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Dans les nouvelles économies axées sur l’information, les professions liées à l’ingénierie, aux techniques de l’information, à la gestion des systèmes d’information et à la recherche et développement (R et D) sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important. Aussi n’est-il pas étonnant que les organisations considèrent ces professionnels comme une ressource stratégique qui les aide à devenir plus concurrentielles. D’où la préoccupation des employeurs pour des sujets comme la motivation ou la gestion des carrières chez les ingénieurs (Igbaria, Kassicieh et Silver, 1999). Le fait que le modèle des ancres de carrière de Schein (1978) permet de mieux comprendre ce nouveau défi de gestion explique l’intérêt sans cesse croissant des chercheurs pour la notion d’ancres de carrière (Igbaria, Greenhaus et Parasuraman, 1991; Crépeau et al., 1992; Igbaria et Baroudi, 1993; Tremblay, Wils et Proulx, 2002; Igbaria, Kassicieh et Silver, 1999; Jiang et Klein, 2000).

De nombreux auteurs considèrent que la théorie des ancres de carrière proposée par Schein en 1978 constitue une contribution majeure (Feldman et Bolino, 1996). Cette théorie définit huit ancres de carrière (aussi appelées « orientations de carrière ») qui sont les suivantes : 1) compétence fonctionnelle/technique, 2) compétence en gestion, 3) autonomie/indépendance, 4) sécurité/stabilité, 5) créativité entrepreneuriale, 6) service à une cause, 7) défi pur, et 8) style de vie. Selon Schein, le « concept de soi de carrière » (career self-concept) d’un travailleur, qui résulterait de l’interaction entre l’individu et le milieu de travail, se développerait à mesure que l’expérience s’acquiert. À ce propos, Schein (1978 : 125) mentionne qu’il s’agit d’un phénomène intra-individuel (self-perceived) et que le test de réalité est essentiel pour qu’il y ait une stabilisation du concept de soi de carrière. Schein nomme cette stabilisation « ancre de carrière » qui, selon lui, s’articule autour de trois dimensions (1978 : 125) : 1) les talents et habiletés, 2) les valeurs, et 3) la motivation et les besoins.

Un postulat implicite à cette théorie des ancres de carrière est qu’un individu ne possède qu’une seule ancre dominante. Ainsi de nombreux chercheurs en déduisent, à partir d’une lecture en filigrane des travaux de Schein, qu’il ne faut retenir que l’ancre de carrière ayant le score le plus élevé pour opérationnaliser l’idée de dominance. Pourtant la réalité semble indiquer que certains individus possèdent en fait plusieurs ancres élevées (Feldman et Bolino, 1996), ce qui pose la question de la multiplicité des ancres et de l’interprétation des scores. Aussi l’objet de cette recherche est-il d’explorer cette possibilité de l’existence de plusieurs ancres chez un même individu et d’évaluer son impact sur le cheminement et le succès de carrière parmi les ingénieurs québécois.

Problématique des ancres de carrière

Ancres de carrière : une seule ancre ou des ancres multiples ?

Schein (1978 : 125–126) mentionne qu’un nouvel employé acquiert graduellement une connaissance de soi ainsi qu’un concept de soi de carrière plus clair à mesure qu’il apprend. Le concept de soi de carrière aurait ainsi tendance à se stabiliser plus particulièrement autour d’une seule ancre de carrière. Ceci expliquerait la tendance implicite de la plupart des chercheurs à présenter leurs résultats de recherche sur les ancres de carrière en fonction du score maximum pour une ancre donnée. Toutefois, on ne doit pas prendre pour acquis que la clarté du profil est généralisable et permanente. Par exemple, Derr (1986) mentionne que certains individus peuvent changer d’orientations de carrière (c’est-à-dire d’ancres) au cours de leur vie professionnelle. Pour ces individus de type « spiral », la notion d’ancrage autour d’une ancre dominante n’est peut-être pas aussi forte que ne le laisse entendre la théorie des ancres de carrière. En outre, le postulat d’une certaine stabilité découlant de l’existence d’une ancre dominante constitue un obstacle à la compréhension des phénomènes dynamiques comme les changements de carrière (Mercure, Bourgeois et Wils, 1991).

Feldman et Bolino (1996) ont noté qu’au moins le tiers des répondants présentaient un profil d’ancres multiples, ce qui les a incités à envisager la possibilité que des ancres primaire et secondaire puissent être actives simultanément au sein du concept de soi de carrière. Comment alors élucider la question de la multiplicité des ancres de carrière que nous appelons dans cette recherche « l’indifférenciation » (par opposition au phénomène de la dominance d’une seule ancre nommé alors « différenciation ») ? Feldman et Bolino (1996) avancent deux explications à cette question. D’une part, les huit ancres de carrière ne font pas uniquement référence à des questions de talents (ancre de gestion, ancre technique et ancre de créativité entrepreneuriale) auxquelles seraient associés des choix de carrière : d’autres ancres peuvent refléter soit des besoins (autonomie/indépendance, sécurité/stabilité ou style de vie), soit des valeurs (défi pur ou service). D’autre part, Feldman et Bolino reconnaissent le phénomène de l’ambivalence personnelle face à certains choix de carrière ou à certaines finalités. Ce dernier point mérite d’être expliqué plus à fond.

De nombreuses recherches existent déjà sur la notion connexe de l’indécision dans le choix d’une orientation professionnelle. La plupart des programmes visant à aider les individus indécis dans le choix d’une carrière portent généralement sur trois aspects : l’information sur les professions, le processus décisionnel et l’information sur soi (Jurgens, 2000). Ceci nous amène à comprendre une limite importante liée au « concept de soi de carrière », à savoir la difficulté pour l’individu de le percevoir clairement. Autrement dit, le concept de soi de carrière doit faire l’objet d’une recherche : il n’apparaît pas de lui-même. Bégin, Bleau et Landry (2000) sont plus spécifiques en disant qu’il y a deux conclusions à retenir au sujet de cette recherche d’identité professionnelle : celle-ci doit se construire et son contenu doit être clarifié. Le concept de soi de carrière n’est donc pas a priori une structure stable. Schein lui-même en fait mention en disant que l’individu peut ne pas être conscient de son ancre de carrière avant d’avoir testé la réalité (Schein, 1978 : 126).

L’indécision est un phénomène important selon Gordon (1998) qui a recensé les écrits sur cette question. Les 15 études analysées mettent en exergue six niveaux dont trois permettent de décrire des niveaux sérieux d’indécision généralement associés à de forts degrés d’anxiété. Trois autres niveaux décrivent des candidats ayant peu ou pas de problèmes avec la décision ou présentant un bon niveau de satisfaction, c’est-à-dire de faibles niveaux d’anxiété malgré leur temporaire indécision. En outre, dans leur recension des écrits sur la douance, Rysiew, Shore et Leeb (1999) ont trouvé que les individus doués étaient dotés d’aptitudes, d’habiletés, d’intérêts et d’opportunités plus nombreux que les autres. La douance impliquerait donc le développement de plusieurs intérêts à un haut niveau, ce qui conduirait à l’indifférenciation. Comme le mentionnent à raison Bégin, Bleau et Landry (2000), il faudrait bien distinguer les individus non décidés des individus indécis. Compte tenu du débat relatif à la multiplicité des ancres, il est souhaitable de débuter cette recherche en s’assurant que le phénomène des ancres multiples se manifeste dans la réalité, ce qui nous amène à poser une hypothèse d’existence[1]:

Hypothèse d’existence : L’indifférenciation en tant que multiplicité des ancres de carrière existe.

