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Introduction

Le contexte de la pandémie actuelle a plongé le monde universitaire dans une situation pour laquelle il n’a pas été préparé. Les universités ont été obligées de fermer leurs portes alors que les cours et les examens prévus se tenir en présentiel n’étaient pas encore arrivés à leur terme.

L’enseignement à distance devrait alors être une option alternative appréciable. Destiné à ceux qui « malgré des conditions déplorables de santé, de situation économique ou sociale, ont la volonté de s’instruire et d’acquérir une promotion intellectuelle, sociale ou professionnelle, un enseignement qui soit adapté à leur situation » (Glikman, 2002), il permet aux étudiants et à leurs enseignants de travailler tout en étant en confinement, éloignés dans l’espace.

De nombreuses universités de par le monde ont déjà une expérience confirmée dans le domaine de la formation à distance (l’Institut d’enseignement à distance de l’Université de Paris 8 et la formation à distance proposée par l’Université Laval en sont des exemples) et dans la formation ouverte et à distance (l’Open University de la Grande-Bretagne en est le premier exemple, suivie par la FernUniversität en Allemagne, l’UNED en Espagne, la TÉLUQ au Québec, l’Université de l’Ohio aux États-Unis, l’Open Training and Education Network [OTEN] en Australie, l’Open University of China, l’ex-China Central Radio and TV University, ou CCRTVU, en Chine). Les apprentissages hybrides sont aujourd’hui courants. Les moyens d’interaction ont évolué et sont passés du papier, des émissions télévisées, des enregistrements audios ou vidéos, aux cours diffusés sur Internet; les tutorats se font par téléphone et par courriel; des forums permettent les échanges entre pairs, avec éventuellement un encadreur comme modérateur (Glikman, 2002). Ces expériences acquises pendant des décennies ont dû être mobilisées pour pallier la situation inédite engendrée par la pandémie de COVID‑19.

Contexte

Avec ses 471 USD de PIB par habitant, Madagascar est le cinquième pays le plus pauvre du monde en 2019, selon Statista (Moyou, 2019). Les étudiants sont pauvres, l’accès aux moyens technologiques difficile, et le numérique risque d’introduire des inégalités, contrairement à l’intention première des précurseurs de la formation à distance qui voulaient rendre possible l’égalité des chances en éducation et favoriser la mobilité sociale (Glikman, 2002; Jacquinot, 1993).

Notre problématique est donc la suivante : Dans quelle mesure l’apprentissage à distance pourrait‑il être considéré comme une solution viable pour les étudiants universitaires, dans les pays pauvres?

Madagascar a été placé en confinement total le 22 mars 2020 après la découverte d’un cas positif : les universités et autres établissements d’enseignement ont été fermés du jour au lendemain; la capitale, Antananarivo, a été isolée. Un mois après, les élèves des classes d’examen du primaire et du secondaire ont pu rejoindre leurs établissements respectifs, ce qui ne fut pas le cas des étudiants universitaires. En effet, bien que la situation sanitaire indiquée par les statistiques ne semble pas alarmante comparée à celle des autres pays (1 094 cas positifs, dont 254 guérisons et 9 décès le 9 juin 2020 à Madagascar selon les médias officiels; voir Ramiah, 2020), le système de santé était déjà près de son point de saturation, ce qui incite à la prudence. Cette situation a engendré des discussions enflammées sur la manière de terminer l’année universitaire, beaucoup de facultés et écoles n’ayant pas pu terminer leurs cours et leurs examens avant le confinement. Doit-on terminer les cours à distance? Et si oui, peut-on privilégier l’usage d’Internet ou doit-on se remettre à l’envoi d’imprimés par voie postale? Il en est de même des examens : Quelle forme d’examen pourrait être à la fois juste et équitable pour les étudiants, sans léser la qualité de l’enseignement universitaire dans ce contexte?

Après un cadrage théorique de la formation à distance et des conditions d’un apprentissage réussi, nous présenterons une revue de la littérature centrée sur les impacts de la pandémie dans l’enseignement universitaire. L’essentiel de notre travail sera constitué d’une investigation réalisée auprès des étudiants scientifiques de l’École normale supérieure (ENS) d’Antananarivo, un établissement responsable de la formation des enseignants pour les niveaux licence et master, afin de tester notre hypothèse selon laquelle la situation socioéconomique des étudiants pourrait constituer un obstacle à un apprentissage à distance efficace.

