Article body

La mondialisation des marchés, la demande pour des produits et services variés et de qualité, l’augmentation des attentes des investisseurs et l’insatisfaction de plus en plus grande des employés ont sérieusement remis en question les modes traditionnels d’organisation du travail (Grant et Lévesque, 1997). Le taylorisme, caractérisant la majorité des organisations d’après-guerre, serait incapable de susciter l’adhésion des employés au processus de production, limitant ainsi la capacité concurrentielle des entreprises. C’est dans ce contexte que plusieurs études théoriques et empiriques font état d’une progression des nouvelles formes d’organisation du travail (NFOT) (Grant et Lévesque, 1997 ; Osterman, 2000). De plus en plus de preuves empiriques démontrent que la présence des NFOT serait liée positivement à la performance des entreprises (Campion, Medsker et Higgs, 1993 ; Wageman, 1995). Sachant cela, pourquoi les entreprises ne se dirigent-elles pas massivement vers les NFOT ? Selon certains auteurs, il semble qu’il existe des barrières à l’implantation de ces pratiques (Edwards et Wright, 2001). Encore aujourd’hui, nombre d’entreprises n’ont aucunement amorcé le virage vers les NFOT (Osterman, 2000). Il serait donc hasardeux, voire prématuré, d’annoncer la mort du taylorisme et de généraliser l’application des NFOT sans analyser leur taux de pénétration et les facteurs environnementaux et organisationnels qui en expliquent la présence.

Les déterminants de l’implantation des NFOT et de leur degré de pénétration dans les entreprises suscitent un intérêt chez les praticiens et les chercheurs en développement organisationnel et en gestion des ressources humaines. Actuellement, la littérature ne converge pas vers un modèle prédictif unique qui permettrait de comprendre si le choix d’implanter les NFOT est le résultat d’une décision délibérée et rationnelle de l’entreprise ou plutôt la conséquence d’une pression institutionnelle à laquelle l’entreprise doit s’adapter.

D’une part, selon la perspective institutionnelle, les entreprises pourraient être tentées d’imiter la concurrence et de suivre l’engouement que manifestent nombre d’industries pour les NFOT (Dirsmith, Fogarty et Gupta, 2000). Selon cette approche, le choix serait davantage le fruit d’un mimétisme encouragé par les différents groupes d’acteurs dans l’entreprise (DiMaggio et Powell, 1983).

D’autre part, selon la théorie de la contingence, les entreprises devraient arrimer leur structure interne ainsi que leurs pratiques de gestion des ressources humaines à leur stratégie d’affaires et leur culture organisationnelle. Le choix d’implanter les NFOT découlerait alors d’un besoin d’alignement et de cohérence (Dunphy et Bryant, 1996).

À notre connaissance, aucune étude n’a cherché à confronter ces deux perspectives théoriques tout en considérant une vaste gamme de caractéristiques externes et internes à l’organisation. En effet, la plupart des recherches se contentent d’étudier les déterminants des pratiques sans les rattacher à un cadre théorique. De plus, les études actuelles mesurent la présence des pratiques sans tenir compte de leur degré de pénétration. Ces limites méthodologiques constituent un frein à l’étude des déterminants, ne permettant pas de distinguer les entreprises ayant réellement transformé leur organisation du travail.

En se basant sur une enquête réalisée auprès de 252 entreprises cana-diennes, la présente étude a pour objectif de confronter deux perspectives d’analyse différentes (institutionnelle et contingente) à l’égard des déterminants des NFOT et d’en vérifier la portée selon le degré de pénétration des pratiques. Nous allons, dans un premier temps, exposer le cadre théorique suivi des hypothèses de recherche. Par la suite, nous décrirons les aspects méthodologiques et les résultats obtenus. Enfin, nous présenterons une discussion des principaux résultats ainsi que les limites et les avenues de recherche.

Cadre conceptuel et hypothèses

Les NFOT : brève définition

Encore aujourd’hui, définir les NFOT reste problématique. Certains auteurs les définissent par contraste en les opposant au taylorisme (Caudron, 1993 ; Ichniowski et al., 1996). Ainsi, l’organisation tayloriste du travail serait caractérisée par la division du travail, la différentiation fonctionnelle et hiérarchique des structures organisationnelles, le contrôle, la supervision directe et l’obéissance aux règles (Caudron, 1993). Par opposition, les NFOT chercheraient à regrouper les tâches inhérentes à un poste, à accorder plus d’autonomie et de flexibilité aux employés ainsi qu’à leur confier davantage de responsabilités. Selon Ramsay, Scholarios et Harley (2000), il s’agirait de céder un degré de contrôle aux employés tout en tentant d’améliorer leur bien-être.

L’éventail des NFOT est considérable et il serait inapproprié de vouloir les étudier toutes. Boxall et Purcell (2003) suggèrent que les modes indirects de représentation des salariés, tels que la syndicalisation et les comités mixtes, auraient cédé le pas aux modes directs centrés sur la tâche, tels que l’enrichissement du travail, les cercles de qualité et les équipes semi-autonomes de travail. En effet, la présence de ces modes de représentation s’est accrue de 14 % entre 1984 et 1998 au Royaume-Uni, passant de 34 % à 48 % (Millward, Bryson et Forth, 2000). La même tendance est observée en Europe (EPOC, 1997) et en Amérique du Nord (Cotton, 1993). Au Québec, Grant et Lévesque (1997) concluent que deux catégories de pratiques reviennent plus souvent au sein des entreprises québécoises : celles liées à la flexibilité fonctionnelle et celles liées à l’autonomie. Parmi les NFOT liées à la flexibilité fonctionnelle, ils identifient l’élargissement des tâches, la rotation des postes et la réingénierie des processus. Parmi les NFOT liées à l’autonomie, ils concluent que l’enrichissement des tâches, les cercles de qualité et les équipes de travail sont les plus fréquemment observées. Nous allons concentrer notre étude sur ces six pratiques liées aux nouvelles formes d’organisation du travail.

