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Les gestionnaires jouent un rôle important dans la mobilisation des employés. Dans le cas particulier des professionnels, ce sujet revêt d’autant plus d’importance que la mobilisation des compétences constitue un facteur crucial au succès organisationnel. Cette mobilisation est cependant difficile, car certains styles de gestion du supérieur – sans doute trop directifs – peuvent bloquer « le potentiel d’initiative » des professionnels pour reprendre l’expression d’Yves Clot (1999). En effet, les principaux obstacles à la mobilisation proviennent, selon une étude qualitative (Wils et al. 1998), d’un style de gestion inadéquat : manque de transparence, manque de respect, favoritisme, obsession du contrôle, mépris des employés.

Contrairement à ces styles dysfonctionnels, d’autres styles de gestion « plus ouverts » devraient avoir un impact positif sur leurs comportements de mobilisation parce qu’ils activent positivement des attitudes clés du processus de mobilisation des employés comme, par exemple, l’engagement affectif, la responsabilisation ou le sentiment de justice (Tremblay 2002). D’autre part, la perspective théorique du choc des cultures (Raelin 1985) suggère que les professionnels valorisent l’autonomie, ce qui les amène à préférer un gestionnaire ayant un style de gestion « ouvert et peu contrôlant ». Force est de constater que ces perspectives théoriques entrent en contradiction avec les résultats d’une étude empirique selon laquelle les professionnels « se plaignent plus de ne pas être assez contrôlés […] que d’être enrégimentés » (Julien 1991c : 603). De ce résultat surprenant découle l’objectif principal de cette étude, à savoir réanalyser les données de Julien en gardant toutefois dans la mire la question de la mobilisation. En effet, peu d’études empiriques ont examiné le lien entre les styles de gestion et la mobilisation, lacune que cette réanalyse de données peut combler, en partie, en privilégiant le rôle joué par le gestionnaire dans la mobilisation des employés. Pour ce faire, nous analyserons les données en faisant appel à deux approches : (1) une approche statistique traditionnelle (méthodes statistiques telles que l’analyse factorielle exploratoire ou l’analyse typologique) et (2) une approche moderne (analyse factorielle confirmatoire et équations structurelles)

Réanalyse traditionnelle des données

Style de gestion et satisfaction

Pour arriver à la conclusion que les professionnels se plaignent plus de ne pas être assez contrôlés que d’être enrégimentés, Julien (1991c) s’est basé sur l’identification de plusieurs styles de gestion dont, entre autres, un style de type « abdicataire », celui de directif ou celui de dominateur. Il est donc nécessaire de vérifier l’existence empirique de ces styles de gestion. Ensuite il faut vérifier que l’insatisfaction des professionnels envers le style du supérieur est plus forte avec le style de gestion « abdicataire » qu’avec les styles de gestion plus « contrôlants » comme le directif et le dominateur. Et même si ce résultat était confirmé, encore faudrait-il montrer que les styles de gestion plus « contrôlants » soient associés à un niveau élevé de satisfaction (et non à une moindre insatisfaction) et que cette satisfaction influe sur des comportements comme la mobilisation !

Rappel méthodologique

Les données de cette étude proviennent d’une enquête par questionnaires qui a été réalisée par Julien auprès des professionnels de la fonction publique du Québec. Un échantillon probabiliste de 4 502 professionnels a été tiré d’une population de près de 13 000 professionnels. Au total, l’échantillon utilisable se compose de 2 289 professionnels, soit un taux de réponse de 50,8 % (voir Julien 1991c pour plus de détails concernant cet échantillon). Pour ce qui est des mesures, le style de gestion a été opérationnalisé à l’aide de 25 énoncés. Les professionnels devaient évaluer chaque énoncé à l’aide d’une échelle de Likert allant de « 1 = pas du tout important » à « 5 = extrêmement important ». À titre d’exemple, un de ces énoncés se lit comme suit : « Veiller à bien planifier et coordonner le travail du personnel ». Quant à la satisfaction envers le style de gestion du supérieur, elle a été mesurée à l’aide de huit énoncés reliés aux relations humaines, à la participation, à l’esprit d’équipe, à l’encadrement et à la recherche de l’excellence avec une échelle de Likert allant de « 1 = pas du tout satisfait » à « 5 = entièrement satisfait ».