Indifférenciation : phénomène pathologique ou non ?

Une autre controverse est soulevée par le caractère soi-disant pathologique de l’indifférenciation. Selon plusieurs auteurs, la multiplicité des ancres de carrière serait pathologique dans le sens où un profil indifférencié entraînerait des conséquences négatives chez l’individu. Par exemple, Feldman et Bolino (1996 : 100) justifient la proposition suivante : « Relative to individuals with one career anchor, individuals with multiple career anchors will have poorer career outcomes », en ayant recours à la notion d’ambivalence. En fait, le caractère pathologique de l’indifférenciation, qui est reconnu par Schein et d’autres (Holland, 1973), repose sur la notion de congruence (et d’incongruence) entre la personne et son milieu. Le manque d’appariement entre le profil d’un individu et son organisation va entraîner des résultats négatifs comme le faible niveau de réussite professionnelle ou le changement d’emploi. Quelques études ont effectivement montré un lien entre la dominance des ancres traditionnelles (gestion et technique) et des résultats positifs de carrière dans des cas de congruence ou non avec des emplois de gestion ou technique (Igbaria, Greenhaus et Parasuraman, 1991).

Cependant ces études se sont limitées à analyser seulement deux ancres dominantes (et non le profil global des ancres) tout en passant sous silence la question de l’indifférenciation. En effet, la différence entre deux scores pourrait être si minime qu’on serait en droit de se questionner sur la valeur d’un tel score pour mesurer la dominance d’une ancre donnée, ce qui incite à interpréter ces résultats empiriques avec prudence. Mais, la limite la plus importante de leur recherche est d’avoir ignoré plus de 50 % de leur échantillon (à savoir les ingénieurs ayant une ancre dominante autre que les ancres de gestion ou technique) et de ne pas avoir montré l’existence d’un lien entre ces ancres dominantes et les résultats de carrière dans des cas de congruence ou non avec les autres types d’emploi. De surcroît, d’autres études (Jiang et Klein, 2000) soulignent que les corrélations entre les ancres et la satisfaction de carrière sont, somme toute, très faibles (autour de 0,21) tout en n’étant pas toujours significatives. Compte tenu de ces limites méthodologiques, il n’est pas clairement établi que l’indifférenciation soit associée à des conséquences négatives. Il est donc raisonnable d’avancer l’idée contraire selon laquelle l’indifférenciation pourrait ne pas être un phénomène pathologique dans le sens où elle ne mènerait pas systématiquement à des difficultés d’adaptation. À l’instar des personnes douées, il est possible que les personnes « indifférenciées » puissent tolérer un plus grand nombre d’intérêts, ce qui conduirait à la prédominance de plusieurs ancres de carrière puisque la stabilisation du concept de soi de carrière se forme, selon Schein, à partir de l’intégration des intérêts des individus à ses habiletés et valeurs. Le fait d’avoir plusieurs ancres actives pourrait même enrichir l’individu et sa possibilité d’actualisation alors que l’inverse risquerait de l’empêcher de fonctionner pleinement au gré des situations.

Comment expliquer que la prédominance de plusieurs ancres de carrière chez un travailleur ne soit pas forcément pathologique ? Répondre à cette question requiert de s’intéresser à la dynamique des ancres de carrière. Nous avançons l’idée que les ancres de carrière pourraient être vues comme ayant le potentiel d’être toutes présentes au sein de la personnalité et la différenciation ne serait le fruit que d’un processus de défense. Si tel est le cas, l’indifférenciation ne serait pas plus pathologique que la différenciation. En fait, un travailleur devient « indifférencié » parce qu’il se sent moins menacé qu’un individu différencié. Reste à comprendre ce mécanisme de défense qui conduit à la différenciation. Selon nous, il se produirait chez l’individu un processus continu de symbolisation ou de rejet des ancres de carrière. L’apport de Schein demeure intact, car le test de réalité est toujours indispensable afin de permettre une symbolisation adéquate de l’expérience. Par contre, nous ne pensons pas que le rejet d’une ancre de carrière soit uniquement le résultat d’une évaluation subjective de l’expérience. Il est aussi le résultat d’une « relation » que la personne entretient avec autrui, ce qui pourrait être à la source d’un mécanisme de défense. Plus spécifiquement, nous croyons que les rapports interpersonnels ne sont jamais neutres ou complètement désintéressés. Chacun tente plus ou moins de tirer profit de ses relations, ce qui résulte en une valorisation plus grande de certaines expériences par rapport à d’autres. Par exemple, dans certains milieux de travail, l’ancre « style de vie » risque de ne pas être aussi populaire ou de ne pas faire autant l’objet de renforcements systématiques que l’ancre de gestion. Si tel est le cas, un individu pour qui l’ancre « style de vie » est important, risque de se sentir menacé, ce qui pourrait déclencher un mécanisme de défense.

Schein décrit longuement le processus d’entrée dans la carrière en soulignant que deux perspectives s’entrechoquent : celle de l’individu et celle de l’organisation (1978 : 81). Ce processus apparaît comme une négociation entre l’individu et les membres de l’organisation qui va invariablement mener à l’établissement d’un contrat psychologique : ce que l’individu accepte de donner en échange de ce que l’organisation est prête à offrir. Toutefois, il s’agit d’une relation d’emploi qui est souvent caractérisée par un déséquilibre quant au pouvoir entre l’individu et l’organisation. L’individu, qui est relativement dépendant de cette relation, doit se soumettre à l’autorité de l’organisation ou de ses superviseurs dont les objectifs peuvent différer des siens. Ainsi, même si l’individu est motivé par des objectifs d’auto-développement, il peut être contraint, à cause de la relation d’emploi, à une soumission relative (ce que nous appelons « le caractère conditionnel de la relation d’emploi »). Tout cela équivaut à maintenir une incertitude quant au lien d’emploi qui pourra alors être perçue comme menaçante selon les situations. Pour comprendre ce phénomène, le cadre théorique proposé par Rogers (Rogers et Kinget, 1969) est pertinent puisque la question des relations interpersonnelles y est discutée.

Selon cette théorie, une tension ou désaccord interne peut se produire à cause d’une menace. En particulier, la théorie décrit la réaction de l’organisme lorsqu’une menace est perçue : un mécanisme de défense dont le but est de maintenir la structure du moi[2], s’oppose à tout changement susceptible d’atténuer ou de dévaloriser la structure du moi. Le mécanisme de défense pourrait alors se définir comme un obstacle à la symbolisation de l’expérience dans le concept de soi de carrière. Dans le cas qui nous intéresse, nous avons postulé que la menace était présente de manière implicite dans la relation d’emploi. Tout sentiment de blocage vis-à-vis d’une ancre donnée pourrait théoriquement être interprété comme une réaction à une menace. En fait, la simple présence d’un blocage devrait suffire pour considérer qu’il y ait eu menace. Ce qui est central ici, c’est la possibilité que l’organisme rejette des éléments perceptuels susceptibles de modifier le concept de soi de carrière. Une notion clé de ce mécanisme est celle du besoin de considération positive inconditionnelle (Rogers et Kinget, 1969 : 192). Rogers réfère à la thèse de Standall (1954) selon laquelle dans tout être humain existe un besoin fondamental de considération positive. À un certain moment donné, l’individu considère ses expériences comme plus ou moins dignes de considération positive parce que certaines personnes se montrent sélectives dans la considération qu’elles lui manifestent (Rogers et Kinget, 1969 : 196). Il en vient à adopter lui-même l’attitude sélective en cessant de tenir compte de l’effet favorable ou défavorable de ses expériences et en y substituant des critères positifs ou négatifs en se basant sur l’échelle de valeur d’autres individus.

