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Introduction

L’annonce de la fermeture temporaire des universités en France, mais également des écoles du premier et du second degré, a été faite le 12 mars 2020 par le président de la République, Emmanuel Macron, et prenait effet le 16 mars 2020 à midi. Personne n’était préparé à un tel changement de paradigme pédagogique. Les universités ont demandé aux enseignants de mettre en oeuvre le Plan de continuité de l’activité (PCA) (Chenaux et Philippin, 2020, p. 7) totalement à distance, et ce, jusqu’à la fin de l’année universitaire. Le travail à distance, différent du télétravail (Peretti, 2019), s’est réalisé avec les moyens techniques à domicile et les quelques expériences antérieures dans la formation à distance, que ce soit pour les enseignants ou pour les étudiants.

À la suite de premières observations en lien avec la crise sanitaire, une enquête a été proposée aux étudiants de l’Institut national supérieur du professorat et de l’enseignement (INSPE) de l’Académie de Nantes[1], site de Le Mans. Cette enquête avait pour objectifs de récolter des indications précieuses permettant d’ajuster les pratiques pédagogiques et les modalités d’évaluation (St-Jean et Dupuis Brouillette, 2020), mais également d’adapter le format du PCA à distance pour les mois à venir et sans doute pour l’année suivante. Tirer des leçons de cette période exceptionnelle favorisera une formation, des enseignements et un encadrement des étudiants adaptés à la rentrée prochaine (2020‑2021).

Ce sondage auprès des étudiants a pour objectif de recueillir des informations au sujet : 1) de leur expertise numérique et du matériel informatique à leur disposition ainsi que 2) des éléments qui contribuent à leur bien-être subjectif en formation à distance au sens large dans la continuité des travaux en psychologie (Guimard et al., 2015). Notre question de recherche se définit de la façon suivante : Quels sont les éléments essentiels à la formation à distance permettant ainsi de favoriser le bien-être subjectif des étudiants, d’un point de vue psychologique, dans un environnement totalement numérique? L’objectif est d’établir, à petite échelle, les retombées de la crise sanitaire sur le système de formation pour ainsi proposer des mesures et des pratiques à mettre en place dans un contexte particulier (St-Jean et Dupuis Brouillette, 2020) pour notre propre accompagnement en tant qu’enseignants, mais également pour d’autres professionnels de l’éducation qui ont eu à faire face au même défi imposé par la crise sanitaire de la COVID‑19 en France ou ailleurs.

Cadre de référence

Le plan de continuité de l’activité dans un contexte de pandémie

Au début de la période de confinement, l’objectif de tous les enseignants, avec ou sans expérience dans la formation à distance, était de poursuivre l’accompagnement avec des contenus de cours et des activités pédagogiques médiatisés par les outils numériques. Cet objectif guidait tout un chacun : « De la grande section de maternelle à l’université, les enseignants n’ont pas laissé tomber leurs élèves et leurs étudiants. Beaucoup ont dû s’intéresser à leurs conditions de vie et de travail » (Dubet, 2020, p. 109). Déterminer les conditions de formation permettrait d’y remédier autant que faire se peut par des ajustements des enseignements à distance (Jézégou, 2019). L’une des plus grandes craintes était, sans doute, le désengagement des étudiants en difficulté. Ce phénomène peut également être accentué par la possession ou non de matériels informatiques spécifiques (avoir un ordinateur ou une connexion Internet fonctionnelle) ou l’existence de compétences dans l’utilisation de certains logiciels/outils numériques (Deschênes et Maltais, 2006).

Les conditions de confinement étant différentes pour chacun, il s’avère utile de déterminer ces difficultés afin de proposer une formation équitable à l’ensemble des étudiants (Brotcorne et Valenduc, 2009). Des opérations ont été mises en place par les établissements universitaires qui ont fait le point avec leurs étudiants afin de les équiper d’un ordinateur et d’une clé 4G. Les pouvoirs politiques sont également mobilisés pour limiter les inégalités en matière de formation à distance pour les étudiants n’ayant pas accès à du matériel informatique.