Déterminants de la présence des NFOT

Certains déterminants des NFOT sont exogènes (externes) à l’entreprise et d’autres y sont endogènes (internes). Selon un courant dominant en théorie de la décision, le choix de réaliser un changement organisationnel serait le fruit d’une démarche planifiée, volontaire et systémique (Tessier et Tellier, 1990 ; David, 2002). Ainsi, les changements organisationnels viseraient l’amélioration des processus de gestion par une série d’actions programmées. Les gestionnaires seraient, dans ce contexte, des acteurs rationnels ayant la liberté de prendre les décisions et de fixer les objectifs les plus avantageux pour l’entreprise (French et Bell, 1973). Les gestionnaires suivraient, en quelque sorte, une logique de cohérence par laquelle l’implantation d’une pratique de GRH deviendrait contingente aux caractéristiques organisationnelles. Cette contingence serait qualifiée d’alignement vertical[1] lorsqu’elle concernerait les stratégies externes et d’alignement horizontal[2] lorsqu’elle concernerait les stratégies internes des entreprises (Delery et Doty, 1996). Tel qu’illustré à la figure 1, la présence des NFOT serait liée aux stratégies externes préconisées par les entreprises (stratégie de marché et stratégie concurrentielle) ainsi qu’à leurs stratégies internes (valeurs, culture et philosophie de gestion).

Certains opposants à cette approche rationnelle de la décision, dont Etzioni (1961) et Crozier et Friedberg (1977), voient plutôt le changement comme étant le fruit d’une tension entre des acteurs ayant des intérêts divergents. Il n’y aurait donc pas de vision homogène des buts et des objectifs de l’entreprise, chaque partie prenante ayant ses propres intérêts. Dans ce contexte de rationalité limitée et d’absence de consensus, la décision d’implanter de nouvelles pratiques de gestion viendrait davantage des pressions coercitives, normatives et du mimétisme issu de la théorie institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 ; Scott, 1987). Selon Scott (1987), la décision d’implanter ces nouvelles pratiques serait influencée par des pressions coercitives lorsqu’elle répondrait, entre autres, aux impératifs légaux (ex. : loi sur l’équité salariale, loi sur la formation) ou aux intérêts des parties prenantes (ex. : actionnaires, syndicats, employés, clients, fournisseurs). Cette pression serait de nature normative, ou issue du mimétisme, lorsque la complexité organisationnelle la rendrait difficilement compréhensible, lorsque les objectifs organisationnels seraient ambigus ou lorsque l’environnement serait incertain. Dans ces derniers contextes, l’organisation étant incapable de prendre des décisions rationnelles découlant d’une analyse exhaustive de son environnement tendrait à imiter les pratiques des autres organisations. C’est ce que Meyer et Rowan (1977) nomment : « l’isomorphisme institutionnel ». Tel que le suggère la figure 1, des caractéristiques telles que l’âge, la taille et le secteur d’activités établiraient des normes à l’égard des NFOT auxquelles les organisations se conformeraient par imitation. Des pressions coercitives pourraient également être à l’origine de l’adoption des NFOT. En effet, la pression concurrentielle, les difficultés de croissance, la présence syndicale et les mécanismes de gouvernance pourraient influencer les organisations dans l’adoption ou non des NFOT.

Figure 1

Déterminants des nouvelles formes d’organisation du travail

Déterminants des nouvelles formes d’organisation du travail

-> See the list of figures

Perspective institutionnelle

Tel que nous venons de le voir, le contexte institutionnel dans lequel évolue une entreprise pourrait influencer ses modes d’organisation du travail par le biais du mimétisme ou des forces coercitives.

Pressions des normes et mimétisme

Les organisations auraient tendance à se comparer avec des entreprises similaires en termes d’âge, de taille et de secteur d’activités. Selon la théorie de l’inertie, l’âge et la taille des organisations limiteraient leur habileté à s’adapter aux menaces et opportunités de leur environnement (Hannan et Freeman, 1977). L’organisation du travail se cristalliserait au cours de la première période de croissance de l’entreprise et il serait difficile, par la suite, de la modifier, ce qui laisserait présager un taux d’adoption des NFOT moins élevé au sein des entreprises plus âgées (Ichniowski et al., 1996 ; Balkin et Markman, 1998). Il serait également plus difficile aux grandes entreprises de s’adapter aux menaces et opportunités de l’environnement et de mettre en place des changements organisationnels importants (Bergeron, Rivard et Raymond, 1998). Les entreprises de grandes tailles posséderaient toutefois, en contrepartie, des ressources financières et humaines plus importantes que les petites entreprises, facilitant ainsi les innovations en matière d’organisation du travail (Dean et Snell, 1991 ; Gittleman, Horrigan et Joyce, 1998 ; Handel et Gittleman, 2004). Enfin, la majorité des études ont montré que les NFOT étaient significativement plus répandues dans le secteur manufacturier que dans celui des services (Osterman, 1994a ; Gittleman, Horrigan et Joyce, 1998). L’ensemble de ces considérations nous amène à proposer l’hypothèse suivante :

H1 :

Les pressions normatives ou le mimétisme (âge, taille, secteur) influencent l’adoption des NFOT.

Pressions coercitives

Les pressions coercitives seraient le résultat à la fois de pressions formelles et informelles exercées sur les organisations par l’environnement concurrentiel ou par des difficultés de croissance auxquelles elles sont confrontées. Les pressions concurrentielles, et principalement celles provenant de l’international, créent un besoin accru de flexibilité et d’efficience, lequel pourrait être comblé par l’instauration des NFOT (Dunphy et Bryant, 1996). Les difficultés financières auxquelles sont confrontées certaines entreprises justifieraient également la transformation radicale de leurs méthodes de travail (Frost, 2000 ; Lapointe, 2001 ; Wells, 2001).

En matière de gouvernance, la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976) présente les divergences d’intérêts entre les gestionnaires et les actionnaires. Voulant minimiser les risques et accroître la rentabilité à court terme, les entreprises sous le contrôle des gestionnaires seraient moins favorables à l’implantation des NFOT étant donné le coût élevé de leur implantation et l’incertitude du rendement de cet investissement (Antony et Govindarajan, 2001). Les syndicats seraient également parties prenantes dans l’implantation des NFOT. Lorsque la relation patronale-syndicale est basée sur la confiance et la collaboration, la présence syndicale faciliterait l’adoption des pratiques (Lapointe, 2001) alors qu’à l’inverse, advenant des relations tendues, le syndicat risquerait d’être un frein lors du processus d’implantation (Edwards et Wright, 2001). L’ensemble de ces considérations nous incite à proposer l’hypothèse suivante :

H2 :

Les pressions coercitives (concurrence, croissance, gouvernance, syndicalisation) influencent l’adoption des NFOT.