Procédures statistiques de la réanalyse

Lors de la réanalyse des données de Julien, nous avons scindé au hasard l’échantillon en plusieurs sous-échantillons afin de pouvoir suivre une procédure de validation croisée. Le premier sous-échantillon a servi à l’analyse traditionnelle des données tandis que les autres sous-échantillons seront utilisés pour l’analyse moderne des données. Ainsi, l’analyse factorielle exploratoire a été réalisée sur le premier sous-échantillon pour identifier les dimensions des styles de gestion alors que le deuxième sous-échantillon servira à l’analyse factorielle confirmatoire pour vérifier les résultats obtenus avec l’analyse factorielle exploratoire. Le troisième sous-échantillon sera utilisé pour confirmer les résultats obtenus suite aux modifications suggérées par l’analyse factorielle confirmatoire précédente. Les autres sous-échantillons seront utilisés pour les analyses ultérieures : par exemple, un sous-échantillon a été réservé pour tester le modèle avec les équations structurelles tandis qu’un autre servira à confirmer les résultats obtenus suite aux modifications suggérées par l’analyse précédente. Mis à part le premier échantillon qui a une taille de 300 (nécessaire pour l’analyse factorielle exploratoire des 25 énoncés reliés au style de gestion), les autres échantillons ont approximativement une taille de 200, ce qui est conseillé pour tester des modèles simples avec des analyses d’équations structurelles (Ullman 2001 ; Roussel et al. 2002). Enfin SPSS et Amos Basic ont servi respectivement à l’analyse traditionnelle et à l’analyse moderne des données.

Résultats relatifs aux styles de gestion

Dans son questionnaire, Julien (1991a, 1991b) avait regroupé les énoncés utilisés pour opérationnaliser les styles de gestion en cinq catégories : encadrement, recherche de l’excellence, relations humaines, participation et esprit d’équipe (avec cinq énoncés par catégorie). Dans un premier temps, il a soumis les données portant sur les 25 énoncés relatifs aux styles de gestion à une analyse factorielle exploratoire (ACP), ce qui a permis d’identifier deux dimensions, à savoir l’intérêt pour le bien-être du personnel et l’intérêt pour la réalisation du travail. Les résultats de notre ACP confirment les résultats de Julien (saut important entre le deuxième et le troisième facteur ; 61 % de variance expliquée, seulement trois doubles saturations). La première dimension regroupe 17 énoncés alors que la deuxième se compose de huit énoncés dont trois présentent cependant des doubles saturations.

Dans un deuxième temps, Julien (1991a) a identifié neuf styles de gestion en divisant chacune des deux dimensions issues de l’ACP en trois avec des points de coupure arbitraires. Il a nommé ces neuf styles de gestion ainsi : abdicateur (faible score sur les deux dimensions), opportuniste (score moyen sur les deux dimensions), persuasif (score élevé sur les deux dimensions), délégateur (moyen sur le bien-être et faible sur la réalisation), collégial (élevé et faible), consultant (élevé et moyen), directif (faible et moyen), dominateur (faible et élevé) et séducteur (moyen et élevé). Cette façon de procéder présente un risque important, car elle peut conduire à identifier des types fictifs, c’est-à-dire des types qui ne correspondent pas à la réalité. De plus, certains types peuvent être très proches les uns des autres ou se chevaucher, ce qui peut conduire à des résultats mitigés (voire érronés) et nuire à l’interprétation. Bref, une question clé consiste à vérifier s’il existe vraiment « neuf types » de style de gestion.

Pour répondre à cette question, nous avons retenu tout l’échantillon pour réaliser une analyse par grappes (méthode « Ward ») en utilisant les deux dimensions identifiées par Julien. Le nombre de groupes a été identifié à l’aide des sauts des indices de fusion. Il est important de noter que le même nombre de groupes a été identifié quand la méthode « Average » est utilisée au lieu de la méthode « Ward ». Au total, seulement cinq types ont émergé de l’analyse. Pour s’assurer de la stabilité des types de style de gestion, nous avons aussi eu recours à une analyse par grappes avec la méthode « Quick cluster » en fixant le nombre de groupes à « cinq ». Ensuite, seules les observations qui appartiennent aux mêmes types de styles dans chacune des deux taxonomies (issues des méthodes « Ward » et « Quick cluster ») ont été gardées. En dernier lieu, cette taxonomie « robuste » a été croisée avec les neuf types de Julien. Les résultats du croisement indiquent peu de convergence entre la taxonomie robuste et la typologie[1] de Julien. Par exemple, le premier groupe de la taxonomie robuste se compose de 54 % de directifs et de 32 % d’abdicataires tandis que le cinquième groupe regroupe 50 % de consultants et de 49 % de persuasifs. Il est donc clair que les neuf types de Julien ne correspondent pas à la structure des données et que la façon utilisée par Julien pour identifier les types peut sans doute expliquer les résultats surprenants mentionnés dans son étude. En reprenant les appellations de Julien et en utilisant le poids des différents types exprimé en termes de fréquence, les cinq types de style de gestion de la taxonomie robuste ont été nommés de la façon suivante : (1) directif/abdicataire, (2) opportuniste/directif, (3) opportuniste, (4) opportuniste/consultant et (5) consultant/persuasif.