Pour favoriser le bien-être des étudiants en formation, il semble nécessaire de limiter autant que possible leur temps d’écran scolaire (Tisseron, 2020). Il convient d’imaginer que ce temps puisse augmenter durant la période de confinement (Bourdeau-Lepage, 2020), car une majorité des activités pédagogiques se présentaient sous un format numérique. Dans une enquête menée auprès de 12 000 utilisateurs multi-écrans (téléviseur/ordinateur/téléphone intelligent/tablette) dans 30 pays, dont la France, et publiée par Millward Brown (2014, p. 10), la moyenne d’utilisation quotidienne d’écran la plus faible est de 317 minutes (soit 5,3 heures). La France se classe derrière l’Italie (5,4 heures) et c’est l’Indonésie qui se place en tête avec 9 heures de temps passé devant un écran. Des données plus récentes, publiées par Statista (2019), apportent des renseignements sur le nombre d’heures passées par jour devant les écrans selon l’âge en France en 2019. Ainsi, il est indiqué que « cette année-là, les répondants âgés [de] 18 à 34 ans ont déclaré passer en moyenne 5 heures et 48 minutes par jour devant leurs équipements numériques ». Les données des deux enquêtes semblent se recouper sur les conclusions, même s’il est difficile de comparer deux groupes sans avoir de précisions sociodémographiques.

La prise en compte des besoins des étudiants en formation à distance

Le confinement a eu un impact direct sur les pratiques pédagogiques des enseignants, mais également des étudiants et des professeurs des écoles stagiaires (PES). Ainsi, l’enseignement fait face à une nouvelle réalité pédagogique, comme le souligne Dubet (2020, p. 108) : « À l’école [et à l’université], rien ne sera plus comme avant et le virus aura changé nos manières d’enseigner et d’éduquer ». Pour être au plus près des besoins des étudiants, il est impératif d’adapter le parcours et l’accompagnement des étudiants dans la formation à distance. Les enseignants ont eu besoin de modifier leurs pratiques éducatives, revoir leur planification ainsi que les activités d’enseignement et d’apprentissage pour respecter les différentes recommandations ministérielles. L’objectif à court terme est de développer des pédagogies novatrices permettant de proposer une partie des enseignements en présence et une autre partie à distance.

La formation à distance doit être pensée de façon à proposer un pouvoir d’agir aux étudiants dans un contexte de formation (Enel et al., 2019). Il faut penser cette formation avec des modalités de cours et d’évaluation flexibles permettant de prendre en compte la diversité des publics en matière de contraintes personnelles (Lameul et Loisy, 2014) ou de besoins éducatifs particuliers (Philion et al., 2020; Sivilotti, 2020). Il est nécessaire de proposer également des espaces numériques consacrés aux échanges (moins formels que les courriels) afin de favoriser les interactions sociales et les relations interpersonnelles entre camarades, mais aussi avec les enseignants, car elles permettent les apprentissages (Vygotski, 1934/1997). Ces relations et interactions sociales empêchées par la distanciation physique permettent de maintenir les étudiants en action dans la formation par la dynamique du collectif (Fluckiger, 2011) et le rythme des cours proposés en classe virtuelle par les enseignants.

Toute la question est de trouver la plateforme de discussion adaptée pour proposer au groupe d’étudiants et d’enseignants un espace réservé à ces interactions sociales (Jézégou, 2019, p. 134). Notons que les outils institutionnels sont très peu investis par les étudiants (Fluckiger, 2011) et les prochaines enquêtes devraient se pencher sur les raisons de ce constat. Le choix intermédiaire consiste à conserver les plateformes institutionnelles pour déposer les contenus de cours et à proposer une communication médiatisée différente de ce qu’ils utilisent habituellement (ex. : Facebook, WhatsApp, etc.) et à laquelle les enseignants ne sont pas conviés, comme le soulignent Lehmans et Capelle (2019). De plus, ces auteurs indiquent qu’il existe une porosité entre temps scolaire et non scolaire à travers les pratiques numériques d’enseignement à distance. Il est nécessaire de proposer et de définir les codes d’usages de savoir-être sur l’outil numérique de communication (Charnet, 2019) afin de ne pas parasiter la vie privée des étudiants. Ainsi, selon Lehmans et Capelle (2019), la « diversification des formats façonne de nouvelles temporalités cognitives, qui s’inscrivent dans des espaces-temps plus souples dans la frontière entre le scolaire et l’intime, qui prolongent les activités, se superposent ou s’ajoutent au temps scolaire, et nécessitent parfois d’établir de nouveaux repères socio-temporels ». L’utilisation de différents outils numériques demande un temps d’adaptation et un remaniement des fonctionnements scolaires pour profiter pleinement des dispositifs de formation à distance proposés aux apprenants.

