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1. Contexte

Le 20 mars 2020, face aux informations alarmantes sur la situation de la COVID‑19 et à l’enregistrement des premières contaminations au Niger, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures en vue de protéger la population. Ces mesures préconisent la fermeture des frontières terrestres et aériennes, l’isolement de Niamey, la capitale, qui enregistre les premiers malades, la fermeture du jardin d’enfants à l’université et l’édiction des gestes dits barrières. Ces gestes barrières mettent en évidence l’interdiction des regroupements et des réunions de toute nature.

Très vite, la question des solutions alternatives s’est posée afin d’éviter que l’année ne soit compromise. Au Niger, six ministères offrent l’éducation publique et la formation[2]. L’on a vu dès la fin mars 2020 des offres de formation dites en ligne qui émanent d’un certain nombre de ministères. Par conséquent, notre intention ici est d’analyser les offres du ministère de l’Enseignement supérieur. Pour ce faire, nous allons d’abord décrire les décisions politiques, ensuite évoquer les difficultés rencontrées et enfin proposer les réflexions et pistes de modification.

2. Décisions politiques : stratégies du ministère de l’Enseignement supérieur

Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du Niger dirige huit universités ayant le statut d’université nationale et un certain nombre d’établissements privés. Les universités publiques accueillent 85 000 étudiants et les établissements privés 30 000. Pour donner suite à la fermeture des établissements, le ministre a demandé aux universités publiques d’offrir des cours en ligne et de lui fournir dans ce but une liste d’enseignants technocompétents et une liste d’informaticiens. Il a mis en place une commission qui a abouti à une proposition de cours sur WhatsApp pour l’ensemble des offres des universités publiques. Un document intitulé Plan d’urgence COVID‑19 pour l’enseignement supérieur a consigné l’approche. Le document propose deux méthodes de cours en ligne : une à court terme et l’autre à moyen terme.

Pour la solution à court terme, « le ministère recommande l’utilisation des messageries sécurisées telles que WhatsApp et Telegram » (Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation [MESRI], 2020, p. 2). Cet usage est organisé en deux étapes représentées par les figures 1 et 2. L’étape première organise les acteurs, c’est-à-dire les départements, les coordinations des niveaux et les délégués des sections. L’enseignant est d’office l’administrateur du groupe.

Figure 1

Schéma organisationnel des cours en ligne par WhatsApp et Telegram

Schéma organisationnel des cours en ligne par WhatsApp et Telegram

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Le schéma pédagogique de chaque cours montre le jour de l’envoi suivi au second jour des échanges questions et réponses. Ensuite, le cours est terminé et dès le jour suivant s’ouvre la période de l’évaluation. Cette démarche semble abusivement prendre le nom de cours en ligne. Des questions se posent quant à la possibilité de voir un tel scénario se produire. En effet, WhatsApp et Telegram semblent-ils compatibles au point où on peut dans le même temps opter pour l’un ou pour l’autre? Les étudiants disposent-ils de l’outil Android? Que se passe-t-il si l’étudiant n’arrive pas à suivre les cours? Les enseignants disposent-ils de l’outil Android adéquat? Les enseignants et les étudiants disposent-ils de la connexion Internet? Avec la mesure d’isolement de Niamey, les étudiants sont rentrés chez eux et, en milieu rural, la disponibilité d’Internet reste presque nulle. Les enseignants se désintéressent-ils du droit d’auteur relativement à leurs cours? Dans certaines sections, l’effectif des étudiants atteint le millier. Comment un enseignant peut-il échanger le jour 1 à la fois à travers la messagerie vocale et l’écrit avec un millier d’étudiants répartis en quatre groupes? Pour parer à tout cela, des tutoriels détaillés et imagés sont envoyés à tous les enseignants. Ce plan est soumis à la Conférence des recteurs des universités publiques lors d’une réunion extraordinaire tenue à Maradi les 27 et 28 avril 2020. À cette occasion, les objectifs de la démarche des cours en ligne sont précisés :

  1. occuper les étudiants pendant la fermeture des établissements universitaires;

  2. résorber une partie du retard scolaire 2018-2019 et 2019-2020;

  3. rendre actifs les enseignants-chercheurs (Conférence des recteurs des universités publiques du Niger, 2020, p. 5).