Satisfaction des professionnels envers le style de gestion du supérieur

Vu que Julien (1991c) considère le concept de satisfaction des professionnels envers le style de gestion du supérieur comme unidimensionnel, il convient de vérifier si ce niveau de satisfaction varie en fonction des cinq styles de gestion. En utilisant un score global de satisfaction envers le style de gestion du supérieur, les moyennes pour chacun des cinq types de style de gestion sont significativement différentes pour tous les groupes (ANOVA simple, test LSD) comme le montre le tableau 1.

Le tableau 1 met en évidence trois résultats. Premièrement, il existe une relation positive entre les deux orientations sur laquelle se situent les cinq types de style de gestion (voir les valeurs des centroïdes dans la deuxième colonne). Deuxièmement, la satisfaction des professionnels envers le style de gestion du supérieur tend à augmenter en fonction des cinq types de style de gestion (voir la quatrième colonne). En accord avec les perspectives théoriques de la mobilisation et du choc des cultures, ces résultats montrent qu’un style plus ouvert (consultant ou persuasif) va de pair avec une satisfaction accrue des professionnels envers leurs supérieurs. Troisièmement, force est de constater que le style de gestion de type « abdicataire/directif » est associé à l’insatisfaction des professionnels. Autrement dit, ne pas se soucier du bien-être des professionnels tout en étant directif conduit à l’insatisfaction des professionnels !

Tableau 1

Satisfaction des professionnels envers les cinq types de styles de gestion

Satisfaction des professionnels envers les cinq types de styles de gestion

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D’autre part, l’interprétation des résultats par Julien prête le flanc à une autre critique majeure. Selon Julien (1991c : 587), « le style de gestion d’un cadre est décrit par son intérêt pour la réalisation du travail, le bien-être du personnel et le pouvoir ». Ainsi, chacun des neuf styles de gestion a été associé à deux dimensions mesurées (réalisation du travail et bien-être) et à une troisième dimension non mesurée, celle de l’intérêt pour le pouvoir : l’abdicataire, le délégateur et le collégial sont supposés, selon Julien, avoir un faible intérêt pour le pouvoir tandis que le directif, le dominateur et le séducteur sont censés avoir un goût élevé pour le pouvoir (l’opportuniste, le consultant et le persuasif ayant un intérêt moyen pour le pouvoir). Le problème avec la démarche de Julien est que l’intérêt pour le pouvoir n’a pas été mesuré empiriquement. En fait, le style de gestion n’a été décrit que par l’intérêt pour la réalisation du travail et le bien-être du personnel. Dès lors, il faut interpréter avec prudence tout résultat statistique reliant l’intérêt pour le pouvoir (variable non mesurée) avec d’autres variables comme la satisfaction envers le style de gestion. Il nous semble donc risqué d’affirmer que « les professionnels aiment moins l’indépendance que la dépendance hiérarchique » (Julien 1991c : 603) parce que la notion de pouvoir n’a pas été mesurée. De plus, nos résultats révèlent que le directif et l’abdicataire constituent un seul style, même si l’intérêt pour le pouvoir est supposé être élevé pour le directif et faible pour l’abdicataire selon Julien ! Dans un tel cas de figure, il faudrait sans doute s’abstenir d’interpréter les résultats en termes de pouvoir et de contrôle. Enfin, on peut même se demander si le directif et le dominateur sont des appellations adéquates pour désigner ces styles de gestion en l’absence d’une mesure empirique du pouvoir.