Perspective contingente

Selon la théorie de la contingence, les entreprises chercheraient à réaliser un alignement vertical et horizontal entre leurs pratiques de GRH et leurs stratégies (externes et internes). Cette recherche de contingence leur permettrait de demeurer cohérentes et d’accroître leur efficacité (Delery et Doty, 1996). Elle expliquerait également pourquoi certaines firmes, similaires à d’autres sur le plan de leur environnement, de leur gouvernance ou de leur secteur, adoptent des pratiques de GRH bien différentes de leurs consoeurs (Wolfe, 1995).

Stratégies externes (alignement vertical)

Selon la théorie comportementale, les caractéristiques organisationnelles telles la stratégie de marché et la stratégie concurrentielle requerraient des comportements spécifiques permettant de favoriser leur succès (Delery et Doty, 1996 ; Youndt et al., 1996). Dès lors, l’entreprise devrait implanter des NFOT susceptibles d’aligner les comportements des employés de manière à les rendre consistants avec les stratégies adoptées. Dans ce contexte, les entreprises ayant adopté une stratégie de diversification orientée vers le contrôle financier inciteraient les gestionnaires à éviter les investissements à risque liés à l’implantation des NFOT (Ichniowski et al., 1996). En matière de stratégie concurrentielle (Porter, 1985), les études suggèrent que les firmes ayant opté pour une stratégie de leadership par les coûts seraient moins portées à implanter des NFOT, s’étant déjà tourné vers une production de masse standardisée propre au taylorisme (Arthur, 1992, 1994 ; Huselid et Rau, 1996). À l’opposé, lorsque l’entreprise miserait sur une stratégie de différenciation, elle décentraliserait le pouvoir et accroîtrait la polyvalence des employés de manière à stimuler l’innovation et la qualité des produits et services, d’où le choix d’implanter les NFOT (Seaman, 1995 ; Arthur, 1992). Ces considérations nous amènent à proposer l’hypothèse suivante :

H3 :

Les stratégies externes adoptées (marché et concurrentielle) influencent l’adoption des NFOT.

Stratégies internes (alignement horizontal)

Selon Barney (1991), les approches stratégiques traditionnelles auraient accordé très peu d’importance aux stratégies internes de l’entreprise. Dans ce contexte, une plus grande présence des NFOT devrait s’observer dans les entreprises dont la culture et les valeurs sont orientées vers la qualité totale, la gestion participative et la collaboration. À cet effet, Dean et Bowen (1994) signalent que l’amélioration continue propre à la qualité totale est implantée plus efficacement lorsque les structures de travail permettent une collaboration et un échange d’information intense entre les employés. Dans ce contexte, les entreprises auraient également intérêt à procéder à une réduction des paliers hiérarchiques afin de favoriser une gestion plus participative axée sur le partage des normes et des valeurs (Ichniowski et al., 1996 ; Bergeron, Rivard et Raymond, 1998 ; Osterman, 2000). L’ensemble de ces considérations nous amène à proposer l’hypothèse suivante :

H4 :

Les stratégies internes adoptées (gestion de la qualité, culture et valeurs) influencent l’adoption des NFOT.

Méthodologie

Les données utilisées ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire distribué par courrier interne aux responsables des ressources humaines appartenant aux différentes unités d’affaires des entreprises canadiennes du secteur privé. Ce questionnaire avait pour but de récolter des informations sur le profil des entreprises, leur culture, leurs stratégies, leur environnement concurrentiel ainsi que sur leurs pratiques d’organisation du travail chez les non-cadres. Cette enquête a permis de recueillir 252 questionnaires exploitables, pour un taux de réponse de 11,4 %. Une investigation téléphonique auprès d’un échantillon aléatoire de la population initiale suggère que les entreprises n’ayant pas répondu au questionnaire ne diffèrent pas significativement des répondants en ce qui a trait à la taille, le secteur d’activité et l’intérêt à l’égard de l’étude.

Variables indépendantes

Pression concurrentielle. Trois items sur une échelle de Lickert à 7 modalités (forte décroissance = 1 à forte croissance = 7), mesurant le degré de compétition auquel les organisations sont confrontées sur leur marché national, à l’exportation et en provenance des pays à faibles salaires ont permis d’obtenir un seul facteur avec un pourcentage de variance expliquée de 59 % (α = 0,65).

Type de concurrence. Une question a été utilisée afin de cerner la provenance des principaux concurrents : 0 = local, provincial et national et 1 = international.

Gouvernance. Deux questions ont été utilisées pour mesurer les mécanismes de gouvernance : « Votre entreprise est-elle cotée en bourse ? » non = 0 et oui = 1, et « Quel est le pourcentage des membres extérieurs à l’entreprise sur le conseil d’administration ? ».

Âge. La question suivante a été posée : « Depuis combien d’années votre entreprise existe-t-elle ? ».

Taille. La taille a été mesurée par la question suivante : « Combien de salariés employez-vous actuellement dans votre organisation ? ».

Syndicalisation. Le pourcentage de syndicalisation a été obtenu par l’entremise de la question suivante : « Quel est le taux de syndicalisation dans votre organisation ? ».

Croissance organisationnelle. L’analyse factorielle a permis d’obtenir un seul facteur à partir de deux items sur une échelle en pourcentage de –50 % à +50 % mesurant la croissance du chiffre d’affaires de l’établissement ainsi que la fluctuation du nombre de salariés depuis les trois dernières années (α = 0,83). Le facteur a permis d’expliquer 86 % de la variance.

Stratégie concurrentielle. Une analyse factorielle a été réalisée à partir de cinq questions concernant l’importance du prix, de la qualité, de la distribution, de l’innovation et du service après-vente (échelle de Lickert à 5 modalités : très faible = 1 à très forte = 5). Cette analyse a permis de faire ressortir deux facteurs expliquant près de 65 % de la variance. Le premier est composé du seul item « prix » et l’autre des quatre items restants (qualité, distribution, innovation et service après-vente) (α = 0,72).