Figure 2

Fonctionnement des groupes WhatsApp et Telegram

Fonctionnement des groupes WhatsApp et Telegram

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3. Difficultés rencontrées

Les recteurs ont relevé plusieurs difficultés autour des cours sur WhatsApp, notamment celles liées, entre autres, à l’évaluation, à la connexion, à la validation des crédits, au paiement des vacataires et missionnaires et au pointage pour payer les cours complémentaires. Lorsque, le 1er juin 2020, le gouvernement a décidé du redémarrage des cours en présentiel, WhatsApp n’a permis de donner aucun cours. Cette démarche constitue un échec sur toute la ligne. En l’occurrence, le but est de définir une démarche porteuse pour la mise en place effective de cours en ligne en tirant les leçons d’une initiative qui a avorté. Des erreurs d’approche semblent à la base du mode d’emploi qui n’a donné aucun résultat. L’analyse repose sur certains textes administratifs de base émis par les différentes autorités. La méthode d’analyse appliquée demeure une analyse de contenu qui relève en partie de l’analyse documentaire (Bardin, 1977). Le texte produit par le ministre et la réponse indirecte de la conférence des recteurs constituent les textes de base. Un autre matériau représente le texte librement rédigé d’un haut responsable du ministère chargé, entre autres, de la promotion de la stratégie retenue auprès des équipes universitaires. Un classement taxinomique des objets des discours a permis de mettre en évidence un dialogue « de sourds » entre un ministre qui donne des directives et des responsables universitaires qui répondent sur d’autres thématiques. L’analyse a montré que tous s’abstiennent de donner un contenu au terme clé « cours en ligne ». En restant vagues, les uns et les autres évitent un conflit, en contrepartie de quoi chacun se positionne pour se justifier en cas d’échec. Le ministre incriminera les universitaires. Ces derniers incrimineront le manque de moyens. Aucun ne pourra situer le niveau de la responsabilité, car personne n’a défini l’objet (les cours en ligne) dans ce qu’il implique. Ainsi, l’échec risque de se retrouver sans responsable. Cette analyse a imposé la démarche de l’article qui a consisté à donner l’élément manquant, à savoir la démarche pour aboutir à un résultat en enseignement en ligne. Plusieurs sources d’erreurs peuvent être pointées en parcourant ces textes :

  1. Vraisemblablement jusqu’à ce que se déclare la pandémie du SRAS‑CoV‑2, les universités publiques du Niger restent sans aucune offre de formation à distance.

  2. Le MESRI ne dispose pas de politique stratégique et de budget pour offrir une formation en ligne dans les universités.

  3. Le MESRI, en dépit de l’existence d’une direction générale de l’innovation, n’a pas pu fournir la formation en ligne comme facteur d’innovation que les universités pourraient offrir.

  4. Un amalgame des objectifs de l’enseignement à distance subsiste dans les directives données aux universités pour offrir les cours. En effet, il est attendu de cette offre (par WhatsApp) de résoudre les retards scolaires, d’occuper les étudiants, de sauver l’année universitaire, etc. Au Niger, le « chevauchement des années » devient un concept en vigueur dans les universités. Ainsi, selon les universités et les disciplines, l’instabilité à l’origine de la perturbation des calendriers scolaires entraîne en 2020 la superposition des cours des années 2017‑2018, 2018‑2019 et 2019‑2020. Et les établissements ambitionnent d’achever ces cours afin que l’année ne blanchisse pas. Le système de gouvernance des universités ne détermine pas encore un calendrier scolaire qui fixe un début et une fin d’année. Normalement, en application d’un tel calendrier, à la fin de l’année, seul ce qui semble complet devient objet d’évaluation et de validation. Est annulé tout ce qui est partiellement réalisé. La nouvelle année est consacrée au programme de l’année en cours sans la préoccupation de « rattraper » les insuffisances de l’année précédente;