L’hypothèse émise est que l’ensemble de ces éléments relativement technocentrés participent au bien-être subjectif des étudiants, d’un point de vue psychologique, pour répondre au contexte de maintien de formation pendant le contexte de pandémie. Cette recherche exploratoire s’inscrit dans une démarche qui vise à déterminer le bien-être subjectif scolaire « déjà là » des étudiants au cours de la période de confinement dans une approche hédonique (Diener, 2009), mais également les éléments prescrits qui pourraient améliorer leur qualité de vie en formation à distance dans un courant eudémonique (Ryan et Deci, 2001). Le bien-être hédonique (à court terme) correspond à un état psychologique positif s’exprimant au travers d’affects agréables tout en vivant peu d’affects désagréables (Diener, 2009). Le bien-être eudémonique (à long terme), en interinfluence avec le bien-être hédonique (Keyes et Annas, 2009), correspond à l’actualisation du potentiel humain et des besoins psychologiques (Ryan et Deci, 2001). De plus, cette dernière facette du bien-être peut se manifester par l’engagement et la poursuite de buts des individus (Fowers et al., 2010). D’autres concepts sont également des composantes du bien-être eudémonique comme l’autodétermination et les relations interpersonnelles positives (Ryff et Keyes, 1995) en face à face ou sur les réseaux sociaux (Courbet et Fourquet-Courbet, 2020). Dans le cadre de cette enquête, il s’agit de proposer un questionnaire adapté au contexte universitaire, auprès d’étudiants, au cours d’une situation de pandémie, et ce, dans une version exploratoire. Le bien-être subjectif est entendu ici comme une variable dynamique, contextuelle et dépendante dont la médiation instrumentale peut intervenir dans l’évaluation.

L’ensemble des éléments théoriques apporte des pistes favorisant la réflexion et la prise en charge de la formation à distance à l’université, tout en faisant émerger un questionnement sur les pratiques à venir dans une perspective de bien-être des étudiants. Pour anticiper l’avenir, il semble indispensable d’étudier le bien-être perçu et prescrit des étudiants durant la période de confinement afin de « faire quelque chose de cette crise » (Dubet, 2020, p. 108). La problématique de notre étude exploratoire peut se formuler de la façon suivante : Quels sont les éléments essentiels à la formation à distance permettant ainsi de favoriser le bien-être subjectif des étudiants, d’un point de vue psychologique, dans un environnement totalement numérique? L’objectif est d’avoir un questionnement sur « le lien entre espaces, temporalités et formats de connaissance, jusque dans les dispositifs de formation ou d’éducation distants », comme le suggèrent Lehmans et Capelle (2019). Notre étude exploratoire n’a pas la prétention de répondre totalement à cet objectif, mais propose un début de réflexion sur les modalités de la formation à distance, mise en place dans l’urgence, favorisant le bien-être subjectif des étudiants.

Méthodologie et corpus de données

L’enquête en ligne a été proposée en avril 2020, entre la quatrième et la sixième semaine de confinement, à l’ensemble des étudiants de la formation master Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) du premier degré. Ce questionnaire est composé de 50 questions en lien avec la formation à l’Université et le bien-être subjectif des étudiants au cours de la période de confinement. Les questions sont divisées en 5 sections thématisées (tableau 1).

Tableau 1

Thématiques et sous-thématiques du questionnaire proposé aux participants

Thématiques et sous-thématiques du questionnaire proposé aux participants

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L’analyse s’est effectuée à partir du logiciel SPSS 24 (données quantitatives; analyses descriptives pour apporter des indications en pourcentage) et du logiciel Tropes (données qualitatives; analyse thématique au travers des occurrences dans les réponses pour apporter des unités de sens sémantiques).

Les réponses recueillies auprès des étudiants de l’INSPE sont au nombre de 107 (soit 46,5 % des étudiants du parcours premier degré). Parmi eux, 87,9 % sont des femmes, 11,2 % sont des hommes et 0,9 % sans préférence. L’âge moyen des participants est de 25,4 ans (avec un écart type – ET – de 5,1).

