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Le modèle productif du travail fondé sur la production de masse est en crise et les paramètres des systèmes de gestion et de l’organisation du travail qui ont fait la force du modèle fordiste lors de ce que l’on a appelé les « trente glorieuses » ne permettent plus de rencontrer l’efficacité d’autrefois. Sous les forces de la mondialisation des économies, des transformations technologiques, des exigences de flexibilité pour répondre aux besoins des clients ou encore des aspirations nouvelles des travailleurs, le travail est ainsi en mutation. Mais, s’agit-il réellement d’un nouveau modèle ? Si oui, quelles en sont les formes ? Quels en sont les impacts pour les travailleurs ? Quels sont les paramètres pouvant favoriser sa diffusion et son institutionnalisation ? Voilà autant de questions auxquelles s’intéressent ce livre qui comporte cinq chapitres rédigés par des auteurs différents.

Après avoir examiné la montée et le déclin du modèle fordiste, le premier chapitre, rédigé par Jacques Bélanger, Anthony Giles et Gregor Murray, trace les grandes lignes d’un nouveau modèle qui se dessine et en examine les possibilités de consolidation. Les auteurs situent leur analyse à un niveau d’abstraction permettant une généralisation du modèle de production selon trois sphères en interaction, soit la gestion de la production, l’organisation du travail et les relations d’emploi. Le nouveau modèle de production qui se dessine se base sur les principes de flexibilité de la production et la standardisation des processus (plutôt que des produits) pour la première sphère; l’augmentation des compétences et des savoirs ainsi que de l’autorégulation et de la polyvalence pour la deuxième et d’un transfert des risques vers les employés (plus grande flexibilité d’emploi associée à une réduction de la sécurité d’emploi) et de la promotion de l’adhésion sociale pour la troisième. Le nouveau modèle est porteur de nombreuses tensions entre ces principes entraînant une instabilité de celui-ci. Ces tensions internes associées à un faible encadrement institutionnel retardent la diffusion du nouveau modèle productif. De plus, la faiblesse du mouvement ouvrier ne favorise pas un renforcement de cet encadrement institutionnel.

Dans le second chapitre, Paul Edwards, John Geary et Keith Sisson s’intéressent à la portée des nouvelles formes d’organisation du travail basées sur la participation des travailleurs dans la définition de la nature de leurs tâches et la manière de les exécuter. Après avoir traité de questions méthodologiques devant être prises en considération dans les études comparatives (définition, taux de réponse, échantillonnage, etc.), les auteurs présentent l’étendue des nouvelles formes d’organisation du travail à partir d’études nationales aux États-Unis, en Europe et au Japon, pour ensuite examiner les conditions favorables à leur expansion à partir d’études de cas. L’intérêt pour les nouvelles formes d’organisation du travail est répandu, mais les formes les moins radicales sont les plus utilisées. Les formes plus avancées de participation associées au modèle suédois constituent l’exception. Dans leur analyse, les auteurs concluent que l’on n’est pas passé d’un modèle de contrôle et de rigidité à un modèle de responsabilisation et de flexibilité. Les nouvelles formes d’organisation du travail ne constituent pas la fin de la régulation, mais une nouvelle forme de celle-ci alors q’une plus grande autonomie des travailleurs peut aller de pair avec un contrôle accru exercé de façon plus distante et moins immédiate. Les nouvelles formes d’organisation du travail devraient perdurer tant que les bénéfices dépasseront les coûts, mais il n’est pas certain qu’elles deviennent des figures emblématiques de la période actuelle.

Le troisième chapitre, par Eileen Appelbaum, traite des aspects des modèles de travail à haute performance, ainsi que des effets contradictoires de ces modèles sur le travail et des incidences sur les travailleurs. Le travail à haute performance est basé sur une organisation du travail donnant la possibilité de participer aux décisions ainsi que des pratiques de gestion des ressources humaines qui améliorent les compétences et incitent les travailleurs à participer. Ces modèles de travail entraînent des effets contradictoires essentiellement parce qu’ils visent à répondre aux besoins des gestionnaires et non à ceux des travailleurs et que des grappes de pratiques sont adoptées comme un tout sans se soucier des effets contradictoires sur les employés. Il peut en résulter une plus grande autonomie, mais une perte de contrôle sur le rythme de travail, ou encore un accroissement des récompenses intrinsèques et une augmentation du stress. La conclusion du chapitre est néanmoins que les régimes à haute performance ne sont pas aussi mauvais pour les travailleurs que certains le prétendent et que les avantages peuvent dépasser les inconvénients.