  5. L’enseignement à distance est aussi présenté comme une solution à la massification. Le rôle de l’enseignement à distance et sa capacité à résoudre le problème de disponibilité des infrastructures pour l’enseignement en présentiel semblent mal compris;

  6. Un article de presse évoque cette solution en ces termes : « la dématérialisation de l’enseignement pourrait se poser comme une alternative pour peu que les acteurs soient préparés avec un accompagnement des autorités chargées de l’institution » (Boureima, 2020, p. 5)[3]. Cette idée de l’enseignement à distance qui contribue à régler le problème de la massification traduit les beaux jours de l’Université virtuelle africaine (UVA) depuis 1992. Les universités semblent perdre de vue qu’une ONG ne peut délivrer aucun diplôme. Ainsi, les centres UVA ne peuvent pas fournir la solution à la massification, particulièrement dans la zone francophone;

  7. La cible de l’enseignement à distance semble banalisée, car la cible des projections concerne l’ensemble des étudiants des universités publiques. À cela s’ajoute l’activité pédagogique de quelque 800 enseignants, vacataires et missionnaires étrangers.

4. Suggestions des autorités qui proviennent des textes

Pourtant, afin d’éviter d’aboutir à une impasse, dans une lettre adressée au Ministre de l’Enseignement supérieur par un des auteurs de cet article (KAG), les suggestions suivantes sont présentées :

  1. Ainsi, avant de se lancer, et ce, en dépit de l’urgence, il est nécessaire au minimum de :

    • définir des objectifs;

    • définir une politique;

    • définir une stratégie;

    • définir un modèle pédagogique;

    • définir un modèle économique, etc.;

  2. Une équipe aux compétences avérées demeure incontournable;

  3. Créer à court terme une banque de cours qui permet à tous les étudiants d’accéder aux contenus de leurs cours ordinaires. Et cela, soit en se connectant soit en ayant des clés USB ou des microcartes mises à leur disposition pour réduire l’inégalité d’accès à Internet. L’évaluation ne peut en aucun cas se fonder sur cet accès aux contenus des cours;

  4. Développer à moyen terme des cours sur des plateformes d’enseignement qui reproduisent les classes virtuelles, mais en définissant comme cibles les étudiants des sept universités publiques qui, ne possédant pas un nombre suffisant d’enseignants, reçoivent les vacations en provenance de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, et ce, de manière répétitive chaque année.

La nécessité de surmonter les différents problèmes posés devient impérative, car si la situation née de la COVID‑19 a mis en exergue les difficultés à aboutir à une offre conséquente, l’usage pour l’avenir doit être préparé. Certains pays africains ont connu la maladie à virus Ebola et maintenant la COVID‑19. Personne ne sait ce que l’avenir nous réserve. Par conséquent, la situation requiert de la préparation en suivant un modèle afin de maîtriser les futures offres.

5. Leçons tirées des perspectives porteuses de réussite d’intégration pédagogique des TIC

L’analyse de la littérature scientifique sur la formation à distance montre que le véritable enjeu de la formation à distance réside dans l’autonomie des apprenants, au-delà des défis économiques, sociaux et technologiques (Jézégou, 1998). Un tel enjeu constitue une nécessité pour les apprentissages. Pour développer cette autonomie de l’apprenant et contribuer à la rénovation des pratiques pédagogiques au moyen des TIC (Lafleur, 2017), certaines solutions d’ingénierie s’avèrent indispensables pour résoudre le problème délicat de l’accompagnement aux apprentissages autonomes à distance. En l’occurrence, le travail semble mettre en présence trois dimensions : a) enseigner à distance, b) faire apprendre de manière autonome, c) intégrer les TIC dans l’enseignement. Or, ces trois dimensions ne représentent pas des synonymes. En effet, il est possible d’intégrer les TIC sans développer l’autonomie ou d’enseigner à distance sans recourir à l’utilisation des technologies. Nous allons donc marquer une pause pour voir comment définir ces termes en nous appuyant sur des écrits scientifiques concernant les thèmes clés de la formation à distance et en ligne.