En résumé, lorsqu’un individu obtient un score faible sur une ancre de carrière, cela pourrait être interprété comme une résistance à intégrer ladite ancre dans le concept de soi de carrière. Il n’est donc pas déraisonnable de croire qu’un individu puisse ressentir moins de menace que d’autres, ce qui le conduirait à valoriser plusieurs aspects différents (de sécurité, de défi, de style de vie ou d’indépendance), et ce, simultanément. La multiplicité des ancres ne serait alors pas nuisible en elle-même et ne conduirait pas à des conséquences négatives. À partir de cette logique, il est avancé que les résultats de carrière (satisfaction de carrière, succès en emploi, succès financier, succès hiérarchique ou succès relationnel) ne seraient pas plus faibles pour les ingénieurs ayant un profil indifférencié que pour ceux ayant un profil différencié. Notre première hypothèse[3] formelle est ainsi la suivante :

H1 : Les résultats de carrière (satisfaction de carrière, succès en emploi, succès financier, succès hiérarchique ou succès relationnel) sont plus faibles pour les ingénieurs ayant un profil indifférencié que pour ceux ayant un profil différencié.

Ancres de carrière : uniquement un point d’ancrage axé sur des talents ?

Un ingénieur peut poursuivre des cheminements de carrière traditionnels (voie de gestion et voie technique) ainsi que de nouveaux cheminements (voie hybride, voie par projet, voie entrepreneuriale). Étrangement le lien entre les ancres de carrière et ces cheminements de carrière est loin d’être solidement établi. Pourtant la notion de congruence sous-jacente à la théorie des ancres de carrière prédit que les ancres exercent une force qui amènerait l’individu vers un contexte de travail plus en accord avec les aptitudes, intérêts et valeurs représentés par ses ancres. Le problème provient sans doute du fait que ce ne sont pas toutes les ancres qui exercent une telle attraction.

Pour clarifier cette question, il faut revenir à l’introduction que fait Schein sur le développement des ancres de carrière. Il mentionne qu’il faut voir, dans la période qui suit immédiatement l’établissement du contrat psychologique entre l’organisation et l’individu, une étape d’apprentissages successifs qui permettra aux deux parties de déterminer la sphère de contribution des talents de l’employé et sa contribution à long terme (1978 : 124). Cette précision est importante parce qu’elle identifie peut-être une distinction à faire entre les ancres de carrière. Comme l’ont suggéré Feldman et Bolino (1996), seulement trois ancres de carrière seraient liées aux talents et aptitudes individuelles (ancre de gestion, ancre technique et ancre de créativité entrepreneuriale) alors que les autres ancres seraient liées tantôt à des besoins, tantôt à des valeurs. Ainsi, il est plausible qu’au départ, les ancres sur lesquelles les cheminements pourraient se profiler soient liées uniquement aux talents, ce qui justifierait le lien entre les cheminements traditionnels et les ancres dits de talents reliés à la gestion ou à la technique. À cet égard, Igbaria, Greenhaus et Parasuraman (1991), qui se sont intéressés à la notion de congruence (en anglais, fit ou match) entre l’ancre de carrière dominante des professionnels des systèmes d’information de gestion et les caractéristiques de l’emploi, ont mis au jour une congruence entre les deux ancres de carrière traditionnelles (gestion et technique) et des cheminements dits traditionnels offerts par les organisations.

Par contre, Feldman et Bolino (2000) confirment que les motivations des travailleurs autonomes à poursuivre une carrière d’entrepreneur font appel à des ancres de carrière reliées principalement aux besoins (indépendance et sécurité). L’intérêt de cette étude est de montrer le rapprochement entre des ancres non liées aux attentes de talents traditionnels des organisations et un cheminement non traditionnel (celui de l’entreprenariat). Dans cette recherche, l’ancre d’indépendance est la plus fréquente chez les sujets (46 %), suivie de l’ancre de créativité entrepreneuriale (33 %) et de l’ancre de sécurité (21 %). À l’exception des ancres de gestion et technique, toutes les autres ancres sont souvent, à notre avis, hors du domaine des attentes organisationnelles de talents dans un contexte de relation d’emploi. Traditionnellement, les organisations ont structuré explicitement des systèmes de cheminements de carrière de façon verticale afin de résoudre des problèmes organisationnels tels que la relève. Il n’est donc pas étonnant que les points d’ancrage soient reliés uniquement à des questions de talents (gestion ou technique) pour ces cheminements traditionnels de carrière. Par la suite, elles ont offert des cheminements hybrides structurés selon un axe latéral, ce qui a pavé la voie pour des points d’ancrage autres que les talents. Vu que les différents types de cheminements de carrière aient vraisemblablement des points d’ancrage différents, il en découle les hypothèses formelles suivantes :

H2(a) : L’ancre de gestion est associée au cheminement de gestion.

H2(b) : L’ancre technique est associée au cheminement technique.

H2(c) : Les ancres non reliées aux talents de gestion et techniques sont associées aux cheminements non traditionnels (hybride et projet).

Indifférenciation : un des facteurs explicatifs du cheminement de carrière ?

Reste à clarifier l’impact de l’indifférenciation sur les cheminements de carrière. En rapport avec la construction de l’identité professionnelle, Bégin, Bleau et Landry (2000) affirment que ce n’est pas le type dominant qui importe, mais bien plutôt la structure du profil, son niveau de cohésion et sa complexité. Pour discuter du rôle explicatif de la différenciation, nous devons revenir sur deux concepts, celui de l’estime de soi et celui du domaine des attentes organisationnelles. Partant du postulat que les attentes organisationnelles sont formulées initialement sur la base des talents dits traditionnels (gestion ou technique), nous pensons que les individus ayant une estime de soi forte démontreront moins de comportements défensifs alors que ceux ayant une plus faible estime d’eux-mêmes (toujours par rapport à leurs propres talents de gestion ou technique) auront tendance à adopter des comportements plus défensifs. En effet, l’individu ayant une plus faible estime de lui-même en arrive à douter de ses chances de succès dans les cheminements traditionnels de carrière, ce qui crée une anxiété susceptible de déstabiliser le moi. C’est là que les processus de défense entrent en jeu pour maintenir l’intégrité du moi : il est alors plausible que le concept de soi de carrière puisse avoir tendance à se différencier en prenant pour appui des ancres non liées aux talents traditionnels. Dès lors, cet individu pourrait trouver des adaptations efficaces en s’engageant dans des cheminements non traditionnels que nous croyons reposer plus amplement sur des ancres liées aux besoins ou aux valeurs.