Le quatrième chapitre analyse les liens entre les innovations organisationnelles et les institutions en matière de travail pour comprendre l’évolution et les difficultés de diffusion d’un nouveau modèle productif. Les auteurs de ce chapitre, Paul R. Bélanger, Paul-André Lapointe et Benoît Lévesque, se basent sur la théorie de la régulation pour analyser les rapports entre les instances organisationnelles et institutionnelles ainsi que les espaces micro et macro au sein desquels se développent les innovations du travail. Les changements adoptés au niveau micro dans les entreprises ne rencontrent pas les conditions favorisant leur diffusion et leur impact durable, particulièrement les contreparties à donner aux travailleurs et le développement du partenariat. Le cadre macro-institutionnel demeure inchangé de sorte qu’un déficit institutionnel se creuse pour assurer la durabilité des innovations. En se fondant sur le cas québécois où les conditions sont plutôt favorables aux innovations organisationnelles, les auteurs constatent malgré tout que les modifications institutionnelles tardent à venir en raison d’un blocage au niveau macrosocial. Il en résulte une diffusion limitée, voire bloquée des innovations au sein des entreprises.

Le dernier chapitre explore les rapports entre les politiques publiques et les nouvelles pratiques en milieu de travail. À partir de la situation nord-américaine, Richard P. Chaykowski et Morley Gunderson analysent les adaptations des politiques publiques sous l’influence du marché du travail externe et interne aux entreprises. Les changements provoquent un besoin d’élaboration de politiques pour faire face aux conséquences des adaptations du marché du travail (licenciements, déplacements d‘emploi, besoin de recyclage, polarisation des revenus, etc.). Cette demande accrue pour de nouvelles initiatives gouvernementales est confrontée à des pressions pour réduire la réglementation du marché du travail qui entraîne une augmentation des coûts et réduit la flexibilité. Les auteurs proposent néanmoins des pistes générales de solution pour faire face aux différents problèmes engendrés par les innovations et pour supporter la diffusion de celles qui sont les plus fructueuses en termes d’impact social positif. L’État pourrait à tout le moins servir d’exemple à ce niveau en s’engageant lui-même dans des pratiques novatrices.

Les auteurs du livre se situent à l’intérieur des paradigmes des relations industrielles et les transformations du travail sont analysées à la lumière des grandes composantes de ces systèmes. Le lecteur qui cherche à comprendre les innovations du monde du travail sous l’angle de la sociologie des organisations y trouvera moins son compte, mais tel n’est pas le propos du livre qui porte moins sur les transformations des organisations que sur les transformations du système productif à l’intérieur de celles-ci. Ce collectif présente certaines limites des ouvrages rédigés à plusieurs auteurs qui se répartissent la responsabilité d’élaborer ses diverses parties. Les chapitres traitent certes d’aspects complémentaires de l’émergence et de la diffusion d’un nouveau modèle d’organisation de la production et du travail, toutefois, des cadres d’analyses différents à partir d’expériences d’innovations dans des contextes variables peuvent rendre plus ténu le fil conducteur du livre. Dans ce sens, les chapitres pourraient constituer des oeuvres distinctes qui peuvent être lues indépendamment des autres. Malgré des approches différentes, le livre a toutefois le mérite de ne pas présenter de contradiction entre les chapitres. L’introduction constitue également un texte intégrateur permettant de concilier les divers cadres d’analyse des auteurs. Une conclusion ouvrant vers des perspectives d’avenir du nouveau modèle productif, que ce soit dans les pays industrialisés ou dans les pays en développement (non traités dans le livre) aurait été appréciée.

En résumé, cet ouvrage sur les transformations qui marquent le monde du travail saura intéresser le lecteur qui désire se distancer du terrain des expérimentations pour se situer à un niveau conceptuel permettant de mieux comprendre les caractéristiques fondamentales et les impacts d’un nouveau modèle productif ainsi que les difficultés liées à sa diffusion.