Les formations à distance désignent « des systèmes de formation conçus pour permettre à des individus de se former sans se déplacer dans un lieu de formation et sans la présence physique d’un formateur  » (Jézégou, 1998, p. 54). Ainsi, la formation à distance semble rigide, car la personne apprend sans la présence physique de formateurs à l’intérieur d’un dispositif déjà structuré (Massé, 2015). Celui-ci définit les objectifs de formation, les contenus pédagogiques ainsi que les modalités d’évaluation et de validation des acquis. Le centre de formation transmet à l’apprenant un ensemble de documents à partir desquels il organise son travail sur la base d’un calendrier lui aussi prédéfini. Depuis quelque temps, un changement de perspective s’impose par le terme FOAD (formation ouverte à distance). Selon cette perspective, la formation à distance est considérée avant tout comme une approche qui permet d’assurer une organisation plus flexible des apprentissages. Cette flexibilité résulte, entre autres, des choix du matériel d’apprentissage, des approches pédagogiques, du type d’activités, des modalités d’organisation du travail, des formes d’intervention du tuteur et des modalités d’échange avec les pairs. Ces différents choix de flexibilité optimalisent la distance transactionnelle afin de tirer parti des outils cognitifs mis en oeuvre pour assurer la mise à distance de certains aspects de la formation (Komis et al., 2013). À cet égard, selon Karsenti et Parent (2020) :

Enseigner à distance, c’est enseigner à des apprenants qui ne sont pas en face de soi. La motivation à apprendre est différente. Les interactions aussi. La question de l’isolement prend une tout autre signification. Enseigner à distance, c’est apprendre à vaincre la distance. Une distance spatiale, technologique, temporelle, culturelle, sociale, affective, et surtout pédagogique (la plus difficile à vaincre).

p. 1

Que recouvre la notion d’autonomie? L’autonomie réfère au droit pour l’individu de déterminer librement les règles auxquelles il se soumet (Jézégou, 1998). Elle résulte d’un double processus qui offre la possibilité d’opérer des choix : celui d’un travail intellectuel d’autonomisation et celui d’une socialisation. Ce faisant, l’autonomie sous-tend un plan d’action à mettre en oeuvre avant de prendre une décision. C’est donc au travers des stratégies qu’un individu développe que s’exprime son autonomie. Dans un contexte de formation, l’autonomie représente la capacité à prendre en charge sa formation et la capacité à développer des stratégies pour apprendre. Or, autoformation ne signifie pas forcément autonomie. En effet, il est possible d’apprendre à utiliser PowerPoint à l’aide d’une vidéo sur YouTube, sans capacité de concevoir des stratégies personnelles dans l’apprentissage des diapositives. C’est par la capacité stratégique de la personne à effectuer des choix dans sa formation (lieu, temps, rythme, contenus, etc.) et à élaborer un plan d’action cohérent que s’exerce l’autonomie en formation (Jézégou, 1998). Que signifie alors faire apprendre de manière autonome? La formation à l’autonomie suppose d’abord de construire des situations de formation dans leurs dimensions sociorelationnelle et cognitive. Cela implique la restauration de la confiance en soi nécessaire pour engager un apprentissage, mais aussi l’organisation d’une situation didactique rigoureuse, la sélection de bons matériaux et le choix de bonnes questions pour faire construire de bonnes réponses. Ensuite, l’étudiant doit se dégager progressivement de cette aide afin d’éviter les situations de dépendance à l’égard de la situation de formation et de l’enseignant. Et cela, encore, sur les plans sociorelationnel et cognitif : pour le premier, l’étudiant apprend à se passer d’un soutien affectif qui l’a, un moment, aidé; pour le second, il reçoit les moyens de savoir comment réutiliser ce qu’il a appris dans d’autres contextes que le contexte où il l’a appris. En résumé, l’enseignant doit, à la fois, faire acquérir des connaissances à l’étudiant et le rendre indépendant de lui dans l’usage que celui-ci effectue de ce qu’il lui a permis d’acquérir. Cette transformation des connaissances en compétences requiert une pratique systématique de la décontextualisation, c’est-à-dire la recherche par l’étudiant d’autres situations dans lesquelles il peut utiliser, faire jouer et mobiliser ce qu’il a appris (Meirieu, s.d.).

