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Malgré deux décennies de recherche et de discussion, le défi de démontrer l’impact de la contribution de la GRH au succès de l’organisation demeure encore très réel. Évidemment, grâce aux recherches dans le domaine, nous en savons un peu plus maintenant sur certaines pratiques de GRH[1] favorisant la performance organisationnelle. Toutefois, nos connaissances sont encore limitées. Les premières recherches sur le sujet ont cherché à démontrer l’effet individuel des pratiques de GRH comme la sélection, la formation, etc. sur la performance organisationnelle (Weber, 1994; Becker et Gerhart, 1996). Le peu de variance découlant de la prédiction de la performance organisationnelle à partir de pratiques isolées et l’incompatibilité engendrée dans les sous-systèmes de pratiques (Devanna, Fombrun et Tichy, 1984) ont mené les chercheurs à soutenir que les pratiques devaient être alignées (« fit ») verticalement, en fonction d’aspects organisationnels dominants (p. ex. la stratégie), et horizontalement (c.-à-d. être complémentaires entre elles) pour produire un impact supérieur sur la performance organisationnelle. L’alignement vertical et la cohérence horizontale constituent deux dimensions clés de l’architecture ressources humaines (RH). Plusieurs auteurs affirment que cette architecture est unique à chaque organisation (Guérin et Wils, 2002; Becker, Huselid et Ulrich, 2001). Toutefois, peu d’auteurs se sont attardés à clarifier le sens de ce concept et à dégager des pistes de recherche pour en vérifier la validité.

Architecture RH et alignement vertical et horizontal

La première dimension, l’intégration verticale, exige que les systèmes de GRH soient alignés sur la stratégie et que les éléments de la stratégie soient intégrés dans les pratiques de GRH à tous les niveaux de la hiérarchie (Dyer, 1985; Gosselin, Le Louarn et Wils, 2001; Lengnick-Hall et Lengnick-Hall, 1988; Schuler, 1998)[2]. Le choix des pratiques RH devrait donc être fortement influencé par le choix des objectifs stratégiques[3], ces derniers reflétant l’adaptation de l’organisation à des dimensions dominantes de l’environnement externe, telles que les pressions coercitives exercées par l’État, l’économie contextuelle, la venue d’une nouvelle technologie, d’un concurrent ou la pression du marché (Bamberger et Meshoulam, 2000; Fabi, Garand et Pettersen, 1993; Pichaut, 1993; Pichault et Nizet, 2000). Enfin, plusieurs modèles théoriques d’alignement proposent des pratiques de GRH liées à des stratégies organisationnelles découlant elles-mêmes des contingences externes de l’environnement (Miles et Snow, 1984; Schuler et Jackson 1988). Ainsi, plusieurs auteurs ont pris l’approche de la contingence pour proposer un modèle de gestion stratégique des ressources humaines (Lundy et Cowling, 1996).

Plusieurs chercheurs affirment aussi que l’alignement vertical n’est pas suffisant pour maximiser l’impact des pratiques de GRH et que celles-ci doivent être intégrées entre elles, c’est-à-dire être cohérentes horizontalement (Arthur, 1994; Becker et Huselid, 1998; Delaney et Huselid, 1996; Ichniowski, Shaw et Prennushi, 1995; Schuler et Jackson, 1988; Wils, Le Louarn et Guérin, 1991). L’intégration horizontale, appelée aussi cohérence horizontale, s’intéresse à la cohésion interne des pratiques de GRH et à leur effet de complémentarité. L’alignement vertical et la cohérence horizontale constituent deux principes importants de l’architecture RH. Le défi consiste à identifier les éléments de GRH de cette architecture verticale et horizontale et, parallèlement, à identifier les liens de la chaîne causale qui uniront logiquement les objectifs stratégiques aux résultats organisationnels en passant par les objectifs, pratiques et résultats de GRH (Le Louarn et Wils, 2001). Par la suite, le défi consiste à maintenir une architecture RH flexible et à l’adapter aux changements qui surviennent dans l’environnement externe (marché, technologie, etc.) et interne de l’organisation (stade de développement des produits, structure, syndicat, etc.). Toutefois, ce défi n’est pas à sens unique car la fonction RH a aussi la possibilité d’influer sur plusieurs de ces contingences, en particulier la stratégie, le choix de la technologie et la culture pour n’en nommer que quelques-unes.

Afin d’illustrer cette démarche, la figure 1 présente, pour une importante institution hospitalière de santé publique de la région d’Ottawa (Canada) un exemple de logique causale qui unit le sommet stratégique (blocs 1, 2 et 3) aux résultats organisationnels (blocs 8 et 9) en passant par la mise en place d’objectifs (bloc 5), de pratiques (bloc 6) et de résultats RH (bloc 7).

Conformément aux modalités des théories de la contingence (Atamer et Calori, 1989), le choix des objectifs stratégiques de cet hôpital est fortement influencé et même dicté en grande partie par une recherche d’adaptation aux facteurs environnementaux dominants[4] qui ont cours dans son domaine d’activité (santé publique), son secteur (service) et son emplacement (ville, région). On n’a qu’à penser aux facteurs économiques (p. ex. sous-financement), technologiques (p. ex. nouveaux appareils médicaux), socioculturels (p. ex. groupe de pression), ainsi qu’aux facteurs liés au marché (p. ex. clientèle formée de personnes plus âgées, nouvelles maladies, etc.), et aux facteurs liés aux ressources humaines (p. ex. pénurie d’infirmières). Plusieurs de ces facteurs de l’environnement externe imposent aux gestionnaires le choix d’objectifs prioritaires de GRH, tels celui d’attirer et de retenir le personnel infirmier pour contrer la pénurie[5]. Ainsi, sous la pression de l’environnement, certains objectifs de GRH s’imposent d’eux-mêmes sans que l’on ait à réfléchir longtemps sur leurs liens avec les objectifs stratégiques, un hôpital ne pouvant fonctionner sans personnel qualifié. Dans la perspective « progressive », les pratiques RH sont rarement adoptées sur la seule base de leur mérite technique, mais de nombreuses forces externes déterminent quelles pratiques seront adoptées et quand (Bamberger et Meshoulam, 2000). Comme le soulignent Bamberger et Philips (1991), les responsables RH appliquent souvent les résultats de leur propre étude de l’environnement au choix des stratégies RH qu’ils mettront en place sans se préoccuper si elles reflètent ou non la stratégie organisationnelle.