État de l’art

L’apprentissage universitaire en présence a été brusquement interrompu par la pandémie de COVID‑19, dans plusieurs pays, et la formation à distance a pris rapidement le relais. Ceci n’est pas sans rappeler l’épidémie d’Ebola, au cours de laquelle les pays touchés ont été contraints de fermer les établissements d’enseignement pendant plusieurs mois (Powers et Azzi-Huck, 2016).

Les enquêtes diligentées par les organismes spécialisés dans l’éducation montrent déjà, malgré la précocité du phénomène, des conséquences similaires non négligeables : l’interruption a provoqué des retards d’apprentissage, des abandons chez un grand nombre d’élèves, en particulier les filles les plus pauvres dans 40 % des pays pauvres et à risque (UNESCO, 2020b) ayant un système économique fragile (Saavedra, J. (2020).

Mais même dans les pays de l’OCDE, moins de la moitié des enseignants en 2018 étaient prêts à utiliser les technologies numériques dans l’enseignement. En Europe, par exemple, une consultation publique a permis de constater que près de 60 % des répondants n’avaient pas utilisé l’apprentissage à distance et en ligne avant la crise (European Commission, 2020).

Des enseignants se sont impliqués pour mettre en place un enseignement virtuel pratique et ludique afin de maintenir la motivation des apprenants. Compte tenu de l’accessibilité limitée aux technologies numériques, certains pays africains les ont complétées par des solutions alternatives (Association pour le développement de l’éducation en Afrique [ADEA], 2020; UNESCO, 2020a) et se sont appuyés sur tous les canaux de diffusion possibles avec les infrastructures accessibles. Les outils en ligne ont été utilisés pour partager des plans de cours, des vidéos ou des tutoriels. Des ressources plus économes en données, comme les balados, la radio et la télévision, les réseaux sociaux (WhatsApp, Messenger) et la téléphonie mobile (SMS) ont été mises en oeuvre avec l’appui des ministères de l’Éducation. Elles permettent de communiquer avec les parents et les enseignants et de fournir des recommandations, des instructions ainsi qu’un encadrement qui viendront étayer le processus d’apprentissage par le biais de contenus radiodiffusés ou télédiffusés.

L’appui des pouvoirs publics et la collaboration avec les opérateurs de téléphonie ont été assurés afin que les politiques de tarification soient aménagées pour faciliter le téléchargement de supports pédagogiques sur téléphone intelligent, sachant que cet appareil est plus répandu chez les jeunes.

Cadrage théorique

La formation est dite à distance s’il existe une séparation géographique ou temporelle quasi permanente entre l’enseignant et les étudiants (Coquilhat, 2015; Glikman, 2002).

Elle est marquée par :

  1. Une médiation qui a une dimension à la fois instrumentée et humaine.

    • La médiation instrumentée concerne les outils mis à la disposition des apprenants. L’organisation et la planification de leur utilisation relèvent de la stratégie de l’enseignant ou de l’établissement, et doivent être adaptées aux nécessités d’une formation à distance : travail en autonomie. D’un côté, l’apprentissage dépendra de l’accès de l’apprenant à ces différents outils et instruments, et de l’autre, ces outils conditionnent aussi les interactions entre l’enseignant et l’apprenant, et les interactions entre pairs, tout au long de la formation. Ces interactions peuvent être complétées par des face-à-face en présence ou virtuels épisodiques.

    • La médiation humaine, dont dépend l’engagement dans l’apprentissage (Denny, 2020), agit sur le dimensionnement intentionnel, perceptif, émotionnel et cognitif de l’apprenant, et influence ses décisions. Par exemple, des phrases d’encouragement dans les messages amènent l’apprenant à se dépenser pour répondre aux attentes de l’enseignant, alors qu’un message ayant la forme d’une liste de tâches le décourage car il se sent dépersonnalisé.

  2. Une flexibilité, qui permet à chaque apprenant de s’adapter au rythme d’apprentissage qui lui convient, sans être obligé de travailler de manière synchrone avec l’enseignant au cours de sa formation (O’Farrell, 1999). Cette flexibilité nécessite un engagement de la part de l’apprenant, qui veut réussir son apprentissage.

  3. L’engagement plus ou moins important de l’apprenant, qui peut être expliqué par le triangle de Schwartz (1966/2015, cité dans Denny, 2020). Il relie « agir, savoirs et valeurs » (paragr. 3). Au cours de son apprentissage, l’action de l’apprenant est conditionnée par la dynamique des savoirs et des valeurs qui leur sont attribuées. Par exemple, une mauvaise estimation du temps d’apprentissage peut diminuer la valeur du savoir à acquérir aux yeux de l’apprenant et le dissuader de réaliser les activités d’apprentissage, ce qui a été la source de plusieurs abandons.