Quant à l’intégration pédagogique des TIC, selon Karsenti et Tchameni Ngamo (2009) :

c’est l’usage des TIC par l’enseignant ou les élèves dans le but de développer des compétences ou de favoriser des apprentissages. L’intégration pédagogique des TIC, c’est dépasser l’enseignement de l’informatique et des logiciels. C’est amener les élèves à faire usage des TIC pour apprendre les sciences, les langues, les mathématiques. Intégrer les TIC, c’est aussi faire usage des TIC pour enseigner diverses disciplines.

p. 58

La littérature scientifique révèle que « l’intégration pédagogique des technologies en éducation est un processus fort complexe qui ne devrait pas nécessairement être simplifié, car cela pourrait réduire la qualité et le potentiel des technologies en éducation » (Karsenti et Collin, 2019, p. 8). Pour appuyer les enseignants et les étudiants dans leur cheminement pour effectuer un usage plus important du numérique, plusieurs modèles d’intégration des technologies demeurent utilisables. En dressant l’état de la situation à l’égard des conditions qui favorisent l’efficacité de la formation à distance (FAD) à l’enseignement supérieur, Lafleur (2017) précise, dans la perspective d’un renouvellement des pratiques pédagogiques et d’intégration des TIC, certaines conditions, notamment la compétence technopédagogique de l’enseignant qui optimise les chances de succès de la formation en ligne. Comme l’indiquent Simonian et Ladage (2014), le développement des formations en ligne et leur pérennité dépendent d’une conjonction de facteurs politiques, pédagogiques et techniques. En l’occurrence, la présente analyse va brièvement décrire les conditions d’ingénierie qui mettent en évidence la réunion de ces facteurs.

5.1 Ingénierie du dispositif d’enseignement à distance

Analysons le dispositif qui décrit la conception de la plateforme d’enseignement à distance. Ce dispositif ne peut pas rester unique et performant dans toutes les situations pédagogiques. Le numérique induit de la mobilité, de l’adaptation et du changement dynamique. Ainsi, le dispositif met en lumière la nécessité d’en finir avec le présentiel. Notre choix consiste à suivre la nomenclature de Karsenti et Parent (2020) et de Prat (2008). Référence en matière de formation à distance des enseignants, ce schéma reflète parfaitement la manière dont une équipe enseignante peut parvenir à une introduction raisonnée du numérique afin de revigorer ses pratiques pédagogiques.

Comme « les mêmes règles régissent le fonctionnement des réseaux numériques et l’organisation des activités humaines et passent aussi par la normalisation des descriptions de ressources pédagogiques ou des architectures de plateforme de formation » (Depover, 2009, p. 22‑23), la technologie est souvent mise en avant dans le dispositif d’enseignement à distance. Dans cette perspective, Karsenti (2018) a conçu une plateforme pour la formation à distance des enseignants au Niger (en Afrique), à partir d’un appareil mobile, qui fait appel à l’intelligence artificielle (IA). Celle-ci réfère à la reproduction artificielle des facultés cognitives de l’intelligence humaine dans le but de créer des logiciels ou des machines (des robots, des plateformes, etc.) capables d’exécuter certaines fonctions de cette dernière. L’IA peut donc résoudre des problèmes en apprenant à partir de données, de modèles. Son intérêt réside dans le fait d’affranchir l’être humain de certaines tâches en les automatisant. Ainsi, Karsenti et Parent (2020) proposent 80 pistes à considérer pour aider les acteurs de l’éducation à vaincre la distance et à apprivoiser rapidement la formation à distance, sans pour autant improviser. Enseigner à distance de façon efficace, c’est apprendre à tirer profit des principes de la classe inversée. Ce modèle pédagogique en formation à distance permettrait de mieux gérer le temps avec les apprenants en privilégiant les exercices, les projets ou les discussions. Cinq phases principales caractérisent la conception de la plateforme de Karsenti dédiée à la formation à distance des enseignants au Niger.

