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Les organisations du 21e siècle sont amenées à oeuvrer dans un environnement socio-économique de plus en plus compétitif dû au contexte de mondialisation dans lequel elles évoluent. Dans ces circonstances, autant les chercheurs que les praticiens s’entendent sur le fait que les ressources humaines constituent une source d’avantage concurrentiel durable (Becker et Huselid, 1999). Par conséquent, il devient essentiel d’investir dans ces ressources en misant, notamment, sur des pratiques de gestion des ressources humaines qui favorisent le développement d’attitudes positives de la part des employés à l’égard de l’organisation, tel l’engagement affectif. À cet effet, Meyer et Smith (2000) soulignent que les études empiriques s’étant attardées à la relation entre les pratiques de GRH et l’engagement demeurent limitées et qu’il est important de comprendre comment ces pratiques influencent l’engagement des employés envers l’organisation. Les résultats de leur étude ont d’ailleurs fait ressortir le rôle intermédiaire de la perception de support organisationnel et de justice procédurale entre certaines pratiques de GRH et l’engagement organisationnel.

La présente recherche s’attaque à cette problématique en répondant à la question suivante : quelles sont les variables qui interviennent dans la relation entre les pratiques de GRH et l’engagement affectif des employés ? En nous appuyant sur la théorie de l’échange social, nous analyserons plus spécifiquement l’effet médiateur des principales formes de justice organisationnelle (distributive, procédurale et interactionnelle) dans la relation entre certaines pratiques de GRH et l’engagement organisationnel de type affectif. En approfondissant les différentes formes de justice organisationnelle, cette étude ajoute aux résultats de Meyer et Smith (2000) qui n’avaient considéré qu’une seule forme de justice (procédurale) comme mécanisme intermédiaire. Afin d’atteindre notre objectif de recherche, cet article a été divisé en cinq sections. La première décrit les variables à l’étude et propose une revue de la littérature ciblée. La seconde section présente le modèle conceptuel et l’hypothèse générale de cette recherche. Par la suite, les sections trois et quatre décrivent les choix méthodologiques et présentent les résultats des analyses statistiques. Enfin, la discussion des résultats suit dans la cinquième section. Finalement, une conclusion présente les contributions et les limites de la recherche.

Les variables à l’étude

L’engagement organisationnel

L’engagement organisationnel est un concept multidimensionnel qui réfère à l’attachement qu’un employé manifeste à l’égard de son organisation et cet état psychologique a des conséquences sur la décision d’en rester membre. Selon les travaux de Meyer et Allen (1997), trois dimensions de l’engagement organisationnel peuvent être identifiées : l’engagement affectif, calculé et normatif. Ces trois dimensions sont fréquemment reliées négativement au taux de roulement et à l’intention de quitter (Meyer et al., 2002 ; Mathieu et Zajac, 1990). Toutefois, l’engagement affectif est associé à un plus grand nombre de conséquences organisationnelles favorables dont une meilleure performance individuelle et collective (Meyer et Allen, 1997), une propension plus forte à adopter des comportements de citoyenneté organisationnelle (Meyer et al., 2002 ; Riketta, 2002 ; Schappe, 1998), de même qu’à une réduction du nombre de retards et de l’absentéisme (Meyer et al., 2002 ; Mathieu et Zajac, 1990). Compte tenu de ces acquis et en regard de notre problématique, nous nous limiterons donc à cette forme d’engagement organisationnel.

Le concept d’engagement affectif est bien connu et largement documenté depuis plusieurs années. Rappelons simplement qu’il implique que l’employé développe un attachement émotionnel à l’égard de l’organisation dans laquelle il travaille. Ainsi, l’individu qui a un fort niveau d’engagement s’identifie à son organisation, à sa mission et à ses valeurs. Cet employé s’implique, il est heureux d’être membre de l’organisation pour laquelle il travaille et il fait tout en son pouvoir pour le demeurer (Meyer et Allen, 1997). Bref, l’individu qui démontre un fort niveau d’engagement affectif demeure membre de l’organisation parce qu’il le désire.

En considérant ces éléments, nous pouvons avancer que l’organisation dont le niveau d’engagement affectif de ses employés est élevé bénéficie d’un avantage concurrentiel important (Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer et Allen, 1997 ; Pfeffer et Veiga, 1999). Aussi, comme l’engagement affectif est influencé par plusieurs pratiques de gestion des ressources humaines, dont celles identifiées par Lawler (1986), tout indique que les organisations ont les moyens de mettre en place les conditions favorables menant à un engagement élevé de leurs employés.