H3 : Un ingénieur poursuivant un cheminement non traditionnel est plus différencié qu’un ingénieur poursuivant un cheminement traditionnel.

Stabilité de carrière : une question de valorisation des cheminements de carrière ?

D’autre part, une autre notion, qui est connexe à celle de la différenciation, a trait à la stabilité des choix de carrière, c’est-à-dire au désir de demeurer dans le même cheminement que celui actuellement poursuivi. La notion de stabilité du choix peut être envisagée comme un indicateur d’efficacité globale en matière de carrière individuelle. En effet, la stabilité pourrait représenter une situation dans laquelle l’individu croit que globalement il a plus à gagner à rester dans son cheminement de carrière qu’à le quitter alors que celui qui est instable, croit plutôt qu’il a globalement plus à gagner à changer de cheminement. Puisque ce sont surtout les talents traditionnels (gestion et technique) qui sont renforcés au travail grâce à des systèmes de carrière formels et informels souvent plus généreux (rémunération, avantages sociaux, statut et pouvoir), les individus évoluant dans des cheminements traditionnels devraient démontrer plus de stabilité alors que ceux qui sont dans des cheminements non traditionnels devraient démontrer plus d’instabilité. Dans les deux cas, il s’agit de comportements essentiellement adaptatifs. À notre connaissance, la relation entre la stabilité du choix de cheminement de carrière et le type de cheminement de carrière (traditionnel ou non) n’a pas été directement abordée dans les études empiriques. Cependant plusieurs recherches (Sedge, 1985) ont montré que les ingénieurs évoluant dans la voie de gestion sont significativement plus satisfaits que ceux travaillant dans une voie technique. Selon nous, ce résultat peut s’expliquer par le fait que le cheminement de gestion est davantage valorisé que le cheminement technique. Selon une logique similaire, il est possible d’en déduire que les ingénieurs évoluant dans des cheminements traditionnels aient plus à gagner que ceux évoluant dans des cheminements non traditionnels parce que les cheminements de gestion et technique sont plus valorisés dans les organisations. Bref, les ingénieurs auraient tendance à demeurer dans le cheminement qui leur procure globalement le plus de gains, à savoir un cheminement traditionnel comme celui de gestion. De cette discussion découle la quatrième hypothèse formelle.

H4 : Un choix stable de carrière est associé aux cheminements traditionnels et vice versa (un choix instable aux cheminements non traditionnels).

Méthodologie

Stratégie de recherche

Cette étude est basée sur un sondage par questionnaires auprès d’ingénieurs québécois. La collecte des données s’est effectuée en deux temps. Premièrement, des questionnaires ont été envoyés aux ingénieurs appartenant à trois organisations (deux entreprises privées et une municipalité). De cet envoi de 720 questionnaires, 374 furent utilisés, soit un taux de réponse de 54,2 %. Dans un second temps, des données ont été collectées en passant par l’Ordre des ingénieurs du Québec. Un échantillon aléatoire de 808 hommes a été sélectionné, ce qui a donné un retour de 147 questionnaires utilisables. Parallèlement à cet envoi, un autre envoi a été effectué auprès de toutes les femmes membres de l’Ordre afin de redresser la proportion de femmes dans notre échantillon à cause de la masculinité de la profession. Des 1295 questionnaires envoyés, 379 questionnaires utilisables ont été reçus. Les taux de réponse à ces deux envois sont respectivement de 18,2 % et de 29,3 %. Il est à noter que le taux de réponse obtenu lors de la première étape est plus élevé que celui de la deuxième étape à cause de l’appui des organisations envers notre projet. Globalement, le taux de réponse pour cette étude est de 32 % avec un échantillon utilisable de 900 ingénieurs. Selon les statistiques tenues par l’Ordre des ingénieurs du Québec, notre échantillon s’avère être représentatif de la population à plusieurs égards. Par exemple, l’âge moyen de l’échantillon est de 38 ans contre 40,3 ans pour la population. Aucune différence significative n’a été détectée sur d’autres variables comme l’ancienneté ou les diplômes obtenus. Enfin, toutes les analyses statistiques ont été réalisées avec les progiciels SPSS et AMOS. Il est aussi important de noter que le questionnaire a été prétesté et que les données ont été vérifiées avant d’effectuer les analyses.

Mesure des ancres de carrière

Les indicateurs des ancres de carrière ont été tirés des travaux de Schein (1978) et Delong (1982). Chacune des huit ancres a été mesurée par trois questions (soit un total de 24 indicateurs). Globalement, la fidélité de la mesure des ancres s’avère plutôt moyenne. Cinq des huit ancres ont un alpha de Cronbach légèrement inférieur au seuil acceptable de 0,70 (alpha de l’ancre de service = 0,65; alpha de l’ancre technique = 0,66; alpha de l’ancre de défi = 0,63; alpha de l’ancre de sécurité = 0,69 et alpha de l’ancre de créativité entrepreneuriale = 0,68). Une manière d’améliorer la fidélité de la mesure des ancres de carrière est de réaliser une analyse factorielle exploratoire (Analyse en Composantes Principales ou ACP). Afin de pouvoir valider les résultats de l’analyse factorielle exploratoire, deux sous-échantillons ont été tirés au hasard. Le premier (n = 263, soit environ 30 % de l’échantillon global) a été utilisé pour l’analyse factorielle exploratoire tandis que le deuxième (n = 234, soit environ 20 % des observations restantes) va servir à valider les résultats de la première analyse en réalisant une analyse factorielle confirmatoire. La taille du premier sous-échantillon a été déterminée de façon à respecter la norme d’au moins 10 observations par indicateur inclus dans l’analyse factorielle exploratoire tandis que la taille du deuxième sous-échantillon se limite à environ 200 comme cela est fortement recommandé pour réaliser une analyse factorielle confirmatoire (Hair et al., 1998 : 605).

Dans un premier temps, une analyse factorielle exploratoire a été réalisée sur le premier sous-échantillon. Les résultats des tests de Bartlett (test de sphéricité) et de Kaiser-Mayer-Olkin ont démontré la pertinence de réaliser cette analyse : le premier s’est avéré hautement significatif (0,000) et la valeur du second s’élève à 0,78. Les critères utilisés pour identifier les facteurs sont ceux de Kaiser (valeurs propres égales ou supérieures à 1) et de Scree (saut important entre la valeur du dernier facteur retenu de la solution et celle du facteur suivant). Les deux critères indiquent la présence de six facteurs (par exemple, existence d’un saut important entre les valeurs du sixième et du septième facteur : 1,32 contre 0,90). Suite aux résultats de cette ACP, nous avons éliminé quelques indicateurs ayant une double saturation (supérieurs à 0,30 sur un deuxième facteur). La solution finale[4], qui retient 18 indicateurs, se compose de six composantes expliquant 70 % de la variance. Tous les indicateurs retenus dans la solution finale affichent un coefficient de saturation d’au moins 0,55. Les six composantes désignent respectivement l’ancre technique (cinq indicateurs), l’ancre de gestion (trois indicateurs), l’ancre de style de vie (trois indicateurs), l’ancre d’indépendance (trois indicateurs), l’ancre de sécurité (deux indicateurs) et l’ancre de service (deux indicateurs). Contrairement à la théorie de Schein, les ancres de défis et de créativité n’ont pas émergé de l’ACP : il semble que l’ancre technique ait attiré un indicateur censé mesurer l’ancre de défi et deux indicateurs censés mesurer la créativité. Dans un deuxième temps, le deuxième sous-échantillon a été mobilisé pour valider la structure factorielle issue de l’ACP à l’aide d’une analyse factorielle confirmatoire. Dans l’ensemble, les indicateurs confirment cette structure composée de six ancres[5] : Khi carré/dl = 1,53 qui est inférieur à la norme de 2; CFI = 0,95 qui atteint la norme de 0,95; RMSEA = 0,049 qui est inférieur à la norme de 0,06; NFI = 0,87 qui est légèrement inférieur à la norme de 0,90.