Il est à noter que dans la relation pédagogique d’une formation à distance, c’est l’apprentissage qui tient la place la plus importante; même si l’enseignant met à la disposition de ses étudiants les ressources nécessaires à l’apprentissage, la rupture entre l’espace et le temps joue en défaveur de l’enseignement. À titre d’exemple, lors d’un enseignement en présence, la voix, le regard et les expressions gestuelles ou non de l’enseignant sont parmi les moyens qui lui permettent de transmettre ses consignes et d’« obliger » chaque étudiant à s’investir dans les activités demandées. À distance, les consignes sont transmises de manière asynchrone, impersonnelle, par le biais d’instruments technologiques. Ainsi, c’est donc l’engagement de l’étudiant dans son apprentissage qui conditionnera sa réussite.

Matériel et méthodes

Afin de tester notre hypothèse, nous avons réalisé une enquête par questionnaire. Notre population est formée des 111 étudiants du niveau licence et du niveau master destinés à être de futurs enseignants de physique-chimie et de mathématiques au secondaire. Pour constituer l’échantillon, nous avons envoyé notre questionnaire à chacun des étudiants de la population par courriel individuel et nous l’avons aussi déposé sur leur groupe Facebook. Il leur a été demandé de rendre les questionnaires remplis par courriel ou sur le compte Messenger du chercheur dans les trois jours. Les 34 étudiants (30,6 % de la population) qui nous ont rendu les questionnaires dans le délai imparti constituent notre échantillon de volontaires.

Plusieurs points ont été abordés dans le questionnaire constitué de 28 questions, dont 24 à choix multiples mais terminées par un espace réservé aux explications éventuelles. Nous avons demandé à l’étudiant des informations sur sa situation sociodémographique, sa qualité de vie et ses conditions d’apprentissage à distance : nombre de pièces disponibles par personne dans l’habitation, accès à l’électricité, ou éventuellement à un chargeur solaire. Nous l’avons aussi questionné sur son emploi éventuel ou, à défaut, celui de ses parents ou de son conjoint, afin d’avoir un aperçu du budget mensuel dont il dispose pour ses connexions, mais aussi d’expliquer le temps qu’il consacre à l’apprentissage ainsi que sa participation ou non aux différentes activités. Dans la partie consacrée aux études, nous avons demandé à l’étudiant de nous fournir l’état d’avancement des modules auxquels il s’est inscrit et le déroulement des activités réalisées pendant l’enseignement à distance dans les modules non terminés. Pour avoir un aperçu de l’engagement de l’étudiant dans son apprentissage, la troisième partie du questionnaire est consacrée aux stratégies d’apprentissage qu’il a développées : part de temps réservé quotidiennement à l’apprentissage, usage des ressources à sa disposition, impact de l’apprentissage à distance sur sa motivation pour ses études, attitude face aux multiples distractions. Des questions concernent les interactions avec les enseignants et les pairs afin d’avoir une idée de la médiation humaine existante. Des informations sur les supports de communication utilisés par l’enseignant ou par lui-même lui ont été demandées : courriels, documents audios ou vidéos, visioconférences (sur Zoom, Messenger, Hangout), appels téléphoniques, forums, appels ou messages de groupe sur Messenger, etc. Des questions sur le vécu lors de l’apprentissage à distance ont été posées : forme de soutien de la part du formateur, perception de la rétroaction de la part de l’étudiant. La quatrième partie est axée sur l’accès de l’étudiant à la technologie numérique : nombre et qualité de téléphones et d’ordinateurs à sa disposition ou existants dans sa famille, qualité de sa connexion à Internet. Une dernière partie lui permet de faire part de sa perception de la meilleure manière de terminer et de valider l’année universitaire : cours et exercices en ligne, envoi de documents par la poste, validation automatique du semestre, évaluation en ligne, en présence, immédiate ou reportée à la fin du confinement. L’étudiant a pu faire part de ses craintes et de ses difficultés, mais aussi de ses besoins et de ses propositions pour faire face aux défis de l’apprentissage à distance, dans les quatre questions ouvertes terminant cette partie.

