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Ce que sait la main: la culture de l'artisanat Par Richard Sennett (traduction de: The Craftsman par Pierre-Emmanuel Dauzat), Paris: Albin Michel, 2010, 405 p., ISBN 978-2-226-18719-2.[Record]

  • Fernand Morin

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  • Fernand Morin
    Université Laval

Sous le titre Ce que sait la main, Richard Sennett souligne la valeur du travail bien fait tant pour l’artisan lui-même que pour la société. Cette étude précise le sens profond et véritable à la formule populaire d’un savoir « sur le bout des doigts ». Par ses multiples illustrations, Richard Sennett nous fait comprendre que le travail bien fait, qu’il soit manuel ou intellectuel, exige tout autant d’intelligence, de patience et d’attention de la part de son auteur. On calculerait, aux États-Unis, qu’il faudrait, en moyenne, 10 000 heures d’expérience pratique pour obtenir une véritable maîtrise d’un métier. L’auteur conteste d’ailleurs avec véhémence la thèse soutenue par Hannah Arendt à savoir que les « gens qui font » ne comprendraient pas toujours ce qu’ils font... ! En réplique, Sennett formule cette contre-question : « Est-ce que Oppenheimer savait bien ce qu’il faisait lorsqu’il réalisa la bombe atomique ? ». Peut-être est-ce cette dichotomie factice du POURQUOI et du COMMENT qu’il nous faudrait savoir réconcilier, entendu qu’un véritable enseignement ne saurait s’astreindre à un seul de ces deux volets. Si la connaissance peut avantageusement débuter par un pourquoi, elle devrait aboutir par le comment se réalise le projet. Il est d’ailleurs logique qu’il en soit ainsi du fait que la cause (le pourquoi) est souvent semblable alors que le comment demeure évolutif du seul fait des acquis de l’expérience des uns et des autres. Suite à la lecture de cet ouvrage, on ne peut qu’être ébloui à la fois par la diversité des champs explorés par l’auteur et par sa maîtrise du sujet traité. Que ce soit la reconstruction de Londres incendiée à l’aide de la brique ou de la recherche d’un matériau léger et fort pour la toiture du musée de Bilbao ou encore, du procédé d’assèchement du tunnel servant à un métro, il y eut des hommes déterminés, imaginatifs et perspicaces qui réalisèrent de tels projets jugés jusqu’alors impossibles. Richard Sennett est d’abord sociologue et connaît fort bien l’univers du monde du travail. Ses trois ouvrages les plus connus en font foi : Travail sans qualité; Respect de la dignité de l’homme dans un monde d’inégalités et La culture du nouveau capitalisme. Que l’on soit sociologue du travail, économiste du travail et même juri-laboriste, à titre de lecteur, on ne saurait trouver un meilleur compagnon pour entretenir une réflexion sur les multiples implications du travail et les diverses facettes de la vie professionnelle. Déjà, par la simplicité du plan retenu, l’auteur indique bien le parcours qu’il nous propose. En effet, l’ouvrage comprend ces trois parties : l’artisan, le métier et l’artisanat. Chacune d’elles est écrite de manière à pénétrer en divers milieux concrets du travail et des efforts et expériences qui y furent entrepris en vue de relever de véritables défis. L’auteur met en pratique un conseil pédagogique essentiel en milieu professionnel et qu’il énonce en une phrase concise et lapidaire : « Montre, ne dis pas ». Il en explique le sens et les implications sous le titre évocateur : « Instructions expressives » car, souligne-t-il, comment dire ou écrire ce que la main devrait faire ? Pourquoi une recette de cuisine peut être si difficile à écrire et, une fois bien transcrite, pourquoi sa réalisation peut varier d’une personne à une autre qui s’y essaie (p. 249 et suiv.). S’il en est ainsi pour traduire concrètement une recette, ainsi peut-il en être de l’élaboration d’instructions ou de méthodes de travail adressées aux salariés afin qu’ils puissent bien les réaliser. Le travail bien fait ou excellent, nous explique Sennett, ne peut être que le …