Réanalyse moderne des données

Concept de mobilisation

Pour investiguer les relations entre les variables du cadre conceptuel, Julien a principalement utilisé des statistiques bivariées. Les résultats de ses analyses auraient été plus robustes si des statistiques multivariées avaient été utilisées. Avec la venue des méthodes d’équations structurelles, il est maintenant possible d’obtenir des analyses encore plus puissantes. Ces méthodes seront utilisées pour corroborer les résultats de l’analyse traditionnelle de données, c’est-à-dire pour vérifier l’impact des styles de gestion sur la satisfaction tout en vérifiant également leur impact sur des comportements comme la mobilisation. Le concept de mobilisation est à la fois récent et d’origine francophone. Afin de construire le concept de mobilisation, Wils et coll. (1998) ont utilisé l’induction pour obtenir un « concept opératoire isolé » (Quivy et van Campenhoudt 1995). De cette approche découle la définition suivante d’un employé mobilisé : « une personne qui déploie volontairement des efforts au-dessus de la normale pour améliorer continuellement son travail, pour l’aligner stratégiquement (c’est-à-dire sur les priorités organisationnelles) et pour le coordonner au sein de son équipe de travail en coopérant » (Wils et coll. 1998 : 3).

Étrangement, ce concept est pratiquement inconnu dans le milieu anglo-saxon. Par exemple, les Américains utilisent plutôt d’autres expressions comme organizational commitment (Mowday, Steers et Porter 1979 ; Allen et Meyer 1990) ou organizational citizenship behaviors (Organ 1988 ; Podsakoff et al. 2000). Le concept de mobilisation est cependant distinct de ces deux concepts connexes. La mobilisation touche aux comportements alors que l’organizational commitment est la plupart du temps conceptualisé comme une attitude. D’autre part, la mobilisation a trait à des comportements orientés spécifiquement vers une finalité (ou cause) contrairement au concept d’organizational citizenship behaviors. En outre, la mobilisation revêt un caractère collectif qui se traduit par des efforts individuels (amélioration continue) ou sociaux (aide ou coopération) d’une équipe de travail (voire de l’ensemble du personnel) vers des priorités organisationnelles explicites.

Modèle d’analyse

Tel que présenté par Julien (1991c : 585), le but de son étude visait « à identifier les principales composantes du problème de démobilisation des professionnels et à en circonscrire l’étendue, la signification et les sources ». Compte tenu du cadre conceptuel proposé par Julien, il est possible de bâtir un modèle d’analyse[2] qui relie les styles de gestion à la mobilisation en passant par la satisfaction des professionnels envers le style de gestion de leurs superviseurs. Ce cadre serait en accord avec les écrits plus récents sur les comportements discrétionnaires parce que ces comportements partagent avec ceux de mobilisation plusieurs caractéristiques, comme fournir des efforts volontaires au-delà des attentes normales. D’après Organ (1988), il existerait une relation d’échange social selon laquelle un employé module les efforts discrétionnaires à fournir en fonction de ce qu’il reçoit de la part de son organisation. Selon cette théorie, la perception de justice serait un concept clé pour comprendre les comportements discrétionnaires des employés.

Bien que la mobilisation puisse être influencée par de multiples facteurs explicatifs comme les pratiques de ressources humaines ou les normes sociales, elle est surtout influencée par le style de gestion du supérieur immédiat[3]. Un style de gestion constitue une pratique informelle de gestion qui, selon l’étude qualitative de Wils et coll. (1998), explique davantage la mobilisation que les pratiques formelles RH.

Style de gestion en tant que facteur explicatif de la mobilisation

Le lien entre le style de gestion et la mobilisation peut s’expliquer par une réaction affective des employés, à savoir leur satisfaction envers le style de gestion de leur supérieur. Cette satisfaction résulte de l’adoption par un gestionnaire d’un ensemble de comportements ou pratiques informelles de gestion. Autrement dit, les caractéristiques de ce style de gestion produisent des stimuli auxquels réagissent les employés. Selon la théorie des échanges sociaux, les employés adopteraient des comportements de mobilisation en échange de récompenses comme la valorisation ou la reconnaissance qu’ils retirent de la relation avec leur supérieur. Leur satisfaction envers le style de gestion de leur supérieur ne serait alors qu’une manifestation de cet échange positif.