Après avoir saisi et codé les réponses, nous avons calculé le pourcentage d’étudiants ayant choisi chaque réponse obtenue par rapport à l’effectif de l’échantillon, et analysé ces pourcentages avec le logiciel Excel. Les réponses aux questions ouvertes ont été saisies, puis catégorisées avant le calcul du pourcentage d’étudiants ayant choisi la catégorie.

Résultats

L’analyse des résultats nous a permis de dégager plusieurs tendances globales, indépendamment du sexe des étudiants, de leur niveau d’études et de leur parcours (physique-chimie et mathématiques).

Caractéristiques socioéconomiques des étudiants

Notre échantillon présente un équilibre hommes-femmes (50 % d’étudiants de sexe masculin). Ils sont relativement jeunes (moyenne d’âge de 22 ans) et pratiquement tous célibataires (94 %) et sans emploi (94 %), car dans les conditions normales de travail, ils étudient en présenciel à plein temps. Seuls deux étudiants ont déclaré travailler à mi-temps en tant qu’enseignants parallèlement à leurs études.

Ils sont donc encore à la charge de leurs parents. L’analyse des métiers de ces derniers ainsi que de leurs salaires approximatifs a permis de constater que la plupart de ces futurs enseignants scientifiques proviennent d’un milieu modeste. Dans les familles, les deux tiers environ des pères contre le tiers des mères ont un salaire fixe : enseignants (42 % des pères et 25 % des mères), quelques responsables administratifs (chef de service, conseiller pédagogique, chef d’une zone d’administration pédagogique), avec un revenu mensuel moyen d’environ 600 000 MGA (environ 150 €, compris entre 15,5 € et 350 €), destiné à faire vivre cinq personnes en moyenne. Parmi les familles n’ayant pas de revenus fixes figurent les cultivateurs (13 %) et les commerçants (6 %); le quart des mères de famille environ (22 %) sont sans emploi.

Seulement la moitié des étudiants constituant l’échantillon (50 %) sont établis à Antananarivo; l’autre moitié provient de la campagne ou d’une ville située dans une autre région et y sont retournés précipitamment à l’annonce du confinement, certains en oubliant cahiers et documents de travail dans la capitale. Ce départ a amélioré les conditions de vie de certains d’entre eux et a augmenté leur espace vital; en effet, le nombre d’étudiants ne disposant d’aucune pièce tranquille pour travailler a légèrement diminué (28 % avant le confinement, 19 % pendant le confinement). Même à la campagne, seulement 3 étudiants sur 34 n’ont pas d’électricité à domicile.

Accès à la technologie et formation à distance

Les appareils des étudiants

La figure 1 montre les appareils à la disposition des étudiants pendant le confinement et ceux qu’ils utilisent pour leur apprentissage à distance.

Figure 1

Appareils à la disposition des étudiants

Appareils à la disposition des étudiants

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La presque totalité des étudiants ont accès à au moins un téléphone intelligent (91 %) et/ou à un ordinateur portable (91 %) dans leur famille; ils ont donc la possibilité de réaliser des activités basées sur les technologies numériques. La plupart utilisent d’ailleurs un téléphone intelligent (63 %) et/ou un ordinateur portable (59 %) pour réaliser les activités liées aux études. Les trois quarts des ménages (75 %) possèdent au moins une télévision, mais un seul ménage possède une console de jeu, considérée comme superflue.

Le réseau Internet

L’université étant fermée, aucun étudiant n’a pu bénéficier de la connexion wifi du campus de l’ENS pendant le confinement, et tous ont dû se débrouiller par leurs propres moyens. Les cybercafés étant fermés, la plupart utilisent les données mobiles pour leur connexion Internet (88 %) sur des téléphones 3G (38 %) ou 4G (41 %), et plus rarement 4G+ (1 seul étudiant); un seul étudiant dispose d’une connexion wifi à domicile.

Les connexions sur données mobiles sont chères, de l’avis des étudiants, qui se rabattent sur les promotions offertes par les opérateurs pour l’utilisation de Facebook pendant le confinement (1 Go à 500 MGA, soit 0,125 € pour 3 jours, soit 1,25 € par mois). Ces offres devraient permettre de télécharger des documents, des photos et des vidéos, avec une fluidité très relative, mais non de faire des appels audios ou vidéos sur Messenger. Dans la pratique, même le téléchargement dépend de plusieurs facteurs. D’une part, la qualité du réseau est souvent insuffisante pour le permettre, même à Antananarivo, et à plus forte raison dans les communautés rurales ou les villes éloignées. Les interactions sont donc difficiles et 88 % des étudiants affirment être limités par la mauvaise qualité du réseau, qui, dans certains cas, ne leur permet ni de télécharger les fichiers envoyés par les enseignants ni d’envoyer leurs productions sous forme de photos. Un étudiant a d’ailleurs écrit qu’« envoyer un e-mail prend parfois plusieurs heures ».