Afin de vérifier la stabilité des résultats issus des deux analyses précédentes, une analyse factorielle exploratoire a été réalisée sur tout l’échantillon. Les résultats de cette analyse sont similaires à ceux obtenus avec l’analyse factorielle exploratoire effectuée sur le premier sous-échantillon. Les résultats des tests de Bartlett (test de sphéricité) et de Kaiser-Mayer-Olkin sont plus que satisfaisants : le premier s’est avéré hautement significatif (0,000) et la valeur du second s’élève à 0,81. Les mêmes six composantes ont émergé en utilisant les critères de Kaiser (valeur propre égales ou supérieurs à 1) et de Scree (saut important entre la valeur du dernier facteur retenu de la solution et celle du facteur suivant : 1,20 contre 0,95). Les mêmes indicateurs ont été éliminés pour cause de double saturation (supérieurs à 0,30 sur un deuxième facteur). La solution finale, qui retient 18 indicateurs, se compose de six composantes expliquant 68,6 % de la variance. Tous les indicateurs retenus dans la solution finale affichent un coefficient de saturation d’au moins 0,55. Des échelles pour chacune des six ancres ont été calculées en retenant les indicateurs ayant les saturations les plus élevées (moyenne des scores). La première composante, qui se compose de cinq indicateurs, reflète l’ancre technique (alpha = 0,76). La deuxième composante désigne l’ancre de gestion (trois indicateurs, alpha de Cronbach de 0,80). La troisième composante se réfère à l’ancre de style de vie (trois indicateurs, alpha = 0,74). Les trois dernières composantes désignent respectivement l’ancre d’indépendance (trois indicateurs, alpha = 0,74), l’ancre de sécurité (deux indicateurs, alpha = 0,81) et l’ancre de service (deux indicateurs, alpha = 0,78). En conclusion, les six ancres présentent une fidélité qui dépasse la norme du alpha supérieur à 0,70.

Mesure de la différenciation

Conformément à notre cadre théorique, la différenciation découle d’un manque d’ouverture qu’un individu démontre face à l’ensemble des ancres de carrière. Autrement dit, être fortement différencié revient à accepter une ancre et à rejeter toutes les autres. Dans cette recherche, ce concept a été opérationnalisé en se servant du score le plus élevé assigné par un individu à une ancre donnée (soit son ancre la plus forte) duquel il faut soustraire chacun des scores des autres ancres. Ensuite il s’agit d’additionner ces différences pour obtenir une mesure totale de rejet. Ainsi, chacun de ces écarts reflète le niveau de rejet présent au sein du concept de soi de carrière pour un individu donné. Au passage, notons que nous avons choisi d’utiliser le score le plus élevé dans le calcul de la différenciation, car il n’est pas certain que chaque répondant puisse obtenir le maximum de l’échelle de notation (ici, un 5 puisque l’échelle de notation va de 1 à 5). Il est toutefois raisonnable de supposer qu’un individu donné ait le potentiel d’atteindre pour chaque ancre le score obtenu pour son ancre la plus élevée. Le score de l’ancre la plus élevée constitue donc le moi potentiel (valeur potentiellement atteignable) qui reflète la capacité maximale relative de symbolisation des expériences pour un moment donné en l’absence de tout mécanisme de défense. En opérationnalisant la différenciation comme la somme des écarts entre la valeur potentiellement atteignable pour les ancres (le moi potentiel) et le score obtenu aux ancres (les forces de croissance), nous rendons compte du mécanisme de rejet des ancres de carrière expliqué dans le cadre théorique. Selon cette mesure, un score faible indique l’indifférenciation alors qu’un score élevé représente la différenciation.

Mesures reliées à la multiplicité des ancres

La multiplicité des ancres peut s’opérationnaliser de plusieurs manières : la dominance, l’étendue entre les ancres extrêmes, l’étendue entre les deux ancres maximales et le nombre d’ancres maximales. Premièrement, la dominance est une mesure qui vise à déterminer l’ancre la plus importante. Il existe deux façons d’identifier l’ancre dominante, soit à partir du score maximum (mesure traditionnellement utilisée), soit à partir de l’erreur standard de mesure (ESM). Nous avons vu que plusieurs auteurs retenaient le score le plus élevé en faisant fi des scores ex aequo et des différences faibles entre deux ancres élevées : il s’agit alors de la mesure traditionnelle de la dominance. Afin de tenter d’obtenir une mesure plus juste, nous avons adopté la règle de l’erreur standard de mesure de la différence : ESMdiff = √ (ESM1)2 + (ESM2)2. Cette nouvelle règle décisionnelle utilisera les deux scores maximums obtenus par les candidats aux ancres de carrière. Notre motivation est toujours de résoudre l’importante question de la signification à donner à un faible écart entre ces deux ancres dominantes dans le profil d’un individu. Cette difficulté liée à l’interprétation d’un score individuel est justement l’un des objets de la théorie classique des tests. Selon cette théorie, la validité du score des individus à un test repose sur le postulat que tout score (x) observé est composé de deux éléments, soit le score vrai (v) et de l’erreur (e). L’erreur est une mesure basée sur le coefficient de fidélité et s’estime par la formule : e = S √1-rxx. Toutefois, on ne peut se contenter de soustraire l’ESM à l’écart entre les deux échelles les plus élevées pour déterminer si l’écart est significatif. Anastasi (1994 : 127) souligne que l’erreur type de mesure entre deux échelles est toujours plus grande que celle de l’une ou l’autre des deux erreurs standard de mesure prise individuellement. Cela découle du fait que cette différence subit l’influence des erreurs dues au hasard présentes dans les deux scores, d’où l’utilisation de l’erreur standard de mesure de l’écart entre deux échelles (ancres). Basée sur l’ESM, une nouvelle mesure de la dominance a été bâtie. Il s’agit d’une échelle dichotomique visant à identifier avec la valeur « 1 » les candidats différenciés significativement, c’est-à-dire ceux dont l’écart entre les deux ancres de carrière maximum était supérieur à l’ESM. La valeur « 0 » a été accordée aux candidats dont l’écart était plus petit que l’ESM. L’échelle de mesure est donc de niveau nominal. Nous nous sommes également servis de cette nouvelle mesure pour identifier le type de l’ancre dominante.