Les pratiques en gestion des ressources humaines

Constatant les problèmes de productivité de certaines entreprises américaines jadis prospères, Lawler (1986) a publié un livre qui présente un modèle de gestion qualifié de High-Involvement Management. Selon ce modèle, un certain nombre de pratiques en GRH auraient des impacts favorables dans les organisations, et ce, sur divers plans comme la productivité, l’engagement et la mobilisation (Lapalme, Simard et de la Sablonnière 2002 ; Lawler, Mohrman et Ledford, 1992 ; Tremblay, Guay et Simard, 2000). Ces pratiques constituent donc des leviers qui apportent un avantage distinctif aux entreprises (Pfeffer et Veiga, 1999). Dans son ouvrage, Lawler (1986) propose de s’intéresser plus spécifiquement aux quatre types de pratiques suivants : le partage d’information, le partage du pouvoir, la gestion des compétences, et les récompenses économiques et la reconnaissance non monétaire.

Les pratiques de partage d’information concernent la transmission des informations symboliques, utilitaires et stratégiques, d’abord du haut vers le bas de la hiérarchie, mais aussi du bas vers le haut. Ces pratiques sont considérées comme la base de l’implication et de la mobilisation des employés (Lawler, Mohrman et Ledford, 1992 ; Rondeau, Lemelin et Lauzon, 1993). D’une part parce qu’en leur absence, la participation à la prise de décision s’avère impossible. D’autre part, parce que l’employé peut s’impliquer dans la mesure où il comprend bien ce qui est attendu de lui.

En ce qui a trait aux pratiques de partage du pouvoir, elles réfèrent à une participation accrue des employés à travers des mécanismes comme la décentralisation de la prise de décision et à la consultation des employés. La logique sous-jacente à la mise en place de telles pratiques est que « l’employé va être motivé s’il a le sentiment que l’organisation et son travail lui appartiennent et qu’il a un contrôle sur les résultats obtenus » (Rondeau, Lemelin et Lauzon, 1993 : 106). L’objectif de ces pratiques est d’accroître l’imputabilité et l’influence réelle des individus en favorisant notamment l’autonomie et l’initiative.

Les pratiques de gestion des compétences font référence aux possibilités de développement des compétences offertes aux employés dans les organisations. Sans les connaissances et habiletés nécessaires, un employé ne peut pas réaliser son travail correctement et il devient difficile pour ce dernier de s’impliquer dans les processus de décisions. La formation contribue également au développement de l’engagement dans la mesure où elle indique à l’employé que son employeur est prêt à investir dans son développement en vue d’établir une relation de réciprocité à long terme (Tsui et al., 1997).

Enfin, bien que Lawler (1986) inclut les récompenses économiques et les marques de reconnaissance non monétaire dans son quatrième type de pratiques, la présente recherche porte plus spécifiquement sur la deuxième composante. Ce choix est principalement attribuable à certaines études récentes qui soulignent l’effet beaucoup moins important des récompenses économiques sur l’attachement affectif par rapport à la reconnaissance non monétaire (Tremblay, 2002). Ainsi, tout en contribuant au sentiment de réciprocité, la reconnaissance non monétaire des efforts est susceptible d’entraîner un climat de confiance dans lequel les employés auront une impression favorable de la direction et seront par conséquent motivés à se dépasser au travail (St-Onge, 1994). Cette forme de reconnaissance possède plusieurs attributs spécifiques qui en font une pratique signifiante : elle est spontanée et se manifeste par des félicitations ou une reconnaissance symbolique du supérieur immédiat. Sous cet angle, elle contribue à accroître l’engagement puisqu’elle est perçue comme une marque de considération et de support organisationnel (Tremblay, Guay et Simard, 2000).

La justice organisationnelle et la théorie de l’échange social

Trois principales dimensions de la justice organisationnelle sont identifiées dans la littérature. La théorie de l’équité d’Adams (1965) est à l’origine de la justice distributive qui exprime la perception de justice en regard de la distribution des ressources organisationnelles (ex. salaire, promotions, formation). La justice procédurale est, pour sa part, reliée aux règles et procédures qui mènent à la distribution des ressources organisationnelles (Thibaut et Walker, 1975). Alors que la première forme de justice est centrée sur les résultats, la seconde reflète les processus menant à ces derniers. Enfin, la justice procédurale trouve son expression dans une troisième forme de justice au moment de rendre compte de la distribution des résultats. Ainsi, la qualité du traitement interpersonnel et des explications offertes aux employés suivant la mise en application des procédures organisationnelles (ex. explication, excuse) relève de la justice interactionnelle (Bies et Moag, 1986). Dans ce sens, la justice interactionnelle se manifeste généralement après les deux premières formes de justice.