D’autre part, les possibilités des étudiants dépendent des capacités des appareils connectés et des possibilités financières pour l’achat de crédits téléphoniques par leur propriétaire. Selon leurs explications, les connexions 3G sont plus avantageuses financièrement, car elles durent plus longtemps. Cependant, cette impression nous semble trompeuse, car leurs débits plus faibles (144 kb/s) par rapport à la technologie 4G (112 Mb/s) ou 4G+ (300 Mb/s) expliquent dans une certaine mesure la lenteur dont ils se plaignent pour ouvrir les courriels et télécharger des fichiers, en particulier ceux qui sont dans des régions mal desservies. Même les étudiants possédant un téléphone 4G n’en ont pas une maîtrise technique. Ils n’arrivent pas à gérer leur crédit de connexion, rapidement consommé par les mises à jour demandées par l’appareil, et se plaignent d’épuiser leur crédit avant d’avoir pu accéder aux fichiers à télécharger. Environ un tiers des étudiants (32 %) se disent d’ailleurs limités par la mauvaise qualité de leur appareil : problèmes de pile, mémoire vive insuffisante des ordinateurs portables (1 Go de RAM), souris non fonctionnelle. De fait, les ordinateurs neufs coûtent cher, et les étudiants achètent généralement des ordinateurs remis à neuf plus accessibles financièrement, mais aussi peu performants.

Interactions pendant le confinement

Les interactions entre enseignants et étudiants pendant le confinement sont rares, selon nos résultats.

Les étudiants en première année de licence n’ont noté qu’une seule communication d’un enseignant répondant à une question concernant l’organisation des enseignements pendant le confinement, bien que deux parmi les 12 modules (encore appelés éléments constitutifs des unités d’enseignement) prévus ne soient pas encore terminés, et 10 n’ont pas fait l’objet d’examen. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la plupart des enseignants de ce niveau n’étaient pas prêts à donner les cours de base de la première année à distance ou qu’ils ont considéré que leurs étudiants n’étaient pas prêts pour un tel apprentissage.

En effet, bien qu’aucune décision institutionnelle dans ce sens n’ait été prise à l’ENS d’Antananarivo, les réponses au questionnaire montrent que des enseignants isolés ont pris l’initiative de continuer leur enseignement en année de licence et en master en envoyant des exercices de révision, des vidéos de cours ou des animations à télécharger et des sujets de dissertation à leurs étudiants. Les envois sont faits de plusieurs manières : par courriel individuel, dans un groupe Messenger fermé créé par l’enseignant pour ses étudiants, par dépôt dans le groupe Facebook préexistant des étudiants ou par l’intermédiaire des délégués qui se chargent de la répartition. Certains étudiants font les activités demandées sur une feuille, la photographient et l’envoient ensuite à l’enseignant par courriel; d’autres essayent d’envoyer des documents saisis sur Word.

Flexibilité et engagement des étudiants

L’analyse des réponses au questionnaire a permis d’avoir un aperçu des stratégies d’apprentissage développées par les étudiants, de leurs préoccupations quotidiennes et de leurs aspirations au cours de cet apprentissage à distance imposé par le confinement.

Rupture de l’apprentissage

Pour apprécier la continuité de l’apprentissage, nous présentons à la figure 2 ci-après les réponses des étudiants concernant le temps qu’ils consacrent à leurs études en cette période de confinement.

Figure 2

Temps consacré quotidiennement aux études par les étudiants

Temps consacré quotidiennement aux études par les étudiants

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Peu d’étudiants consacrent quotidiennement plus d’une demi-journée à leurs études en période de confinement. La majorité travaillent moins de 4 heures par jour, les plus assidus faisant des travaux de recherche pour leur mémoire de master. Les explications qu’ils fournissent sont les suivantes.

