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Ce livre présente comment les biens sont distribués dans l’économie mondiale en prenant comme exemple les ports jumeaux de Los Angeles et de Long Beach dans le Sud de la Californie. Par eux transitent 40 % des gros conteneurs remplis de biens manufacturés et 80 % des importations en provenance d’Asie.

Il y a beaucoup d’écrits sur les travailleurs de production, mais bien peu sur ceux qui s’affairent au transport partout dans le monde des biens qui aboutissent dans nos magasins. Les auteurs se concentrent sur ces travailleurs impliqués dans la révolution logistique : les marins, les débardeurs, les camionneurs, les cheminots, les travailleurs d’entrepôts et de centres de distribution, non seulement sur ce qu’il leur arrive mais aussi sur leur potentiel d’organisation pour protéger leurs droits.

Le focus exclusif de l’étude porte sur les importations aux États-Unis plutôt que sur les exportations et sur le transport océanique de conteneurs plutôt que sur le fret aérien. En somme, l’emphase est placée sur les biens de consommation manufacturés importés aux États-Unis par conteneurs de l’Asie.

La méthode utilisée est éclectique, plus qualitative que quantitative. L’attention est portée sur les chaînes d’approvisionnement et de distribution de fret mais dans une perspective sociologique, voire ethnographique. Les auteurs insistent sur les relations sociales sous-jacentes de pouvoir, d’inégalité et d’exploitation propres à la production et à la distribution mondialisées.

La partie I, intitulée « La révolution logistique et ses conséquences », comporte deux chapitres : l’un sur la révolution logistique (chap. 1), l’autre sur les importations (chap. 2). Le chapitre 1 mérite une attention particulière parce qu’il démontre la complexité de ces chaînes d’approvisionnement. La notion de logistique en est venue à comprendre la gestion de la chaîne entière d’approvisionnement, du design aux commandes, à la production, au transport, à l’entreposage, à la distribution, aux ventes, au « redesign » et aux nouvelles commandes.

L’objectif de cette révolution logistique est de combler l’écart entre l’offre et la demande plus efficacement et de lier l’offre à la demande. Le résultat en est que la concurrence se déplace du niveau de la firme à celui de la chaîne d’approvisionnement. Le réseau de base de la concurrence devient alors le réseau d’approvisionnement, les détaillants achetant de multiples fournisseurs, grossistes et manufacturiers différents qui produisent des biens pour des détaillants multiples et diversifiés. Cette notion vient de l’idée que les marchés, domestiques et internationaux, fonctionnent avec un minimum d’intervention de l’État.

Cette révolution logistique provoque un déplacement de pouvoir des producteurs et manufacturiers aux détaillants (surtout les plus gros – WalMart), des changements dans la façon de produire et de distribuer le fret ainsi que des changements pour les travailleurs et leurs syndicats dans la production et la distribution. En somme, les détaillants, surtout les gros, imposent leurs diktats sur la production dans tous ses aspects et même sur les prix. La production devient flexible, favorisant ainsi la prolifération des produits et cherchant à éviter l’accumulation des inventaires à tout point du réseau.

Les impacts de ce qui précède sur le travail sont importants tant pour la production que pour la distribution : plus d’imprévus, des syndicats affaiblis, une discrimination de sexe et de race et des normes du travail plus faibles.

Le chapitre 2 vise les importations et plus spécifiquement les « shippers » i.e., ces compagnies propriétaires du cargo à transporter. Ces détaillants géants constituent les principaux importateurs de biens aux États-Unis. Ils sont alors dominants dans la hiérarchie du pouvoir de la logistique internationale, et plusieurs des autres maillons de la chaîne en souffrent.

La partie II du livre traite du déplacement du fret. Le chapitre 3 vise la conteneurisation et l’inter-modalisme aux deux ports ici étudiés. Le chapitre 4 traite des lignes de navigation, le chapitre 5, du transport terrestre côtier et le chapitre 6 s’intéresse aux entrepôts et aux centres de distribution. La présentation des différentes phases de la chaîne logistique en illustre la complexité.

La partie III porte sur les travailleurs maritimes (chap. 7), du bord de l’eau (chap. 8), des entrepôts et centres de distribution (chap. 9). De cette partie III, retenons que les marins et camionneurs de port ont expérimenté une hausse d’imprévus dans leur emploi (précarité), la discrimination, des pertes de syndicats et une baisse généralisée de leurs conditions de travail. Les débardeurs et les cheminots sont encore hautement syndiqués mais leurs syndicats sont sous attaque sérieuse. Ils font face aux pertes d’emplois. Les cheminots, eux, voient leurs conditions de travail se détériorer. Pour leur part, les travailleurs d’entrepôt et de centre de distribution vivent une expérience similaire à celle des marins et camionneurs de port.

La conclusion (gagnants et perdants) est décevante. Certes, les produits sont fabriqués pour mieux satisfaire la demande des consommateurs à de meilleurs prix chez les géants des grandes surfaces. Rien de nouveau ici. Il y a évidemment des perdants devant telle chaîne logistique. Ce sont les petits détaillants et surtout les travailleurs : perte de sécurité d’emploi, affaiblissement des syndicats quand ils existent, discrimination, exportation des emplois et détérioration des salaires et conditions de travail.

Les auteurs s’attardent surtout dans cette conclusion sur dix (en fait neuf) points vulnérables de cette chaîne logistique : des longues lignes d’approvisionnement, au juste-à-temps, à la saisonnalité du marché au détail, aux alliés potentiels, à l’importance stratégique de la logistique travailleurs/syndicats, etc. Les auteurs présentent ensuite quelques pensées rudimentaires, à leur dire, sur l’organisation de ces travailleurs en syndicat. Et ces pensées sont réellement rudimentaires.

Ce livre reste intéressant parce qu’il expose bien une chaîne complexe d’activités à travers les continents. Cela vaut le coup. Mais l’analyse reste réservée surtout au chapitre de la conclusion.