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Introduction

Vu le rythme de propagation du virus de la COVID-19 sur le territoire belge, notre établissement universitaire a décidé de basculer en mode d’enseignement à distance exclusif le 12 mars 2020, avec maintien de la continuité des enseignements.

En tant qu’enseignantes impliquées dans la formation initiale des enseignants du secondaire supérieur (agrégation et master en didactiques), nous avons été amenées, du fait de cette situation inédite et particulièrement contraignante, à transformer les dispositifs prévus en prenant appui sur les ressources de la plateforme Moodle afin de maintenir l’atteinte des objectifs initiaux.

Cet article relate cette expérience. Après une brève présentation des atouts et défis que posent les outils numériques dans le contexte de la crise sanitaire, nous décrivons le dispositif pédagogique ainsi que les éléments qui ont piloté nos choix. Une analyse critique et une discussion terminent le propos.

1. Les outils numériques d’enseignement à distance : présupposés des atouts et défis

Les outils numériques, vu la multiplicité des canaux de communication qu’ils utilisent, sont traditionnellement reconnus (Martin et Betrus, 2019; Poyet et Drechsler, 2009) comme offrant davantage de réponses flexibles et de moyens pour différencier les supports et les parcours d’apprentissage. Du point de vue des apprenants, plusieurs études sur le potentiel des TIC pour l’apprentissage s’entendent pour reconnaître un effet sur l’engagement et la motivation des apprenants (Ng, 2015). Ainsi, ceux-ci s’impliquent de manière plus positive dans l’apprentissage et poursuivent des objectifs qui leur permettent d’être plus productifs (Passey et al., 2004). Le recours à de tels outils pose néanmoins la question de la compétence numérique (Kirschner et De Bruyckere, 2017; Spante et al., 2018) et celle de l’autorégulation des apprentissages (Santhanam et al., 2008).

En effet, la formation des enseignants et des étudiants à leur maniement est un présupposé incontournable afin de garantir un usage des outils numériques au service de l’apprentissage et de pallier les risques de baisse de persévérance des étudiants. De plus, l’enseignement à distance induit un contexte particulier (manque de repères temporels, contacts sociaux faibles). Les étudiants qui semblent le mieux s’en sortir sont ceux ayant de bonnes capacités d’autorégulation des apprentissages.

Au-delà de la situation de crise sanitaire génératrice de stress par essence et nécessitant une nouvelle organisation matérielle dans le champ de la vie personnelle, le basculement rapide et inattendu vers un enseignement et un apprentissage à distance a généré de nouveaux défis, tant pour les enseignants que pour les étudiants. Les premiers ont dû rapidement scénariser de nouveaux dispositifs qui garantissent une continuité pédagogique et l’engagement des étudiants tandis que les seconds devaient planifier leurs apprentissages de manière autonome.

2. Transformation d’un dispositif de formation à l’enseignement

2.1. Contexte du dispositif

L’expérience relatée dans cet article a pris place dans le programme de la formation à l’enseignement organisé dans une université belge francophone (30 ECTS) et plus particulièrement dans le cours de sociologie de l’éducation (4 ECTS). Pris en charge par une équipe enseignante composée de trois collaboratrices, le dispositif était organisé au second quadrimestre à raison de 12 séances de deux heures par semaine et avait débuté en présence. Au moment de la mise à distance des cours, la moitié des séances avait été dispensée.

2.2. Transformations du dispositif : des points d’appui

2.2.1 Un public adulte professionnellement actif et en projet

Les étudiants sont soit des adultes en reprise d’études, soit de jeunes adultes fraîchement diplômés, soit des jeunes en fin de master universitaire. En conséquence, comme ils sont pour la majorité en charge de famille et/ou impliqués dans des activités professionnelles à l’horaire assoupli ou adapté selon le secteur, la plage horaire initialement prévue pour le cours risquait d’être occupée par d’autres tâches. Il a été décidé de conserver l’horaire de deux heures d’activités hebdomadaires, mais de les proposer sous forme de modules asynchrones accessibles à heure fixe. De cette façon, nous allions régularité dans la mise à disposition des modules et souplesse dans leur appropriation.