Selon Lundy et Cowling (1996), les organisations d’un même secteur sont relativement homogènes à bien des plans. À ce sujet, les travaux de Johnson et Scholes (1989) indiquent que les organisations oeuvrant dans un même domaine (diversité des produits et services, couverture géographique, segments de marché, canaux de distribution, efforts marketing, qualité des produits et services, leadership technologique, recherche et développement, utilisation des capacités internes, structure, taille, etc.) possèdent un ensemble commun de caractéristiques stratégiques. Kossek (1987) et Johns (1993) suggèrent plusieurs facteurs généraux susceptibles d’expliquer un pourcentage de la variance dans l’adoption des pratiques RH au sein des organisations. Par conséquent, on peut avancer qu’obligatoirement les caractéristiques dominantes externes qui prévalent dans le champ d’activité principal d’une organisation influent directement sur le choix de plusieurs objectifs prioritaires de GRH. Autrement dit, les organisations oeuvrant dans le même domaine d’activité et ayant un environnement externe commun n’ont pas d’autre choix que d’accorder la priorité à certains objectifs précis de GRH si elles ne veulent pas être obligées de fermer leurs portes ou voir leur performance ultérieure sérieusement compromise. Ainsi, on peut avancer l’hypothèse suivante :

Les organisations d’un même domaine d’activité partageant les mêmes contingences externes (flèche 1) auront plusieurs objectifs de GRH communs.

Figure 1

Exemple de logique causale entre l’environnement organisationnel, les objectifs stratégiques, les résultats de GRH et les résultats organisationnels

Exemple de logique causale entre l’environnement organisationnel, les objectifs stratégiques, les résultats de GRH et les résultats organisationnels

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Alignement vertical et conditions de succès

Toutefois, avoir une base commune d’objectifs de GRH, imposée par les forces de l’environnement externe, ne sous-entend pas que ces objectifs seront conçus et réalisés au même degré et de la même façon. Aussi, même en présumant que la conception soit similaire, la mise en oeuvre peut être très différente (Lundy et Cowling, 1996). Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (1988) prétendent que la mise en oeuvre des objectifs RH dépend fortement de la culture de l’organisation et de sa disposition (« readiness ») à les mettre en oeuvre. Plus spécifiquement, la conception, la mise en oeuvre et le maintien des objectifs de GRH seraient tributaires de trois critères, soit (a) la capacité de réalisation (p. ex. financière, technique, etc.), (b) la compétence des acteurs principaux (p. ex. professionnels et consultants de la GRH, leadership de la direction, habiletés des gestionnaires et superviseurs, etc.) (Wils, Labelle et Guérin, 2000; Ulrich, 1998) et (c) le soutien général pour les réaliser (culture, climat de travail, philosophie et valeurs RH, engagement de la direction, participation des acteurs) (Gosselin et Le Louarn, 1999). Premièrement, en ce qui concerne la capacité de réalisation, il peut être difficile voire impossible de réaliser les objectifs prioritaires de GRH, tels que le recrutement du personnel clé, si l’organisation n’a pas les moyens financiers (marge de manoeuvre) d’offrir, entre autres, un programme de rémunération suffisamment attrayant ou des programmes novateurs (Bamberger et Meshoulam, 2000; Foulkes, 1980). Sur le plan technique, l’absence d’un système d’information sur les ressources humaines (SIRH) rend difficile la planification adéquate des besoins de main-d’oeuvre. Deuxièmement, la compétence du service RH, des professionnels de la GRH, des gestionnaires et des superviseurs joue un rôle déterminant dans l’atteinte d’une priorité de GRH au niveau désiré (Lundy et Cowling, 1996; Wils, Labelle et Guérin, 2000). En effet, un service RH mal organisé, des professionnels de GRH peu formés ou peu crédibles et des gestionnaires manquant d’habiletés en gestion du personnel compromettent le succès de tout projet de GRH. Troisièmement, l’habileté de l’organisation à soutenir les priorités de GRH détermine en grande partie son succès. Nous entendons par soutien organisationnel une volonté commune et explicite des divers acteurs à appuyer les initiatives de GRH, et ce dans un contexte conforme aux valeurs de l’organisation et du projet de GRH. Un projet de GRH risque l’échec sans l’engagement et le soutien des cadres supérieurs et intermédiaires, sans une philosophie conforme aux valeurs sous-jacentes du projet (p. ex. compétition versus collaboration) ou encore si le climat de travail est marqué par la méfiance envers la gestion. Ainsi, les recherches montrent que ces facteurs sont souvent à l’origine de l’échec fréquent de la création de cercles de qualité dans les organisations nord-américaines (Fabi, 1991).

Ces trois critères devraient jouer un rôle déterminant dans (a) la qualité du contenu des programmes de GRH, (b) la rapidité de leur mise en place, (c) leur durée de vie, (d) leur coût, (e) leur caractère pratique, (f) leur adaptation aux contingences internes, et (g) leur acceptabilité par les gestionnaires et les employés. Ainsi, le succès des objectifs et des pratiques de GRH ne repose pas seulement sur leur caractère indispensable découlant des forces de l’environnement et leur lien étroit avec les objectifs stratégiques, mais aussi sur un ensemble de conditions favorables à leur réalisation. Par conséquent, on peut poser l’hypothèse suivante :

Les organisations d’un même domaine d’activité varient dans : (a) leur performance RH (bloc 7), (b) leur performance opérationnelle (bloc 8) et (c) leur performance organisationnelle (bloc 9) en fonction de leur capacité de réalisation, la compétence des principaux acteurs et le soutien général aux objectifs et pratiques de GRH prioritaires.

