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L’ouvrage de Jean Bernier, professeur émérite du Département des relations industrielles de l’Université Laval, revisite l’histoire des services essentiels au Québec sous le prisme des dernières décisions rendues par la Cour suprême à l’aune de la Charte canadienne des droits et libertés. Dès les premières lignes, nous retrouvons avec plaisir l’écriture de ce professeur émérite aux activités scientifiques toujours très nombreuses.

L’auteur s’était déjà commis sur le sujet, notamment en 1994, en codirigeant le livre Grèves et services essentiels. Cette fois, il met l’accent sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et la très célèbre trilogie de 2015, mais aussi se penche, comme autrefois, sur les recommandations du Comité de la liberté syndicale.

Selon l’auteur, il convient de s’interroger sur les conséquences de la décision Saskatchewan[1] sur la détermination et le maintien des services essentiels au Québec. Jean Bernier annonce deux justifications à sa question de recherche. D’une part, il s’interroge sur le fait que notre régime puisse encore, pour être conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, répondre aux conditions posées par cette décision de 2015. D’autre part, il pose la question de savoir si, dans ces circonstances, il est opportun de procéder à une réforme législative québécoise, alors même que le Canada est lié par des engagements internationaux, notamment de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Il propose d’analyser ceci à la lumière de la décision Saskatchewan.

En 2008, le législateur saskatchewanais adopte une Loi sur les services essentiels qu’il interprète très largement. En 2015, la Cour suprême du Canada, par la voix de la juge Abella, affirme sans détour que « le droit de grève constitue un élément essentiel d’un processus véritable de négociation […] Le droit de grève n’est pas seulement dérivé de la négociation collective, il en constitue une composante indispensable. Le temps me paraît venu de le consacrer constitutionnellement[2] ». Selon Bernier, « [u]ne grande partie de ce jugement [Saskatchewan] est consacrée à une analyse qui conduira la Cour à cette conclusion et qui tient compte à la fois de l’histoire, de la jurisprudence et du droit international » (p. 5). Dès lors, « l’exercice du droit de grève ne pourra être restreint que dans des limites raisonnables et dont la justification pourra être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique » (ibid.).

L’auteur se met en quête d’une formule idéale et présente le régime juridique qué- bécois, des origines à nos jours. Le professeur Bernier évoque à ce titre : l’arbitrage des différends, le recours à l’injonction et le mécanisme précurseur permettant aux parties de prendre part à la détermination des services essentiels (Loi visant à assurant les services de santé et les services sociaux essentiels en cas de conflit de travail [LQ 1975, c 52.]), mais aussi de confier la détermination des services essentiels à un médiateur ou encore à un autre tiers. Si la notion de services essentiels n’est pas définie par le législateur québécois, il faut se tourner vers la jurisprudence du feu Conseil des services essentiels pour en cerner les limites. Même s’il est bien connu, il convient de rappeler l’énorme apport du tribunal administratif compétent au début de l’histoire des services essentiels, soit le Conseil des services essentiels. En effet, son tribunal originel a développé une véritable philosophie de ce qui constituait ou non des services essentiels. Créé en 1982, il a, au fil du temps, su donner des balises aux parties. Ces dernières savaient très bien ce qui serait qualifier d’essentiels ou non.

À titre personnel, j’ajouterais que le Conseil des services essentiels a été victime de son succès : les parties ne posaient pratiquement plus de questions, sachant comment réagir dans telle ou telle situation. Ses fonctions ont donc été transférées à la Commission des relations de travail (CRT), section Services essentiels (SE), puis au Tribunal administratif du travail (TAT), section Services essentiels (SE). J’ose souligner qu’une seule commissaire qui siégeait au sein du Conseil des services essentiels a été transférée à la Commission, puis au Tribunal.

L’auteur nous adresse, ensuite, des définitions des SE et de Service minimum (SM), essentiellement en droit québécois. Mais surtout, il confronte les plaintes déposées contre certains pays, notamment par les syndicats, auprès du Conseil de la liberté syndicale de l’Organisation Internationale du travail (CSL-OIT). L’exercice n’est pas nouveau, mais la multiplication de ces mises à l’index par des chercheurs, des travailleurs ainsi que différentes organisations, notamment les syndicats accrédités, ne peut qu’aider la cause.

Jean Bernier évoque le rôle des cadres dans l’organisation des services essentiels, la détermination et la qualité des services essentiels à assurer en cas de conflits de travail; il en est de même dans le réseau de la santé et des services sociaux, souvent qualifié comme un lieu difficile pour organiser les services essentiels; j’ajouterais que le fait d’être en sous-effectif n’arrange rien. L’organisation des services essentiels constitue tout un exercice de rapport de force, exercice qui s’aggrave si plusieurs services dans l’entreprise s’interposent.

Selon l’auteur, la figure actuelle des lois et de la jurisprudence devrait s’améliorer. Jean Bernier propose en conclusion plusieurs pistes intéressantes. Il convient de mettre en exergue l’effort pédagogique du spécialiste. Rien n’est obscur dans cet ouvrage. Encore une fois, il faut souligner la fine connaissance des services essentiels et de leurs enjeux par l’auteur. Ce livre intéressera donc les praticiens devant jongler avec la notion de services essentiels, les chercheurs voulant mieux comprendre ce domaine particulier, ainsi que les étudiant.e.s. Bonne lecture !