  • Élaborer le dispositif d’enseignement à distance

    Quatre grandes étapes caractérisent l’élaboration du dispositif d’enseignement à distance :

    • Développer la plateforme (établissement des contrats avec les développeurs, plateforme accessible, maquette élaborée et disponible, fonctionnalité de la maquette);

    • Élaborer les contenus (contrat avec les groupes de rédacteurs de modules, contrat avec les concepteurs de vidéos, gabarit des modules élaborés, formation des rédacteurs à l’utilisation du gabarit, rédaction des modules, validation des modules);

    • Élaborer les guides d’utilisation (rédaction et impression du guide d’utilisation);

    • Valider la plateforme (mise en ligne).

  • Rendre fonctionnel le dispositif

    Deux ordres de fait indiquent le bon fonctionnement du dispositif d’enseignement à distance :

    • Déterminer et définir le matériel (liste et spécification du matériel);

    • Acquérir le matériel (lancement d’appels d’offres, dépouillement et passation de marché, test du matériel réalisé, tests de communication réalisés).

  • Définir le public cible

    • Identifier et sélectionner les apprenants en préparant le document officiel de candidature et la liste des apprenants.

  • Réaliser la formation

    • Constituer les équipes de suivi (liste des membres du personnel d’encadrement);

    • Distribuer le matériel et le guide d’utilisation (décharge de réception du matériel);

    • Lancer la formation (cérémonie et communication, vérification des inscriptions, vérification des connexions);

    • Assurer le suivi et l’encadrement de la formation (réalisation de la formation, effectifs des enseignants visités).

  • Évaluer la formation

    • Évaluer la formation (élaboration d’épreuves, évaluation certificative).

Comme il n’est pas toujours utile de réinventer la pédagogie existante, il s’avère nécessaire de construire des connaissances fiables, basées sur des données probantes (modèles) (Fiévez, 2017). En effet, une bonne connaissance de ces modèles facilite la compréhension du processus d’intégration des technologies en éducation.

5.2 Modèle du processus d’intégration des TIC dans l’enseignement au Niger

L’intégration pédagogique des TIC représente un processus de transformation des pratiques enseignantes en vue d’améliorer l’apprentissage. En s’inspirant des modèles de Hall et Hord (1987) et de Raby (2005), Coulibaly et al. (2010) ont développé un modèle sur le processus d’intégration des TIC dans l’enseignement secondaire au Niger. Ainsi, ce modèle s’est intéressé tant aux préoccupations et aux actions des enseignants de lycée relativement à l’intégration des TIC (Hall et Hord, 1987) qu’à la description et à l’analyse du chemin parcouru par les enseignants (Raby, 2005) ayant atteint un stade élevé d’adoption des TIC. Et compte tenu de l’état embryonnaire de l’intégration des TIC dans l’enseignement secondaire au Niger, Coulibaly et al. (2010) se sont appuyés essentiellement sur les stades d’adoption, passage obligé des enseignants pendant l’intégration des TIC à leur enseignement et non sur les stades du processus d’appropriation. En effet, l’adoption désigne une utilisation du nouvel outil avec conservation des anciennes méthodes, alors que l’appropriation requiert une utilisation quotidienne du nouvel outil. C’est pourquoi ces auteurs soulignent que dans le contexte d’adoption où l’utilisation pédagogique des TIC reste embryonnaire, le cheminement des enseignants atteint difficilement les sous‑stades avancés.