Alignement vertical et objectifs de GRH

Selon plusieurs auteurs, la stratégie organisationnelle est une contingence majeure qui guide le choix des objectifs et pratiques de GRH (Labelle, 1983). Plusieurs modèles d’impact de la stratégie sur le choix des pratiques de GRH ont été proposés[6], notamment l’impact de (a) l’orientation générique d’évolution (défenseur, prospecteur, analyseur) de Miles et Snow (1984); (b) l’innovation, l’amélioration de la qualité, la réduction des coûts (Schuler et Jackson, 1988), (c) l’expansion, le développement, la productivité et la réorientation (Lengnick-Hall et Lengnick-Hall, 1988). Bien qu’étant intéressants, ces modèles demeurent généraux et une orientation plus pointue de la stratégie s’impose pour mieux lier la stratégie organisationnelle aux objectifs et pratiques de GRH. Selon plusieurs auteurs, les objectifs stratégiques peuvent être réduits à quelques facteurs clés qui permettent, lorsqu’ils sont exécutés avec excellence, d’obtenir et de maintenir un avantage concurrentiel et aussi de vérifier ultérieurement leur position concurrentielle (Grunert et Ellegaard, 1993; Schneier, Shaw et Beatty, 1991; St-Onge et al., 1998). Dans cette démarche d’alignement vertical entre les objectifs stratégiques et les objectifs de GRH, les facteurs clés de succès permettent de s’assurer que les objectifs visés sont réellement importants[7]. Ces facteurs aident à clarifier les relations causales entre les objectifs organisationnels et les objectifs et pratiques de GRH à adopter pour influencer de manière positive la performance des individus (bloc 7) et de l’organisation (bloc 8, 9). Autrement dit, les objectifs et pratiques de GRH devraient influencer les facteurs clés d’une manière positive. Pour vraiment être utiles et orienter l’exécution de la stratégie, les facteurs clés doivent être spécifiques, concrets et facilement interprétables à tous les niveaux d’une organisation. Par ailleurs, ces facteurs auront une utilité limitée s’ils ne sont pas associés à des mesures opérationnelles de performance organisationnelle (Voyer, 1999; St-Onge et Magnan, 1994). Dans notre exemple de l’hôpital, la performance de l’organisation relative au facteur clé de « l’accessibilité des soins » est calculée à l’aide de mesures telles que le temps d’attente, le taux de réadmissions non planifiées, le nombre de lits disponibles selon le type de problèmes de santé, etc. (figure 1, bloc 4). En d’autres mots, la conversion de facteurs clés en mesures de performance opérationnelle (bloc 8) et organisationnelle (bloc 9) indiquera si nous avons atteint les objectifs visés. Plusieurs de ces mesures sont aussi les indicateurs finaux que les systèmes de GRH doivent influencer pour qu’une contribution à la performance organisationnelle leur soit attribuée. Dans notre exemple de l’hôpital, l’accessibilité des soins passe par un taux de maintien élevé du personnel infirmier, le contraire entraînant inévitablement une réduction de l’offre réelle de services.

En présumant que les facteurs clés de succès ont été bien cernés et que les objectifs de GRH sont conformes à ces facteurs, le défi suivant consiste à identifier et à mettre en place le système (politiques, pratiques, processus) de GRH qui agira de manière positive sur ces facteurs clés et, par conséquent, sur la performance opérationnelle et organisationnelle. Comme les facteurs clés sont souvent typiques à une catégorie d’industries ou à certains facteurs économiques ou temporels (Rockhart, 1979), l’on devrait donc s’attendre à ce que les organisations de même type (même domaine et secteur d’activité), et exposées à l’influence des mêmes contraintes de l’environnement, aient une probabilité très élevée d’avoir les mêmes facteurs. Ainsi, à partir du moment où des organisations de même type, c’est-à-dire partageant des caractéristiques communes au niveau de leurs activités principales et de leur environnement externe, visent des facteurs clés similaires, on devrait aussi s’attendre à ce que les objectifs de GRH qui en découlent soient également similaires. Cette hypothèse soulève alors une interrogation sur le caractère « unique » de l’architecture RH qui résulte de la démarche d’alignement vertical pour des organisations de même type, telles que les hôpitaux, les entreprises pharmaceutiques ou les entreprises de haute technologie. Autrement dit, dans quelle mesure les architectures RH varient-elles lorsque les objectifs de GRH ont une probabilité élevée d’être similaires ? Ainsi, dans notre exemple, d’une part, les hôpitaux canadiens font face à des contraintes environnementales très semblables (financement restreint, pénurie de main-d’oeuvre, nouvelles technologies médicales, etc.). D’autre part, compte tenu de la prépondérance de ces contingences dans l’environnement externe, il est logique que plusieurs des facteurs clés de succès des hôpitaux soient assez semblables (p. ex. accessibilité des soins, etc.) et, en définitive, que les objectifs de GRH qui en découlent se ressemblent d’un hôpital à l’autre (recrutement et maintien du personnel clé, réduction des coûts de main-d’oeuvre, maintien des compétences techniques du personnel, réduction du stress, des comportements « dysfonctionnels » et de l’absentéisme, motivation et implication du personnel clé, collaboration des professionnels interservices, etc.). En fait, les grandes lignes de l’architecture, au lieu d’être différentes, auraient plutôt tendance à se ressembler puisque les grands défis de GRH sont identiques dans chaque institution. Ainsi, nous posons cette autre hypothèse :

Les organisations d’un même domaine et secteur d’activité oeuvrant dans un environnement externe commun tendent à avoir des objectifs de GRH identiques.

Évidemment, cette hypothèse tient pour acquis que les gestionnaires supérieurs ont une connaissance minimum des forces qui prévalent dans leur environnement. Dans le cas contraire, l’organisation sera désavantagée dans la réalisation de sa mission et de ses objectifs stratégiques comparativement à ses homologues.

Alignement vertical et contingences internes

Si cette hypothèse se vérifie, l’on peut donc s’interroger sur ce qui distingue vraiment les organisations les plus performantes sur le plan de la GRH. Encore une fois, la capacité de réalisation, la compétence des acteurs principaux et le soutien organisationnel pour la mise en oeuvre et le maintien des objectifs de GRH pourraient constituer une partie de la réponse. On peut se demander aussi si la réponse réside dans les différences marquées du choix des pratiques de GRH au sein des organisations. En d’autres mots, les organisations de même type ayant des objectifs de GRH assez similaires auront-elles tendance à choisir des pratiques de GRH identiques ou très différentes ? Une étude effectuée auprès d’entreprises de taille moyenne dans le domaine des technologies de télécommunication a révélé l’adoption de pratiques de GRH, au premier abord, assez comparables au sein de ces organisations (p. ex. recrutement sur le Web, rémunération selon le mérite individuel et de l’équipe, évaluation du rendement selon les résultats individuels et de l’équipe, actionnariat, prime annuelle associée à l’atteinte de projets, entrevue comportementale lors de la sélection du personnel, activités de socialisation intensive, etc.) (Barrette et al., 2002). Bien que nos observations se soient limitées à ce dernier milieu, l’analyse qualitative des données a fait ressortir l’idée d’une base commune de pratiques de GRH pour les entreprises du même type. Les chercheurs doivent toutefois vérifier cette hypothèse. Si elle se confirme et que les organisations de même type ont tendance à adopter une base commune de pratiques (par imitation ou par déduction logique découlant des objectifs de GRH), peut-on alors s’attendre à ce que cette base commune de pratiques ait le même impact sur l’atteinte des objectifs de GRH ?