L’analyse des données se fait au regard de deux profils : le groupe d’étudiants ayant réussi le Concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE), nommé PES (24,3 %), et le groupe d’étudiants n’ayant pas encore réussi ce concours, nommé ETU (75,7 %). Les PES en formation à l’Université ont également la charge à mi-temps d’une classe d’élèves et préparent leur titularisation. Les ETU sans responsabilité de classe se concentrent essentiellement sur la préparation au concours. Ici, il n’est pas question de comparer ces deux groupes, mais de rendre compte des besoins de formation à distance et des usages des outils numériques de chacun en période de confinement.

Résultats de l’enquête

L’expertise numérique et le matériel informatique à la disposition des étudiants

Dans un premier temps, il était nécessaire de connaître les conditions matérielles des étudiants afin de pouvoir s’adapter à chaque situation. Les questions de notre enquête se référaient à l’environnement numérique ainsi qu’à ses usages. Les résultats en pourcentage sont indiqués entre parenthèses pour les PES puis pour les ETU, autrement une précision est apportée pour faciliter la lecture.

De façon générale, les deux groupes indiquent avoir une bonne connexion Internet à leur domicile (88,5 % et 75,3 %). En matière d’équipement numérique, une forte majorité des participants indiquent utiliser un ordinateur portable (92,3 % et 92,5 %). D’autres utilisent un ordinateur fixe (7,7 % et 5,0 %) ou même leur téléphone intelligent (2,5 % des ETU). Quelques individus affirment qu’ils doivent partager cet outil de travail avec un autre membre de leur famille durant la période de confinement (11,5 % et 16,2 %). Ajoutons à ceci l’information relative au temps d’écran majoritairement indiqué qui est de 3 à 4 heures en moyenne par jour pour les deux groupes (88,5 % et 84,0 %).

Pour connaître le niveau d’expertise numérique des étudiants au sens large, la question était la suivante (faisant référence aux outils numériques utilisés en formation) : « Êtes-vous un(e) expert(e) dans les usages des outils numériques? (Sur une échelle de 0 – Je ne maîtrise pas les outils numériques – à 10 – Je maîtrise les outils numériques –) ». Il s’avère que le niveau d’expertise numérique déclaré correspond à une moyenne de 7,2/10 (ET = 1,7) pour les PES et de 6,7/10 (ET = 1,9) pour les ETU (figure 1). Une petite partie de l’échantillon se déclare expert d’un niveau égal ou supérieur à 9/10 (22,2 % des PES et 12,5 % des ETU).

Figure 1

Matériel informatique et expertise numérique des participants

Matériel informatique et expertise numérique des participants

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Pour communiquer avec les camarades ou les enseignants de l’INSPE, différents outils numériques sont exploités. Les réseaux sociaux sont principalement utilisés pour échanger entre eux (92,3 % et 92,6 %) et ces pratiques semblent favoriser la motivation dans leur travail scolaire (73,1 % et 56,3 %). Ils utilisent dans une moindre mesure le téléphone (appels et messages : 23,1 % et 21,0 %) et les courriels (19,2 % et 2,5 %), comme l’indique la figure 2.

Figure 2

Outils numériques pour maintenir le contact avec les camarades et les formateurs

Outils numériques pour maintenir le contact avec les camarades et les formateurs

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Les courriels sont majoritairement utilisés pour interagir avec les enseignants (88,5 % et 86,4 %) et ceci leur permet de maintenir plus ou moins un niveau de motivation dans leur formation (42,3 % et 61,7 %). Près de la moitié des personnes du groupe ETU indiquent utiliser la plateforme Slack pour communiquer avec les enseignants, soit 49,4 % (11,5 %, seulement pour les PES). La figure 3 donne des indications sur la fréquentation de la plateforme de communication. Par exemple, la semaine du 30 mars fut la période comptant le plus de membres actifs (168 personnes, dont 79 qui ont publié du contenu).

Figure 3

Membres actifs sur la plateforme de communication

Membres actifs sur la plateforme de communication

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À la suite des évaluations (semaine du 11 mai), certains étudiants sont encore actifs sur Slack. Enfin, d’autres outils font leur apparition dans cette liste d’outils permettant de garder le contact avec les enseignants et notamment les classes virtuelles (23,1 % et 23,5 %).

Les éléments qui contribuent à leur bien-être subjectif en formation à distance

En matière de formation à distance, connaître les besoins des deux groupes permet d’ajuster les pratiques au fil des mois. Parmi une liste d’outils numériques, la question était : « Durant la période de confinement (16 mars au 11 mai), quels sont vos besoins en termes de formation pour être plus serein(e)? » Les réponses à cette question (figure 4) combinent leurs besoins dans l’absolu et les pratiques déjà existantes, mises en place par certains enseignants. Une bonne majorité des sujets souhaitent participer à des classes virtuelles (69,2 % et 72,8 %).