Le confinement a été initialement décrété pour deux semaines, et selon certains étudiants, il a été considéré, au début, comme des vacances. Mais après deux mois et demi et les prolongations successives de l’état d’urgence sanitaire, environ le tiers des étudiants se sont sentis découragés. Cet état d’esprit a été confirmé par l’absence d’interactions avec les enseignants et de directives claires et de stratégies pour faire face à un lendemain incertain. De plus, les activités ne manquent pas à la maison : 29 % des étudiants déclarent en profiter pour aider leurs parents dans leurs travaux, que ce soit le ménage, le nettoyage ou les corvées quotidiennes, et ont peu de temps pour apprendre. Le quart environ (24 %) affirment être perturbés par de nombreuses distractions : les écoles étant fermées, les frères et soeurs se retrouvent et s’amusent ensemble et, selon un étudiant, l’usage du téléphone intelligent déconcentre et ne favorise pas les apprentissages.

Très peu d’étudiants ont profité de ce répit pour se lancer dans l’apprentissage d’une langue (12 %).

Baisse de motivation et inquiétudes

Plus de la moitié des étudiants affirment que leur motivation pour les études a baissé (59 %) face à la prolongation du confinement et à l’absence d’interactions avec leurs enseignants.

Deux axes constituent leurs principales inquiétudes : le premier est le retard de l’achèvement de leurs études (59 %), alors qu’ils avancent en âge, la fin du confinement étant incertaine. Ce problème est accentué par le fait que le confinement a débuté juste après la reprise, à l’issue d’une grève syndicale de quelques mois des enseignants universitaires.

Le deuxième axe est lié à l’obligation de participer à un apprentissage à distance (41 %) auquel ni eux ni leurs enseignants n’étaient préparés. Les documents reçus ont posé des problèmes d’incompréhension des concepts, mais aussi de la langue d’enseignement, qui n’ont pu être résolus par manque d’interactions. L’usage du téléphone pour le téléchargement est une porte ouverte aux distractions diverses et les empêche de se concentrer. Des étudiants qui ont réalisé des apprentissages sérieux au début du confinement ont terminé rapidement les exercices envoyés par les enseignants et arrêté de travailler et de faire leurs révisions faute de stimulation intellectuelle. Selon eux, cet arrêt leur a fait oublier leurs acquis. La qualité de l’enseignement à distance leur semble inférieure à celle de l’enseignement en présence et occasionne des doutes quant à la qualité des évaluations et du diplôme qui devra le sanctionner.

Cependant, malgré les problèmes liés aux connexions, la moitié des étudiants (50 %) opposent un refus catégorique aux envois des cours et travaux dirigés par la poste et sont pour l’apprentissage en ligne (82 %). Des appréhensions liées aux problèmes technologiques subsistent cependant pour 35 % d’entre eux : financement des connexions, achat des appareils, problèmes de réseau. Moins de la moitié (44 %) considèrent la validation automatique du semestre comme une solution envisageable. Les deux tiers environ souhaiteraient un changement des formes d’évaluation habituelles, qu’elles soient faites en ligne (65 %), en présence immédiate (62 %) ou en différé après le confinement (62 %).

Discussion

La formation à distance semble à première vue une solution alternative appréciable pour mener à bien les études universitaires dans un contexte de pandémie. Perraton et al. (2002) soulèvent quatre points importants à prendre en compte pour mettre en place les formations à distance : la technologie, les coûts, le curriculum et l’évaluation. L’analyse des difficultés des étudiants enquêtés a permis de retrouver ces défis, mais dans un ordre différent.

Un curriculum et des évaluations adaptés

Le premier défi, soulevé par 50 % des étudiants, est directement lié à l’organisation de l’ensemble des apprentissages et aux interactions entre enseignants et étudiants, et entre pairs. La conversion des activités données en présence en éléments de formation à distance n’est pas une simple numérisation des documents, mais le fruit d’un travail conséquent et approfondi de l’enseignant aboutissant à la conception d’un curriculum adapté aux apprentissages à distance, avec des ressources et un contenu d’apprentissage en ligne pertinents, interactifs et faciles à utiliser. Ce curriculum devrait formaliser les stratégies permettant d’encourager les étudiants à s’engager efficacement dans le travail, malgré la liberté que leur confère la flexibilité de l’enseignement à distance.

Les évaluations adaptées constituent un autre point sensible de l’enseignement à distance. Dans quelles mesures leurs modalités peuvent-elles être efficaces et justes? En effet, parmi les questions qui se posent figurent : les méthodes à mettre en oeuvre (Foley et al., 2019) et la valeur de la certification obtenue dans le milieu universitaire. Il est difficile dans l’état actuel des possibilités des équipes d’enseignants de l’ENS d’Antananarivo de vérifier l’identité du candidat évalué en ligne. Changer la forme de l’évaluation pourrait être un élément de réponse : poser des questions de réflexion, dont l’ordre et la formulation peuvent être modifiés de façon aléatoire, ou demander aux étudiants de proposer un projet sont des exemples à examiner. L’organisation d’examens en présentiel dans les chefs-lieux de district peut aussi être envisagée, la production des étudiants étant photographiée et envoyée aux enseignants responsables.