En fait, une analyse plus approfondie des données recueillies auprès de ces entreprises montre que, malgré des appellations identiques, certaines pratiques mises en place dans ces organisations recouvrent des réalités différentes dans leur contenu et dans les processus. Nous avons noté, par exemple, que toutes ces organisations ont adopté une approche d’évaluation du rendement fondée sur l’atteinte de résultats. Toutefois, l’analyse détaillée de chaque approche permet en fait d’identifier huit systèmes d’évaluation qui diffèrent par plusieurs aspects de leur contenu et de leur application. Dans certains cas, l’évaluation s’effectue sur une base continue après chaque projet alors que dans d’autres, l’évaluation formelle est annuelle. Parfois, le système d’évaluation exige une collecte d’information auprès des pairs ou s’appuie sur les observations du superviseur. Ainsi, malgré des appellations identiques, les pratiques de GRH sont suffisamment distinctes pour expliquer des différences potentielles d’impact. En fait, dans ce milieu, le « design »[8] des systèmes d’évaluation du rendement varie grandement et certains systèmes sont mieux adaptés aux contingences internes de l’organisation afin d’influencer le rendement des individus et des équipes (figure 1, 6). Plusieurs auteurs ont soulevé l’influence importante des contingences internes particulièrement en ce qui a trait à la taille (Lawler, 1994), au cycle de vie (Johnson et Scholes, 1989), à la structure (Daft, 2001; Bahrami, 1992), à la culture (Hailey, 1999), à la technologie (Jacob et Ducharme, 1995; MacDuffie, 1995) et à la syndicalisation (Jackson, Schuler et Rivero, 1989). Par conséquent, le caractère unique de l’architecture RH des organisations ne serait pas réellement lié au choix officiel d’une pratique (p. ex. évaluation du rendement par objectifs), puisque ces organisations du même secteur d’activité partagent une base commune de pratiques de GRH. L’unicité de l’architecture RH reposerait davantage sur l’adaptation complexe des pratiques aux contingences internes du milieu. Dans ce sens, nous rejoignons l’idée selon laquelle l’organisation possède des contingences particulières qui appellent des pratiques non pas exclusives, mais adaptées d’une manière unique et originale (Pichault et Nizet, 2000). L’harmonisation avec les contingences internes ne représente pas la source des objectifs de GRH, mais le contexte d’ajustement des objectifs et des pratiques de GRH prioritaires découlant de facteurs clés et d’orientations stratégiques.

Les contingences internes se divisent en trois catégories principales (figure 1) : (a) organisationnelles (taille, culture et philosophie RH, structure et pouvoir formel, emplacement géographique, syndicalisation, cycle de vie de l’organisation), (b) opérationnelles (cycle de vie des produits et services, systèmes d’information et de contrôle, processus décisionnels, organisation du travail, aménagement de l’espace physique, technologie de production), et (c) humaines (caractéristiques de la main-d’oeuvre, c.-à-d. âge, diversité, compétences, etc., conflits intergroupes, style de gestion dominant, répartition du pouvoir informel). En fusionnant les trois catégories, nous obtenons un modèle cubique (figure 2). Le modèle comporte au moins 120 cellules chacune représentant un ensemble de combinaisons uniques de contingences humaines, organisationnelles et opérationnelles. Chaque catégorie de contingences se divise en multiples dimensions, ce qui accroît la complexité du modèle. En effet, chaque catégorie représente une classe de contingences. Par exemple, sur le plan organisationnel, la catégorie « structure et pouvoir formel » comporte plusieurs types de contingences structurelles, notamment la structure fonctionnelle, « divisionnelle », matricielle, horizontale, modulaire et hybride (Daft, 2001). Chaque type de structure influence le choix des pratiques de GRH. La structure horizontale, par exemple, devrait orienter les pratiques d’enrichissement des tâches, le recrutement sur le potentiel à long terme des individus et les pratiques incitatives (partage des gains) (Bouteiller et Guérin, 1989). Sur le plan des contingences opérationnelles, l’organisation du travail en équipe devrait amener l’entreprise à choisir des pratiques de formation axées sur le groupe, l’évaluation comportementale du rendement et la polyvalence dans l’assignation des tâches. Enfin, sur le plan des contingences humaines, on peut avancer qu’une main‑d’oeuvre formée et professionnelle influencera les pratiques de gestion de carrière et de perfectionnement professionnel. Ainsi, plusieurs contingences internes expliqueraient la variance dans l’adoption et l’ajustement des pratiques de GRH.

Figure 2

Modèle cubique de la structure des contingences internes liées à la GRH

Modèle cubique de la structure des contingences internes liées à la GRH

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Ce modèle représente un ensemble d’hypothèses à vérifier car il existe peu de données empiriques démontrant les liens entre les contingences internes et le choix des pratiques de GRH et leur succès. Leur importance réelle lors de la conception et de l’implantation des pratiques et l’impact des multiples interactions entre elles ne sont pas connus. Ce terrain de recherche est encore à peu près inexploré alors qu’il est presque certain que plusieurs contingences sont responsables du succès ou de l’échec de nombreux programmes de GRH. En outre, leur degré d’influence n’est certes pas identique, l’influence étant parfois généralisée (p. ex. culture) ou circonscrite (p. ex. technologie de production). Enfin, on peut penser qu’à certains moments donnés, des contingences domineront (p. ex. syndicat) par rapport à d’autres, négligées, et que les pratiques de GRH mises en place sous l’influence d’une contingence ponctuelle nuiront à l’efficacité d’autres activités de GRH existantes ou à venir. Par exemple, des gains sur le plan de la rémunération accordés à un groupe en particulier sous la pression syndicale peuvent rendre inefficace une pratique actuelle de rémunération au rendement des cadres, perçue maintenant par ceux-ci comme insuffisante et inéquitable. De même, il n’est pas difficile d’imaginer qu’une pratique de gestion par équipe alignée sur une nouvelle structure matricielle puisse entrer en conflit avec une pratique d’évaluation du rendement axée sur la contribution individuelle.

Enfin, les contingences ne sont pas indépendantes, mais interagissent entre elles. Imaginons par exemple une organisation de petite taille, située en région, composée d’une main-d’oeuvre instruite et ayant une structure matricielle et une culture de clan. Comment faudrait-il s’y prendre pour tenir compte en même temps de ces contingences dans le « design » du système de GRH ? Comme on peut le constater, les contingences internes sont nombreuses et les interactions entre ces diverses contingences accroissent la complexité de l’analyse. Par ailleurs, les contingences évoluent avec le temps. Comme le soulignent Guérin et Wils (2002), le contexte et les exigences du milieu évoluant au fil du temps soulèvent la question de la déformation de la stratégie RH ainsi que l’urgence de travailler à son adaptation. Ainsi, une pratique adaptée à une contingence dans le passé peut ne plus convenir à la suite de changements contextuels.

Les pratiques de GRH harmonisées avec les contingences internes peuvent agir comme « facilitateur » ou « obstacle » à la réalisation des objectifs stratégiques. Ainsi, des pratiques de GRH qui renforcent une « contingence obstacle » nuiront à l’organisation parce qu’elles soutiennent une contingence qui freine l’atteinte d’objectifs prioritaires. Par exemple, une organisation visant la création de nouveaux produits, mais dominée par une culture de contrôle (contingence obstacle) qui limite l’apprentissage organisationnel, verra ses initiatives de GRH nuire à l’innovation si ces initiatives renforcent cette contingence « obstacle ». À l’inverse, si la culture est déjà orientée vers l’apprentissage (contingence « facilitatrice »), toute intervention de GRH dans ce sens soutiendra l’innovation.