L’échange social, contrairement à l’échange économique, implique une relation d’échange à travers des obligations non précisées entre les parties (Blau, 1964). Cette théorie se base principalement sur la norme de réciprocité de Gouldner (1960) qui fait référence au fait d’être redevable envers ceux qui nous ont donné. Dans cette perspective, il importe de rappeler que la confiance mutuelle que les deux parties respecteront leurs obligations est nécessaire à cette relation d’échange. En entreprise, cela peut correspondre au fait que les organisations s’attendent, en retour de l’instauration de pratiques, à ce que les employés développent des attitudes favorables, tel l’engagement. Toutefois, la littérature spécialisée fait aussi clairement ressortir les liens théoriques entre l’échange social et les perceptions de justice organisationnelle (Greenberg, 1987 ; Moorman, 1991). Dans une telle perspective, la justice organisationnelle, particulièrement la forme procédurale et interactionnelle, serait favorable au développement de l’engagement affectif en rehaussant le sentiment de réciprocité des employés envers l’organisation qui est déjà présent par la mise en place des pratiques. En d’autres termes, ces pratiques représenteraient des conditions nécessaires, mais non suffisantes au développement et à la consolidation de l’engagement.

La justice comme médiateur de la relation entre les pratiques et l’engagement

Quelques auteurs se sont intéressés à l’effet médiateur de la justice dans la relation entre certaines pratiques et l’engagement. Schappe (1996) a observé que la justice procédurale produisait un effet médiateur dans la relation entre la connaissance des procédures, le partage d’information et l’engagement organisationnel. Meyer et Smith (2000) ont également noté que cette forme de justice et le support organisationnel agissaient comme médiateurs de la relation entre les pratiques de développement de la carrière, de formation et salariales, mais aussi avec l’engagement organisationnel. Sur la base de ces recherches, il est possible de s’attendre à un effet médiateur de la justice dans la relation entre les pratiques et l’engagement affectif. Cet effet n’a pas été observé pour les pratiques de partage de pouvoir et de reconnaissance non monétaire, mais on peut tout de même s’attendre à ce qu’elles agissent dans le même sens que les autres puisque, selon Lawler (1986), ces pratiques sont interreliées. Compte tenu de ces éléments et des considérations théoriques mentionnées précédemment, l’hypothèse générale de cette recherche est formulée comme suit :

H : la justice organisationnelle exerce un effet médiateur dans la relation entre les pratiques en gestion des ressources humaines et l’engagement affectif.

Kenny, Kashy et Bolger (1998) ont identifié quatre conditions afin de vérifier un effet médiateur. Ces conditions se traduisent par quatre étapes à franchir en matière d’analyse statistique. Ces étapes ont déjà été utilisées par Schappe (1996) et seront reprises dans notre modèle d’analyse (figure 1).

Figure 1

Modèle d’analyse

Modèle d’analyse

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Ce modèle d’analyse propose que les pratiques en GRH représentent des variables indépendantes. Elles constituent les bases sur lesquelles les perceptions de justice se construisent et non l’inverse. Il en va de même de la relation entre les pratiques et l’engagement parce que ces dernières offrent, par effet de réciprocité, les raisons amenant un individu à s’engager affectivement à l’égard de son organisation. Cette dernière variable représente la variable dépendante.

Étape 1 : l’effet des pratiques en GRH sur l’engagement affectif

La première étape expliquée par Kenny, Kashy et Bolger (1998) consiste à démontrer qu’il existe une relation entre la variable indépendante (pratiques) et la variable dépendante (engagement). Cette relation a été analysée dans la littérature, car pour chacun des quatre types de pratiques décrits par Lawler (1986), nous avons identifié des recherches qui établissaient un lien avec l’engagement.

D’abord, Tremblay, Guay et Simard (2000) et Rodwell, Kienzle et Shadur (1998) ont tous confirmé l’existence d’une relation positive entre le partage d’information et l’engagement organisationnel de type affectif. Parmi les pratiques de partage du pouvoir, la participation à la prise de décision s’avère reliée à l’engagement (Acorn, Ratner et Crawford, 1997 ; Allen et Meyer, 1993 ; Bateman et Strasser, 1984). De plus, d’autres variables comme l’autonomie dans le poste (DeCotiis et Summers, 1987 ; Mathieu et Zajac, 1990) et l’initiative dans la réalisation des tâches (Simard, Chênevert et Tremblay, 2000) représentent des aspects importants du partage du pouvoir qui sont également reliés à l’engagement des employés.

