Article body

L’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013 a fait l’objet d’une grande attention médiatique et a forcé la main de plusieurs entreprises amirales qui sous-contractaient la production de leur marchandise au Bangladesh à se doter de mesures afin d’éviter un autre désastre[1]. En effet, plusieurs entreprises se sont senties interpellées, même si elles n’avaient pas de relations d’affaires avec l’usine en question et qu’aucun lien juridique ne les unit aux travailleurs de leur chaîne de production. Elles ont collaboré sur une base volontaire avec un syndicat international à l’élaboration de normes visant à améliorer les conditions de travail dans cet État[2]. Cela a permis la création de l’Accord on Safety and Building Safety in Bangladesh[3] qui constitue un système normatif étoffé prévoyant des inspections indépendantes, la publication des rapports sur chacune des usines visitées et un système de financement du régime. Cet exemple met en lumière à la fois les difficultés que peut engendrer le phénomène de la mondialisation pour le droit du travail traditionnel et la possibilité de créer des normes par le droit transnational du travail.

L’ouvrage collectif Research Handbook on Transnational Labour Law[4], paru en 2015, se consacre d’ailleurs, comme son nom l’indique, à l’étude de plusieurs sujets de droit transnational du travail. L’ouvrage est dirigé par Adelle Blackett et Anne Trebilcock, toutes deux spécialistes en la matière. Blackett est professeure de droit, titulaire de la chaire William Dawson et directrice du Laboratoire de recherche sur le droit du travail et le développement à l’Université McGill. Trebilcock est quant à elle conseillère au Centre de droit international de l’Université Paris-X et est affiliée au Labour Law Institute de l’Université de Göttingen, après avoir fait carrière comme conseillère juridique au sein de l’Organisation internationale du Travail (OIT).

L’objectif de cet ouvrage collectif est de compiler de courtes études sur des enjeux actuels en droit transnational du travail. Pour y parvenir, les directrices d’édition ont bénéficié de la collaboration d’une quarantaine de chercheurs afin de publier cet ouvrage comportant trente-huit articles. Le livre est construit en quatre parties. Dans le présent article, des études de chacune de ces parties seront résumées afin de permettre au lecteur de saisir la structure de l’ouvrage ainsi que d’illustrer la variété des thèmes abordés.

La lecture de Research Handbook on Transnational Labour Law s’amorce par une contribution de Blackett et Trebilcock intitulée « Conceptualizing Transnational Labour Law »[5]. Elles soulignent que le droit transnational du travail s’est développé en réaction aux nouveaux phénomènes liés à la mondialisation. Sans être en opposition avec le droit du travail national et le droit international, il constitue plutôt une forme de gouvernance entre plusieurs paliers – que ce soit au niveau international, régional, national ou local – qui interagissent entre eux. Cela fait en sorte que le droit transnational du travail peut être un vecteur de justice sociale. Cette courte partie tient lieu d’introduction aux trois parties subséquentes, lesquelles constituent le coeur de l’ouvrage. Blackett et Trebilcock ont choisi de diviser cet ouvrage en fonction d’un morcellement de l’expression « droit transnational du travail ». Ainsi, une partie s’attarde à sa qualification en tant que droit, une autre à son lien avec les thèmes traditionnels du droit du travail, et la dernière partie s’intéresse à sa portée transnationale.

La deuxième partie, intitulée Transnational Labour Law as Law, regroupe dix articles et est scindée en deux sections, dont l’une est consacrée aux méthodes du droit transnational du travail, tandis que l’autre met l’accent sur les difficultés de concilier les mesures d’austérité et les efforts de développement des États en ce qui a trait à l’élaboration et l’application des normes du travail. La première section ne prétend pas couvrir toutes les méthodes pour parvenir à un droit transnational du travail. Elle regroupe plutôt des articles qui s’attardent à différentes méthodes de création des normes transnationales du travail. À titre d’exemple, Ashwini Sukthankar traite des campagnes de mobilisation des syndicats internationaux[6] alors qu’Isabelle Martin signe un article qui étudie l’intérêt et les limites de lier le droit transnational du travail aux mécanismes de gouvernance des entreprises afin de s’adapter à la pratique de plus en plus courante des entreprises de décentraliser leur production[7]. Dans la deuxième section de cette partie, les collaborateurs s’attardent aux difficultés d’instaurer des mesures d’austérité tout en assurant le développement des États du Sud. La contribution de Franz Christian Ebert à cette section retient particulièrement notre attention. Son article aborde l’ambiguïté du Fonds monétaire international (FMI) en matière de normes de travail[8]. Il ressort que le FMI a la capacité d’améliorer le droit du travail notamment au sein des États qui ont recours à ses programmes d’aide, qu’il a lui-même adhéré aux normes fondamentales du travail, mais qu’il tend souvent à prôner des stratégies de dérèglementation du droit du travail dans le but de favoriser le développement économique.