Stratégie de marché. Une question, cotée sur une échelle en pourcentage de 0 % à 100 %, mesurait le pourcentage du chiffre d’affaires provenant de la ligne principale de produits ou services.

Gestion de la qualité. Nous avons demandé aux répondants de situer leur entreprise en matière de gestion de la qualité sur une échelle de type Lickert à 7 modalités dont l’une des extrémités caractérisait une démarche rudimentaire de gestion de la qualité et l’autre extrémité une démarche sophistiquée à l’échelle de l’entreprise.

Culture organisationnelle. Le type de culture a été mesuré à l’aide d’une question comprenant une échelle de type Lickert à 7 modalités dont l’une des extrémités présentait l’exemple d’une culture de clan et l’autre extrémité proposait l’exemple d’une culture de marché.

Gestion participative. Le concept de décentralisation et de gestion participative a été évalué à l’aide de trois items sur une échelle de type Lickert à 5 modalités variant de « tout à fait en désaccord » à « tout à fait en accord ». Un seul facteur a été obtenu, permettant d’expliquer près de 60 % de la variance (α = 0,66).

Variable dépendante

À l’image de Osterman (1994a), nous avons trouvé plusieurs façons de rendre opérationnel le concept de « l’entreprise transformée ». Voici les mesures que nous avons conceptualisées afin de distinguer un établissement transformé d’un autre établissement :

  1. Nous avons distingué les établissements ayant adopté au moins deux pratiques parmi les six sélectionnées, lesquelles s’appliquaient à au moins 33 % des non-cadres. Les établissements transformés sont ainsi codés « 1 » et les autres « 0 ».

Sans vouloir nécessairement catégoriser un établissement comme étant transformé ou non, il est possible d’établir d’autres mesures :

  1. Pour un même établissement, nous avons additionné les pratiques implantées à plus de 33 %. Cette mesure tient compte de l’intensité de l’application des pratiques, mais ne discrimine pas les établissements sur la base du nombre de pratiques qu’ils ont choisi d’implanter.

  2. Nous avons également, pour un même établissement, additionné le résultat accordé à chaque pratique, telle qu’attribué par le répondant. Par exemple, un établissement ayant implanté le travail d’équipe à plus de 66 % de ses employés (score de 3) et la rotation des tâches à 33 % de ses employés (score de 2), sans avoir implanté aucune autre pratique (score de 0), aurait un total de 5 (3 + 2).

Enfin, dans le but d’identifier les entreprises ayant implanté un nombre élevé de pratiques, mais de façon superficielle, une dernière mesure a été utilisée :

  1. Nous avons fait ressortir les établissements ayant adopté au moins quatre pratiques parmi les six, toutes s’appliquant à moins de 33 % des employés non-cadres. Notons que cette mesure fait ressortir les entreprises ayant implanté une grappe importante de pratiques, mais de façon superficielle.

Bref, par les deux premières mesures, nous mettons l’accent sur la profondeur de l’implantation des pratiques. Par la troisième mesure, nous prenons en compte tous les efforts des établissements vers les NFOT. Ainsi, les établissements qui étaient dans le processus d’implantation au moment du questionnaire ne seront pas exclus de l’analyse. Enfin, la quatrième mesure pose autrement le problème de la profondeur en permettant d’étudier le profil des établissements ayant implanté superficiellement un système de pratiques.

Des analyses de régression multiple et logistique utilisant la méthode « Enter » ont été utilisées afin de vérifier nos hypothèses. Lorsque la variable dépendante était binaire, nous avons opté pour des régressions logistiques et lorsqu’elle était graduée sur une échelle, nous avons opté pour des régressions linéaires multiples.

Résultats

Dans un premier temps, nous étudions la distribution et la pénétration des différentes pratiques sélectionnées. Par la suite, nous présentons les résultats des analyses de régression logistiques et linéaires afin de discuter nos hypothèses de départ.

Étude de la distribution des pratiques

Le tableau 1 montre la distribution des pratiques pour trois niveaux de pénétration : (1) la pratique est implantée, (2) la pratique est implantée et touche plus de 33 % des employés et (3) la pratique est implantée et touche plus de 66 % des employés. Le tableau 1 fait également la distinction entre l’ensemble de l’échantillon, incluant les entreprises de services, et un groupe plus restreint constitué uniquement des entreprises manufacturières.

En ne regardant que les pratiques implantées, sans se soucier du nombre d’employés touchés, nous pouvons conclure à une large application des NFOT. En effet, toutes les pratiques sélectionnées sont présentes dans plus de 35 % des établissements sondés. L’élargissement des tâches (62,7 %), ainsi que l’enrichissement des tâches (57,1 %) sont les deux pratiques les plus répandues. Aussi, nous constatons que les entreprises manufacturières ont davantage recours aux NFOT que les entreprises de services.

En nous intéressant au degré de pénétration des pratiques, nous observons que le pourcentage d’implantation des pratiques chute en moyenne de 50 %. Par exemple, les cercles de qualité, que nous retrouvions dans plus de 37,3 % des entreprises, sont présents dans à peine 18,7 % de celles ayant implanté cette pratique à plus de 33 % de leurs employés. La même tendance se poursuit lorsque nous considérons les entreprises ayant implanté ces pratiques à plus de 66 % de leurs employés. Nous remarquons également qu’en augmentant le degré de pénétration, l’écart subsiste entre l’utilisation des NFOT par les entreprises manufacturières et par les entreprises de services, pour toutes les pratiques sans exception.

Dernier point à souligner, la constitution d’équipes de travail, pratique au centre des études touchant à l’organisation du travail, est loin d’être la plus répandue (35,3 %), loin derrière l’élargissement des tâches (62,7 %) et l’enrichissement des tâches (57,1 %). En fait, l’implantation des équipes de travail est la pratique la moins répandue des six pratiques sélectionnées.