On peut se poser la question de savoir comment mettre en place un enseignement à distance dont le contenu est de même qualité qu’un enseignement en présence. L’exemple de la Sierra Leone pourrait nous indiquer une piste dans ce sens. La Sierra Leone est un des pays africains ayant subi l’épidémie d’Ebola, qui en 2014‑2015 a provoqué la mort de plus de 11 000 personnes et des perturbations économiques et sociales importantes. Elle a fermé ses écoles pendant huit mois, perdant ainsi une année d’apprentissage. Comme solutions alternatives aux moyens numériques, de courtes séquences radiophoniques ont été mises en place cinq jours par semaine pour maintenir un lien avec l’apprentissage dans les écoles primaires et secondaires. Il était possible pour les auditeurs de poser des questions à la fin de chaque séquence. Malgré ces efforts, il a été cependant nécessaire de rattraper le retard d’apprentissage en mettant en oeuvre un programme spécial accéléré sur les matières de base deux années durant suivant la crise (Powers et Azzi‑Huck, 2016).

Le souci de qualité pourrait amener les établissements d’enseignement à mettre en oeuvre un programme d’enseignement de rattrapage spécial après la crise occasionnée par la COVID‑19. Cependant, si la formation à distance ne produit pas les mêmes compétences que les formations en présence, elle en favorise d’autres, qui ont d’ailleurs été mentionnées par les étudiants au cours de notre enquête : l’autonomie, les capacités de recherche, la débrouillardise.

Les moyens technologiques

Les progrès de la technologie numérique peuvent constituer une aide pour mettre en oeuvre l’enseignement à distance (Karsenti et Collin, 2010) et favoriser la médiation instrumentale, qui conditionne souvent la médiation humaine. Le choix des outils numériques accessibles financièrement pour les étudiants mérite ainsi réflexion. Comme la plupart possèdent un téléphone intelligent, on pourrait par exemple utiliser des applications qui permettent une correction automatique des évaluations et une rétroaction personnalisée. En effet, selon notre enquête, la rétroaction individuelle asynchrone de l’enseignant est importante, voire très importante pour les étudiants (respectivement 53 % et 24 % d’après les réponses au questionnaire); elle améliore leur engagement et encourage leurs productions. D’autres applications, à la manière d’un agenda numérique, pourraient envoyer un message de rappel pour aider les étudiants à surmonter les difficultés que constitue leur incapacité à gérer leur temps, à se concentrer sur l’apprentissage et à maintenir sa régularité face aux obligations et distractions éventuelles.

Cependant, les pays riches sont plus aptes à basculer vers des solutions alternatives en ligne (Saavedra, 2020). Mais dans les autres pays, d’autres moyens devraient être mis en oeuvre. L’enseignement à distance ne peut pas se résumer à l’apprentissage en ligne : aujourd’hui, l’enjeu est d’exploiter des supports diversifiés pour toucher le plus grand nombre (ADEA, 2020). Nous pourrons faire nôtres les bonnes pratiques citées dans notre état de l’art pour renforcer l’engagement des apprenants. Des interactions efficaces pourraient aussi se faire à Madagascar, à travers des dispositifs mixtes (courrier postal, envois en ligne) et une collaboration accentuée avec diverses entités gouvernementales, qui sont nombreuses, dans les villes éloignées, à disposer d’une connexion Internet filaire desservie par fibre optique : la poste, les chefs-lieux de district et quelquefois les lycées, etc. Les émissions radiophoniques ou télévisées éducatives peuvent être mises à contribution, les acquis des formations d’enseignants utilisant le téléphone peuvent être remis au goût du jour.

Quel que soit le moyen choisi, la question de l’accessibilité est cruciale étant donné les nombreuses zones de faible couverture des réseaux mobiles, qui sont encore étendues à Madagascar (nPerf, 2020). Même si l’offre de partage de fichiers sur Messenger de Facebook est adoptée par la plupart des étudiants malgaches, il serait intéressant de pouvoir réaliser un appel vidéo groupé, avec un partage d’écran, au cours d’une visioconférence. L’étudiant étant un être social, l’isolement est source de découragement et constitue une des causes principales de sa démotivation. Pour qu’il puisse apprendre, les interactions synchrones avec les formateurs et les pairs au cours de ces conférences virtuelles, même épisodiques, lui sont indispensables et permettent d’assurer la compréhension des documents qui lui sont envoyés.