2.2.2 Les potentialités de Moodle et les compétences techniques des usagers à exploiter

Les potentialités de la plateforme Moodle ont été explorées de manière à ajuster le dispositif sur la base des usages et des outils existants. Les enseignantes étaient familiarisées avec cette plateforme ainsi que les étudiants, qui l’utilisaient depuis le début de l’année universitaire pour accéder à des ressources (diaporamas, articles, rétroactions) ou répondre à des questions. Dans la palette d’outils accessibles sur cette plateforme, certains ont particulièrement suscité notre intérêt :

  • les forums qui soutiennent l’interactivité entre enseignants et étudiants;

  • les tests qui permettent de réaliser des activités variées comme des jeux-questionnaires, des vrai‑faux, des questions d’appariement sur la matière;

  • le MediaServer d’UbiCast qui donne accès à une banque de ressources vidéos créées par les enseignants;

  • le module « page » qui par le biais d’un éditeur de pages Web met à disposition une variété de ressources (vidéo, lien URL, article, etc.) avec un accès facilité;

  • les enquêtes, très utiles pour récolter les avis des étudiants.

Par ailleurs, la fonctionnalité de vidéocapture d’écran a été largement exploitée pour créer des diaporamas animés et commentés avec la voix de l’enseignante principale. Les vidéocaptures permettent de « placer un matériel enregistré sur un site Web que les étudiants peuvent consulter et prennent la forme d’un enregistrement simultané de l’écran et d’un fichier audio » (Jesus et Moreira, 2009, cité dans Morris et Chikwa, 2014).

2.3. Scénarisation du dispositif

Forte de ces ressources, l’équipe a opté pour une structure relativement récurrente d’une séance à l’autre de manière à faciliter la saisie des nouveaux supports par les étudiants.

Chaque module était composé de vidéocaptures d’écran (figure 1) d’une durée de moins de 20 minutes en moyenne afin de soutenir l’attention et la motivation des étudiants.

Figure 1

Captures d’écran de différentes activités telles qu’elles apparaissent dans le cours

Captures d’écran de différentes activités telles qu’elles apparaissent dans le cours

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La première vidéocapture de chaque module présentait la chronologie des activités tandis que les suivantes se centraient sur des apports théoriques. Chacune d’elles était suivie de tests avec des questions de différents formats :

  • des questions de clarification ou d’appropriation de la matière sous la forme de questions vrai-faux, d’appariement ou de textes à trous. Chaque réponse donnait accès à une rétroaction préencodée qui permettait à l’enseignant de souligner les notions prioritaires à maîtriser;

  • des questions ouvertes de mise en lien avec la pratique et de réflexion personnelle, voire de mise en projet qui soutenaient un temps d’analyse réflexive, compétence développée au cours du programme de formation initiale à l’enseignement.

Articulés à ces vidéocaptures d’écran, des vidéos de sensibilisation et d’illustration (récits de pratiques, activités pédagogiques) et des témoignages d’experts ont été ajoutés à partir de la 4e séance pour faire le lien avec la réalité professionnelle.

Les apports de trois témoignages d’experts du terrain, enregistrés en amont, ont également soutenu une interactivité inédite : contrairement aux années précédentes, les étudiants ne posaient pas leurs questions en direct pendant le cours, mais librement dans un espace prévu à cette fin. Les experts y répondaient dans un délai d’une semaine. L’ensemble des questions et réponses était ensuite rassemblé dans un document accessible à tous. Le taux de participation (20 % d’étudiants posent une question et 70 % consultent les réponses) laisse supposer que cette interaction asynchrone a soutenu un engagement chez les étudiants.

En outre, pour chaque module, les étudiants avaient la possibilité de publier leurs questions sur le forum dans une ligne de discussion spécifique. Ces interactions ont étoffé les séances par des clarifications et des apports de nouvelles ressources.

Par ailleurs, un travail de dépassement a été implémenté dès la 3e séance sous la forme de boîtes à outils qui rassemblaient des ressources en lien avec le cours et le terrain professionnel sous formats variés. Elles étaient soit obligatoires (des tests y étant associés), soit facultatives.

Tout au long du processus, les étudiants ont été informés de l’organisation temporelle des activités du cours grâce à une métacommunication par messages envoyés dans leur boîte aux lettres électronique.

3. Observations et constats

Un sondage réalisé sur la plateforme au terme de la première séance ainsi que les statistiques de fréquentation générées par la plateforme Moodle (considérant la connexion des étudiants à chaque module d’activités et la consultation des ressources) offrent des données utiles pour mener une analyse critique. Nous avons analysé ces données de manière qualitative en confrontant les résultats issus de ces deux sources.