Tableau 1

Distribution des pratiques par niveau de pénétration

 

Sans égard à la pénétration

À plus de 33 %

À plus de 66 %

Toutes les entreprises

Entreprises manufacturières

Toutes les entreprises

Entreprises manufacturières

Toutes les entreprises

Entreprises manufacturières

Équipes autonomes

35,3%

38,7%

15,9%

16,9%

9,1%

12,1%

Rotation des tâches

46,4%

54,8%

16,7%

24,2%

5,6%

9,7%

Élargissement des tâches

62,7%

66,9%

32,5%

37,9%

13,9%

16,1%

Enrichissement des tâches

57,1%

57,3%

31,3%

34,7%

15,1%

19,4%

Cercles de qualité

37,3%

46,8%

18,7%

24,2%

9,1%

12,9%

Reconfiguration des processus

48,4%

50,0%

21,0%

20,2%

12,7%

13,7%

-> See the list of tables

Le tableau 2 fait ressortir le pourcentage des entreprises ayant adopté un système de pratiques, sans tenir compte de la profondeur de l’implantation des pratiques. Nous remarquons ainsi que le cinquième des entreprises n’a adopté aucune pratique liée aux nouvelles formes d’organisation du travail, mais que près de la moitié d’entre elles ont opté pour l’implantation de plus de trois pratiques. Les entreprises manufacturières sont celles qui, dans une plus large mesure, se sont tournées vers l’implantation d’un système de quatre, cinq ou même six pratiques.

Tableau 2

Pourcentage des établissements ayant adopté un ensemble de pratiques

 

Toutes les entreprises

Entreprises manufacturières

Aucune pratique

21,8 %

20,2 %

Une pratique

14,7 %

12,9 %

Deux pratiques

12,7 %

10,5 %

Trois pratiques

15,9 %

13,7 %

Quatre pratiques

16,7 %

21,0 %

Cinq pratiques

9,9 %

11,3 %

Six pratiques

8,3 %

10,5 %

-> See the list of tables

Analyse des déterminants

Les résultats des analyses de régression sont présentés au tableau 4. Préalablement à l’analyse des régressions, nous avons réalisé une analyse de corrélation afin de vérifier la présence de « multicolinéarité » entre les variables. Cette analyse est présentée au tableau 3. Les tests liés au seuil de tolérance et au VIF (variance inflation factors) indiquent l’absence de problème à cet égard.

Le tableau 4 présente quatre modèles de régression : les modèles 1, 2 et 3 représentent les entreprises ayant fait des efforts d’implantation des NFOT en profondeur. Le modèle 4 présente les entreprises ayant implanté plusieurs pratiques, mais de façon superficielle. Dans un premier temps, nous observons peu de liens significatifs entre les variables liées à la perspective institutionnelle et le degré de pénétration des NFOT, ce bloc de variables n’étant pas significatif pour les deux premiers modèles d’analyse. En effet, le bloc de variables lié aux facteurs de mimétisme n’est significatif que pour les modèles 3 (R2 = 0,048 ; p < 0,05) et 4 (R2 = 0,040 ; p < 0,05), ce qui confirme partiellement notre première hypothèse. Dans ce bloc de variables, il n’y a que le secteur d’activités qui soit lié significativement à la présence des NFOT, ce qui signifie que l’âge et la taille des entreprises de notre échantillon ne sont pas liés à l’implantation des pratiques à l’étude. Les relations négatives observées à l’égard du secteur d’activités dans trois modèles d’analyse sur quatre signifient que les entreprises de services sont moins portées à utiliser les NFOT que les entreprises manufacturières, ce qui confirme les résultats des analyses descriptives. Pour le bloc de variables représentant les facteurs coercitifs, le même scénario se répète. En effet, la variation du R2 n’est significative que pour les modèles 3 (R2 = 0,060 ; p < 0,10) et 4 (R2 = 0,063 ; p < 0,05), ce qui confirme partiellement l’hypothèse 2. C’est au niveau du modèle 4, représentant les entreprises ayant fait une implantation superficielle des NFOT, que nous retrouvons le plus de relations significatives. Les entreprises qui subissent une forte pression concurrentielle, qui sont cotées en bourse et dont le taux de croissance est élevé implanteraient davantage des NFOT, mais de façon superficielle. L’origine de la pression concurrentielle serait également déterminante. En effet, dans deux modèles d’analyse sur quatre, la concurrence à l’international forcerait les entreprises à faire usage des NFOT.

Tableau 3

Table de corrélations

 

Moyenne

Écart type

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

1. Secteur des services

,51

,50

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2. Pression concurrentielle

5,18

1,03

‑,06

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3. Internationalisation

,28

,45

‑,33**

,19**

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4. Cotée en bourse

,27

,44

‑,07

,08

,24**

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5. Membres externes du C.A.

35,67

37,94

,02

,08

,16**

,38**

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

6. Âge

34,14

26,81

‑,11

‑,04

,08

,08

,07

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

7. Taille

991,26

2591,73

,07

‑,04

‑,08

,16*

,16*

‑,04

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8. Syndicalisation

38,79

38,48

‑,27**

0

,03

,01

,10

,05

0

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9. Croissance

9,57

12,50

‑,15*

0

,14**

,09

,07

‑,02

,03

‑,07

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10. Stratégie coût

4,29

0,83

‑,12

,20**

‑,05

‑,09

‑,09

‑,03

‑,06

,06

‑,16*

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11. Stratégie différenciation

3,33

1,15

,05

,16**

,03

,05

‑,09

,01

‑,02

‑,15*

,10

,16*

1

 

 

 

 

 

 

 

 

12. Stratégie concentration

82,37

22,71

0

‑,01

,08

‑,16*

‑,05

‑,02

‑,15*

,02

,09

‑,04

,03

1

 

 

 

 

 

 

 

13. Gestion participative

3,04

,97

‑,01

,02

,12

,08

,07

,08

,10

,10

,11

‑,07

,11

‑,05

1

 

 

 

 

 

 

14. Culture de marché

4,12

1,63

0

,11

,05

,11

,10

0

‑,01

‑,07

,12

,09

,09

‑,01

,15*

1

 

 

 

 

 

15. Gestion de la qualité

4,14

1,67

‑,12

,07

,20**

,13*

,04

,08

‑,05

,02

,01

,03

,07

,09

,27**

,12

1

 

 

 

 

16. Modèle 1

,15

,35

‑,15*

‑,02

,20**

,03

‑,02

,01

‑,03

0

‑,01

,12*

,03

‑,04

,26**

,12*

,89**

1

 

 

 

17. Modèle 2

,51

1,00

‑,10

‑,02

,15*

,06

‑,03

,02

‑,03

0

‑,04

,16*

,03

‑,11

,28**

,16*

,25**

,89**

1

 