Les pratiques de développement des compétences des employés sont aussi reliées à l’engagement affectif (Tremblay, Guay et Simard, 2000). Outre les pratiques de formation formelles et obligatoires (Birdi, Allan et Warr, 1997), l’unique perception d’accès à la formation (Bartlett, 2001) ou d’avoir des opportunités d’apprentissage au travail (McNeese-Smith et Nazarey, 2001) contribuent également au développement de l’engagement. Enfin, la reconnaissance du supérieur immédiat ou du leader influence positivement l’engagement des employés envers l’organisation (Bateman et Strasser, 1984 ; DeCotiis et Summers, 1987 ; Tremblay, Guay et Simard, 2000).

Étape 2 : l’effet des pratiques en GRH sur la justice organisationnelle

La seconde étape de notre modèle vise à démontrer qu’il existe une relation entre la variable indépendante (pratiques) et la variable médiatrice (justice). À cet effet, notons que les pratiques de gestion des compétences ont fréquemment été mises en rapport avec la justice organisationnelle (Meyer et Smith, 2000). D’autres variables se rapprochant des pratiques de partage d’information ont été analysées dans certaines études. Ainsi, la compréhension des procédures dans un contexte particulier augmente la perception de justice (Dulebohn et Martocchio, 1998 ; Gopinath et Becker, 2000). Dans la même veine, recevoir des informations sur les procédures dans l’organisation contribuerait également à une meilleure perception de justice (Hartman, Yrle et Galle, 1999 ; Schappe, 1996).

En ce qui concerne les pratiques de partage du pouvoir, Hunton et Price (1997) ont observé que plus le mode de participation est grand, plus la perception de justice s’accroît. Pour sa part, Renn (1998) a remarqué que la perception d’influence et de contrôle dans la détermination d’objectifs de performance, est positivement reliée à la justice organisationnelle. Finalement, l’effet des pratiques de reconnaissance non monétaire sur la justice n’a pas été répertorié à ce jour dans la littérature. Même si cette relation n’a pas été observée empiriquement, il est plausible d’envisager que la reconnaissance non monétaire soit en relation avec la justice, au même titre que les autres pratiques. D’ailleurs, comme le concluent Niehoff et Moorman (1993), les comportements de support qu’adoptent les leaders à l’égard de leurs employés sont susceptibles d’influencer positivement leur perception de la justice puisqu’ils en sont les principaux représentants.

Étape 3 : l’effet de la justice organisationnelle sur l’engagement affectif

Tel qu’illustré dans la figure 1, la troisième étape consiste à démontrer que la variable médiatrice (justice) a un effet significatif sur la variable dépendante (engagement). À ce titre, des relations positives entre l’engagement affectif et la justice distributive (Colquitt et al., 2001), la justice procédurale (McFarlin et Sweeney, 1992 ; Pillai, Schriesheim et William, 1999 ; Schappe, 1996) et la justice interactionnelle (Naumann, Bies et Martin, 1998 ; Schappe et Doran, 1997) ont déjà été largement observées par les analystes.

Étape 4 : l’effet médiateur de la justice organisationnelle

La quatrième étape mentionnée par Kenny, Cassy et Bolger (1998) permet d’évaluer l’effet médiateur de la justice dans la relation entre la variable indépendante (pratiques) et la variable dépendante (engagement). En d’autres termes, la relation entre les pratiques et l’engagement affectif ne sera plus significative lorsque la justice organisationnelle sera contrôlée. Tel que mentionné précédemment, Schappe (1996) a utilisé cette méthode afin de vérifier l’effet médiateur de la justice procédurale dans la relation entre la connaissance des procédures et l’engagement organisationnel. Meyer et Smith (2000) ont également observé cet effet médiateur dans la relation entre certaines pratiques et l’engagement affectif.

La méthodologie

Collecte de données et caractéristiques de l’échantillon

Les données utilisées aux fins de cette recherche ont été collectées en septembre 2001 auprès de directrices et directeurs de services financiers d’une entreprise privée oeuvrant dans l’industrie des services bancaires au Canada. Il importe de noter que le statut de directeur financier est quelque peu trompeur. Certaines caractéristiques de ce poste méritent donc d’être énoncées puisqu’elles expliquent partiellement certains résultats obtenus. Malgré leur titre, les directeurs financiers ne sont pas des cadres. Ils ne font pas de gestion et ne supervisent aucun employé. D’ailleurs, la réalisation de leur travail s’effectue individuellement et principalement à l’aide de processus standardisés offrant peu d’autonomie décisionnelle et requérant peu d’initiative.