Paradoxalement, des pratiques de GRH non alignées sur des « contingences obstacles » peuvent apporter une contribution positive en favorisant la transition d’un état à l’autre, par exemple le passage d’une culture de contrôle à une culture d’apprentissage. En conséquence, on peut poser l’hypothèse que :

L’harmonisation des pratiques de GRH avec les contingences internes aura des conséquences positives sur les objectifs stratégiques dans la mesure où ces contingences sont des atouts ou des avantages concurrentiels.

Toutefois, bien que les contingences jouent un rôle déterminant dans la GRH, la fonction RH peut agir de façon proactive en influençant les orientations stratégiques par l’acquisition, la diffusion et l’interprétation de connaissances sur les contingences et leur impact. Les stratèges RH, en ayant une meilleure connaissance des contingences, peuvent agir en faveur d’éléments RH critiques pour assurer une stabilité et une survie de base à l’organisation. Ils peuvent modeler les pratiques RH de façon progressive et interactive selon leur interprétation des contingences perçues (Bamberger et Meshoulam, 2000).

Puisque les contingences internes sont nombreuses et qu’elles peuvent agir comme « facilitateur » ou « obstacle », la mise en place de pratiques de GRH harmonisées avec les multiples contingences risque de mener à la création d’un système de GRH composé de pratiques tous azimuts pouvant se nuire mutuellement. Si l’on prend l’exemple de notre organisation hospitalière, une pratique de formation orientée vers l’équipe et s’harmonisant bien avec une structure horizontale entrera en conflit avec une pratique d’évaluation du rendement individuel pourtant bien adaptée à une culture de contrôle. Il est donc essentiel d’identifier quelles contingences agissent comme « facilitateur » ou « obstacle » afin de les renforcer ou modifier dans le sens désiré. Par exemple, dans le cadre d’une étude menée par l’auteur dans une institution bancaire, le peu de scolarité d’un grand nombre de directeurs (contingence liée aux caractéristiques de la main-d’oeuvre) rendait difficile l’adoption de nouveaux produits financiers, les notions mathématiques leur étant difficilement accessibles. Le changement de cette contingence par des pratiques de GRH ciblées (p. ex. retraite anticipée, embauche d’employés formés en finance, etc.) a permis de transformer à moyen terme cette « contingence obstacle » en « contingence facilitatrice » qui soutient maintenant la mise en place de nouveaux produits financiers.

L’harmonisation avec les contingences internes représente un défi pour les chercheurs et les praticiens compte tenu du nombre de contingences en jeu simultanément, de la complexité des interactions et de l’évolution des contingences dans le temps. Sur ce plan, le modèle de la figure 1 propose une grille d’analyse comme base de réflexion pour le développement d’outils de diagnostic des contingences internes.

Comme nous l’avons souligné précédemment, l’alignement sur les contingences internes, compte tenu de leur nombre et des interactions en jeu, comporte une limite importante. En effet, l’alignement ne garantit pas que les pratiques seront complémentaires entre elles et que l’effort maximisera l’impact sur la performance organisationnelle. Pour cela, il faut vérifier directement la cohérence horizontale des pratiques de GRH.

Architecture RH et cohérence horizontale

La cohérence horizontale est la deuxième composante clé de l’architecture RH. Son impact sur la performance organisationnelle serait supérieur à l’alignement vertical (Baird et Meshoulam, 1988). En théorie, la combinaison idéale de pratiques est celle qui atteint le plus haut niveau de cohérence interne permettant d’influer au maximum sur la performance organisationnelle (Wright et McMahan, 1992). La cohérence souhaitable des pratiques de GRH réfère à la notion de système de GRH et relève des théories configurationnelles (Delery, 1998). La notion de système sous-entend que les pratiques de GRH doivent être reliées logiquement et s’appuyer mutuellement afin de créer un effet synergique sur la performance organisationnelle. Ainsi, si toutes les pratiques s’harmonisent à l’intérieur d’un système cohérent, l’effet de ce système sur la performance devrait être plus grand que la somme des effets individuels provenant de chaque pratique isolée (Ichniowski, Shaw et Prennushi, 1997). L’hypothèse de base est que l’efficacité de toute pratique dépend des autres pratiques en place. Sur ce plan, les recherches actuelles indiquent que l’impact des pratiques de GRH est limité dans un système si ces pratiques ne sont pas complémentaires entre elles (Ichniowski, 1990; Ichniowski et al., 1996). Dans les études récentes, il est question de « systèmes de ressources humaines », de « systèmes à haute performance » ou de « grappes de pratiques ». Sauf exception, il n’y a jamais ou à peu près jamais d’explication logique du lien entre les pratiques qui permettrait de définir ce qu’on entend par « système ».

La théorie part du principe qu’il n’y a pas de combinaisons uniques, mais qu’on peut atteindre le même résultat par de multiples agencements de pratiques de GRH (hypothèse d’équifinalité). Le maintien de la main-d’oeuvre pourrait être assuré, par exemple, grâce à des combinaisons de pratiques de dotation variées (p. ex. profils de compétences multiples, tests valides variés, etc.), à la formation et au perfectionnement (p. ex. encadrement, rotation des postes, etc.) et à la qualité de vie (p. ex. santé et sécurité, gestion du stress, etc.). Cette notion repose sur l’axiome selon lequel plusieurs pratiques produiront certains résultats seulement si elles sont alliées avec des pratiques qui les appuient. Par exemple, l’utilisation d’outils valides de sélection améliorera les compétences de la main‑d’oeuvre à la condition d’avoir en place une rémunération de base suffisamment élevée pour attirer un bassin de bons candidats.

Cette notion de cohérence ou de complémentarité est donc étroitement associée au concept de grappes de pratiques[9]. Les chercheurs qui se sont intéressés à l’effet des grappes de pratiques sur la performance organisationnelle ont obtenu des résultats mitigés. En effet, certaines études indiquent que la combinaison de certaines pratiques entraîne une amélioration de la prédiction de la performance organisationnelle (Arthur, 1994; McDuffie 1995; Pil et MacDuffie, 1996; Becker et al., 1997; Ichniowski et al., 1996). Par contre, d’autres recherches ne révèlent aucune relation ou des relations marginales (Delaney et Huselid, 1996; Huselid, 1995). Ces résultats pourraient s’expliquer par des problèmes au niveau de la pertinence de certaines pratiques combinées dans la grappe et des liens logiques qui les unissent. En effet, dans plusieurs de ces études, l’on présume à tort que l’alignement vertical entraînera un choix de pratiques qui s’harmoniseront inévitablement entre elles. À ce sujet, Bamberger et Meshoulam (2000) soulignent que les grappes découlant des modèles d’alignement vertical ne seraient pas nécessairement cohérentes puisque les sous-architectures RH seraient fonction de contingences internes particulières (p. ex. caractéristiques des emplois).