Sur le plan empirique, aucune étude n’a étudié, à notre connaissance, le lien entre le style de gestion et la mobilisation. En revanche, plusieurs études ont montré l’impact positif d’un style de gestion davantage orienté vers la personne et la participation sur la satisfaction des employés envers leur supérieur (Atwater et Yammarino 1993 ; Steers 1988). De surcroît, des auteurs (Bolon 1997) ont établi un lien empirique entre la satisfaction au travail et les comportements discrétionnaires. Il est ainsi plausible que la satisfaction envers le style de gestion du supérieur soit une variable intermédiaire entre le style de gestion et la mobilisation. Dans les travaux de Julien, le style de gestion se compose de deux dimensions : intérêt pour le bien-être du personnel et intérêt pour la réalisation du travail. Étant donné qu’il s’agit de deux dimensions distinctes, il est raisonnable de postuler que chacune de ces dimensions produit des stimuli différents auxquels vont réagir les professionnels.

En adoptant un style de gestion susceptible de réaliser les attentes des professionnels (discussions au sujet de la carrière ou participation par exemple), le supérieur pourrait susciter une réaction positive de leur part parce que ce serait une manière de leur montrer qu’ils sont suffisamment importants pour qu’on leur fasse confiance. Ainsi, adopter un style de gestion davantage axé sur la consultation, la participation et le travail en équipe serait une façon utilisée par le supérieur pour affirmer l’importance qu’il accorde à la ressource humaine. Inversement, le manque d’intérêt pour le bien-être du personnel pourrait entraîner des réactions négatives, car cela témoignerait que le personnel ne serait qu’une ressource parmi d’autres et que le travail professionnel est peu important, ce qui conduirait à des insatisfactions professionnelles intenses (Guérin, Wils et Lemire 1996). Ce raisonnement conduit à la formulation de la première hypothèse : plus l’intérêt du supérieur pour le bien-être du personnel est élevé, plus la satisfaction des professionnels envers cette orientation du supérieur est élevée.

D’autre part, un supérieur qui démontre des talents de gestionnaire en proposant des objectifs clairs, des échéanciers réalistes, etc., tout en donnant de l’aide et des gratifications, pourrait affecter positivement la satisfaction des professionnels envers cette facette de son style de gestion, car il renforcerait la perception que les professionnels reçoivent un support organisationnel. À ce propos, plusieurs auteurs (Wayne, Shore et Linden 1997) ont montré l’importance du support organisationnel dans l’adoption des comportements discrétionnaires. Inversement, un contrôle trop pointilleux du travail ou un laxisme au niveau de la coordination du travail issus d’une faiblesse au niveau de l’intérêt pour la réalisation du travail pourraient entraîner des réactions négatives parce que les professionnels y verraient une atteinte à leur autonomie dans le premier cas de figure ou un frein à la réalisation de leur travail dans le second cas de figure. D’où la deuxième hypothèse : plus l’intérêt du supérieur pour la réalisation du travail est élevé, plus la satisfaction des professionnels envers cette orientation du supérieur est élevée.

Selon le modèle proposé (voir la figure 1), un professionnel ne réagirait donc pas à un style de gestion, mais plutôt aux différentes facettes sous-tendant ce style. Dans un contexte de mobilisation, la satisfaction retirée de la première dimension (bien-être) risque de jouer un rôle dans le mécanisme de mobilisation parce qu’elle renforce les sentiments de confiance en soi et de compétences qui sont à l’origine des comportements de mobilisation. D’autre part, la satisfaction retirée de la seconde dimension (réalisation du travail) risque aussi d’influencer positivement la mobilisation. Le fait que le supérieur assume pleinement son rôle de gestionnaire en veillant à ce qu’un travail de qualité soit réalisé selon certaines modalités (respect des échéances ou des procédures) tout en donnant de la reconnaissance et des gratifications pour un travail bien fait, est de nature à générer une satisfaction quant à la transaction entre le supérieur et l’employé. Cette satisfaction, qui découlerait d’un sentiment de justice, inciterait à se mobiliser : les employés qui perçoivent recevoir du support de leur supérieur vont à leur tour soutenir leur organisation en adoptant des comportements de mobilisation comme cela a été constaté pour les comportements discrétionnaires (Settoon, Bennett et Linden 1996). En résumé, chacun de ces deux types de satisfaction devrait entraîner un impact positif sur la mobilisation comme le stipulent les deux dernières hypothèses : plus la satisfaction des professionnels envers l’orientation de bien-être du personnel adoptée par leur supérieur est élevée, plus la mobilisation des professionnels est forte ; plus la satisfaction des professionnels envers l’orientation de réalisation du travail adoptée par leur supérieur est élevée, plus la mobilisation des professionnels est élevée.