Les coûts et moyens financiers

Un budget plus conséquent aurait permis aux étudiants d’acheter des appareils de meilleure qualité et de profiter d’offres de connexion mensuelles plus efficaces. Des réflexions explorant des modèles de financement alternatifs, favorisant la formation par les pairs, et le questionnement des normes et standards existants en matière de prestation de services d’éducation peuvent constituer des pistes de solutions dans ce sens. Le partenariat avec les opérateurs téléphoniques peut être amorcé par le gouvernement. Serait-il possible pour l’État de mettre en place une telle collaboration afin d’assurer l’accès des étudiants éloignés à une connexion de qualité suffisante? Ou bien, en ce qui concerne les coûts, dans ces moments d’urgence, l’État pourrait-il collaborer avec des opérateurs téléphoniques afin d’accorder un tarif préférentiel aux étudiants pour les connexions Internet? Des exemples de dispositifs favorisant les étudiants existent déjà dans les pays développés : en France, par exemple, les frais de déplacement en transport en commun ainsi que les frais de restauration dans les cantines universitaires sont moins élevés pour les étudiants. Dans ce contexte de pandémie, une aide pour les connexions permettrait d’assurer la continuité de l’enseignement universitaire et de répondre aux inquiétudes des étudiants concernant le retard de l’achèvement de leurs études entraîné par les prolongements successifs du confinement.

En effet, il faut souligner que l’efficacité de l’enseignement à distance repose sur l’engagement, non seulement des étudiants et des enseignants, mais surtout et en premier lieu, de l’État concerné lui‑même.

L’enseignement universitaire à Madagascar fait alors face à un dilemme : Doit-on refuser l’enseignement à distance à cause de la pauvreté des étudiants ou trouver des solutions pour une continuité adaptée, l’éducation universitaire pouvant être un moyen de lutte contre cette pauvreté? Les études empiriques de Patrinos (2016) affirment que chaque année d’études supplémentaire augmente les revenus d’une personne de 10 % par an en moyenne. Plus une personne est éduquée, plus elle renforcera les compétences nécessaires au marché du travail, participera aux recherches, s’adaptera aux avancées de la technologie et pourra contribuer au développement économique du pays. Investir financièrement dans la formation à distance pourrait démocratiser l’enseignement universitaire, améliorer sa qualité et constituer un levier permettant d’améliorer la situation économique d’un pays de façon durable.

Conclusion

La pandémie a plongé le système universitaire de Madagascar dans une situation exceptionnelle à laquelle il ne s’était pas préparé. La mise en oeuvre d’une formation à distance aussi équitable que possible pourrait permettre d’avancer, sans attendre la fin incertaine de la pandémie.

Le travail de recherche que nous avons effectué a permis de montrer que la pauvreté constitue un obstacle à l’efficacité d’un apprentissage à distance à Madagascar. En effet, elle influence défavorablement la qualité de la médiation instrumentée et humaine lors de la formation.

Cependant, la pauvreté n’est pas l’unique défi à surmonter. La pandémie de COVID‑19 n’est pas la première cause d’arrêt durable de l’apprentissage de l’histoire, comme l’illustrent l’Ebola qui a affecté les pays africains en 2014‑2015 et la peste qui a sévi à Madagascar en 2018. Tirer des leçons de l’histoire et se préparer à affronter les imprévus serait une attitude à adopter, que ce soit par les enseignants, les établissements ou les gouvernements.

Car d’une part, la crise de la COVID-19 marque un point de non-retour de l’utilisation de la technologie dans l’éducation et la formation et d’autre part, elle nous encourage à valoriser et à institutionnaliser l’apprentissage à distance, particulièrement en milieu universitaire. Il s’agit de bâtir l’avenir de l’éducation dès la réouverture des établissements universitaires, de tenir compte de l’éducation dans les décisions financières et de cibler les personnes isolées (Organisation des Nations Unies. (2020b).

O’Farrell disait déjà en 1999 que la réussite d’une formation à distance mettait en jeu « [la] flexibilité, [l’]accessibilité et [l’]individualisation ». Pour notre part, nous aimerons ajouter la contextualisation et l’inventivité, car chaque situation est spécifique et mérite une réponse à sa mesure.