Le sondage avait pour but de recueillir rapidement l’avis des étudiants quant au rythme des activités proposées afin de le réguler pour les séances suivantes. Rempli par près de 70 % des 59 étudiants ayant consulté les ressources, il a indiqué que le rythme de cette première séance convenait à près de 90 % d’entre eux. Les séances asynchrones conçues pour durer deux heures se sont avérées plus longues, ce qui nous a poussées à calibrer davantage les activités des modules suivants.

Les statistiques de fréquentation de l’espace d’apprentissage en ligne (figure 2) montrent un taux de participation final moyen de 93 %. Nous observons néanmoins qu’une partie des étudiants inscrits (13 %) ont suivi les séances entre la fin du quadrimestre et la veille de l’examen.

Figure 2

Pourcentage d’étudiants inscrits ayant suivi les différents modules d’apprentissage en ligne à deux moments de l’année : fin des cours et veille de l’examen

Pourcentage d’étudiants inscrits ayant suivi les différents modules d’apprentissage en ligne à deux moments de l’année : fin des cours et veille de l’examen

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Les activités les plus consultées (figure 3) sont les vidéocaptures d’écran ainsi que les témoignages. Les tests restent consultés, même si un tassement s’observe lors des dernières séances (70 %).

Le taux d’engagement des étudiants, mesuré par le pourcentage des ressources consultées et des activités effectuées, a été maintenu jusqu’au terme du cours et dépasse le taux de présence des étudiants observé lors des séances en présence les années précédentes.

Figure 3

Pourcentage des activités suivies par séance de cours

Pourcentage des activités suivies par séance de cours

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4. Analyse critique

Le maintien de l’engagement des étudiants dans nos activités d’enseignement constituait un défi dans ce contexte de mise à distance obligée. Selon les données dont nous disposons, il semble avoir été relevé. Afin de déterminer les éléments qui y ont contribué, nous analysons ce dispositif à la lumière du modèle PETTaL (power environment, teacher, technology, and learners) développé par Mukherjee, 2013). Ce dernier se base sur le modèle TPACK (Mishra et Koehler, 2006), mais en affine certains aspects.

Le modèle descripteur PETTaL associe les facettes technologiques et pédagogiques dans le processus d’intégration des TIC en contexte éducatif.

Il décrit cinq catégories (cf. figure 4) comprenant chacune des propriétés indépendantes qui soutiennent la réflexion dans la conception d’un dispositif d’enseignement et d’apprentissage à l’aide des technologies.

Figure 4

Illustration synthétique du modèle PETTaL. Adapté de Mukherjee (2013)

Illustration synthétique du modèle PETTaL. Adapté de Mukherjee (2013)

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En référence à la catégorie de l’environnement d’enseignement, nous avons veillé à ce que chaque module de cours à distance soit accessible à l’heure initiale du cours en présence et le demeure jusqu’à la certification. En outre, visuellement, la même charte graphique reste utilisée. Pour finir, les étudiants réalisant les cours de leur domicile, un soutien à l’usage technique était offert par l’Université.

Dans la catégorie technologie, nous relevons la plateforme Moodle. L’ajout d’un serveur média (UbiCast) a permis l’intégration aisée de vidéos, visualisables dans le navigateur des utilisateurs. Les forums ont soutenu des échanges et des questionnements sur le cours ou sur des aspects techniques. Les vidéocaptures d’écran et l’intégration des témoignages ont été réalisées dans un format court en veillant à la simplicité visuelle (transitions simples sans incrustation vidéo du présentateur) afin de limiter la charge cognitive (Mayer et Mayer, 2005).

En outre, la création de parcours flexibles en matière tant de rythme (cours ouverts jusqu’à la fin du quadrimestre, possibilité de mettre les vidéos sur pause) et de soutien à l’appropriation (tests avec rétroaction) que de variété des modalités de présentation des contenus (vidéocaptures théoriques, témoignages, bibliothèque de ressources) et de tâches proposées (écouter, regarder, analyser, tester sa compréhension, se projeter, découvrir) indique une véritable adaptation à l’hétérogénéité du public. Ces facteurs semblent bénéfiques pour l’apprentissage avec les nouvelles technologies (Hattie et Yates, 2013; Higgins et al., 2012).