Figure 4

Besoins en matière de formation à distance

Besoins en matière de formation à distance

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Les autres supports demandés sont principalement les capsules vidéos (enregistrement de la classe virtuelle) et les diaporamas déposés en ligne sur les espaces institutionnels collaboratifs.

Une seconde question permet de saisir les caractéristiques de l’environnement numérique qui contribuent au bien-être subjectif des PES et des ETU en formation à distance en période de confinement : « Durant la période de confinement (16 mars au 11 mai), citez 3 événements/éléments qui contribuent à votre bien-être dans la formation. » Une analyse thématique permet d’extraire cinq dimensions qui contribuent au bien-être subjectif des étudiants, et ce, à partir des réponses valides de l’ensemble de la cohorte (soit 73,8 %). Ils reconnaissent que les différents outils numériques (ex. : les plateformes de discussion et les classes virtuelles) proposés par les enseignants favorisent la formation à distance. Ils mettent en avant la nécessité de conserver une dynamique de groupe avec leurs camarades à l’aide des outils numériques cités ci-dessus afin d’entretenir leur « motivation », leur « engagement » et leur « persévérance ». Les réponses indiquent également l’importance d’avoir des enseignants, mais aussi du personnel administratif disponibles et réactifs durant cette période de confinement, notamment pour obtenir des informations diverses sur la formation, les cours et les évaluations. La disponibilité des enseignants passe également par un suivi régulier dans les échanges et la correction des mémoires de fin d’études, qui est rassurant selon leurs dires. Enfin, l’ensemble des participants mettent en lumière le besoin d’avoir plus de cours en classes virtuelles. D’autres éléments non pédagogiques ont été cités par les participants dans les commentaires libres en fin de questionnaire, comme les moments de détente (sport, repos, soleil), être avec ses proches et qu’ils soient en bonne santé ou les « visio-apéro » (sans alcool) proposées par certains formateurs.

Discussion et perspectives

Diversifier les outils numériques pour favoriser les développements de compétences

D’un point de vue technocentré, la « fracture numérique » est composée de deux dimensions à prendre en compte dans la formation à distance. En effet, comme l’expliquent Brotcorne et Valenduc (2009, p. 46) dans leur article, « Traditionnellement centrée sur les inégalités liées à l’accès matériel aux TIC [technologies de l’information et de la communication], l’attention s’est progressivement déportée sur les inégalités sociales liées à leurs usages, une fois que la barrière de l’accès est surmontée ». Il faut s’assurer, en début d’année, de voir à ce que les étudiants possèdent des matériels informatiques spécifiques, mais également de travailler sur les compétences quant à l’utilisation de certains outils numériques (Deschênes et Maltais, 2006) pour ceux ayant une faible expertise numérique. Rappelons que 3,7 % des PES et 8,8 % des ETU déclarent avoir un niveau d’expertise numérique inférieur à 5 sur 10. Ainsi, il est nécessaire de prendre en compte la diversité des profils étudiants afin de favoriser le développement des compétences « par » et « pour » la formation initiale. Ces compétences sont essentielles dans la poursuite du cursus universitaire, mais également dans l’exercice de leur futur métier : celui de professeur des écoles. En effet, le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation (Ministère de l’Éducation nationale, 2013) stipule qu’il est nécessaire, entre autres, d’« intégrer les éléments de la culture numérique nécessaires à l’exercice de son métier ». Ce contexte de pandémie peut être considéré comme un temps de formation important dans le processus d’appropriation des outils numériques de base ou innovants pour leur future carrière professionnelle. La littérature souligne souvent que les enseignants ou les professionnels de l’éducation ont une faible maîtrise des outils numériques par manque de temps (Ferrière et al., 2013; Mercier et al., 2016). Il est intéressant de se demander si cette crise sanitaire permettra à cette catégorie professionnelle de dépasser certaines représentations et certains freins favorisant le processus d’appropriation des outils numériques (Rabardel, 1995).