Deuxièmement, une autre mesure issue de la multiplicité des ancres a été calculée, soit l’étendue entre les ancres extrêmes. Cette variable repose sur la définition opérationnelle donnée par Holland et vise à mesurer l’écart entre l’ancre la plus élevée et celle qui est la moins élevée. Troisièmement, une variante de l’indifférenciation a trait à l’étendue entre les deux ancres maximales d’un individu. Parce que l’ESM ne reflète que les candidats dont l’écart est significatif, il peut être intéressant de présenter cette variable comme un autre indicateur de la multiplicité des ancres. Cette variable devrait être plus sensible que l’ESM parce qu’elle rend compte non seulement de la moindre variation entre les échelles maximums, mais également des variations larges, ce qui n’est pas le cas avec l’ESM. Enfin, une dernière mesure consiste à identifier le nombre d’ancres maximales. Il s’agit ici d’identifier les ancres maximales qui sont ex aequo.

Mesures des variables de carrière

Trois autres variables ont été mesurées : le cheminement de carrière, la stabilité du choix de carrière et les résultats de carrière. Premièrement, le cheminement actuellement poursuivi par l’ingénieur a été mesuré par un seul indicateur qui se lit comme suit : Quelle orientation de carrière parmi les six proposées précédemment correspond le mieux à celle dans laquelle vous êtes actuellement ? Les choix de réponse étaient les suivants : 1) voie hiérarchique traditionnelle de gestion, 2) voie professionnelle/technique, 3) voie par projets, 4) voie entrepreneuriale, 5) voie hybride, 6) voie poursuivre une nouvelle carrière. Considérant le nombre trop limité des répondants ayant choisi la voie entrepreneuriale et la nouvelle carrière, ces cheminements ont été éliminés de l’analyse des données.

Deuxièmement, la stabilité des choix de carrière a été opérationnalisée comme étant la similitude entre le cheminement actuel (tel qu’expliqué dans le paragraphe précédent) et le cheminement désiré. Ce dernier a été mesuré par un indicateur demandant au répondant d’identifier le cheminement (toujours parmi les six mentionnés ci-dessus) qu’il désirait poursuivre dans les cinq ou dix prochaines années.

Troisièmement, les cinq variables relatives aux résultats de carrière ont été mesurées à partir d’une échelle du type Likert à cinq niveaux allant de fortement en accord jusqu’à fortement en désaccord. La satisfaction de carrière était constituée d’un seul indicateur : Jusqu’à maintenant je suis satisfait(e) du déroulement de ma carrière. Quant aux variables de succès, elles ont été mesurées à partir des instruments de Gattiker et Larwood (1988): succès en emploi (sept indicateurs avec un alpha de Cronbach de 0,81), succès financier (trois indicateurs avec un alpha de 0,74), succès relationnel (quatre indicateurs avec un alpha de 0,62) et succès hiérarchique (trois indicateurs avec un alpha de 0,76).

Résultats

Existence de la multiplicité des ancres et de l’indifférenciation

Comme le montre le tableau 1, la distribution des ancres varie selon que la dominance est opérationnalisée avec la mesure traditionnelle basée sur le score maximum ou la nouvelle mesure basée sur l’ESM. Quelle que soit la mesure adoptée, le total des observations est différent de la taille de l’échantillon, soit 872 (au lieu de 900 à cause des valeurs manquantes). Dans le cas de figure du score maximum, le total de 1132 signifie que plusieurs individus détiennent plusieurs ancres maximales de carrière (en raison des ex aequo). Naturellement la règle du score maximum suppose que tous les individus ont au moins une ancre dominante conformément au postulat de Schein. Dans le cas de figure de l’ESM, le total de 264 indique que seulement 30,3 % de l’échantillon possède une ancre dominante. Ceci signifie que 69,7 % de l’échantillon possède des ancres multiples. Il est aussi intéressant de noter que les proportions ne varient pas beaucoup selon le type de mesure retenu. Par contre, la distribution des ancres chez les ingénieurs de cette étude diffère de celle des autres études. Par exemple, Yarnall (1998) avait trouvé que 6 % de son échantillon avait une ancre dominante de gestion (avec la règle du score maximum) contre 20,0 % dans notre échantillon avec la même règle (et 26,1 % avec la règle du score maximum dans l’étude de Igbaria, Greenhaus et Parasuraman, 1991). Un écart important existe aussi pour l’ancre d’indépendance : 3 % dans l’étude de Yarnall contre 16,6 % dans notre étude (et 14,7 % dans l’étude de Igbaria et coll.). Parfois les proportions sont plus proches comme dans le cas de l’ancre de style de vie (23 % dans l’étude de Yarnall contre 19,2 % dans notre étude, mais seulement 10,5 % dans celle de Igbaria et coll.). Malgré tout, ces résultats divergents sont assez surprenants compte tenu que les trois études utilisent de grands échantillons (n = 374 pour l’étude de Yarnall, n = 900 pour cette étude et n = 464 pour celle de Ibgaria et coll.), même si ces études souffrent d’un problème de mesure de l’ancre dominante.

Tableau 1

Distribution des ancres de carrière

Distribution des ancres de carrière

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Afin de mieux saisir cette réalité des ancres multiples, nous avons proposé une nouvelle mesure appelée « différenciation » ainsi que d’autres mesures connexes à la multiplicité des ancres. Il devrait y avoir une convergence entre notre nouvelle mesure de différenciation et ces autres mesures. Les corrélations entre la différenciation et ces mesures sont respectivement de 0,55 (significatif à p < 0,000) avec la mesure de la dominance basée sur l’ESM (codée 0–1), de 0,84 (significatif à p < 0,000) avec l’étendue entre les scores extrêmes, de 0,70 (significatif à p < 0,000) avec l’étendue entre les deux scores maximum et de –0,44 (significatif à p < 0,01) avec le nombre d’ancres maximales. Nous avons aussi observé que les corrélations entre les ancres de carrière varient selon que les ingénieurs sont indifférenciés ou non (ESM). À titre d’illustration, la corrélation entre l’ancre de gestion et l’ancre de service n’est pas significative pour les ingénieurs différenciés (c’est-à-dire ayant une ancre dominante) alors qu’elle l’est dans le cas des ingénieurs indifférenciés (0,28 significatif à p < 0,01). Globalement, ces résultats convergents entre les différentes mesures sont encourageants. Il est aussi intéressant de constater que la différenciation modifie les corrélations entre les ancres. Enfin, notons que notre nouvelle mesure de la différenciation est distribuée normalement (coefficients d’asymétrie et d’aplatissement inférieurs à 2). En conclusion, notre nouvelle mesure de la différenciation s’avère utile pour mesurer ce phénomène de multiplicité des ancres de carrière et permet de vérifier que l’hypothèse de l’existence de la multiplicité des ancres est fondée.

Différenciation et résultats de carrière

La mesure la plus proche de la multiplicité des ancres telle qu’expliquée par Feldman et Bolino (1996) est celle de la dominance d’une seule ancre, soit la mesure basée sur l’ESM. La relation entre cette mesure et les résultats de carrière a été testée à l’aide de tests t. Le tableau 2 montre l’absence de relations significatives entre les résultats de carrière et la dominance d’une ancre mesurée par l’ESM. Les ingénieurs ayant une ancre dominante ne sont pas plus satisfaits de leur carrière que les ingénieurs indifférenciés. Les premiers ne perçoivent pas non plus un plus grand succès (dans leur emploi, financier, relationnel ou hiérarchique) que les seconds. D’autre part, si notre mesure de différenciation est utilisée, aucun coefficient de corrélation n’est significatif entre la différenciation et les résultats de carrière. L’hypothèse 1 est donc rejetée, ce qui est en accord avec notre cadre théorique (acceptation de l’hypothèse nulle).