Sur les 232 questionnaires envoyés, 134 nous ont été retournés, ce qui correspond à un taux de réponse fort appréciable de 58 %. La majorité des répondants sont des femmes (63 %) et ils ont en moyenne 31 ans. La plupart des directeurs de services financiers (76,1 %) possèdent un diplôme de premier cycle universitaire et 90 % de ceux-ci ont un revenu variant entre 30 000 $ et 49 000 $. La grande majorité des employés (90 %) ont un statut d’emploi à temps plein et travaillent en moyenne 39 heures par semaine. Enfin, l’ancienneté moyenne dans le poste est d’un an et huit mois, alors que l’ancienneté moyenne dans l’organisation se situe à cinq ans et dix mois.

Instruments de mesure

Les pratiques en gestion des ressources humaines sont estimées à l’aide de 33 énoncés, évalués par une échelle de Likert en sept points allant de « jamais » à « toujours ». Les pratiques de partage d’information (six items, ex. : les employés sont régulièrement informés des objectifs de l’entreprise), de gestion des compétences (huit items, ex. : les employés ont la possibilité de se développer et de demeurer à jour) et de reconnaissance non monétaire (six items, ex. : les réalisations des employés sont reconnues par l’organisation) sont mesurées à l’aide de l’échelle développée dans l’étude de Tremblay, Guay et Simard (2000). La consultation et la décentralisation de la prise de décision sont les deux éléments qui ressortent de la pratique de partage du pouvoir de Lawler (1986). Nous avons utilisé l’échelle de Simard (2002) pour mesurer le degré de consultation des employés (quatre items, ex. : je suis consulté sur les changements en matière d’organisation du travail). La décentralisation de la prise de décision a été évaluée par cinq items portant sur l’autonomie décisionnelle des employés (ex. : je décide moi-même comment effectuer mon travail) et quatre items représentant leur niveau d’initiative (ex. : avant d’agir, je dois me rapporter à mon supérieur immédiat) ; échelles qui proviennent également de Simard (2002). Les coefficients de fidélité obtenus pour ces échelles sont présentés dans la section suivante.

La justice organisationnelle est mesurée à partir des échelles de justice distributive (trois items) et procédurale (quatre items) inspirées de Tremblay, Guay et Simard (2000) et de l’échelle de justice interactionnelle (six items) traduite de Moorman (1991). Les coefficients de fidélité obtenus pour ces échelles se retrouvent également dans la prochaine section.

Enfin, l’échelle d’engagement affectif est traduite de l’instrument de huit items de Meyer et Allen (1997). Le coefficient de fiabilité obtenu est de 0,79, ce qui est légèrement inférieur, mais tout de même comparable au coefficient rapporté par les deux auteurs de cette échelle (α : 0,84). Soulignons que les mesures de justice et d’engagement utilisent des échelles de Likert à sept points allant de « très en désaccord » à « très en accord ».

Les résultats

Résultats des analyses factorielles

Avant de réaliser les analyses factorielles, nous avons d’abord vérifié la normalité des données. À cet effet, les coefficients d’aplatissement et d’asymétrie nous permettent de conclure à une distribution normale de celles-ci. Les données manquantes ont ensuite été substituées par l’option de remplacement par régression du logiciel SPSS puisqu’elles représentaient moins de 2 % de l’échantillon.

Nous avons eu recours aux analyses factorielles en composantes principales avec une rotation oblimin pour vérifier la dimensionnalité des pratiques en GRH et des formes de justice organisationnelle. Compte tenu des interrelations entre les pratiques proposées dans le modèle de Lawler (1986) et des relations généralement observées entre les formes de justice organisationnelle (Colquitt et al., 2001), cette méthode nous apparaît tout à fait appropriée puisqu’elle tient compte des corrélations potentielles entre les facteurs.

En ce qui concerne les pratiques en GRH, six facteurs sont ressortis capturant 66 % de la variance. Tous les énoncés représentant les pratiques de partage d’information ont été retenus (α : 0,83). Le facteur représentant les pratiques de gestion des compétences contient cinq items (α : 0,77). Tous les énoncés visant à mesurer la reconnaissance non monétaire se sont regroupés en un seul facteur (α : 0,91). Enfin, comme nous l’avons mentionné précédemment, les pratiques de partage du pouvoir se répartissent en trois composantes. La première intègre les quatre énoncés initialement dédiés à mesurer la consultation (α : 0,84). La deuxième est l’autonomie décisionnelle qui contient trois items (α : 0,75). Enfin, l’initiative représente la dernière dimension et comprend deux items (α : 0,73).

Trois facteurs, représentant les trois dimensions connues de la justice organisationnelle, ont émergé de l’analyse en composante principale et expliquent, ensemble, 71,5 % de la variance. Tous les items se sont regroupés dans les dimensions de justice attendues. Les coefficients de consistance interne sont de 0,91 pour la justice distributive, 0,66 pour la justice procédurale et 0,90 pour la justice interactionnelle.