On peut se demander aussi si la cohérence horizontale devient superflue en présence de pratiques alignées sur les facteurs clés (alignement vertical). À première vue, il semblerait que ce soit le cas. Toutefois, il est difficile d’établir les chaînes causales pour les organisations complexes (Le Louarn et Wils, 2001) et rares sont les organisations capables de lier les pratiques de GRH aux facteurs clés dans une chaîne causale à toute épreuve. Néanmoins, même si ces chaînes causales sont « en apparence » bien développées, il existe plusieurs situations où des pratiques alignées verticalement produisent des effets problématiques (Gosselin, Le Louarn et Wils, 2001). Voici une série de situations observées qui illustrent ce propos. Premièrement, il est tout à fait possible qu’une pratique de GRH alignée sur un facteur clé nuise à un autre facteur clé (figure 3a). Dans notre exemple du milieu hospitalier, la prime à l’embauche favorise l’accessibilité des soins (recrutement plus rapide et en quantité suffisante de ressources humaines clés pour offrir les soins), mais nuit au contrôle des coûts. Deuxièmement, il est possible qu’une pratique bien alignée sur un facteur clé (p. ex. accessibilité des soins) ait peu ou pas d’impact sur ce facteur en raison de l’absence de pratiques complémentaires essentielles à l’atteinte d’un objectif de GRH (figure 3b). Par exemple, dans ce milieu hospitalier, la prime de temps supplémentaire (pratiques de GRH) visant à retenir les infirmières (objectif de GRH) est certainement alignée sur le facteur clé « accessibilité des soins », mais cette pratique aura un impact très limité voire nul si le milieu de travail n’offre pas de qualité de vie (p. ex. surcharge de travail) et engendre un taux élevé d’absentéisme (p. ex. épuisement professionnel) ou de départ. Il est également possible qu’une pratique alignée sur un facteur clé ait des effets contre-intuitifs.

Figure 3

Exemples d’alignements verticaux problématiques

Exemples d’alignements verticaux problématiques

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Dans le milieu hospitalier, par exemple, plutôt que de réduire les coûts et d’augmenter la productivité, on risquerait d’obtenir l’effet contraire en embauchant des employés à temps partiel peu expérimentés afin de réduire le temps supplémentaire des employés professionnels d’expérience. Dans ce cas, l’embauche d’employés à temps partiel moins performants que les employés permanents peut entraîner une augmentation des coûts de productivité plus élevée que les coûts de temps supplémentaire découlant du travail plus efficient des employés d’expérience (Haig et al., 2003). Enfin, il est possible aussi qu’une pratique pertinente liée à un objectif de GRH (p. ex. sélection valide de candidats) nuise à l’atteinte d’un autre objectif de GRH (p. ex. attirer le talent) lié au même facteur clé de succès (p. ex. innovation) (figure 3c). Ainsi, dans les entreprises de haute technologie étudiées par l’auteur, une pratique de dotation rigoureuse (p. ex. test, simulation, portfolio détaillé, multiples entrevues, etc.) favorise une sélection plus valide d’individus très créatifs (objectif de GRH), mais nuit au recrutement d’individus talentueux réfractaires à ce type d’approche. Ces types d’incohérences nécessitent une analyse approfondie des relations cause-effet.

Comme l’illustre les exemples précédents, l’élaboration de relations causales horizontales entre les pratiques de GRH s’impose même si l’exercice d’alignement vertical a été fait. La réflexion sur la cohérence horizontale est d’autant plus critique si aucun effort d’alignement vertical n’a eu lieu. Au moins, la cohérence horizontale minimisera les contradictions entre les pratiques. Comme le souligne Le Louarn et Wils (2001), la cohérence interne apparaît nécessaire afin de maximiser l’impact des investissements dans les pratiques de GRH. Par exemple, dans le milieu hospitalier où le taux d’absentéisme atteint des proportions alarmantes, le rendement des investissements souhaité suite à la mise en place d’un programme très coûteux de gestion des présences des infirmières sera faible si l’organisation du travail demeure inchangée et engendre un taux élevé de maladies professionnelles coûteuses (p. ex. épuisement professionnel).

On a tenté à plusieurs reprises de démontrer l’existence de la cohérence horizontale et son impact sur la performance organisationnelle à l’aide d’une multitude d’approches. Parmi celles-ci, mentionnons (a) l’analyse factorielle (Arthur, 1994), (b) la mesure de l’étendue de l’implantation des pratiques dans l’organisation (Huselid, 1995), (c) l’écart entre le profil idéal de pratiques et le profil retrouvé dans l’entreprise (Delery et Doty, 1996; Becker et Huselid, 1998), (d) la mesure de l’adoption graduelle et simultanée de plusieurs pratiques (continuum d’homogénéité) (Ichniowski et al., 1996) et (e) le calcul de l’interaction statistique entre les pratiques (Lawler, Morhman et Ledford, 1995).

Ces approches ont les limites suivantes : (a) absence de définition du construit, (b) multiplicité des approches de mesure rendant difficile la comparaison entre les recherches, (c) manque d’explication rationnelle de certaines pratiques à l’intérieur des grappes, (d) démonstration des liens de complémentarité s’appuyant souvent sur une mesure globale (p. ex. proportion d’employés touchés par une pratique) ne permettant pas de comprendre la synergie découlant de la combinaison des pratiques et (e) techniques d’analyses statistiques qui éclairent peu le professionnel de la GRH sur l’harmonisation des pratiques dans le système. Ces limites font ressortir deux points importants. D’une part, la cohérence horizontale est un concept qu’il importe de définir davantage si l’on veut mettre au point des systèmes de GRH ayant un haut niveau de cohérence interne. D’autre part, il apparaît essentiel d’établir des mesures plus directes et explicatives de la cohérence horizontale des pratiques de GRH.

Définir avant de mesurer

Si l’on veut étudier la cohérence horizontale, il est essentiel de s’entendre sur une définition opérationnelle du concept afin de guider le choix des pratiques à inclure dans le système de GRH.