D’un point de vue social, la formation se doit également de proposer des outils numériques de communication variés, favorisant ainsi le lien entre les étudiants eux-mêmes, mais également entre les étudiants et les formateurs. La diversification des usages des outils de communication, au cours de la période de confinement, a permis de montrer les limites de certains outils institutionnels empêchant une communication simultanée d’un groupe de plus de cent personnes avec une conception proche de celle des réseaux sociaux connus (Lehmans et Capelle, 2019). Cette diversité dans les usages des outils de communication institutionnels ou non institutionnels (courriels, téléphone/SMS, plateforme de communication collaborative [Slack] et classes virtuelles [Zoom]) a permis une large communication avec l’ensemble des apprenants, et ce, en fonction de leur situation professionnelle et personnelle.

D’un point de vue pédagogique, diversifier les outils numériques dans la formation est une nécessité pour enrichir les pratiques instrumentées des étudiants qui se tournent vers un métier ayant des exigences en matière de compétences numériques. La formation doit proposer un large éventail de possibles afin de présenter de nouveaux outils et de soutenir une veille technopédagogique. Les choix doivent se faire en lien avec des objectifs pédagogiques permettant de réaliser différentes actions comme favoriser le travail de collaboration ou de coopération sur les différents espaces de stockage ou les plateformes de discussion, mais également le travail en autonomie par la consultation de diaporamas ou de capsules vidéos en ligne. La formation, en proposant un large choix d’outils numériques offrant différents services (institutionnels ou libres pour leur profession à venir), permet d’offrir progressivement des environnements numériques de travail facilitant le développement des compétences numériques. Enfin, de façon générale, il faudra proposer des pédagogies variées avec des outils numériques de différentes natures afin de répondre aux contraintes personnelles et aux besoins éducatifs particuliers de chaque apprenant (classe virtuelle, diaporama en ligne, capsule vidéo, plateforme de discussion, etc.).

Maintenir une continuité sociale et pédagogique dans la formation à distance

Dans une démarche socioconstructiviste, l’interprétation des résultats souligne l’importance des interactions synchrones ou asynchrones apprenants-apprenants et apprenants-enseignant, comme l’indique Charnet dans son ouvrage de 2019. Selon l’auteur, ces interactions favorisent la motivation et l’engagement des étudiants (Fowers et al., 2010) sur les différentes activités demandées dans le cadre de leur année universitaire (ex. : travaux collectifs à rendre). Une plateforme permettant les échanges favorise la dynamique de groupes d’apprenants. Ainsi, l’outil non institutionnel Slack, porté et animé par quelques enseignants, a permis de créer des relations interpersonnelles positives (Ryff et Keyes, 1995) et d’avoir des échanges réguliers sur le contenu des cours ou les modalités d’évaluation de fin de semestre. Ce qui est intéressant, et qui pourrait faire l’objet d’une enquête plus approfondie, est la facilité perçue dans la communication qui existait sur ce support numérique par rapport aux demandes reçues par courriel. En effet, il semblerait que les étudiants aient plus de facilité à s’exprimer ou à se questionner sur la plateforme Slack, ce qui présente un intérêt non négligeable en permettant d’apporter une réponse à tous les étudiants actifs sur le dispositif numérique. Pour les années à venir, il sera nécessaire de trouver un outil institutionnel (pour répondre aux recommandations de l’Université) présentant les mêmes caractéristiques que ce support de communication utilisé durant la période de confinement. Une des limites des outils institutionnels est un accès non pérenne après la fin du cursus universitaire (Fluckiger, 2011). Il serait pertinent de suivre, pour la rentrée prochaine, les interactions des étudiants ayant terminé leur formation. Vont-ils poursuivre leurs échanges sur la plateforme dans les mois à venir pour construire de nouvelles connaissances (Varga et Caron, 2009) et peut-être même devenir des personnes‑ressources?