Dans la troisième partie intitulée Transnational Labour Law as Labour Law, treize articles sont divisés en trois sections. Dans la première section, les auteurs s’intéressent à la liberté d’association en droit transnational du travail. Renée-Claude Drouin étudie la liberté d’association dans les accords-cadres internationaux[9]. Adelle Blackett étudie les protections contenues dans la Convention concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques[10] ainsi que dans l’approche française pour garantir les droits des travailleurs domestiques qui sont souvent vulnérables[11]. Dans la section suivante, les contributions fournissent des réflexions sur l’apport que peut avoir le droit transnational du travail pour combler les lacunes du droit du travail en droit interne. Graciela Bensusán s’intéresse notamment au potentiel de l’approche basée sur les droits fondamentaux du travail pour protéger les travailleurs des pays en développement, en prenant comme figure de cas le Mexique et des pays de l’Amérique centrale[12]. Bien que ces États soient dotés de législation en matière de droit du travail et qu’ils aient ratifié les conventions fondamentales de l’OIT, l’application de ces normes se fait rare, notamment en matière de liberté syndicale. L’auteure propose que les travailleurs soient considérés comme une partie prenante dans l’élaboration des politiques en matière de droit du travail afin que le recours à cette approche améliore concrètement leurs protections. Dans la dernière section de cette partie, l’accent est mis sur l’OIT. Claire La Hovary signe un article particulièrement intéressant sur la qualification des travaux de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations qui est repris par plusieurs instances internationales afin d’évaluer s’ils constituent du droit souple[13].

Pour conclure l’ouvrage, la quatrième partie intitulée Transnational Labour Law as Transnational vise à regrouper les contributions qui insistent sur l’aspect transnational de ce droit en émergence et comporte quatorze études. Dans la première section, les relations entre les normes de droit international et celles de droit transnational du travail sont scrutées. Kevin Kolben[14] et P Martin Dumas[15] se penchent tous les deux sur le lien entre la consommation et les normes transnationales du travail. Kevin Kolben s’attarde aux mesures de responsabilité sociale des entreprises qui sont de plus en plus courantes au sein des entreprises transnationales. Cela peut notamment inclure l’imposition de certaines normes à respecter dans l’octroi de contrats de production de sa marchandise[16]. Kolben s’intéresse particulièrement aux consommateurs comme facteur incitatif à l’autorégulation de ces entreprises qui veulent éviter que leur image soit entachée. Il souligne aussi les dangers associés au fait de laisser entre les mains des consommateurs la protection des droits des travailleurs. Le texte de P Martin Dumas traite de thèmes similaires, en élaborant sur la certification « Rugmark » qui assure que les tapis produits n’ont pas été faits par des enfants[17]. Il expose les lacunes du programme et conclut, tout comme Kolben, que le pouvoir d’achat du consommateur comporte des limites à la protection des droits des travailleurs. Toujours dans la même section, Jean-Marc Thouvenin[18] signe quant à lui un article sur les développements de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de normes du travail. Même si l’OCDE prône souvent une législation minimale pour accorder aux entreprises la souplesse nécessaire à l’accomplissement de leurs activités, elle a à quelques reprises eu recours aux normes de l’OIT dans ses projets, notamment lors des conditions imposées à la Corée du Sud pour y adhérer (augmenter les garanties de la liberté d’association, dont le suivi a été fait en collaboration avec l’OIT) et par l’adoption et la promotion des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales[19]. La deuxième section de cette partie traite du développement de normes de travail régionales. L’article de Paula Church Alberston et de Lance Compa est particulièrement intéressant. Il traite de l’inclusion de clause en matière de travail dans les traités commerciaux bilatéraux et régionaux par le Canada, les États-Unis et l’Union européenne et analyse leur processus d’élaboration et d’application[20]. La dernière section de l’ouvrage présente les défis de la réglementation en matière de travail à titre de facteur de production. L’article de David J Doorey retient notre attention en abordant les changements climatiques et leurs conséquences sur les marchés du travail, un sujet jusqu’alors peu abordé en droit du travail[21].

L’ouvrage remplit son objectif de présenter plusieurs textes succincts sur des phénomènes variés reliés au droit transnational du travail. L’avantage de cette approche est que cela permet d’initier le lecteur à une multitude d’aspects de ce droit. Par ailleurs, une grande force de cet ouvrage réside dans sa diversité, tant dans les thèmes abordés que dans les pays d’attache des contributeurs invités à participer à cet ouvrage collectif. Cette diversité assure un contenu d’une grande richesse.

Quant à la structure de l’ouvrage, l’idée de le diviser en trois principales parties qui se concentrent respectivement sur « le droit », « le droit du travail » et « le droit transnational » est pertinente et laisse présager une explication méthodique de la nature de ce droit. Malgré que le fait que les directrices d’édition aient pris la peine de présenter chacun des articles en première partie de l’ouvrage, le fil conducteur de l’ouvrage est parfois difficile à saisir entre les articles proposés et la structure retenue. Il aurait peut-être été bénéfique d’ajouter une conclusion à l’ouvrage, permettant ainsi de faire un retour sur ce qui a été précédemment étudié.

En somme, Research Handbook on Transnational Labour Law est un ouvrage très pertinent pour tous ceux qui s’intéressent au droit du travail de par les multiples aspects qui y sont abordés et de par l’importance que son contenu peut avoir pour la compréhension du droit transnational du travail. Sa publication permet de sensibiliser le lecteur aux conséquences de la mondialisation sur le droit du travail et aux normes transnationales émergentes.