 

18. Modèle 3

3,16

3,01

‑,18**

,07

,20**

,16*

0

,07

,05

,08

,07

,20**

,09

‑,11

,42**

,20**

,82**

,73**

,82**

1

 

19. Modèle 4

,27

,44

‑,10

,09

,07

,18**

,06

,16*

,07

,07

,14*

,01

,13*

‑,02

,23**

,01

‑,15*

‑,13*

‑,15*

,26**

1

*

p ≤ 0,05 ;

**

p ≤ 0,01;

Modèle 1: Entreprises transformées; Modèle 2: Addition des pratiques; Modèle 3 : Somme des efforts; Modèle 4 : Superficielle

-> See the list of tables

Tableau 4

Régression des quatre modèles

 

Entreprises transformées

Modèle 11

Addition des pratiques

Modèle 22

Somme des efforts

Modèle 32

Superficielle

Modèle 41

 

b3

ΔR2

b

ΔR2

b

ΔR2

b

ΔR2

Perspective institutionnelle

 

 

 

 

 

 

 

 

– Mimétisme

 

 

 

 

 

 

 

 

    • Âge

0,00

 

0,00

 

0,00

 

0,00

 

    • Taille

0,00

 

0,00

 

0,00

 

0,00

 

    • Secteur d’activités

‑0,97

 

‑0,06

 

‑0,34*

 

‑0,26*

 

 

 

0,024

 

0,012

 

0,048*

 

0,040*

– Coercitifs

 

 

 

 

 

 

 

 

    • Pression concurrentielle

‑0,32

 

‑0,08

 

0,00

 

0,24

 

    • Internationalisation

0,03

 

0,12*

 

0,04**

 

0,00

 

    • Cotée en bourse

‑0,29

 

‑0,04

 

0,35

 

0,87*

 

    • Composition du C.A.

0,00

 

0,00

 

0,00

 

0,00

 

    • Syndicalisation

‑0,01

 

0,00

 

0,00

 

0,01

 

    • Croissance

‑0,01

 

0,00

 

0,00

 

0,02*

 

 

 

0,021

 

0,030

 

0,060

 

0,063*

ΔR2

 

0,045

 

0,042

 

0,108*

 

0,103**

Perspective contingente

 

 

 

 

 

 

 

 

– Stratégies externes

 

 

 

 

 

 

 

 

    • Stratégie de coûts

0,53

 

0,16*

 

0,51*

 

0,52*

 

    • Stratégie de différenciation

0,16

 

‑0,04

 

‑0,03

 

0,05

 

    • Stratégie de concentration

‑0,01

 

‑0,01*

 

‑0,01

 

0,00

 

 

 

0,021

 

0,033

 

0,032

 

0,022

– Stratégies internes

 

 

 

 

 

 

 

 

    • Gestion de la qualité

0,19

 

0,09*

 

0,35***

 

0,24*

 

    • Culture de marché

0,12

 

0,07

 

0,23*

 

‑0,16

 

    • Gestion participative

0,96***

 

0,25***

 

0,98***

 

0,29

 

 

 

0,079***

 

0,110***

 

0,177***

 

0,044*

ΔR2

 

0,100***

 

0,143***

 

0,209***

 

0,066*

MODÈLE GLOBAL

 

0,145**

 

0,185***

 

0,317***

 

0,169**

p ≤ 0,10 ;

*

p ≤ 0,05 ;

**

p ≤ 0,01 ;

***

p ≤ 0,001

1

Les résultats présentés ont été obtenus par le biais d’une analyse de régression logistique étant donné le caractère binaire de la variable dépendante.

2

Les résultats présentés ont été obtenus par le biais d’une analyse de régression linéaire multiple étant donné l’utilisation d’une échelle graduée pour la variable dépendante.

3

Les coefficients de régression présentés sont non standardisés.

-> See the list of tables

En ce qui a trait à la perspective contingente, les résultats obtenus montrent qu’elle est significative pour les quatre modèles d’analyse, mais principalement pour les trois premiers dans lesquels le taux de pénétration des NFOT est considéré (modèle 1 : R2 = 0,100 ; p < 0,001 ; modèle 2 : R2 = 0,143 ; p < 0,001 ; modèle 3 : R2 = 0,209 ; p < 0,001 ; modèle 4 : R2 = 0,066 ; p < 0,05). Toutefois, cette influence ne semble pas tributaire des stratégies externes préconisées par les entreprises, ces dernières n’étant significatives que dans les modèles 2 (R2 = 0,033 ; p < 0,10) et 3 (R2 = 0,032 ; p < 0,10), ce qui confirme partiellement l’hypothèse 3. De plus, seule la stratégie de leadership par les coûts influence significativement la présence des NFOT, les deux autres stratégies externes (différenciation et concentration) n’étant pas significatives. Du côté des stratégies internes, le portrait est fort différent, ces dernières permettant d’accroître significativement le pourcentage de variance expliqué dans les quatre modèles d’analyse (modèle 1 : R2 = 0,079 ; p < 0,001 ; modèle 2 : R2 = 0,110 ; p < 0,001 ; modèle 3 : R2 = 0,177 ; p < 0,001 ; modèle 4 : R2 = 0,044 ; p < 0,05), confirmant ainsi l’hypothèse 4. Parmi les variables les plus déterminantes, notons la présence d’une gestion participative, d’une démarche qualité et, dans une moindre mesure, l’adoption d’une culture de marché. Cependant, ces stratégies internes associées au développement organisationnel semblent caractériser davantage les entreprises ayant cherché à faire une transformation profonde de leur organisation du travail que celles s’étant contenté d’agir superficiellement. En effet, le pourcentage de variance expliquée par ces stratégies est deux à trois fois plus élevé pour les trois premiers modèles d’analyse (R2 = 0,079 à 0,177 ; p < 0,001) que pour le quatrième (R2 = 0,044 ; p < 0,05).