Résultats des analyses de régression hiérarchiques

Préalablement aux régressions, nous avons effectué des analyses de corrélations (tableau 1) afin d’identifier la présence possible de multicolinéarité. Comme la corrélation le plus élevée s’élève à 0,46 (reconnaissance non monétaire et engagement affectif), nous pouvons conclure à l’absence de multicolinéarité.

Étant donné nos hypothèses, nous avons utilisé la régression hiérarchique de manière à comparer l’effet global de blocs de variables. Il s’agit d’ailleurs du type d’analyse privilégié afin de vérifier un effet médiateur (Kenny, Kashy et Bolger, 1998 ; Schappe, 1998). Chacune des quatre étapes décrites précédemment sera reprise dans cette section en vue de vérifier notre hypothèse de recherche. Nous tenons à préciser qu’aucune variable sociodémographique n’a été introduite comme variable de contrôle dans les analyses compte tenu de leurs relations généralement très faibles avec l’engagement affectif (Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer et al., 2002).

Les résultats de la première analyse de régression montrent que les pratiques sont, dans l’ensemble, positivement reliées à l’engagement affectif et expliquent 31,6 % de la variance de ce dernier (tableau 2). Considérées individuellement, seules les pratiques de gestion des compétences, de reconnaissance et de consultation sont significativement reliées à l’engagement.

Tableau 1

Matrice de corrélations

Matrice de corrélations

* p < 0,05 ; ** p < 0,01

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Tableau 2

Résultats des régressions hiérarchiques des étapes 1 et 2

Résultats des régressions hiérarchiques des étapes 1 et 2

* p < 0,05; **p < 0,01; ***p < 0,001

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L’objectif de la seconde étape consiste à démontrer l’existence d’une relation entre les pratiques et la justice organisationnelle. À partir du tableau 2 nous constatons que les pratiques sont, dans l’ensemble, significativement reliées aux trois dimensions de la justice. Elles expliquent ensemble 17,7 % de la variance de la justice distributive, 20,6 % de la variance de la justice procédurale et 26,4 % de la variance de la justice interactionnelle. Tout comme pour l’engagement affectif, les pratiques de gestion des compétences et l’initiative ne provoquent pas d’effet sur les dimensions de la justice. Toutefois, l’autonomie s’avère significativement reliée à la justice, mais uniquement à la dimension procédurale.

La troisième analyse de régression permet de confirmer que les trois formes de justice exercent bel et bien une influence sur l’engagement affectif (tableau 3). La variance expliquée de l’engagement affectif par les formes de justice s’élève à 34,3 %. La justice distributive est la forme où l’influence est la plus faible, suivie de la justice procédurale et finalement, de la justice interactionnelle qui exerce la plus grande influence sur l’engagement affectif.

Tableau 3

Résultats des régressions hiérarchiques des étapes 3 et 4

Résultats des régressions hiérarchiques des étapes 3 et 4

* p < 0,05; **p < 0,01; ***p < 0,001

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La dernière analyse de régression explique 36,3 % de la variance de l’engagement affectif. Cette quatrième étape nous permet de confirmer notre hypothèse de recherche qui postule l’effet médiateur de la justice organisationnelle car avec l’ajout des trois formes de justice dans l’équation, seule la pratique de consultation demeure significativement reliée à l’engagement affectif. Sur la base de nos analyses, nous pouvons donc conclure que : (1) la reconnaissance non monétaire a un effet indirect sur l’engagement affectif à travers les trois formes de justice, (2) la justice interactionnelle représente aussi une variable médiatrice entre la gestion des compétences et l’engagement, (3) la justice procédurale représente également une variable médiatrice entre les pratiques d’autonomie, d’initiative et l’engagement et (4) la consultation a un effet direct et indirect sur l’engagement affectif à travers la justice procédurale.

Discussion et conclusion

L’objectif de cette recherche consistait à tester l’hypothèse selon laquelle la justice organisationnelle exerce un effet médiateur dans la relation entre les pratiques en GRH et l’engagement affectif. Les quatre étapes décrites par Kenny, Kashy et Bolger (1998) nous ont permis de confirmer cette hypothèse en démontrant que les trois formes de justice représente une variable médiatrice entre une ou plusieurs pratiques et l’engagement de type affectif. À cet effet, rappelons que parmi les pratiques en GRH qui étaient significativement reliées à l’engagement, seule la consultation a conservé un lien significatif lorsque les formes de justice étaient considérées. Nos résultats vont dans le même sens que ceux de Schappe (1996) quant au statut médiateur de la justice procédurale dans la relation entre la connaissance des procédures et l’engagement. Elles corroborent aussi les observations de Meyer et Smith (2000) qui ont constaté un effet médiateur de la justice procédurale dans la relation entre le développement de carrière, la formation, la reconnaissance monétaire et l’engagement affectif des employés envers leur organisation.