Quant à l’équipe enseignante, il semble qu’elle puisse être qualifiée de compétente (Spante et al., 2018) quant au contenu du cours et à la maîtrise technique de la plateforme. La mise en ligne de l’entièreté des cours a néanmoins nécessité l’approfondissement de certaines connaissances (comme la recherche d’exemples pratiques, normalement apportés en séance par les étudiants). La complémentarité des profils et l’usage d’outils d’échange et de conception collaboratifs ont soutenu la coordination du projet ainsi qu’une formation entre pairs chez les enseignantes.

Vu la spécificité du public d’apprenants adultes en reprise d’études, nous avons veillé à l’accessibilité des ressources dans une modalité asynchrone, afin de permettre une adaptation du suivi des modules aux changements de rythme familial et professionnel. L’utilisation d’outils numériques maîtrisés par des étudiants a été privilégiée. En vertu des connaissances sur la dynamique motivationnelle (Eccles et Dweck, 2005; Viau, 2009), nous avons également veillé à cibler des contenus et des supports qui faisaient sens et éveillaient l’intérêt des apprenants (témoignages, exemples issus du terrain professionnel et questions suscitant la mise en projet). Leur sentiment de compétence dans les deux sphères technique et didactique a ainsi été pris en considération.

La catégorie des facteurs d’impact remet en question le contexte général de la formation. Ce curriculum pousse à outiller les étudiants, futurs enseignants, pour l’usage des TIC et à leur donner la possibilité de vivre une expérience d’apprentissage innovante par ce biais. Le contexte de crise sanitaire peut dès lors être considéré comme une perspective obligée et accompagnée, une cellule d’appui technopédagogique étant présente au sein de l’établissement pour les enseignants et pour les étudiants.

L’analyse de notre dispositif indique la présence des critères essentiels du modèle PETTaL. Néanmoins, au vu des données observées, il semble que l’articulation des aspects technologiques avec les spécificités du public dans une perspective de soutien à un apprentissage différencié constitue la plus-value de ce dispositif et une hypothèse quant à l’engagement des étudiants.

5. Conclusion et perspectives

Le dispositif créé selon une structure générale récurrente s’est progressivement étoffé pour devenir multifacette. Il combine une variété de supports et de démarches d’appropriation avec une progressivité dans leur présentation, tout en maintenant une interactivité et en s’inscrivant dans un temps souple, mais cadré. Ses principaux atouts semblent être la formalisation de modules indépendants et asynchrones permettant une souplesse dans l’apprentissage, la prise en compte des compétences techniques et des habitudes du public adulte, une métacommunication autour du dispositif et de la structure, une régularité dans l’ouverture des séances ainsi qu’une grande variété dans les supports et activités proposés. L’ensemble de ces adaptations peuvent être des formes de différenciation pédagogique en matière tant de supports et de processus que de contenus, et sont inscrits dans une organisation du travail revisitée (Feyfant, 2016; Perrenoud, 2012). Par conséquent, l’ensemble de ces facteurs semble avoir favorisé un apprentissage autorégulé à distance.

Néanmoins, même si le dispositif permet des interactions sous diverses formes, celles-ci sont réalisées en différé. La création d’une communauté d’apprentissage en ligne (Henri et Pudelko, 2003) n’a pu voir le jour, même si les soutiens informels entre étudiants se sont maintenus par d’autres canaux.

La collaboration entre étudiants n’a pas non plus été possible vu les réalités spécifiques de chacun d’eux et le mode asynchrone de nos modules. Or, nous savons combien la mise en place d’un apprentissage collaboratif est bénéfique pour l’apprentissage à l’aide des TIC (Hattie et Yates, 2013; Higgins et al., 2012). Un certain recul quant aux résultats récoltés nous semble important. Il faut en effet les contextualiser, notamment par rapport au profil spécifique des étudiants (la formation suivie ainsi que l’âge).

En définitive, même si la crise sanitaire nous a obligées à revoir nos dispositifs en profondeur, elle nous a poussées à être créatives et à dépasser nos modes d’enseignement habituels pour en explorer d’autres qui s’articuleront à nos pratiques en présence. En effet, les supports construits seront notamment réexploités dans des activités de classes inversées. Sans le vouloir, nous nous sommes engagées progressivement sur le chemin de l’hybridation pédagogique. Cette expérience inédite nous a donc permis de transformer une contrainte en défi pédagogique et nous dote d’un sentiment de confiance et de compétence qui nous permettra de poursuivre et d’approfondir dans cette voie.