Figure 1

Modèle d’analyse

Modèle d’analyse

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Rappel méthodologique

Dans le sondage de Julien, la mesure de la mobilisation consiste à demander aux professionnels de se prononcer, à l’aide d’une échelle de Likert allant de « 1 = aucunement à 5 = pleinement », sur une liste de sept comportements qui sont généralement adoptés par le personnel de leur unité de travail. Ces comportements correspondent assez bien à la définition de la mobilisation : fournir un travail de la meilleure qualité possible, faire de grands efforts pour accomplir le travail dans les délais fixés, essayer d’améliorer la qualité du travail ou chercher de nouvelles méthodes pour améliorer le rendement au travail. Une dernière question[4], qui a été recodée, s’énonçait ainsi : « Diriez-vous qu’en général les membres de votre unité fournissent plus, autant ou moins d’effort que vous au travail » (avec une échelle allant de « 1 = beaucoup plus que moi » à « 5 = beaucoup moins que moi »).

Résultats relatifs aux styles de gestion

Selon Julien (1991a, 1991b), le style de gestion se compose de cinq dimensions : encadrement, recherche de l’excellence, relations humaines, participation et esprit d’équipe (avec cinq énoncés par catégorie). Les résultats d’une analyse factorielle confirmatoire ne soutiennent pas une telle structure sous-tendant les styles de gestion (valeur des indices[5] d’ajustement aux données : CMIN/df = 2,9 significatif à 0,000 ; GFI = 0,82 ; CFI = 0,92 ; RMSEA = 0,08). Selon Byrne (2001), ces indices devraient être idéalement les suivants : CMIN/df < 2 et être non significatif ; GFI > 0,90 ; CFI > 0,95 et RMSEA < 0,06 (mais pas supérieur à 0,10). Il était donc justifié de réaliser une ACP comme l’a fait Julien. Il faut cependant vérifier l’existence des deux orientations distinctes de gestion mises à jour par l’analyse factorielle exploratoire à partir du premier sous-échantillon. Pour ce faire, nous avons réalisé une analyse factorielle confirmatoire sur un autre sous-échantillon, en retenant les cinq énoncés ayant les coefficients de saturation les plus élevés sur chacune des deux dimensions. Les résultats de l’analyse factorielle confirmatoire n’étant pas satisfaisant (CMIN/df = 3,8 significatif à 0,000 ; GFI = 0,90 ; CFI = 0,89 ; RMSEA = 0,12), des énoncés ont été retirés en suivant les modifications suggérées par Amos en vue d’en arriver à une solution satisfaisante. Ensuite, nous avons soumis cette solution à nouveau à une analyse factorielle confirmatoire sur un troisième sous-échantillon. Les résultats de cette analyse sont satisfaisants (CMIN/df = 1,79 ; GFI = 0,97 ; CFI = 0,98 ; RMSEA = 0,059). Le premier facteur (relié à l’intérêt pour le bien-être du personnel) se compose de quatre énoncés (alpha de Cronbach de 0,89) tandis que le deuxième facteur (relié à l’intérêt pour la réalisation du travail) en comprend trois (alpha de Cronbach de 0,64). À titre d’illustration, le premier facteur englobe des énoncés comme « veiller à créer un esprit de collaboration entre les personnes », « considérer sérieusement les avis des membres de l’unité de travail lors de la prise de décision » ou « consulter les employés avant de prendre une décision qui les concerne ». Quant au deuxième facteur, il regroupe des énoncés tels que « insister sur le respect des échéances » ou « exiger que les individus observent les règles et les procédures de l’unité de travail ». Compte tenu des énoncés contenus dans chacun des deux facteurs, la première orientation a été renommée « intérêt du supérieur pour la participation » tandis que la deuxième s’appelle maintenant « intérêt du supérieur pour l’encadrement ». Au passage, notons que cette dernière dimension constitue une certaine forme de contrôle qui est une des notions clés dans l’étude de Julien.

