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Cet ouvrage n’est pas fondamentalement nouveau. Il reprend Histoire du syndicalisme québécois, publié en 1989, qu’il complète par un chapitre sur la période récente (1985-2003) et par une section fort éclairante ajoutée à chaque chapitre, hormis le premier, sur les résultats des négociations.

L’ouvrage est découpé selon un ordre chronologique : 1818-1900, 1900-1940, 1940-1960, 1960-1985 et 1985-2003. Chaque chapitre comprend essentiellement trois sections : l’historique des principaux regroupements syndicaux; les rapports entretenus avec les gouvernements (remarquons que les deux derniers chapitres distinguent les rapports avec l’État provincial de ceux avec l’État fédéral : cette distinction est d’autant plus importante que les forces syndicales, comme beaucoup d’acteurs sociaux au Québec, ont tendance à minimiser les rapports avec ce dernier comme si elles vivaient déjà dans un Québec indépendant…); une analyse des activités de grève complétée maintenant par le résultat des négociations. Enfin, le dernier chapitre aborde le secteur des syndicats indépendants qui était ignoré dans les chapitres précédents.

Je m’en tiendrai ici au chapitre nouveau qui aborde les deux dernières décennies marquées par l’affaiblissement du mouvement syndical. La récession économique de 1981-1982, amplifiée par les politiques monétaires américaines et canadiennes visant à juguler l’inflation, propulse le taux de chômage au Québec en 1982 à près de 14 %. Même si le chômage diminue par la suite, les centrales syndicales, dans le sillon tracé par la FTQ, tendent alors à privilégier une politique de l’emploi par rapport à une politique visant à améliorer les conditions de travail, les avantages sociaux et les salaires de leurs membres.

La main-d’oeuvre se transforme, elle aussi, durant cette période. D’une part, les emplois à plein temps sont de plus en plus remplacés par des emplois atypiques difficilement syndicables (près de 17 % de travail à temps partiel, intérimaire ou autonome en 1976 pour un peu plus de 31 % en 2001). D’autre part, même si les femmes se retrouvent plus souvent parmi les emplois atypiques, leur taux d’emploi augmente (près de 35 % en 1981 à près de 47 % en 2000), ce qui entraîne des luttes pour l’équité sur le marché du travail.

De plus, les politiques néolibérales, qui visent, en sabrant ce qui est perçu comme des rigidités, à adapter les entreprises au marché mondial dérégulé et qui cherchent à réduire l’État au profit de l’entreprise privée, placent les centrales syndicales sur la défensive et les orientent vers la concertation. Jacques Rouillard fait remarquer, avec raison, que la CSD est la première centrale syndicale à prôner la concertation au sein de l’entreprise, suite d’ailleurs à un séminaire qu’avait suivi son président Jean-Paul Hétu en Californie.

Cette politique sera sévèrement évaluée dès le congrès de 1985, même si elle continuera d’être pratiquée avec des hauts et des bas par la suite. L’auteur affirme que les centrales syndicales prendraient de plus en plus de distance par rapport à une politique de concertation, mais il ne le démontre pas, d’autant plus qu’il ne distingue pas la concertation avec le gouvernement, à laquelle les centrales aspirent toujours, de la participation au sein de l’entreprise à laquelle elles ne vouent plus le culte pratiqué jadis par la CSD et la CSN. Enfin, le Sommet des peuples en Amérique tenu à Québec en 2001, auquel participe la CSD, marquerait la fin de l’isolement de la CSD dont la pratique et les positions la distinguent de moins en moins de ses rivales.

En 1994, le gouvernement modifie le Code du travail, en rendant possible les conventions collectives de plus de trois ans, de sorte qu’en 1999 plus de 42 % des conventions collectives le sont. L’auteur mentionne que la CSN contestera sans succès cette modification devant le Bureau international du travail, mais il ne dit pas que cette même centrale avait ouvert la porte à cette modification, en ayant demandé au gouvernement de surseoir à l’application du Code sur cette question…

Les résultats des négociations collectives ne sont guère reluisants durant les deux dernières décennies. Depuis les années 1980, le pouvoir d’achat de l’ensemble des syndiqués a diminué de près de 8 %, même si la productivité a crû et même si le produit intérieur brut a augmenté. La détérioration de la rémunération des travailleurs du secteur public est encore plus prononcée. Si celle-ci était largement supérieure à celle des travailleurs du secteur privé en 1980, elle est, en 2002, de près de 8 % inférieure à celle de tous les salariés québécois et de près de 12 % en deçà de celle des syndiqués du secteur privé.

Il faut d’ailleurs mentionner que la politique de main-d’oeuvre du gouvernement québécois change peu, que celui-ci soit libéral ou péquiste. Ainsi, en 1999, le gouvernement péquiste préconise la décentralisation des négociations vers le palier local dans les secteurs de la santé et de l’éducation, ce qu’il ne réussira pas à imposer.

En 2001, le gouvernement péquiste modifie l’article 45 du Code du travail, avec l’accord de la FTQ, tandis que le patronat juge insatisfaisantes ces modifications et que les autres regroupements syndicaux (CSN, CSQ, CSD et FIIQ) s’y opposent. Le gouvernement Charest appliquera donc avec vigueur les politiques amorcées par le précédent gouvernement.

L’ensemble de l’ouvrage de l’historien Jacques Rouillard repose sur l’étude des documents des centrales syndicales et sur une bonne utilisation des sources secondes. L’auteur ne propose pas une nouvelle interprétation de l’histoire syndicale, mais son étude, bien documentée, présente avec beaucoup de clarté et de justesse l’évolution du syndicalisme au Québec, quoiqu’il minimise les débats internes qui ont rendu possible les modifications des orientations des centrales syndicales.