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La chaîne invisible. Travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire par Jean-Pierre Durand, Paris : Éditions du Seuil, 2004, 387 pages, ISBN 2-02-062881-3.[Record]

  • Jean-Noël Grenier

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  • Jean-Noël Grenier
    Université Laval

Les changements dans le travail soulèvent bien des questions quant à l’émergence d’un nouveau modèle productif et ses effets sur les salariés. Même si les chercheurs sont de plus en plus unanimes à reconnaître l’émergence d’un nouveau paradigme productif, ils admettent que celui-ci conserve d’importantes affinités avec le taylorisme. Dans bien des cas, mais avec des méthodes nouvelles, les objectifs demeurent les mêmes : la réduction des coûts, la chasse aux temps morts et le contrôle sur le procès de travail. À ces objectifs traditionnels, les nouveaux modèles cherchent à intégrer la flexibilité du travail et la participation des salariés. Selon Jean-Pierre Durand, le modèle qui réussit cet arrimage est celui à flux tendu. La thèse défendue est la généralisation des principes de ce modèle à l’ensemble des industries et des secteurs d’activités. Le paradoxe que l’auteur veut expliquer se trouve entre l’incessante rationalisation du travail et l’implication accrue des salariés. Deux questions inspirent cet ouvrage : (1) Comment les entreprises ont-elles réorganisées la gestion du travail et les politiques de mobilisation afin de satisfaire aux exigences du modèle à flux tendu ? (2) Pour quelles raisons les salariés acceptent-ils des exigences plus élevées de performance ? Le paradoxe est le suivant: les conditions de travail se dégradent et les salariés retirent plus de satisfaction de leur travail. Durand propose de comprendre ce paradoxe en recourant au concept d’implication contrainte selon lequel, dans le système de production à flux tendu, les salariés n’ont pas d’autre choix que de s’impliquer selon les attentes de l’employeur. D’abord, les entreprises utilisent des techniques de gestion des ressources humaines dans une approche qui individualise la relation salariale. L’auteur regroupe ces pratiques sous le modèle de la compétence qui inculque aux salariés la discipline requise dans un système de production à flux tendu (chap. 3). La mobilisation du personnel s’appuie également sur un régime de segmentation du travail qui nourrit l’espoir d’un emploi permanent chez les uns et les craintes de sombrer dans la précarité chez les autres (chap. 5). Pour rendre compte de cette réalité, Durand utilise la notion de fluidité qui désigne les conditions de passage d’un statut d’emploi à un autre. Pour les uns, le risque d’expulsion vers la périphérie sert de levier à la conformité aux attentes de l’employeur, alors que pour les autres, c’est l’espoir d’obtenir un poste permanent dans l’entreprise qui est la source de motivation. La seconde question traite des fondements du consentement des travailleurs aux exigences de la production à flux tendu. La réponse se trouve, selon Durand, dans l’organisation du procès de travail (chap. 7). Puisque la production à flux tendu organise le travail en groupe et qu’il y a plusieurs incertitudes quant à son fonctionnement, les salariés peuvent conquérir des espaces d’autonomie collective et négocier des compromis avec le personnel d’encadrement. De même, le travail y est plus intéressant que dans une organisation tayloriste puisqu’on fait appel à la participation des salariés. Les trois premiers chapitres présentent les éléments du système de production à flux tendu et du régime de mobilisation des personnes au travail. L’auteur met en valeur deux cohérences entre les composantes du système. La première se trouve dans le procès de travail où le groupe a pour fonction la mise en oeuvre des outils techniques de rationalisation du travail (Kaizen, qualité totale, SMED, TPT) et le contrôle social sur les salariés (chap. 1 et 2). La seconde cohérence est entre l’objectif de rationalisation permanente et la mobilisation des salariés. Elle est possible grâce aux techniques de gestion des ressources humaines que l’on retrouve dans le modèle de la compétence (chap. 3). Ici, …