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À la lecture du titre du volume d’Élizabeth Grebot, le lecteur comprend tout de suite le travail colossal réalisé par l’auteure qui entreprit d’étudier quatre pathologies au travail majeures (le stress au travail, l’épuisement professionnel ou burnout en anglais, la dépendance au travail ou « workaholisme » et le harcèlement psychologique ou mobbying en anglais), dont l’intérêt demeure d’actualité en France (où l’ouvrage a paru), mais aussi au Canada et au Québec. L’auteure aborde ces pathologies à partir d’un « modèle intégratif » d’analyse, qui puise dans la psychosociologie, la psychopathologie, la clinique, la sociologie et l’économie (les trois premiers horizons disciplinaires étant passablement plus mobilisés que les deux derniers). Le terme « pathologie », central dans le titre, est pourtant rapidement abandonné par l’auteure, sans explication, et remplacé par le terme « processus professionnel », qui est plus générique et moins précis dans la nature des phénomènes qu’il cerne. Le but visé par Grebot est de caractériser et distinguer quatre processus professionnels, à savoir le stress au travail, l’épuisement professionnel ou burnout, la dépendance au travail ou « workaholisme » et le harcèlement, afin de « proposer les mesures préventives organisationnelles adaptées, l’accompagnement psychologique adéquat ou l’indication thérapeutique la plus efficiente » (p. 12).

Le volume comporte cinq chapitres : 1- évolution des emplois et relation paradoxale des Français au travail; 2- le stress au travail; 3- l’épuisement professionnel (burnout en anglais); 4- la dépendance au travail ou « workaholisme »; et 5- le harcèlement psychologique (mobbying en anglais). Le premier chapitre porte sur les principaux changements du contexte professionnel et de l’environnement de travail, lesquels sont également observés en Amérique du Nord. Par la suite, l’auteure rapporte l’évolution dans la signification et la conception du travail en France et en Europe.

Le deuxième chapitre porte sur le stress au travail. Les thèmes couverts sont très nombreux  : définitions, principaux modèles du stress (causalistes, interactionnistes, transactionnels et intégratifs), facteurs de stress (exigences du travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie et de marge de manoeuvre, manque de soutien social et de reconnaissance au travail, conflit de valeurs, l’insécurité de l’emploi et du travail), nombreux traits de personnalité, stratégies d’adaptation (coping en anglais), effets nocifs sur la santé des individus (ex. : syndromes d’épuisement professionnel, dépendance au travail ou « workaholisme ») et pour l’organisation, processus de stress, instruments d’évaluation et coûts du stress. Le modèle transactionnel de Lazarus et Folkman (1984) occupe une place très importante par rapport aux autres modèles qui sont présentés, tandis que seul celui de Karasek fait l’objet de considérations critiques. La présentation des nombreux outils d’évaluation du stress professionnel (facteurs de stress, processus cognitivo-émotionnels et conséquences sur la santé) constitue une belle contribution qui vaut la peine d’être soulignée. Toutefois, la description de ces outils n’est pas homogène et le niveau de détails donné ne s’avère pas toujours suffisant. À titre d’exemple, concernant les qualités psychométriques des outils, l’auteure se limite à mentionner si l’instrument « est satisfaisant » ou « plutôt satisfaisant ». Toutefois, il faut reconnaître que l’auteure fournit un vaste tour d’horizon pour quiconque veut acquérir une connaissance générale sur le stress au travail. Cependant, pour le lecteur connaissant quelque peu ce domaine de recherche, cette approche essentiellement descriptive aurait gagné à faire l’objet d’une analyse critique.

Le troisième chapitre aborde en profondeur l’épuisement professionnel (burnout en anglais). L’auteure y traite, tour à tour, de l’historique de la notion, des liens entre le stress et l’épuisement professionnel, des définitions (symptômes et syndrome), des modèles (individuels, interpersonnels, organisationnelles et sociologiques), des facteurs, des traits de personnalité (Big Five), de l’adaptation ou coping (centré sur le problème, l’émotion et soutien social; défenses), des profils multiples (3 ou 5), de la distinction entre épuisement professionnel et dépression et, finalement, des instruments d’évaluation. À l’instar d’auteurs spécialistes du sujet (Maslach, Schafeli et Leiter, 2001; Maslach et Leiter, 2008), Grebot distinque la réaction de stress, laquelle est envisagée comme ponctuelle et immédiate, et l’épuisement professionnel qui est plutôt « une réponse prolongée à des stresseurs émotionnels et interpersonnels chroniques au travail » (p. 114). Grebot, s’inspirant des travaux de Truchot (2004 : 227), conçoit l’épuisement professionnel comme un « stress professionnel chronique ». Par conséquent, devrait-on comprendre que la seule différence entre le « stress » et l’épuisement professionnel est la durée de l’exposition au stresseur ? À cet égard, mentionnons que cette distinction apparaissait déjà dans le « syndrome général d’adaptation » de Selye (1950) : alarme, résistance et épuisement. L’auteure pose donc qu’à l’origine du surmenage se retrouvent les facteurs de stress, dont une bonne part sont d’ordre organisationnel (conflit de rôle, ambiguïté de rôle, surcharge, etc.) De plus, puisant dans les travaux de nombreux auteurs, l’épuisement professionnel est étudié sous l’angle des symptômes (état-burnout) et de celui du syndrome (processus). Par exemple, selon Schaufeli et Enzmann (1998), les symptômes seraient au nombre de 132, regroupés en cinq registres (cognitif, émotionnel, comportemental, motivationnel et physique) et se déclinant en trois niveaux (personnel, interpersonnel et organisationnel). Il en est de même pour le processus de l’épuisement professionnel dont les étapes varient selon les auteurs et qui est lui aussi analysé dans le détail. Grebot propose ainsi un portrait riche de l’épuisement professionnel (burnout en anglais), mais qui aurait bénéficié d’une analyse critique plus complète (les considérations critiques ciblent seulement le modèle de Maslach). Comme pour le stress au travail, les qualités psychométriques des instruments d’évaluation de l’épuisement professionnel ne sont que brièvement discutées.