À la lumière des écrits théoriques et empiriques récents, Barrette et Carrière (2003) ont défini la cohérence horizontale comme étant « l’ensemble des pratiques d’un domaine ou de divers domaines d’activité de GRH dont l’utilisation conjointe peut être rationnellement justifiée et dont l’effet synergique direct sur les résultats humains et l’effet indirect sur la performance organisationnelle dans un milieu donné peut être empiriquement démontré ». Ainsi, avant de combiner des pratiques de GRH provenant du même domaine (p. ex. dotation) ou de divers domaines (p. ex. dotation, rémunération, etc.) et de les étudier conjointement, les chercheurs devraient : (a) expliquer pourquoi au moins deux pratiques (idéalement plusieurs) peuvent être logiquement liées dans les organisations de même type, (b) expliquer pourquoi ces pratiques, une fois combinées, auront un impact supérieur aux pratiques prises isolément sur les résultats humains et organisationnels, et (c) vérifier par des recherches empiriques la prédiction de ce lien avec la performance humaine et organisationnelle.

Dans ce courant d’idées, Becker, Huselid et Ulrich (2001) ont proposé d’évaluer plus directement la cohérence horizontale en demandant aux répondants d’estimer, sur une échelle de –100 à +100, dans quelle mesure des sous-systèmes de GRH travaillent de concert dans leur organisation. La principale limite de cette mesure réside dans le caractère global de l’élément mesuré et dans l’hypothèse implicite selon laquelle les répondants connaissent suffisamment les sous-systèmes RH pour établir des liens de concordance entre eux.

Combiner les pratiques de GRH

La définition précédente soulève la question du choix des pratiques à combiner pour créer un effet synergique sur la performance humaine et organisationnelle. Mais, comment déterminer la meilleure combinaison de pratiques ? À ce chapitre, quelques chercheurs ont tenté de décrire les liens logiques entre diverses pratiques de GRH et leur effet conjoint sur la performance organisationnelle (Milgrom et Roberts, 1995). Par exemple, une politique de sécurité d’emploi serait complémentaire à la participation de l’employé à la résolution des problèmes parce que cela fait partie du contrat implicite entre la gestion et les travailleurs (Ichniowski et al., 1996). Pour leur part, Carmichael et MacLeod (1993) expliquent le besoin de complémentarité liant les affectations fréquentes de tâches et la formation à des compétences multiples. Certaines études de cas fournissent des exemples documentés de complémentarité interpratiques (Hutchinson, Purcell et Kimie, 2000). Tous ces auteurs proposent différentes explications pour justifier l’inclusion de certaines pratiques dans une grappe. Ces analyses sont essentielles afin de comprendre comment certaines pratiques interagissent dans la prédiction des résultats humains et organisationnels.

Par ailleurs, certaines pratiques interreliées peuvent être identifiées à partir des modèles théoriques et de résultats empiriques actuels (p. ex. pratiques d’implication, Arthur, 1994; Baron et Kreps, 1999; Huselid, 1995; Pfeffer, 1995). En effet, il existe plusieurs publications théoriques et empiriques en GRH où les chercheurs ont identifié et justifié des liens entre les pratiques de divers domaines d’activité de GRH (dotation, rémunération, formation, évaluation du rendement, etc.). Entre autres, des liens traditionnels entre la rémunération, l’évaluation du rendement et la formation sont couramment établis. Toutefois, pour diagnostiquer la cohérence horizontale, on doit être en mesure de justifier le potentiel synergique entre des pratiques par une logique défendable et applicable à un type d’organisation. Autrement dit, la logique qui sous-tend le potentiel synergique d’une combinaison de pratiques peut être appropriée pour des entreprises privées dans un secteur donné (p. ex. la santé) et ne pas l’être pour une organisation publique oeuvrant dans le même secteur.

Une recherche récente illustre ce point en combinant des pratiques de divers domaines d’activités de GRH sous forme d’énoncés afin d’étudier leur association et leur impact sur la performance organisationnelle (Barrette et Carrière, 2003). Voici un exemple d’énoncé liant l’évaluation du rendement et la rémunération : « la rémunération ou une partie importante de la rémunération (p. ex. augmentation au mérite, prime de rendement individuel ou d’équipe) de la plupart des employés clés est directement liée à des mesures formelles de l’atteinte d’objectifs spécifiques ». Il est relativement facile de justifier logiquement cette combinaison et son impact sur la performance des individus pour plusieurs types d’entreprises privées de services ou de fabrication. Ainsi, la relation causale entre cette combinaison de pratiques et la performance organisationnelle pourrait être la suivante pour les entreprises de haute technologie : « si un lien important est établi au sein d’une organisation de haute technologie, de façon générale, entre l’atteinte d’objectifs et la rémunération, la probabilité d’influencer le rendement d’une large proportion d’employés et, par conséquent, la performance organisationnelle est élevée ». Il est plus difficile d’appliquer la même logique aux organisations publiques comme celles du milieu hospitalier compte tenu des particularités de ce milieu (p. ex. conventions collectives). Par contre, la combinaison suivante liant une pratique de dotation et de formation dans une entreprise de haute technologie pourrait tout aussi bien s’appliquer au milieu hospitalier : « les employés ayant un haut potentiel sont identifiés en début de carrière par un processus valide (dotation et plan de relève) suivi d’un plan de développement de carrière élaboré spécifiquement pour eux et actualisé au fur et à mesure de leur progression ». Cela s’expliquerait par le fait que la probabilité d’apporter une contribution supérieure à l’organisation est plus élevée si l’on identifie les personnes à haut potentiel et si on s’en occupe activement au lieu de les laisser pour compte. Ainsi, l’identification de liens logiques théoriques, et idéalement confirmés empiriquement, permettrait aux chercheurs de vérifier l’existence de liens de complémentarité tout en fournissant aux praticiens un outil de diagnostic de la cohérence horizontale.

La réflexion précédente suggère que les liens de complémentarité entre les pratiques de GRH seraient généralisables aux organisations de même type et applicables, dans certains cas, à plusieurs types d’organisation. Ces combinaisons de pratiques communes à plusieurs types d’organisation pourraient former une assise collective de l’architecture RH. Nous avançons donc les deux hypothèses suivantes, à savoir :

  1. que les mêmes combinaisons de pratiques ont un effet synergique sur les résultats humains dans les organisations de même type, et

  2. que certaines combinaisons de pratiques sont généralisables à plusieurs types d’organisations de domaines et de secteurs d’activité différents.

Alignement vertical / horizontal et performance

L’alignement vertical et la cohérence horizontale sont deux dimensions interdépendantes de l’architecture RH associées à la prédiction de la performance organisationnelle. Toutefois, nous savons peu de choses en ce qui concerne l’effet d’interaction de ces dimensions sur l’efficacité et l’efficience organisationnelle. En positionnant l’alignement vertical et horizontal sur deux axes, nous obtenons quatre combinaisons théoriques illustrant les impacts possibles sur l’efficacité et l’efficience.

