et de définir les besoins de travaux subséquents. Les thèmes et enjeux sur lesquels nous devons travailler sont liés à la nécessité d’améliorer notre compréhension de l’ampleur du phénomène en général, des liens entre comportements suicidaires et perception du temps et de la permanence de la mort, les facteurs de risques liés aux caractéristiques cognitives, affectives et sociales de la DI et du TSA, le contrôle sur sa vie, l’autodétermination et l’automutilation.