Tableau 2

Résultats des tests t

Résultats des tests t

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Différenciation et cheminement de carrière

Une analyse discriminante a été utilisée pour prédire l’appartenance des sujets aux cheminements de carrière. La variable dépendante est le type de cheminement de carrière actuellement poursuivi tandis que les variables prédictives sont les six ancres de carrière, la différenciation et la stabilité du choix de carrière. Comme le montre le tableau 3, les fonctions discriminantes sont significatives. Dans l’ensemble, le modèle est plutôt performant[6] puisque 43 % des observations sont correctement classifiées en utilisant une procédure de validation (leave-one-out classification) contre seulement 25 % attendu selon le hasard. Seulement deux variables indépendantes ne sont pas significatives, soit les ancres d’indépendance et de service. Toutes les autres variables sont significatives et aident à distinguer divers cheminements de carrière.

Les ingénieurs poursuivant un cheminement technique affichent une ancre technique plus forte que ceux dans les cheminements hybride et de gestion regroupés (3,97 contre 3,51 pour l’ancre technique; test t significatif à p < 0,000), ce qui vérifie l’hypothèse 2(b). Il est intéressant de remarquer que les ingénieurs poursuivant des cheminements hybride ou de gestion ont une ancre de gestion plus élevée que ceux dans la voie technique (3,77 contre 3,25; test t significatif à p < 0,000). La voie hybride pourrait donc attirer des individus aspirant à la gestion. L’hypothèse 2(a) est donc partiellement vérifiée, car l’ancre de gestion n’était pas censée prédire le cheminement hybride. Enfin l’hypothèse 2(c) selon laquelle les ancres non reliées aux talents seraient davantage associées aux cheminements non traditionnels n’est que partiellement vérifiée. En effet, les ingénieurs poursuivant un cheminement par projets ont une ancre de style de vie plus forte que ceux dans la voie hybride (3,87 contre 3,57; test t significatif à p < 0,004), ce qui va dans le sens de l’hypothèse. Par contre, l’ancre de sécurité est davantage associée au cheminement technique et non à un cheminement non traditionnel (une ancre de sécurité de 3,78 pour les ingénieurs étant dans une voie technique contre 3,46 pour ceux poursuivant les voies hybride et de gestion confondues; test t significatif à p < 0,000).

Stabilité et cheminement de carrière

Les ingénieurs ayant fait un choix stable de carrière se retrouvent plus fréquemment dans le cheminement de gestion que dans la voie hybride (55,4 % contre 29 %; Khi carré significatif à p < 0,000). L’hypothèse 4 est donc vérifiée uniquement pour la voie de gestion. Il faut également souligner que les ingénieurs poursuivant une voie hybride sont plus différenciés que ceux poursuivant une voie de gestion (5,71 contre 5,11; test t significatif à p < 0,015). L’hypothèse 3 est vérifiée pour la voie hybride, mais pas pour la voie par projets qui est, elle aussi, une voie non traditionnelle.

Tableau 3

Résultats de l’analyse discriminante

Résultats de l’analyse discriminante

Notes :

Gras : corrélation de structure la plus élevée (horizontalement)

** : Variable significative à p < 0,01

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Discussion et conclusion

De cette recherche découlent trois résultats importants. Premièrement, très peu d’études ont investigué en profondeur la possibilité de l’existence d’ancres multiples. Nos résultats montrent que la multiplicité des ancres est un phénomène plus fréquent que les écrits sur le sujet ne le laissaient supposer : près de 70 % de notre échantillon serait indifférencié contre 30 % avancé par quelques auteurs. En soi, ce résultat a des implications importantes tant sur le plan théorique que sur le plan de la mesure. Un des postulats de la théorie de Schein selon lequel une seule ancre dominerait doit être repensé. À ce propos, les résultats obtenus à partir de notre nouvelle mesure de la différenciation donneraient de la crédibilité à l’idée que plusieurs ancres sont actives dans l’identité de carrière qui tend à se différencier par un processus de rejet ou de faible valorisation des représentations professionnelles (ancres). Contrairement à la théorie des ancres de carrière, le concept de soi de carrière s’organiserait à partir de plus d’un ensemble cohérent d’expériences sur soi. Sur le plan de la mesure, la manière utilisée par les chercheurs pour identifier l’ancre dominante mérite d’être reconsidérée. Déterminer la dominance de l’ancre à partir du score le plus élevé est problématique. La différence entre deux scores élevés peut être si infime que retenir le plus élevé cache en fait la réalité des ancres multiples. Enfin, la multiplicité des ancres ouvre la porte à des recherches sur les associations entre les ancres. Nous avons trouvé que les corrélations entre les ancres avaient tendance à varier selon la différenciation. Yarnall (1998) avait noté que l’ancre de style de vie en tant qu’ancre primaire était associée fréquemment à l’ancre de sécurité en tant qu’ancre secondaire et vice versa. Même si leur méthode pour identifier la dominance des ancres est discutable, nos résultats montrent que la corrélation entre ces deux ancres varie selon la différenciation (0,24 significatif à p < 0,000 pour les ingénieurs différenciés contre 0,38 significatif à p < 0,000 pour les individus indifférenciés). Enfin, Yarnall avait suggéré que les ancres techniques et de défis puissent ne pas être distinctes, ce que l’ACP semble montrer et ce qui a des impacts sur l’analyse des corrélations entre les ancres. Bref, la question de cooccurrence entre les ancres de carrière est complexe et a besoin d’être investiguée plus à fond.

Deuxièmement, les résultats de notre recherche laissent à penser que la multiplicité des ancres n’est pas forcément un phénomène pathologique contrairement à ce que plusieurs auteurs ont pu avancer. Le fait qu’aucune différence significative n’ait été trouvée entre la différenciation et les résultats de carrière semble indiquer qu’il est tout aussi satisfaisant de posséder plusieurs ancres que d’en avoir une seule. Naturellement, ces résultats ont besoin d’être confirmés par d’autres études, car le lien entre la différenciation et les variables de succès est encore mal connu.

