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Utile et salutaire sont les deux premiers mots qui viennent à l’esprit pour caractériser cet ouvrage. Utile car il fournit un matériau riche et diversifié, appuyé par d’amples bibliographies thématiques commentées, permettant de faire le point des connaissances et débats sur l’individualisation dans le champ de la formation. Le chercheur, l’enseignant, l’étudiant mais aussi le professionnel peuvent y puiser, chacun selon son centre d’intérêt. Salutaire car il permet de se repérer dans les controverses scientifiques et sociales autour de notions fortement débattues mais aussi de catégories souvent encore floues.

Comme d’autres ouvrages issus du Conservatoire national des arts et métiers – CNAM – (sur les formations en alternance, les métiers de la formation, l’orientation professionnelle), celui-ci est le produit d’une rencontre entre un centre de documentation, proposant sur une thématique précise une bibliographie structurée, et un collectif de chercheurs venant éclairer les différentes facettes du problème.

S’attaquer aujourd’hui à la question de l’initiative individuelle est particulièrement bienvenu. D’une part parce que cette notion a été souvent liée, si ce n’est confondue, au moins en France, à celle de promotion sociale et aux catégories de formation qui y étaient associées. Plus ou moins occultée par la montée des formations gérées et financées par l’entreprise, l’initiative individuelle a paru reculer comme notion et comme enjeu. Or, elle revient sur le devant de la scène, portée par un triple mouvement : celui du débat théorique, mais aussi politique, autour des processus d’individualisation dans les sociétés « post-modernes », celui de la formation tout au long de la vie qui porte nécessairement une dimension biographique mettant la trajectoire individuelle au coeur des logiques formatives, celui des réformes plus ou moins difficiles et chaotiques visant à modifier l’économie générales des systèmes de formation continue (création puis abandon d’un compte individuel de formation en Grande-Bretagne, tentative similaire avortée en Suède, nouveau « droit individuel à la formation » en France). Les trois chapitres qui organisent les regards croisés des dix-huit contributeurs répondent à ce triple mouvement.

Pour aborder la question de l’initiative individuelle en formation, il faut d’abord la resituer dans l’ample littérature sur le mouvement d’individualisation de la société, sur l’individu et le sujet. Deux contributions très synthétiques apportent ce cadrage préalable à travers l’histoire de la pensée philosophique et sociologique, ses controverses, sa confrontation à d’autres disciplines (notamment la psychologie).

Mais, deuxième hypothèse structurante et deuxième chapitre de l’ouvrage, traiter de l’initiative individuelle et plus largement du rapport de l’individu à la formation ne peut se faire sans traiter du travail de la mobilité, du projet… Sept contributions abordent le rapport au travail, à la mobilité sociale, à la mobilité professionnelle, la question du projet professionnel, celle des pratiques d’orientation, des voies d’accès aux savoirs, des motivations et pratiques individuelles de formation.

Enfin un troisième chapitre prend la question sous l’angle des dispositifs de formation : histoire et droit de l’initiative individuelle, congé individuel de formation, offre orientée vers l’individu avec les cas du CNAM et des adultes à l’université.

Solidement charpenté et problématisé, s’éloignant du simple survey bibliographique, l’ouvrage permet, au choix du lecteur, soit de faire le tour de la question par une lecture d’ensemble, soit de privilégier l’une ou l’autre des entrées qu’il propose.

En fait, parties de la question de l’initiative individuelle, les contributions opèrent une double mise à distance. D’abord elles relativisent cette notion en la situant à la fois dans les pratiques et les dispositifs et dans les multiples facettes du rapport de l’individu à la formation (bien au-delà du seul aspect de l’initiative). On ne peut séparer la « demande » des conditions de sa construction. On doit aussi la lire à l’aune des multiples formes de l’engagement (ou de retrait) de l’individu dans sa formation, et des attentes (économiques, sociales, culturelles) qu’il construit. Ensuite, s’il y a bien montée de formes d’individualisation (dans les trajectoires, par les projets, dans les dispositifs), celle-ci traduit autant l’autonomie croissante de sujets mieux arbitrés de leurs choix, sachant jouer avec la palette des possibles que les contraintes qui s’exercent sur eux dans des univers de travail et d’emploi plus complexes où ils doivent se resituer en permanence. Ce « bricolage » permanent ne prend sens et efficacité que s’il s’inscrit dans la réflexivité, dans une prise de distance critique participant de la construction de soi. De ce point de vue, les politiques ou les dispositifs « simplistes » visant à renvoyer la charge sur l’individu (des choix, de leur financement, de la construction de sa « self-employabilité »…) apparaissent porteur d’injonctions paradoxales. Poussant au bricolage, ils n’aident pas nécessairement à la réflexivité et peuvent laisser l’individu plus démuni quand aux conséquences de ses choix. C’est ce qui, me semble-t-il, fait l’unité du message des contributions théoriques du premier chapitre et des chapitres plus centrés sur la formation.

En refermant l’ouvrage, qui se clôt par un premier aperçu des pratiques internationales, on aurait envie de demander aux auteurs une suite, de même facture. Pour l’essentiel en effet (notamment dans les chapitres 2 et 3), l’ouvrage chausse des lunettes françaises. Si l’on accepte l’hypothèse, énoncée dès le début, de conceptions différentes de l’individualisation selon les sociétés et les systèmes de formation, une confrontation plus systématique à la construction et à l’évolution de ces notions dans d’autres pays serait utile. Elle permettrait de mieux comprendre ce qui pourrait relever de tendances générales (le mouvement d’individualisation dans les sociétés avancées) et de conceptions spécifiques liées à des formes plus ou moins marchandes, à des traditions philosophiques et politiques différentes. On pourrait aussi, mais ce serait probablement encore un autre ouvrage, élargir la focale en confrontant, d’une part, la façon dont est abordée la question en éducation/formation initiale et en formation continue (même si, de ce point de vue, des notations existent dans les écrits sur le projet ou ceux sur l’orientation) et, d’autre part, ce champ particulier à d’autre champs des pratiques sociales et des politiques publiques comme la culture, la santé. In fine, y a-t-il une problématique spécifique de l’initiative individuelle dans le domaine de la formation ?