Lorsque l’alignement vertical et la cohérence horizontale sont faibles (cadran 1), on peut avancer l’hypothèse que les pratiques de GRH auront peu d’impact sur l’atteinte des objectifs stratégiques et pourront même s’avérer nuisibles puisqu’elles visent les mauvaises cibles. Dans ce cas, un alignement vertical bas signifie que les efforts de la GRH ne sont pas orientés vers ce qui compte vraiment pour l’organisation, c’est-à-dire les facteurs clés de succès et les objectifs stratégiques prioritaires.

Tableau 1

Modèle d’interaction de l’alignement vertical et de la cohérence horizontale et de la performance organisationnelle

Modèle d’interaction de l’alignement vertical et de la cohérence horizontale et de la performance organisationnelle

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Par exemple, dans une organisation où l’innovation est un facteur clé, des pratiques d’embauche qui choisissent des individus conformistes contribuent à créer un obstacle à la création de nouveaux produits. D’autre part, l’absence de cohérence horizontale sous-entend la dissipation des ressources en GRH entraînant des coûts élevés et ayant peu de chance d’entraîner des bénéfices pour l’organisation. Dans ce contexte, il est probable que l’organisation a de la difficulté à réaliser ses divers programmes en utilisant ses ressources actuelles. Ainsi, les coûts engagés dans des pratiques de GRH non cohérentes seront élevés sans offrir de retombées globales positives. À l’autre extrême, lorsque les alignements vertical et horizontal sont élevés, on vise les bonnes cibles en utilisant moins de ressources car les mesures de GRH convergent vers la bonne et même direction (cadran 4). Par contre, lorsque l’intégration verticale est basse, mais que la cohérence horizontale est élevée (cadran 2), on peut s’attendre à ce que les activités de GRH contribuent peu à l’atteinte des objectifs prioritaires de l’organisation même si, dans l’ensemble, ces pratiques semblent efficientes. Autrement dit, les activités de GRH sont bien agencées entre elles, mais ne sont pas orientées vers ce qui importe le plus pour l’organisation. Imaginons une organisation qui utilise une description de tâches désuète et qui en extrait des critères de sélection conformes au contenu mais qui ne sont plus pertinents compte tenu du besoin réel résultant d’un changement de cap stratégique. Supposons encore que cette même organisation utilise des instruments de sélection très valides pour le choix des « meilleurs » candidats, mais pour prédire des critères découlant de cette description de tâches devenue désuète. Malgré une cohérence horizontale élevée entre ces pratiques, elle embauchera les mauvaises personnes car le choix des « meilleurs candidats » s’appuie sur des critères qui ne répondent plus aux besoins réels de l’organisation. Autrement dit, on fait bien ce que l’on fait, mais on ne fait pas les bonnes choses. Dans ces conditions, certaines pratiques de GRH auraient même avantage à ne pas être cohérentes avec d’autres afin de combler un besoin réel. Ces pratiques même non cohérentes avec l’ensemble pourraient malgré tout être profitables. Par exemple, les études de Schmidt et al. (1979) et de Hunter et Hunter (1984) suggèrent que l’effet de certaines pratiques peut être universel et avoir un impact généralisé sur la performance humaine et organisationnelle. Ces études montrent que l’utilisation de tests d’aptitudes cognitives entraîne l’embauche d’employés plus productifs quelle que soit l’organisation.

La troisième possibilité (cadran 3) correspond à un alignement vertical élevé, allié à une cohérence interne basse. Il peut s’agir de pratiques qui visent le même facteur clé de succès, mais qui conduisent à des effets contradictoires, ce que Becker et al. (1997) appellent des combinaisons mortelles (deadly combinaison). L’exemple précédent (voir figure 3b) illustre des pratiques qui ne s’appuient pas mutuellement malgré un alignement vertical élevé. Dans cet exemple, les pratiques ont un effet nul sur l’innovation car elles ont des impacts contradictoires sur divers objectifs de GRH (sélection valide versus recrutement des talents). L’absence de cohérence interne s’explique aussi par la présence de pratiques substituables ou interchangeables qui produisent un résultat identique (Delery, 1998; Ichniowski et al., 1996). Autrement dit, certaines pratiques sont superflues car une relation interactive peut être substituée à une autre. Si deux pratiques sont substituables et une de ces pratiques n’ajoute rien sauf les dépenses associées à son implantation, le système RH devient moins efficient. La présence de pratiques substituables peut se faire à l’intérieur d’une même catégorie de pratiques (p. ex. pratiques de recrutement) ou entre des pratiques intercatégories (p. ex. dotation versus formation). Ainsi, dans le premier cas, une approche de recrutement dans les journaux peut s’avérer superflue si une pratique par Internet attire déjà les mêmes candidats. Dans le cas de pratiques substituables intercatégories, on peut imaginer un programme de formation visant le développement d’habiletés de gestion des cadres (p. ex. habileté à gérer une équipe) alors que ces mêmes gestionnaires possèdent déjà ces habiletés à la suite d’un processus de sélection rigoureux.

Conclusion

La contribution de la GRH à la performance de l’organisation n’est pas facile à démontrer. Elle le demeurera longtemps si le travail des chercheurs se limite à introduire un ensemble de pratiques à l’intérieur de régressions multiples sans d’abord chercher à comprendre et à expliquer pourquoi et comment les pratiques choisies peuvent contribuer à influencer les résultats humains qui sont importants pour l’organisation. Le développement de relations causales verticales et horizontales est un pas dans cette direction. Toutefois, si ces relations causales ne s’appliquent qu’à une seule organisation, c’est-à-dire si elles sont uniques, il devient évident que notre discipline pourra difficilement se hisser au rang de science. La solution réside peut-être dans les recherches qui tenteront de mieux expliquer les liens qui unissent les pratiques de GRH entre elles et entre les objectifs stratégiques de l’organisation au moyen des facteurs clés de succès pour les organisations de même type. Ces recherches permettraient éventuellement d’identifier les raisonnements verticaux et horizontaux communs applicables aux organisations de même domaine et secteur d’activité et, dans certains cas, à plusieurs types d’organisations. Enfin, l’alignement vertical et la cohérence horizontale représentent deux principes structuraux de base de l’architecture RH. En ce sens, ils ont besoin d’être mieux compris et surtout définis de façon opérationnelle pour être éventuellement mieux exportés dans la pratique professionnelle.

Nous espérons que les modèles théoriques et les hypothèses proposés dans cet article susciteront réflexions, discussions et recherches supplémentaires de la part des universitaires et chercheurs qui ont fait de la GRH leur sujet d’étude. Nous encourageons la critique et l’examen plus poussé de ces modèles et hypothèses dans le but de les améliorer. Mais d’abord et avant tout, nous espérons que cette réflexion apportera aux chercheurs des pistes nouvelles à explorer pour faire avancer la recherche et la compréhension du domaine.