Les résultats de cette étude ont des implications importantes autant pour la théorie que pour la pratique. D’une part, notre recherche enrichit les connaissances actuelles en proposant un modèle intégrateur qui mesure l’effet simultané d’un plus grand nombre de pratiques que les études antérieures et qui intègre les trois principales formes de justice. D’autre part, nos résultats démontrent que les organisations ont tout intérêt à se soucier de la perception de justice de leurs employés si elles désirent augmenter significativement l’engagement affectif de ces derniers par la mise en place de pratiques en GRH. D’ailleurs si l’on s’attarde aux effets individuels des pratiques, nos résultats suggèrent que les organisations auraient avantage à cibler d’abord les pratiques de reconnaissance non monétaire, les pratiques de partage du pouvoir ayant trait à la consultation et les pratiques de partage d’information puisque ces trois variables sont positivement et significativement associées à l’engagement affectif par le biais de la justice organisationnelle.

Premièrement, nos analyses ont fait ressortir l’influence prépondérante des pratiques de reconnaissance non monétaire sur les trois formes de justice. Cette étude apporte une nouvelle contribution à la littérature, car jusqu’à maintenant, seule la reconnaissance monétaire avait été mise en relation avec la justice distributive ou procédurale (Dulebohn et Martocchio, 1998 ; Meyer et Smith, 2000). De plus, nos résultats démontrent que c’est sur la justice distributive que la reconnaissance non monétaire exerce l’effet le plus important. Ainsi, à l’instar de la reconnaissance monétaire, le fait de reconnaître publiquement les efforts fournis semble être perçu comme un résultat sur lequel il est possible de porter un jugement de justice.

Deuxièmement, nos résultats indiquent que les pratiques de consultation influencent positivement les trois formes de justice organisationnelle avec un effet particulièrement important sur la justice interactionnelle. L’explication à l’égard de ces relations relève surtout de la théorie même de la justice procédurale (Thibaut et Walker, 1975), selon laquelle l’effet de l’expression (voice), soit de donner aux employés la possibilité de s’exprimer, contribue à favoriser la perception d’impartialité et de justice. Ainsi, le sentiment d’être consulté favoriserait la perception des employés quant à l’impartialité des résultats, des procédures et de leur mise en application.

Troisièmement, les pratiques de partage d’information semblent tout aussi importantes puisque la justice distributive et procédurale sont significativement reliées à ce type de pratiques. Ces résultats corroborent ceux des études antérieures (Hartman, Yrle et Galle, 1999 ; Schappe, 1996). Par contre, notre recherche n’a pu établir de lien entre le partage d’information et la justice interactionnelle. Il est possible d’expliquer ces résultats non significatifs par le fait que notre mesure de partage d’information visait uniquement l’information d’ordre corporatif qui est généralement diffusée par le biais des procédures formelles de l’organisation et non les informations sur l’environnement immédiat de l’employé davantage caractéristiques de la relation entre le supérieur et l’employé. Ces dernières seraient donc plus susceptibles d’être liées à la perception de justice interactionnelle.

Finalement, les pratiques qui semblent beaucoup moins porteuses sont l’autonomie décisionnelle, l’initiative et la gestion des compétences. Dans le premier cas, un lien positif a été trouvé uniquement avec la justice procédurale, alors que dans les deux autres, aucune relation significative n’a été identifiée. Les résultats peu significatifs de l’autonomie décisionnelle et de l’initiative pourraient être attribuables aux caractéristiques de notre échantillon puisque, comme nous l’avons mentionné précédemment, les principales tâches des directeurs financiers s’effectuent dans des processus de travail standardisés offrant peu d’autonomie décisionnelle et requérant peu d’initiative.