La troisième contribution de cette recherche est d’avoir aidé à mieux comprendre un cheminement encore mal connu, soit la voie hybride. Il est intéressant de constater que l’indifférenciation et la stabilité des choix de carrière permettent de distinguer le cheminement hybride du cheminement de gestion. Les ingénieurs poursuivant la voie de gestion sont moins différenciés tout en démontrant une plus grande stabilité de leur choix de carrière. Ceci nous amène à nous interroger sur les raisons de choisir la voie hybride. Selon nos données, les ingénieurs qui s’inscrivent dans un cheminement de gestion sont moins différenciés parce qu’ils attachent plus d’importance à la sécurité et à l’indépendance en comparaison avec les ingénieurs poursuivant une voie hybride. En effet, les corrélations entre les ancres d’indépendance et de sécurité sont significativement reliées à l’indifférenciation chez les ingénieurs poursuivant un cheminement de gestion (corrélations de –0,23 et –0,28 entre la différenciation et chacune de ces ancres respectivement) alors que ces corrélations sont non significatives dans le cas des ingénieurs ayant choisi la voie hybride. Par ailleurs, le fait que ces ingénieurs soient plus défensifs (différenciés) peut les pousser à être moins réceptifs aux inconvénients inhérents à un poste de gestion. En choisissant la voie hybride, ils auraient ainsi l’opportunité d’accomplir des tâches connexes à la gestion sans devoir subir les exigences reliées à un poste de gestion (changement fréquent de postes en vue de promotions, stress dû à l’ambiguïté des rôles, jeu politique, etc.). Il est d’ailleurs intéressant de souligner que les ingénieurs appartenant à une voie hybride manifestent un désir moindre d’avancement que ceux évoluant dans une voie de gestion (3,34 contre 3,80; p < 0,000). Nonobstant cette tendance lourde, un sous-groupe d’ingénieurs appartenant à la voie hybride aspirent cependant à un avancement (moyenne de 4,00). Ceci pourrait signifier que la voie hybride puisse aussi attirer des ingénieurs plafonnés qui sont sur une « voie de garage ». D’autre part, l’étude de Mainiero (1986) indique que des ingénieurs poursuivent la voie technique par choix alors que d’autres le font par défaut. Il est alors plausible que ces derniers explorent d’autres cheminements tels que la voie hybride qui serait une avenue plus satisfaisante à leurs yeux que celle de se maintenir dans le cheminement technique. Vu que le plafonnement de contenu est ressenti plus fortement chez les ingénieurs poursuivant une voie technique que chez ceux évoluant dans les autres voies, le choix de la voie hybride pourrait s’avérer un moyen utilisé pour contrer le plafonnement de contenu parmi les ingénieurs anciennement rattachés à une voie technique par défaut. En conclusion, la voie hybride semble regrouper des ingénieurs ayant des profils très différents. D’autres variables comme la propension à prendre des risques pourraient aussi expliquer de tels choix et méritaient d’être investiguées dans de futures recherches.

Les résultats de cette recherche posent également la question de la formation des ancres de carrière. Il est plausible que ce ne soit pas uniquement l’expérience d’une profession qui constitue le mécanisme central de la différenciation comme le pense Schein. D’autres facteurs comme la relation d’emploi ou la culture pourrait intervenir dans ce mécanisme. Par exemple, l’étude de Rynes, Tolbert et Strausser (1988) indique que les étudiants en génie affichent des scores plus élevés pour les ancres de gestion, technique et d’autonomie que les ingénieurs exerçant leur profession (14,99/15,02/21,18 respectivement pour ces trois ancres chez les étudiants en génie contre 12,80/14,02/19,47 chez les ingénieurs à l’emploi d’une organisation). Se pourrait-il que le rejet de ces ancres soit influencé par la relation d’emploi ? Rynes, Tolbert et Strausser attribuent cette baisse des scores au choc de la réalité selon lequel un certain désillusionnement ou négativisme se produirait une fois sur le marché du travail. Ces auteurs soulignent, entre autres, la forte baisse relative à l’ancre d’autonomie. Nous avons également trouvé que les ingénieurs indifférenciés estimaient que leur organisation était trop bureaucratique et que la haute direction ne communiquait pas suffisamment, ce qui appuie la thèse du malaise professionnel proposé par Guérin, Wils et Lemire (1997). Nous avons aussi remarqué que la distribution des ancres variait selon les études. En particulier, les résultats de Yarnall (1998), qui proviennent d’une seule entreprise, pourraient s’expliquer par une relation d’emploi ou un mode de relation avec les employés qui est particulière à cette organisation. Globalement, ces conclusions ramènent à l’avant-plan le caractère conditionnel de la relation d’emploi. Si effectivement la relation d’emploi et le contrat psychologique sont des variables importantes pour comprendre les ancres de carrière, il faudra en tenir compte dans le devis des futures études. D’autre part, la possibilité que la relation d’emploi varie selon les cultures pourrait expliquer pourquoi Burke (1998) a trouvé une corrélation inattendue entre l’ancre de sécurité et l’ancre entrepreneuriale chez des professionnels et gestionnaires provenant d’Europe centrale et de l’Est (corrélation positive de 0,46), ce qui ne semble pas le cas chez les sujets nord-américains (–0,46 dans l’étude de Igbaria, Kassicieh et Silver, 1999). Des études comparatives sont aussi requises pour cerner l’effet culturel sur les ancres de carrière.

En dernier lieu, plusieurs limites de cette étude doivent être mentionnées. Premièrement, l’échantillon se compose uniquement d’ingénieurs : les résultats ne peuvent donc pas être généralisés à d’autres professions. Deuxièmement, la qualité de notre mesure de la différenciation dépend de la qualité de la mesure des ancres. Jusqu’à présent, peu d’études ont établi l’existence de huit ancres distinctes. Selon Igbaria et Baroudi (1993), il y aurait neuf ancres alors que d’autres auteurs sont plus sceptiques (Feldman et Bolino, 1996). Troisièmement, certaines variables n’ont été mesurées que par un seul indicateur afin de ne pas rallonger le questionnaire, ce qui peut créer des problèmes de validité. Quatrièmement, aucun lien de causalité ne peut être établi entre les variables de cette étude qui n’est pas longitudinale. Enfin, cette étude est peut-être sujette au biais « mono-méthode » à cause du mode unique de collecte de données (le questionnaire). Malgré ces limites, cette étude a néanmoins permis de clarifier une question importante qui risque de produire des retombées sur les pratiques de gestion des ingénieurs. Par exemple, le fait que l’indifférenciation ne soit pas pathologique remet en question l’utilisation de l’ancre dominante pour gérer les carrières des ingénieurs. De toute évidence, la solution de la double filière de carrière - fondée sur deux voies traditionnelles, à savoir celle de gestion et celle technique - ne peut satisfaire les aspirations de tous les ingénieurs. La multiplicité des ancres de carrière donne en fait plus de souplesse pour gérer les carrières des ingénieurs et souligne l’importance d’offrir des opportunités d’apprentissage par le biais des changements de poste. Enfin, l’importance de la relation d’emploi dans la formation des ancres milite pour une gestion plus souple et plus individualisée des ingénieurs et de leur carrière, ce que Pichault et Nizet (2000) appellent le « modèle individualisant ». Il faut cependant être prudent. D’après la théorie proposée par Lepak et Snell (1999), une telle individualisation s’intègrerait bien dans le cadre d’une stratégie RH axée sur le développement interne uniquement si les compétences des ingénieurs sont stratégiques et uniques. Dans le cas contraire, d’autres modèles de GRH comme le modèle objectivant (Pichault et Nizet, 2000) pourraient s’imposer pour de multiples raisons, ce qui entrerait en conflit avec la culture professionnelle et entraînerait des mécanismes de défense chez certains individus. Quoi qu’il en soit, les notions de compétence et de contrat psychologique sont des variables clés que les chercheurs devront intégrer dans leurs recherches en gestion stratégique des ressources humaines.