La figure 3 présente quatre stades. Au bas de la typologie se trouve le stade de la sensibilisation correspondant aux stades de la non-utilisation et de l’orientation de Hall et Hord (1987). Puis vient le stade de l’utilisation personnelle ou de la formation initiale. Le stade hiérarchique suivant correspond à l’utilisation professionnelle ou aux automatismes. Enfin suit l’utilisation pédagogique qui correspond aux stades d’indépendance ou d’intégration de Hall et Hord. Ainsi, chaque stade comporte un ou plusieurs sous-stades. Le stade de la sensibilisation ne comprend qu’un seul sous-stade : le contact indirect. En revanche, les stades de l’utilisation personnelle et professionnelle se divisent en deux sous-stades : la motivation et la familiarisation. Le stade de l’utilisation pédagogique se divise également en deux sous-stades : l’exploration et l’exploration-adoption. Et enfin, dans la troisième et dernière colonne de la figure, on trouve cinq des sept stades de la préoccupation de la typologie de Hall et Hord (1987).

Ainsi, ce nouveau modèle tient compte de l’importance de l’utilisation personnelle et professionnelle dans le cheminement d’un enseignant vers l’utilisation pédagogique des TIC. La validation du modèle a mis en évidence l’interdépendance et le soutien qui s’opèrent entre les différents stades d’utilisation des TIC par l’enseignant. De plus, le nouveau modèle illustre la non-linéarité de l’intégration des TIC, c’est-à-dire l’interchangeabilité et la superposition possibles entre les différents stades.

Figure 3

Modèle du processus d’intégration des TIC dans l’enseignement au Niger (Modèle de Coulibaly et al. [2010]) Tiré de Éducation & formation (ISSN : 2032-8184), n° e-294, p. 123

Modèle du processus d’intégration des TIC dans l’enseignement au Niger (Modèle de Coulibaly et al. [2010]) Tiré de Éducation & formation (ISSN : 2032-8184), n° e-294, p. 123

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Ce nouveau modèle d’adoption des TIC par les enseignants pourrait constituer une démarche méthodologique porteuse d’intégration pédagogique des TIC. En l’occurrence, la présente analyse souligne la pertinence des phases d’adoption, car l’adoption symbolise le scénario pédagogique fondé sur le présentiel enrichi qui est resté associé à l’enseignement de type traditionnel de l’université. De plus, les TIC pénètrent difficilement les établissements universitaires au Niger. En effet, le manque d’infrastructures, d’équipements, d’électricité et de formation initiale de la majorité des enseignants-chercheurs explique l’absence de ces technologies dans les programmes d’études en Afrique francophone. Ce faisant, très peu d’enseignants parviennent à une adoption pédagogique des TIC (Coulibaly et Karsenti, 2014). Par conséquent, les établissements universitaires qui auront pour objectif d’intégrer les TIC à leur curriculum devraient chercher à favoriser le modèle d’adoption des TIC de Coulibaly et al. (2010). D’autant plus que le manque d’infrastructures, d’équipements, d’électricité et de formation initiale de la majorité des enseignants-chercheurs hypothèque de manière significative la qualité de l’enseignement supérieur nigérien. Ce dernier devrait ainsi intégrer des moyens de renforcer à la fois le nombre et les compétences des membres du personnel enseignant. Et l’atteinte de ce double objectif requiert impérativement le recours à de nouvelles méthodes de formation des enseignants-chercheurs. Ces stratégies restent vides de sens sans enseignants compétents. Et le changement restera tributaire du développement de nouvelles compétences et de l’acceptation de nouveaux engagements par les acteurs intéressés. Dès lors, leur formation professionnelle exige un investissement. Le développement des TIC a favorisé les innovations pédagogiques en classe et le recours à la formation à distance. Pendant que le Niger a besoin de former des milliers de nouveaux enseignants-chercheurs, l’enseignement à distance peut simplifier à la fois la formation initiale et la formation continue de ces enseignants. Au Niger, les TIC peuvent ainsi améliorer la qualité de leur formation dans l’enseignement supérieur. Elles peuvent également améliorer la qualité de l’éducation par de nouveaux modes d’enseignement qui semblent plus coopératifs et plus collaboratifs que les modes traditionnels. Elles peuvent aussi relier les établissements universitaires les uns aux autres pour qu’ils échangent leurs expériences. Les enseignants représentent les premiers artisans de l’intégration des TIC à l’école. Dans ces conditions, une formation de qualité résulterait naturellement d’un sentiment d’adoption des TIC chez les enseignants. En effet, les enseignants qualifiés constituent le coeur de l’éducation de qualité. Le recours à une approche qui tient compte des besoins des individus et des réalités du milieu s’avère alors indispensable. C’est pourquoi l’intégration des TIC dans l’enseignement devient une obligation. Cette intégration favorise ainsi la mise en place de pratiques d’enseignement mieux adaptées aux besoins éducatifs des étudiants (Coulibaly, 2010).