Discussion

Cette étude cherchait à mesurer le taux de pénétration des NFOT dans les entreprises canadiennes et à identifier ce qui caractérise les entreprises ayant fait leur implantation. En comparant nos résultats à ceux des études similaires, nous constatons que nos données laissent transparaître une dispersion des pratiques tout juste équivalente à celle trouvée par les autres auteurs (Osterman, 1994a, 2000 ; Pil et MacDuffie, 1996). Ainsi, les pratiques n’auraient pas un taux de diffusion aussi élevé que celui appréhendé. Par exemple, entre 1989 et 1994, Pil et MacDuffie (1996) remarquent une croissance des pratiques novatrices liées aux nouvelles formes d’organisation du travail. Les équipes de travail et les cercles de qualité connaissent, au cours de cette période, la plus forte croissance. Nos résultats ne reflètent pas cette popularité croissante des équipes de travail. Les coûts de développement et le temps nécessaire à leur implantation peuvent expliquer l’hésitation des dirigeants à les implanter (Ichniowski et Shaw, 1995).

Si nous tenons compte du degré de pénétration, nos résultats démontrent un taux nettement plus faible d’implantation des pratiques lorsque comparé à celui observé aux États-Unis (Osterman, 1994a ; 2000). Il ressort de ces résultats que la diffusion des pratiques en profondeur et la diffusion des pratiques en étendue sont deux sujets distincts qui ne se prêtent pas à la même analyse.

Cette étude visait également à confronter deux perspectives dominantes dans le domaine de la gestion, soit la perspective institutionnelle et la perspective contingente. À la lueur des résultats obtenus, la perspective institutionnelle n’est pas dominante lorsqu’il s’agit de considérer le taux de pénétration des NFOT. Toutefois, lorsqu’il est question d’expliquer l’adoption de plusieurs pratiques faiblement implantées (moins de 33 % des employés), la perspective institutionnelle supplante la perspective contingente. Ces résultats suggèrent que les entreprises implanteraient plusieurs NFOT de façon superficielle pour répondre aux pressions concurrentielles et afin de se légitimer aux yeux des actionnaires favorables à de tels changements. Les firmes seraient ainsi poussées par le mimétisme vers une transformation superficielle supportée par des motivations d’ordre politique plutôt que stratégique (DiMaggio et Powell, 1983).

Contrairement à ce qui est soutenu par la théorie de l’inertie (Hannan and Freeman, 1977), l’âge et la taille des entreprises n’expliquent pas la présence des NFOT. En fait, les plus petites entreprises bénéficieraient de leur grande flexibilité pour initier des changements organisationnels alors que les grandes auraient accès à beaucoup plus de ressources financières, humaines et organisationnelles pour réaliser ces mêmes changements, ce qui inhiberaient l’effet de la taille (Gittleman, Horrigan et Joyce, 1998). De plus, les pratiques étudiées n’étant pas réellement récentes dans le contexte nord-américain, l’âge des entreprises ne peut qu’être trivial dans l’adoption des NFOT.

Parmi les facteurs de mimétisme étudiés, seul le secteur d’activités s’est avéré déterminant à l’égard de la présence des NFOT. Tel que stipulé par la littérature, la pression exercée sur la productivité des entreprises manufacturières depuis l’ouverture des marchés ainsi que la nature de leur processus de production les prédisposent à l’adoption des NFOT (Appelbaum et al., 2000).

En ce qui a trait aux facteurs coercitifs étudiés, l’environnement concurrentiel joue un rôle plus important que les autres. Face à une forte concurrence, et principalement lorsqu’elle provient de l’international, les organisations canadiennes doivent réagir afin de conserver leurs parts de marché, ce qui les forcerait à innover en matière d’organisation du travail afin d’accroître leur flexibilité. Ces entreprises seraient également exposées à de nouvelles idées qu’elles chercheraient à reproduire afin de demeurer concurrentielles (Osterman, 1994b). Force est de constater que la multitude des menaces de fermetures des entreprises canadiennes confrontées à la concurrence des pays à faible salaire réduit la résistance des employés à l’égard des changements liés à l’organisation du travail, ce qui constitue un terrain fertile à la mise en oeuvre des NFOT (Ichniowski et Shaw, 1995).

En matière de gouvernance, nos résultats appuient la théorie de l’agence qui stipule que les entreprises sous le contrôle des actionnaires procèdent à davantage de restructurations impliquant des changements importants en matière d’organisation du travail (Bethel et Liebeskind, 1993). En effet, lorsque le contrôle de la firme est entre les mains des gestionnaires, ces derniers sont davantage préoccupés par l’expansion et la diversification de la firme que par sa valeur au marché, leur salaire étant lié à la taille de la firme. Par conséquent, les décisions qui entraînent des risques et dont les retombées sont à moyen terme tendent à être négligées par les gestionnaires.

Nos résultats n’ont pas permis d’identifier le rôle joué par la présence syndicale dans l’adoption des NFOT. La théorie sociotechnique du travail (Trist et Bamforth, 1951) présente les NFOT comme étant une occasion pour l’entreprise de hausser sa performance tout en augmentant la satisfaction des employés. D’autres pensent que les NFOT ne sont qu’une nouvelle forme d’exploitation, voire d’asservissement des employés, à qui les employeurs demandent davantage pour le « même prix ». À cet effet, les résultats de l’étude d’Osterman (2000) montrent que l’adoption des NFOT sur une période de cinq ans a eu pour effet d’accroître les licenciements sans augmenter les salaires. La promesse de gains mutuels n’aurait donc pas été tenue. Ce raisonnement pourrait expliquer la réticence des syndicats à l’égard des NFOT (Ramsay, Scholarios et Harley, 2000).

Toutefois, les résultats d’Osterman (1994a) et de Gittleman, Horrigan et Joyce (1998) n’identifient pas la syndicalisation comme étant un déterminant des NFOT. Nos résultats abondent en ce sens. Gittleman, Horrigan et Joyce (1998) arrivent à la conclusion que la qualité de la relation entre le patronat et le syndicat est davantage déterminante que la simple présence syndicale. Comme nous n’avons pas mesuré la « qualité » des relations patronales-syndicales au sein des établissements sondés, nous ne pouvons corroborer ces résultats.

