Comptes rendus

Théâtre musical (xxe et xxie siècles). Formes et représentations politiques, dirigé par Muriel Plana, Nathalie Vincent-Arnaud, Ludovic Florin et Frédéric Sounac[Record]

  • Katia-Sofia Hakim

Dans nos mains, un rectangle de noir et de blanc. Sur la couverture du livre apparaît une photographie prise par Jean-Pierre Estournet, spécialiste de la photographie de scène. C’est la capture d’un spectacle du Cirque du Docteur Paradi, Love Love Circus (2005), avec chansons et mise en piste de Pascaline Herveet. On y voit trois personnages se détacher d’un fond sombre, les pieds bien ancrés dans le sable d’une arène de cirque. À gauche, une silhouette en chemise et tutu enlace une contrebasse amplifiée. À droite, une marionnette humaine, tête décoiffée, décolleté plongeant, articule son corps au son percussif des ghost notes de contrebasse. Cet ouvrage collectif publié aux Presses universitaires de Franche-Comté (pufc) s’inscrit dans la série « Mousikè » créée en 2019 par Laurence Le Diagon-Jacquin. Il est dirigé par quatre chercheurs de l’Université Toulouse-Jean Jaurès – Muriel Plana, Nathalie Vincent-Arnaud, Ludovic Florin et Frédéric Sounac –, qui sont responsables scientifiques du programme de recherche dédié aux relations entre théâtre et musique à l’ère contemporaine au sein de l’Institut de Recherche Pluridisciplinaire en Arts, Lettres et Langues (IRPALL – FED 4098). L’originalité de cette étude pluridisciplinaire du théâtre musical des xxe et xxie siècles est d’envisager cette forme artistique hybride, dans ses dimensions tant esthétiques que politiques. Chaque article contribue ainsi à l’examen critique d’une « politicité » des formes et des représentations du théâtre musical. Ce terme de « politicité », employé dès les premières lignes de l’introduction (p. 13-17), inscrit le théâtre musical dans une dynamique, dans un processus. En effet, l’idée n’est pas de proposer une définition figée du théâtre musical dont une des caractéristiques essentielles serait d’être politique. Définir, au sens étymologique du terme, c’est poser des limites, dessiner des frontières. C’est envisager l’objet dans sa permanence. Or, le théâtre musical est un genre éminemment plastique qu’il est difficile de penser de manière ontologique. Plus qu’un livre informatif qui délivrerait une information toujours-déjà-là, Théâtre musical (xxe et xxiesiècles). Formes et représentations politiques est un livre performatif dont le discours vise à agir directement sur l’objet étudié. Ce n’est pas un hasard si le dernier chapitre de l’ouvrage, aux allures de manifeste et signé par Muriel Plana, s’intitule « Pour un théâtre musical contemporain » (p. 195-216). À l’antithèse d’une démarche encyclopédiste, on peut lire ici un véritable programme d’action, en totale cohérence avec l’esprit d’utopie qui caractérise le théâtre musical. La contribution de Karine Saroh consacrée à Luigi Nono est d’ailleurs centrée sur cette question de l’utopie (« De l’utopie esthétique à l’utopie politique. Le théâtre musical de Luigi Nono », p. 103-118). Le théâtre musical n’existe pas en soi. Il est à construire, dans un mouvement de perpétuelle réactualisation et d’altération constante des sociétés, des langages, des matériaux, des imaginaires. Ainsi, la méthodologie adoptée dans cet ouvrage n’est pas sans rappeler la praxis marxiste telle qu’elle est développée par Ernst Bloch dans Le principe espérance. Dans le théâtre musical, les rapports entre théâtre et musique se caractérisent par une tension dialectique qui s’oppose au modèle fusionnel de l’opéra. Ici, chacune des deux disciplines garde son autonomie. La séparation des éléments est d’ailleurs un des principes fondateurs du théâtre de Bertolt Brecht qui apparaît comme une figure tutélaire. L’ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur un autre article de Saroh qui lui est consacré (« Eisler et Brecht. Les songs dans La Décision », p. 19-35). Cette autonomie des disciplines instaure une relation dialogique entre musique et théâtre, pour reprendre un concept bakhtinien. Appliqué à l’origine à la théorie du roman, le concept de dialogisme est redéfini ainsi …

Appendices