La dépendance au travail ou « workaholisme » fait l’objet du quatrième chapitre. L’auteure fait ressortir le manque de consensus qui prévaut toujours à l’heure actuelle sur le nombre de dimensions que comporte ce concept : certains auteurs ne retiennent que le travail excessif et le travail compulsif, tandis que d’autres ajoutent la satisfaction au travail. Ce désaccord n’est pas sans importance, notamment parce qu’il aura une influence sur la manière d’établir quels individus seront considérés comme les « vrais » bourreaux de travail ou « workaholics » : dans un cas, ce seront tous ceux caractérisés par un travail excessif et compulsifs, tandis que dans l’autre cas, ce seront ceux qui en plus sont insatisfaits au travail (cf. « workaholics » non enthousiastes). De plus, l’auteure note que les travailleurs compulsifs se sentiraient moins bien traités que les travailleurs excessifs (Peiper et Jones, 1911). Par ailleurs, Grebot relève que les auteurs ne s’entendent pas non plus sur la nature du « workaholisme » : s’agit-il d’une pathologie addictive ou d’un « activisme professionnel » (Grebot, 2013) ? L’auteure rapporte aussi que, pour plusieurs auteurs, l’épuisement professionnel ou burnout est une conséquence potentielle du « workaholisme ». Ce dernier point met en évidence toute la difficulté de distinguer ces différents processus professionnels entre eux. Mais le « workaholisme » se distingue des autres processus professionnels sur au moins un point important: si, règle générale, le fait de pouvoir exercer son autonomie au travail constitue une ressource bénéfique à la santé, ce n’est pas le cas de l’individu workaholic pour qui une autonomie élevée activerait la dimension compulsive du « workaholisme ». Enfin, si l’approche transactionnelle et intégrative du « workaholisme » privilégiée par l’auteure est riche à plusieurs points de vue, on y observe néanmoins un problème d’indépendance entre certaines caractéristiques personnelles (tendance compulsive à travailler, exigences élevées, perfectionnisme) et le « workaholisme ».

Le harcèlement moral ou psychologique est traité dans le dernier chapitre. À l’image des précédents chapitres, l’auteure y présente les définitions multiples, les différentes approches (psychosociale, psychodynamique psychanalytique, transactionnelle et multifactorielle, systémique, cognitive), les phases du processus (2 à 9), les caractéristiques organisationnelles (conflit de rôle, ambiguïté de rôle, surcharge, etc.) et celles des cibles du harcèlement, les techniques de harcèlement, les agresseurs pathologiques, l’adaptation (coping en anglais) et les conséquences pour les individus et les organisations, ainsi que quelques instruments d’évaluation. On peut, là encore, regretter le manque de considérations critiques sur les approches et notions présentées, ainsi qu’une appréciation trop sommaire des qualités psychométriques des instruments d’évaluation du harcèlement.

Le projet de l’auteure était très ambitieux considérant que, pour peu que l’on se soit intéressé à ces pathologies au travail, on sait que chacune d’elles a fait l’objet de très nombreuses recherches dont le consensus reste encore à établir sur plusieurs aspects. Le lecteur s’attend donc à ce que l’auteure propose un modèle conceptuel dans lequel sont postulées des relations différenciées et des construits indépendants pour chacune des quatre pathologies au travail. Grebot fait parfois la même erreur que bien d’autres auteurs dans l’usage du terme « stress » qui reste ambigu, notamment lorsqu’il s’agit d’établir des liens avec les trois autres processus organisationnels. À quoi réfèrent précisément les processus organisationnels ou pathologies au travail étudiés? À des facteurs organisationnels de stress, des réactions de stress ou encore au processus de stress? Quant au modèle intégratif, il semble parfois s’apparenter à un jeu de poupées russes s’emboîtant l’une dans l’autre, tandis qu’à d’autres moments de l’analyse, il semble plutôt circulaire et multidirectionnel.

En terminant, je recommande la lecture de ce volume, car il permet d’acquérir rapidement une bonne connaissance de l’état de la question pour chacune de ces quatre « pathologies au travail ». Par ailleurs, pour qui voudrait en savoir davantage sur les différents aspects de ces processus professionnels, l’auteure fournit une bibliographie impressionnante de 24 pages.