Contrairement aux propos tenus par certains chercheurs (Frost, 2000 ; Lapointe, 2001 ; Wells, 2001), les entreprises qui connaissent des problèmes de croissance ne seraient pas plus portées que les autres à implanter des NFOT. La réorganisation du travail ne serait pas nécessairement une solution de redressement. Au contraire, certaines pratiques novatrices, dont les équipes de travail, demandent une stabilité du groupe d’employés. Or, cette stabilité est précaire en situation de crise organisationnelle. Les équipes de travail, dans ce contexte, constituent un risque supplémentaire, car elles peuvent entraîner de piètres performances économiques. Les NFOT demandent beaucoup de temps et d’efforts de la part de la direction, d’où la faible possibilité d’assister à leur implantation en contexte difficile, au moment où les gestionnaires ont d’autres priorités (Batt et Appelbaum, 1995).

En ce qui a trait à la perspective contingente, nos résultats ont montré que cette approche était nettement dominante lorsqu’il était question du taux de pénétration des pratiques. En implantant les NFOT dans un milieu où elles forment un tout cohérent avec les autres dimensions de l’entreprise, elles s’en trouvent plus facilement acceptées par les employés, qui seraient à même de percevoir le lien entre toutes les composantes de leur environnement de travail (Wolfe, 1995). Bien que l’efficacité des pratiques ne puisse pas toujours être démontrée de façon rationnelle aux dirigeants et employés, la cohérence entre les pratiques fait, en soi, appel à la rationalité des acteurs.

Néanmoins, ce sont principalement les stratégies internes et non les stratégies externes qui caractérisent les organisations ayant implanté des NFOT. En effet, nos résultats suggèrent un faible pouvoir d’explication des stratégies externes, ce qui remet en cause la capacité des DRH à arrimer les changements organisationnels sur la stratégie d’affaires. Certains chercheurs argumentent que les stratégies d’affaires sont émergentes et non délibérées (Mintzberg, 1994). Cette hypothèse réduirait considérablement la possibilité d’alignement entre les pratiques de GRH et les stratégies. De plus, la relation positive observée entre une stratégie de leadership par les coûts et la présence des NFOT va à l’encontre de la littérature (Arthur, 1994 ; Huselid et Rau, 1996). Il faut noter qu’outre la qualité des produits et services, les raisons les plus souvent mentionnées à l’origine de l’implantation des NFOT sont l’accroissement de la productivité et la diminution des coûts.

Quant aux stratégies internes étudiées, nous constatons qu’elles constituent des caractéristiques spécifiques des organisations ayant implanté des NFOT. Elles représentent, plus que tout autres dimensions, des déterminants de la présence des NFOT. Tel que stipulé par la vision basée sur les ressources, les organisations chercheraient à se distinguer de la concurrence en créant une synergie entre les ressources internes sous leur contrôle. Nos résultats suggèrent que les NFOT ne seraient pas adoptées de façon isolée, mais en cohérence avec les stratégies de développement organisationnel telles que le style de gestion, la culture et les valeurs. Face à l’intensification de la concurrence, les organisations auraient privilégié une culture de marché basée sur des valeurs d’efficacité et auraient procédé à la décentralisation de l’information et du pouvoir vers les paliers hiérarchiques inférieurs afin de faciliter l’adaptation de l’organisation à son milieu tout en améliorant la rapidité et la qualité des décisions prises au quotidien (Klein, Masi et Weidner, 1995).

La même cohérence est observée à l’égard de la gestion de la qualité. En effet, l’influence de la qualité totale sur la performance organisationnelle passe avant tout par un changement profond au sein de l’organisation du travail. Le danger de « l’approche qualité » est le suivant : l’entreprise peut créer un paradoxe en augmentant les responsabilités des employés sans, en contrepartie, leur donner le pouvoir et le contrôle nécessaires à l’exercice de leurs fonctions (Drummond et Chell, 1992).

Il semble donc se dessiner une cohérence interne caractérisant les entreprises ayant implanté des NFOT. En effet, il est logique que ces pratiques aient été maintenues de pair puisqu’elles sont potentiellement complémentaires et qu’elles s’insèrent à l’intérieur d’une même logique de gestion. Ainsi les établissements sont plus susceptibles d’avoir implanté les NFOT lorsque des pratiques cohérentes ou complémentaires telles que les valeurs, la gestion de la qualité et la culture organisationnelle sont déjà en place (Pil et MacDuffie, 1996).

Conclusion

Cette recherche comble certains besoins identifiés dans la littérature en illustrant la diffusion des NFOT en fonction de leur taux de pénétration et en confrontant deux perspectives à l’origine de leur présence. Nos résultats confirment, à ce titre, que la perspective contingente explique mieux la présence des NFOT que ne le fait la perspective institutionnelle. Cette dernière est dominante uniquement lorsque le nombre de pratiques est élevé et touche peu d’employés. De son côté, la perspective contingente, principalement les stratégies internes, est davantage déterminante lorsque les pratiques touchent une proportion importante des employés.

Quelles sont donc les motivations réelles des entreprises qui implantent les pratiques : accroître leurs résultats humains, organisationnels et financiers ou redorer leur image aux yeux des investisseurs, des créanciers et de la société ? Selon nos résultats, le motif à l’origine de l’implantation des NFOT pourrait être directement lié à la réalité du changement organisationnel opéré : les entreprises qui adoptent une démarche rationnelle et stratégique d’implantation des NFOT le font pour réaliser un changement profond et cohérent avec leurs caractéristiques internes. Toutefois, les entreprises qui n’implantent les pratiques que par mimétisme ou pour se doter d’une image socialement désirable, bien qu’elles paraissent le faire, ne transforment pas réellement leur organisation du travail.

Cette recherche comporte certaines limites : l’étude a été réalisée auprès d’établissements canadiens seulement. Ainsi, nous doutons qu’elle soit généralisable aux pays dont le cadre institutionnel diffère du cadre canadien. Du côté des répondants, leurs fonctions de cadre les éloignent possiblement des opérations. Les répondants sont peut-être peu au fait de l’application réelle des pratiques. Notons également leur parti pris possible, eux qui figurent potentiellement parmi ceux ayant instauré les pratiques.

En termes d’avenue de recherche, il serait important de comprendre pourquoi certaines organisations hésitent avant d’implanter les NFOT ou les abandonnent après quelques années. De plus, il serait pertinent d’analyser la qualité des relations patronales-syndicales en tant que déterminant de l’implantation et du succès des NFOT. Enfin, il faudrait vérifier si les entreprises ayant implanté les NFOT en synergie avec leurs stratégies internes obtiennent plus de succès que celles n’ayant pas cherché à créer cette cohérence.