Les résultats obtenus dans cette recherche, quant à l’effet non significatif des pratiques de gestion des compétences, vont dans le même sens que ceux de Meyer et Smith (2000) qui n’ont trouvé aucun lien entre la formation et la justice procédurale. Selon ces auteurs, il est possible que la formation doive être couplée à d’autres pratiques (ex. développement de carrière) pour avoir un effet réel sur le développement de l’engagement par le biais de la justice. Or, dans la configuration des postes de travail de l’organisation étudiée, les directeurs financiers représentent des ressources dont les compétences ne sont ni rares ni uniques, des employés pour lesquels l’organisation privilégie une stratégie d’acquisition plutôt que d’internalisation (Lepak et Snell, 2002). À ce titre, ils sont recrutés pour effectuer un travail requérant une formation orientée sur la tâche qui est dispensée sur le lieu et au poste de travail. De plus, compte tenu des possibilités de mobilité relativement réduites de cette catégorie d’emploi, nous comprenons qu’il existe très peu de liens entre formation et carrière. Ainsi, la formation à elle seule ne contribuerait pas à une perception positive de justice d’un individu envers son organisation.

En ce qui concerne la justice organisationnelle, chacune des formes considérées distinctement affecte positivement l’engagement affectif. Dans la perspective théorique de l’échange social, cela signifie que les employés qui perçoivent que les résultats, les procédures et l’application de celles-ci sont équitables auront un attachement affectif envers l’organisation ou le supérieur dû à l’effet de la norme de réciprocité. La justice procédurale est la forme de justice dont l’effet est le plus important sur l’engagement affectif. Ce résultat supporte les recherches antérieures sur le sujet (McFarlin et Sweeney, 1992 ; Pillai, Schriesheim et Williams, 1999 ; Schappe, 1996).

La justice distributive a été traditionnellement associée à différentes mesures de satisfaction telles que le salaire, les promotions, les avantages sociaux et le travail (Folger et Konovsky, 1989 ; Mathieu et Zajac, 1990 ; McFarlin et Sweeney, 1992 ; Tremblay, Sire et Pelchat, 1998). Dans cette perspective, la relation établie dans la présente recherche entre la justice distributive et l’engagement affectif ajoute à la diversité de ces attitudes au travail en corroborant les résultats d’études récentes sur le sujet (Colquitt et al., 2001 ; Meyer et al., 2002).

Finalement, l’influence positive de la justice interactionnelle sur le développement de l’engagement identifié dans cette recherche supporte les résultats obtenus par Schappe et Doran (1997) et par Naumann, Bies et Martin (1998). Même si elle demeure liée à l’engagement affectif, la justice interactionnelle constitue la dimension qui exerce l’effet le moins important dans le modèle final (v. étape 4, tableau 3). Ce résultat s’explique partiellement par le modèle théorique de « l’agent vs le système » de Bies et Moag (1986) qui propose que les individus réfèrent à cette forme de justice lorsqu’ils réagissent à des figures d’autorité comme le supérieur immédiat (agent), mais qu’ils réfléchissent en fonction de la justice procédurale lorsqu’ils évaluent l’organisation (système). Le modèle agent-système a été appuyé dans la méta-analyse de Colquitt et al. (2001) qui ont observé que l’effet de la justice procédurale sur l’engagement organisationnel de type affectif était plus élevé que celui de la justice interactionnelle, comme c’est le cas dans cette recherche.

Bien que cette étude apporte plusieurs avancées intéressantes, elle contient certaines limites. D’abord, une entrave à la validité interne se manifeste par l’utilisation d’une mesure autorapportée (une même personne juge de la présence de la pratique, évalue la perception de justice organisationnelle et de son degré d’engagement). Cette façon de procéder entraîne parfois des problèmes de variance commune. Toutefois, les faibles corrélations observées entre les construits (r : < 0,46), jumelées aux écarts types relativement élevés limitent la probabilité d’une telle situation. Par ailleurs, l’homogénéité de notre échantillon nuit à la validité externe de nos résultats et limite ainsi leur généralisation à d’autres emplois ou secteurs d’activités. Une troisième limite a trait aux liens de causalité entre les variables de notre modèle. Bien que le sens des relations proposées dans le cadre de cette recherche repose sur une importante revue de la littérature, les analyses de régression ne nous permettent pas de nous assurer d’une telle causalité. À ce titre, un devis longitudinal permettrait de clarifier la situation dans une recherche future.

En définitive, nos résultats corroborent le fait que l’avantage concurrentiel des firmes performantes repose d’abord sur leur capacité à augmenter la valeur ajoutée de leurs ressources humaines dans l’atteinte du succès organisationnel (Becker et Huselid, 1999). Pour réaliser cet objectif, elles doivent innover en matière de GRH en utilisant notamment des pratiques qui favorisent l’adoption d’attitudes et de comportements positifs pour l’organisation. Dans cette optique, les entreprises ont tout intérêt à encourager les gestionnaires à agir dans le respect des règles d’équité, d’impartialité et de respect afin de stimuler l’engagement affectif de leurs employés et de maximiser l’investissement exigé par la mise en place de pratiques en GRH.