Conclusion

La présente étude est réalisée grâce à des analyses de contenu des décisions politiques et des difficultés rencontrées au ministère de l’Enseignement supérieur. Elle a analysé l’initiative dudit ministère face à la pandémie de COVID‑19 : organiser les enseignements par les réseaux sociaux WhatsApp et Telegram. Cela a permis de comprendre les raisons de l’échec de l’offre de cours en ligne à l’université au Niger. L’étude décrit les décisions politiques, les difficultés rencontrées et les pistes de modification pour que, la prochaine fois, l’entreprise ait des chances de réussir. En cela, elle a le mérite, en prévision d’une nouvelle vague de COVID ou d’une autre pandémie, non pas de proposer des solutions, mais de décrire ce qui n’a pas marché.

Cette analyse révèle l’impérieuse nécessité de recourir à des typologies replacées dans leur contexte (comme le modèle de Coulibaly et al., 2010) pour éviter les « erreurs à ne pas commettre » et favoriser à l’intégration pédagogique des TIC qui est à son début au Niger. Pour répondre au besoin de formation des enseignants-chercheurs, les connaissances nouvelles ainsi produites pourront aider le ministère de l’Enseignement supérieur à orienter ses efforts plus efficacement par rapport à l’intégration des TIC dans l’enseignement universitaire.

Malheureusement, pendant plus d’une vingtaine d’années, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne n’ont pas pris de dispositions concernant les politiques d’intégration des TIC. Au niveau des universités, malgré les efforts de certains enseignants-chercheurs pour s’approprier la technologie et son usage, les établissements n’ont pas fourni d’efforts pour intégrer les TIC à leur offre d’enseignement. Les responsables regardent ces dispositifs comme s’ils étaient des produits de luxe. La pandémie de COVID‑19, en stoppant toutes les activités d’enseignement et d’apprentissage, a consacré l’enseignement à distance comme l’unique solution. Celle-ci assure une continuité pédagogique et la sécurité sanitaire des apprenants et des enseignants. Dans la précipitation, les pays d’Afrique subsaharienne ont cru devoir imiter les pays du Nord en proposant des solutions de cours à distance tous azimuts. C’est ainsi que la télévision, la radio, Internet et les réseaux sociaux ont bénéficié d’un regain d’attention. Les pays en ont vécu l’amère expérience, car l’usage des TIC nécessite un environnement technologique adéquat et accessible, des politiques réfléchies et des équipes formées à l’ingénierie, au tutorat et à l’évaluation. Sans ce dispositif, l’intégration pédagogique des TIC reste un voeu pieux. La crise de la COVID-19 met à l’ordre du jour l’indispensable usage des TIC et l’indispensable parcours d’adoption, seul garant de résultats satisfaisants.

Les politiques éducatives qui se sont perdues dans la réorganisation des enseignements pendant le confinement trouvent de nouvelles pistes de réflexion en puisant dans les résultats de bonnes pratiques afin de ne pas refaire les mêmes erreurs. La COVID‑19 devient ainsi source de compréhensibilité pour l’enseignement supérieur africain d’aujourd’hui et de demain. Cette contribution ne constitue qu’une indication d’un point de départ. De nombreux défis restent encore à relever pour les pratiques tant d’enseignement que de recherche!