Conclusion

Le confinement a entraîné un basculement vers la formation à distance, et ce, pour tous les niveaux scolaires. L’expérience du terrain durant la crise sanitaire était quelque peu éloignée de ce que représente la formation à distance dans la littérature (Jézégou, 2019). En effet, au cours du confinement et dans l’urgence, les enseignants ont tenté de garder le rythme tout en modifiant les modalités de cours dans un environnement numérique. L’urgence de la situation demandait de poursuivre l’effort pour maintenir les étudiants dans la formation. Néanmoins, les supports ou contenus de cours n’ont pas pu être repensés systématiquement pour chaque intervention. Ainsi, les pratiques pédagogiques mériteraient d’évoluer vers une formation à distance, et ce, notamment pour répondre aux recommandations sanitaires et, plus encore, aux besoins des étudiants et probablement à ceux des enseignants. Pour cela, il semble nécessaire d’entamer une réflexion guidée par une ingénierie de formation sur les adaptations dans la conception des cours et des évaluations. La finalité est également d’éviter une « simple » mise à distance de ce qui se faisait en présence, sans en repenser les enjeux et les modalités. Cette approche facilitant « la prise en compte du rythme de l’apprenant et de ses disponibilités, cela permettrait à l’apprenant d’ajuster son temps de formation dans les limites imposées par l’institution » (Jézégou, 2019, p. 71) et de limiter le temps d’écran de chacun (Tisseron, 2020). Ainsi, dans ce contexte, l’enseignant intervient en appui, explicite, conseille et guide les apprenants dans les choix possibles de scénarios d’apprentissage afin d’éviter autant que possible le désengagement des étudiants en difficulté.

Il semble certain que tous les enseignants et tous les étudiants, au cours de ce confinement et même après, ont appris que l’on pouvait travailler autrement (Dubet, 2020). Cependant, l’urgence de la situation a limité la réflexion autour des possibles de la formation à distance dans ce présent contexte. Même si l’innovation des modalités pédagogiques était au rendez-vous, les mois à venir seront décisifs pour organiser les différents modules de cours pour la rentrée prochaine afin de proposer une formation hybride, comme le suggère le gouvernement. Il faudra travailler sur un modèle d’ingénierie pédagogique permettant de répondre favorablement aux attentes des étudiants (visibilité sur les contenus et les évaluations) et aux besoins de la formation (scénarisation de formation en lien avec la maquette) afin de favoriser leur engagement et la poursuite des buts dans la formation (Fowers et al., 2010). Puren (2004) cite, pour sa part, une ingénierie didactique « dans laquelle la fonction première de l’enseignant est d’être un concepteur de dispositifs d’apprentissage adaptés en permanence à l’ensemble complexe des paramètres de son environnement d’enseignement/apprentissage ». Une des missions des enseignants sera de définir pour la rentrée prochaine le cadre et les modalités de la formation à distance en fonction des mesures sanitaires.

L’ensemble des résultats contribuent à mieux cerner les modalités et les besoins des étudiants en matière de formation à distance, permettant ainsi de favoriser leur bien-être subjectif. Cependant, une des limites de ce travail de recherche empêche la généralisation des conclusions, le groupe de répondants représentant seulement 46,5 % de la population totale estudiantine du premier degré. Grâce à ce travail exploratoire, il est possible de rédiger quelques recommandations pour l’année universitaire à venir. Il sera nécessaire de recenser rapidement les étudiants (notamment chez les master 1) qui auraient besoin d’un accès à du matériel informatique spécifique (ordinateur ou connexion Internet). Il faudra également proposer une formation hybride répondant aux contraintes professionnelles et parfois personnelles de chaque apprenant et proposant des supports et des modalités de cours et d’évaluation explicites et institutionnalisés. Ces mesures ont pour but de faciliter la compréhension de l’organisation de la formation hybride (en présence ou à distance – synchrone et asynchrone –) par les étudiants afin de leur laisser un pouvoir d’agir dans un contexte de formation de manière indépendante et autonome (Enel et al., 2019). Les étudiants sont demandeurs de classes virtuelles, ce qui a requis, dans notre expérience en tant que personne-ressource sur les usages des outils numériques, une « formation de formateurs » afin de faire évoluer les pratiques et les représentations (Savarieau et Daguet, 2020). Les étudiants ont également besoin d’appartenir à une communauté d’apprenants et il est indispensable de leur proposer une plateforme de communication consacrée à la formation à distance et des supports de travail favorisant les interactions sur le plan des apprentissages. Ces relations interpersonnelles (Ryff et Keyes, 1995) et les interactions apprenants-apprenants, pour s’appuyer sur les travaux de Vygotski (1934/1997), renforcent le développement cognitif. Enfin, il est important de penser la formation à distance dans un but de professionnalisation autour des usages des outils numériques. Comment les outils numériques proposés en formation peuvent-ils avoir un effet sur le développement des pratiques instrumentées en classe, mais également sur le processus d’instrumentalisation des étudiants face à un nouvel outil numérique? Les contraintes imposées par la crise sanitaire auront au moins eu le mérite de susciter des questionnements sur les possibles de la situation dans le cadre de la formation à distance.