Résultats relatifs à la satisfaction envers le style de gestion

Il s’avère que l’unidimensionalité du concept de satisfaction envers le style de gestion du supérieur tel que postulé par Julien n’est pas supportée par les résultats d’une analyse factorielle confirmatoire (CMIN/df = 6,6 significatif à 0,000 ; GFI = 0,91 ; CFI = 0,94 ; RMSEA = 0,16). Ce dernier indice affiche en fait une valeur beaucoup trop élevée pour être acceptable (Byrne 2001). En revanche, une conceptualisation à deux dimensions semble plus adéquate. Suite aux modifications suggérées par Amos, l’ajustement aux données est nettement supérieur. En testant à nouveau cette solution sur un autre sous-échantillon, les résultats pointent vers une structure à deux facteurs (CMIN/df = 1,41 significatif à 0,18 ; GFI = 0,98 ; CFI = 0,99 ; RMSEA = 0,04). La première dimension, qui a trait à la satisfaction des professionnels envers la participation et les relations humaines, regroupe deux énoncés (alpha de Cronbach de 0,85). La deuxième dimension, qui touche à la satisfaction des professionnels envers la supervision (à savoir l’encadrement, la considération exprimée par le supérieur envers les professionnels et la qualité de ses conseils), se compose de trois énoncés (alpha de Cronbach de 0,83). Ici encore soulignons que la notion de supervision de cette dimension a trait au « support » du supérieur dont discute Julien.

Résultats relatifs à la mobilisation

Il convient aussi de vérifier l’unidimensionalité du concept de mobilisation. Malheureusement, les résultats d’une première analyse factorielle confirmatoire ne s’avèrent pas entièrement satisfaisants. Les modifications proposées par Amos ont conduit à une meilleure solution qui a été, à son tour, soumise à une analyse factorielle confirmatoire sur un autre sous-échantillon. Les résultats de cette analyse tendent à vérifier l’unidimensionalité du concept de mobilisation (CMIN/df = 2,17 ; GFI = 0,98 ; CFI = 0,99 ; RMSEA = 0,07). Cette échelle, qui se compose de trois énoncés, a un alpha de Cronbach de 0,85. Les trois énoncés retenus font référence aux aspects suivants : faire de grands efforts pour accomplir le travail dans les délais fixés, travailler d’une manière constante et travailler de façon intense.

Test du modèle d’analyse

Étant donné les modifications apportées aux mesures suite aux analyses factorielles confirmatoires, nous avons ajusté la formulation des variables en conséquence (voir la figure 2). Cependant, ce modèle d’analyse, qui a été testé sur un quatrième sous-échantillon, n’a pas pu être confirmé par les équations structurelles (CMIN/df = 4,1 significatif à 0,000 ; GFI = 0,86 ; CFI = 0,86 ; RMSEA = 0,12).

Figure 2

Modèle d’analyse testé

Modèle d’analyse testé

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Les modifications suggérées par Amos ont permis d’arriver à une solution satisfaisante qui a été testée auprès d’un autre sous-échantillon. Les résultats des équations structurelles militent en faveur de la confirmation du modèle modifié (CMIN/df = 1,72 significatif à 0,000 ; GFI = 0,92 ; CFI = 0,96 ; RMSEA = 0,056). Notons au passage que tous les coefficients du modèle (voir la figure 3) sont significatifs (C.R. > 3,8).

Figure 3

Modèle modifié et validé

Modèle modifié et validé

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Discussion

Conformément au modèle initial, l’intérêt du supérieur pour la participation influence fortement la satisfaction des professionnels envers l’orientation de participation et de relations humaines du supérieur (0,92). L’influence de l’intérêt du supérieur pour l’encadrement exerce également une influence sur la satisfaction des professionnels envers l’orientation de supervision du supérieur, mais l’intensité du lien est beaucoup moindre (0,26).

Contrairement à nos attentes, la mobilisation n’est pas influencée directement par la satisfaction des professionnels envers l’orientation de participation et de relations humaines du supérieur. Par contre, elle est influencée directement par la satisfaction des professionnels envers l’orientation de supervision du supérieur. Néanmoins il est intéressant de constater que la satisfaction des professionnels envers l’orientation de participation et de relations humaines exerce une influence indirecte sur la mobilisation en influençant fortement (0,86) la satisfaction des professionnels envers l’orientation de supervision du supérieur.

Les résultats laissent entrevoir l’importance pour un supérieur de se préoccuper de ses professionnels. En effet, la satisfaction des professionnels envers l’orientation de participation et de relations humaines du supérieur est un facteur explicatif de la satisfaction des professionnels envers son orientation de supervision. Si les employés n’ont pas le sentiment d’être important, il peut alors être vain de vouloir les mobiliser en leur jouant un rôle de « coach ». Le supérieur doit donc au préalable développer un intérêt pour la participation, ce qui signifie qu’un style autoritaire (dominateur ou directif) n’est pas approprié pour mobiliser les professionnels. Dans le contexte de la fonction publique québécoise, la mobilisation des professionnels présenterait tout un défi parce qu’elle compte, selon les données de cette enquête, 34 % (641/1 864 dans le tableau 1) de gestionnaires ayant un style plutôt directif et seulement 20 % (388/1 864) ayant un style très ouvert (consultant/persuasif).

