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Le Japon au travail, Par Bernard Bernier, avec la collaboration de Vincent Mirza, Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2009, 253 p., ISBN 978-2-7606-2090-2.[Record]

  • Étienne Cantin

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  • Étienne Cantin
    Université Laval

Cet ouvrage exceptionnel traite des conditions et des significations du travail au Japon de la période d’Edo (1615-1868) à nos jours. Tel qu’indiqué en introduction, c’est d’abord « sa qualité de premier pays non occidental à s’industrialiser avec succès » qui fait l’intérêt particulier du Japon pour l’anthropologie du travail, car ceci « donne pour l’analyse une certaine profondeur historique dans l’étude de la mise en place et des transformations de structures de travail de type ‘capitaliste’ » (p. 10). L’intérêt particulier d’une étude anthropologique du travail au Japon découle aussi du fait qu’« il s’agit précisément d’un pays hors de la zone occidentale, donc avec une tradition qui diffère grandement de celle qui a modelé ce même type de développement en Occident; et c’est enfin le fait que le Japon a connu entre 1991 et 2003 une crise importante qui a entraîné des conséquences majeures dans tous les domaines, y compris le travail » (p. 10, 195-232, passim). L’argument théorique et historique principal du professeur Bernier est à l’effet que, « sauf dans les périodes transitoires, le travail est intégré à un ensemble de modes d’organisation et de significations » qu’il nomme ici « régime de travail ». En adaptant ainsi le concept de « régime d’entreprise » formulé par le sociologue Michael Burawoy, Bernier examine les différents régimes de travail qui se sont succédés au Japon depuis la période « préindustrielle » d’Edo afin d’« éclairer ces régimes par contraste et pour noter les continuités » (p. 12). Ce faisant, il nous propose d’analyser comment les institutions du travail japonaises ont été conçues en relation avec l’organisation familiale, avec le système d’éducation et avec les loisirs. De plus, il explique les liens complexes qui se sont historiquement noués entre « l’économique », comme cadre général du régime de travail, et « le politique » – notamment, par l’influence de politiques de l’État qui ont fortement marqué le développement des activités de travail depuis l’ère d’Edo. Le chapitre 1 analyse le sens et les conditions des activités des différentes castes (guerriers, paysans, artisans, marchands) dans le Japon « préindustriel » ou, plus précisément, durant la dernière époque « féodale » de contrôle du pouvoir par la caste des guerriers. À cette époque précapitaliste, les activités d’une bonne partie de la population étaient conçues « dans un cadre moral comme devoir spécifique associé à un statut particulier dans le système de castes, donc comme ayant un sens différent selon la position dans la hiérarchie » (p. 12). Plus spécifiquement, le travail était conçu comme étant de nature différente pour chaque caste (p. 20-34). L’utilisation du salariat dans les mines, les manufactures et les services avait eu pour effet de séparer le lieu de résidence du lieu de travail pour une portion non négligeable de la population. Pourtant, ces changements étaient relativement faibles et n’occasionnaient en rien une transition vers le capitalisme. De la même manière, le Japon a connu durant la période d’Edo une croissance des activités commerciales et productives sans pour autant que le « cadre politique féodal » ne soit modifié en profondeur. Ceci explique que la proportion des salariés est demeurée faible (p. 35-40) : le travail au Japon, dans l’ère d’Edo, « n’a pas évolué vers la forme abstraite caractérisant le capitalisme, une forme qui, par le salariat généralisé, le limite à la production de valeurs d’échange » (p. 43). Dans le chapitre 2, Bernier ébauche un exposé de la manière dont les « rapports capitalistes » se sont graduellement déployés dans l’industrie à partir de 1868 à mesure que le salariat progressait rapidement et …