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Pour qui se préoccupe de vieillissement et d’emploi, Anne-Marie Guillemard, professeure à la Sorbonne, est une « vieille » connaissance, du moins pour les francophones. Elle offre ici une excellente synthèse de ses récents travaux relatifs aux phénomènes de l’âge et du marché du travail, de l’activité en seconde moitié de carrière et de la retraite précoce, dans leurs rapports avec la protection sociale et les pratiques des entreprises.

L’ouvrage offre une information synthétique conçue dans une perspective de comparaison internationale où sont particulièrement bien documentés les cas du Japon, de la Suède, du Royaume-Uni et bien sûr de la France. En ce qui a trait aux efforts en cours pour tenter d’inverser la tendance à l’oeuvre depuis quinze ans, dans la plupart des pays européens, de sortie précoce de l’emploi, les stratégies des Pays-Bas et de la Finlande offrent des perspectives particulièrement intéressantes. Une partie de l’ouvrage est en outre consacrée aux mutations de la retraite mises en perspective avec une analyse de la « recomposition des temps de la vie » qui fait appel à une « désinstitutionnalisation du cours de la vie » et à une « déstandardisation des trajectoires », lesquelles ouvrent à un « nouveau contrat social entre les générations ».

La contribution sans doute la plus originale de cet ouvrage réside dans le cadre d’analyse dans lequel Guillemard s’efforce de relire une partie de sa production, articulé autour d’une approche comparatiste néo-institutionnaliste érigée en véritable « stratégie de recherche », de la dialectique entre travail et protection sociale et d’une lecture des « trajectoires » dans une perspective de parcours de vie (life course). Un ouvrage qui fait le tour des principales questions contemporaines sur l’âge et l’emploi, en organisant l’information en fonction d’axes théoriques qui lui permettent d’acquérir profondeur et pertinence.

Pour sa part, l’ouvrage La gestion des âges : face à face avec un nouveau profil de main d’oeuvre rassemble les contributions présentées lors du 57e congrès du Département des relations industrielles de l’Université Laval, organisé sur ce thème en avril 2002. Le grand mérite de ce genre de congrès est de porter auprès des professionnels de la gestion des relations humaines, et plus largement sur la place publique, des débats qui concernent l’ensemble de la société, à partir de contributions bien documentées ou de points de vue d’acteurs majeurs de la société, en l’occurrence des représentants de services gouvernementaux concernés par le vieillissement au travail et les pensions, d’entreprises majeures, des principaux syndicats et de chercheurs reconnus.

On aborde ainsi les questions de la sortie anticipée ou du maintien en emploi des travailleurs de plus de 55 ans, les besoins des entreprises en rapport avec la main-d’oeuvre qualifiée âgée, les mutations de l’organisation du travail qui ont des impacts sur les âges au travail, les nécessaires adaptations des lieux et des temps de travail en fonction des qualifications et des savoirs détenus par les travailleurs âgés, les conditions de la transmission de ces savoirs aux jeunes générations en emploi, les enjeux du vieillissement démographique pour les régimes publics de pension, etc. Et chacun des principaux acteurs y va de son point de vue, ancré dans sa logique institutionnelle.

De plus, le colloque donnant lieu à débat, des groupes de travail sont constitués et des étudiants dressent une synthèse des discussions qui ont eu cours.

Je ne doute pas que cet ouvrage fournisse aux participants de ce colloque une mémoire complète et détaillée de ce qui y a été présenté et de ce qui s’y est dit, et c’est déjà beaucoup, surtout lorsqu’on aborde un thème relativement nouveau et peu documenté. Mais, pour les lecteurs qui n’ont pas participé à l’événement, je ne crois pas que ce texte puisse les introduire efficacement à cette thématique, tant les contributions sont hétérogènes et d’inégal intérêt. C’est bien là le problème récurrent de la publication d’actes de colloque si l’on n’effectue pas un travail d’intégration approfondi sur une sélection de contributions et si l’on ne guide pas activement le lecteur dans une forme ou une autre de hiérarchisation des textes en fonction d’une thématique bien articulée ou d’objectifs clairement énoncés. En d’autres termes, on s’adresse ici à ceux qui ont « vécu l’expérience » — tant mieux pour eux ! — et on laisse le lecteur extérieur faire le tri en fonction de ses centres d’intérêt. Il ne me paraît pas que ce soit là la fonction d’un livre dûment publié par une maison universitaire. Le produit, tel qu’il est offert, aurait plutôt dû faire l’objet d’une publication interne envoyée aux participants dans un objectif de poursuite d’une réflexion sans doute à peine amorcée pour beaucoup d’entre eux.

Ceci dit, pour les personnes qui se seront procuré ce texte et qu’intéresse la problématique des âges au travail, je recommande quelques contributions autour de deux thèmes en particulier. Tout d’abord, pour une position générale de la question du vieillissement et de l’emploi, les textes d’Hélène David et de Martine D’Amours offrent une information systématique, ainsi qu’une bonne bibliographie. De manière plus appliquée, ceux de Serge Volkoff, malheureusement très bref, et d’Esther Cloutier et al. permettent d’entrer dans les dimensions ergonomiques de l’adaptation des conditions de travail au vieillissement de la main-d’oeuvre. Je dois également mentionner l’étude de Tania Saba et Gilles Guérin, menée auprès de 980 cadres du secteur de la santé confrontés au processus de retraite massive. Mais là encore, je ne comprends pas la logique « éditoriale » qui a présidé à l’édition de ces actes de colloque puisqu’on a ici clairement affaire à un long extrait d’un rapport de recherche, et donc à une écriture indigeste qui n’a pas d’équivalent dans le reste de l’ouvrage.

Le second thème qui a retenu mon intérêt porte sur les régimes de pension et sur la fonction publique du Québec. Il comprend les contributions signées respectivement par Pierre Plamondon et al. de la RRQ, Carole Vallerand de DRHC et Alain Lévesque du ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec. Chacun de ces textes offre une information approfondie sur les données et les enjeux respectifs de ces domaines d’action directement concernés par le vieillissement démographique. Au total donc, plusieurs contributions intéressantes dans un « format » qui malheureusement les dessert.