Cette réanalyse des données comporte plusieurs limites inhérentes à la banque de données. Premièrement, la mesure de la mobilisation n’est peut-être pas la meilleure, mais actuellement il n’existe pas, à notre connaissance, un instrument valide pour mesurer ce concept. Deuxièmement, le modèle modifié explique modérément la mobilisation comme en témoigne le R2 de 0,21. Le style de gestion du supérieur reflète sans doute principalement l’aspect informel des pratiques de gestion. D’autres variables comme les pratiques formelles RH pourraient être incorporées au modèle pour en améliorer sa performance. Troisièmement, la mesure de l’intérêt du supérieur pour la réalisation du travail a besoin d’être améliorée. L’analyse factorielle exploratoire a montré un déséquilibre entre le nombre d’énoncés relatifs à l’intérêt pour le bien-être du personnel (17) et celui des énoncés reliés à l’intérêt pour la réalisation du travail (8). En outre, trois de ces huit énoncés ont été éliminés à cause des doubles saturations et deux autres le furent suite aux analyses factorielles confirmatoires. Ainsi seulement trois énoncés présentant un alpha de Cronbach à peine satisfaisant ont servi à la mesure de l’intérêt pour la réalisation du travail. Ces énoncés mesurent plus le concept d’encadrement que celui de supervision dans le sens de « coaching ». Si le supérieur doit veiller au respect des échéances et des procédures, il a aussi un rôle de support à jouer (en donnant, par exemple, des conseils) ainsi qu’un rôle de gestion vis-à-vis de son personnel (en donnant de la rétroaction, en exprimant de la considération ou en reconnaissant le travail bien fait). Le fait que la satisfaction des professionnels envers l’orientation de supervision de leur supérieur tenait davantage compte de ce rôle de « coach » alors que l’intérêt pour la réalisation du travail était axé sur l’encadrement, pourrait expliquer le lien ténu (0,26) entre ces deux variables.

Jusqu’à présent, la satisfaction des professionnels envers le style de gestion du supérieur a généralement été mesurée de façon unidimensionnelle (Scarpello et Vandenberg 1987). Une contribution de la présente étude est d’avoir montré qu’il est peut-être important de mesurer ce concept de façon multidimensionnelle à cause de la complexité des stimuli émanant des styles de gestion. Il serait souhaitable que d’autres études explorent plus à fond cette piste. Parmi les autres avenues de recherche, il faut souligner l’urgence de mieux conceptualiser la mobilisation. Il s’agit d’un construit très abstrait qui est certainement multidimensionnel. Nous devons nous atteler à identifier les différents types de comportements de mobilisation. Ceci nous permettrait de mieux cerner l’impact des différents facteurs explicatifs (dont les facettes du style de gestion) sur les comportements de mobilisation. Une fois que la mobilisation aura été repensée, il faudra construire un instrument valide pour la mesurer. Sans un tel instrument, il sera difficile de faire avancer les connaissances sur ce sujet et sans doute risqué de relier la mobilisation à des facteurs explicatifs. Enfin des recherches sont nécessaires pour investiguer les interactions non seulement entre les pratiques mobilisatrices, mais aussi entre ces pratiques formelles et des éléments plus informels comme le style de gestion. Il est plausible que ces variables explicatives agissent différemment sur les différents types de comportements de mobilisation.

En guise de conclusion, nous voulons rappeler l’importance des décisions méthodologiques prises lors de toute analyse de données. Il est préférable de regrouper des observations avec une analyse en grappes plutôt que de couper arbitrairement les dimensions de l’intérêt pour le bien-être et de celui pour la réalisation du travail. Il est aussi préférable de ne pas se limiter à des statistiques bi-variées en ayant recours à des méthodes plus puissantes comme les statistiques multivariées. L’enjeu est de taille car c’est l’avancement des connaissances qui est en cause. Cette réanalyse des données invite donc à interpréter avec prudence les propos de Julien selon lesquels les professionnels « se plaignent plus de ne pas être assez contrôlés et soutenus par leur supérieur que d’être enrégimentés » (Julien 1991b : 278 ; Julien 1991c : 603). En réalité, les professionnels se plaignent surtout d’un manque de participation et d’un style de gestion qui fait fi du bien-être du personnel.