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L’année 2015 marquait le soixante-dixième anniversaire de l’Organisation des Nations unies (ONU), créée à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale pour promouvoir la paix internationale, les droits humains, la justice et le progrès social. Douglas Roche, un ancien parlementaire canadien devenu président de la Commission du désarmement de l’ONU, dresse le portrait de l’organisation internationale dans son livre The United Nations in the 21st Century[1]. Riche d’une grande expérience au sein de l’organisation et de nombreux contacts qui ont pu l’aider à développer sa vision, Roche parvient à présenter l’ONU sous ses différentes coutures et à donner assez succinctement une bonne idée des réalisations de l’organisation.

Profondément interventionniste et multilatéraliste, Roche est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages portés sur la politique et le droit internationaux, au centre desquels l’ONU occupe le rôle de pacificateur. En 1984, il publiait United Nations: Divided World, une sorte de version antérieure de son ouvrage de 2015, considérablement teintée par la Guerre froide, mais aux conclusions très similaires à ses constats actuels[2]. En effet, il considérait déjà le militarisme comme un obstacle majeur à la paix internationale et suggérait que l’ONU communique son message de façon plus convaincante. Roche se porte comme grand défenseur des Nations unies et en excuse la plupart des défauts, contrairement à la plupart des juristes et des politologues qui s’y intéressent[3].

Dans son livre, Roche se questionne à savoir si l’ONU est véritablement capable d’assurer la sécurité humaine, qui, pour lui, se définit par quatre piliers : le désarmement, le développement économique et social, la protection de l’environnement et l’avancement des droits humains. Il argumente que l’ONU est le meilleur outil dont dispose le monde pour faire face aux défis du XXIe siècle, parfois en réglementant l’ordre international, mais aussi, et surtout, en attirant l’attention sur les problèmes. Il plaide également pour une plus grande reconnaissance des mécanismes onusiens par les grandes puissances, qui recherchent à son avis des solutions instantanées à des problèmes structurels que l’ONU s’efforce de régler avec peu de moyens[4].

L’argument de Roche est divisé en huit chapitres qui abordent chacun des piliers de la sécurité humaine[5] parfois sous des angles différents. Dans le premier chapitre, l’auteur souligne les réussites diplomatiques de l’ONU, particulièrement lors de la crise des missiles de Cuba. Il croit que ce sont les manoeuvres diplomatiques de M. U Thant, alors Secrétaire général, qui ont calmé les ardeurs des États-Unis et de l’URSS et qui ont à terme évité une troisième guerre mondiale. L’heure de gloire de la coopération étatique n’a pourtant pas duré; les décolonisations pilotées par l’ONU dans les années soixante ont fait émerger quantité de petits États qui ont réussi à imposer certaines de leurs revendications, ce qui déplaisait fortement aux grandes puissances. Un sentiment que l’ONU devenait un « Third-World Club[6] » a tranquillement exaspéré les puissances occidentales, à commencer par les Etats-Unis, où la participation financière aux activités de l’ONU a été de plus en plus questionnée. Ce sont finalement les massacres du Rwanda et de Srebrenica dans les années quatre-vingt-dix qui ont permis à l’ONU de faire valoir sa mission et son importance dans le rétablissement de la paix internationale. La création de la Cour pénale internationale (CPI), l’émergence de la doctrine de la responsabilité de protéger et l’instauration des objectifs du Millénaire pour le développement[7], notamment, ont relancé l’ONU sur une trajectoire nouvelle où elle se fait défenseure des droits humains et du droit international avec des taux d’approbation élevés.

Au deuxième chapitre, Roche déplore l’emprise du militarisme sur les États, qu’il qualifie d’obstacle principal auquel l’ONU est confrontée dans sa mission d’assurer la paix. Pour lui, malgré une influence indue des entreprises d’armement sur les gouvernements et l’échec de plusieurs tentatives de réduire le recours aux armes dans la résolution de conflits, les Nations unies ont réussi à faire la lumière sur la vraie base de la sécurité internationale : l’avancement des droits humains. Le début des missions de maintien et de consolidation de la paix et l’émergence de la responsabilité de protéger, bien que disputée, en plus du renforcement du droit international, permettront à l’ONU de véritablement asseoir les bases d’un monde plus pacifique. Roche croit que pour y arriver, il faudra que les États se défassent de l’emprise du militarisme et qu’en mettant de l’avant un agenda basé sur les droits de l’homme, l’ONU pourra les y guider.

L’auteur souligne ensuite le travail de l’ONU pour sortir deux milliards de personnes de la pauvreté extrême, mais se désole de la persistance des inégalités économiques. Il croit cependant que le travail humanitaire de l’ONU a grandement contribué à leur diminution, et que le nombre d’êtres humains sauvés par l’organisation justifie à lui seul son existence. Roche défend l’idée qu’une réforme du système économique et politique qui contribue à perpétuer les inégalités est nécessaire, et que le rôle de l’ONU est compliqué par le refus des pays occidentaux d’agir en ce sens, mais que l’organisation a au moins réussi à mettre à l’agenda les enjeux d’égalité et de justice.

Au quatrième chapitre, c’est la question environnementale qui préoccupe Roche. Il y dresse d’abord l’historique des tentatives internationales de lutte contre les changements climatiques qui, à partir de la conférence de Stockholm de 1972, ont vu émerger les divergences d’opinions entre pays développés et pays en développement quant au rôle des États dans la lutte aux changements climatiques, jusqu’à arriver au Sommet de la Terre de 1992 à Rio au cours duquel les pays développés ont fait dérailler une tentative d’accord à ce sujet. Pour Roche, les actions onusiennes auront au moins permis d’instaurer un consensus mondial autour de l’importance de protéger la planète, même si la conférence de Rio+20 de 2012 n’aura pas offert de solutions probantes aux enjeux environnementaux.

Roche félicite ensuite l’ONU pour son leadership sur les questions de droits humains, si difficiles à faire respecter dans un monde divisé. Le travail de l’ONU pour tenir les gouvernements responsables de leurs actions par l’entremise du Conseil des droits de l’homme a permis à quelques reprises de forcer la main au Conseil de sécurité de l’ONU pour qu’il approuve des missions humanitaires. Des dizaines d’accords internationaux en plus de la création de la CPI assurent maintenant un cadre légal à la question des droits humains et l’attention internationale portée à cet enjeu incite les gouvernements à respecter ces droits fondamentaux.

Au sixième chapitre, Roche reconnaît le combat de l’ONU pour faire respecter les droits des femmes, particulièrement depuis la Résolution 1325 qui a reconnu les impacts importants des guerres sur les femmes[8]. Zainab Hawa Bangura, première représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles en conflit, a notamment fait pression pour des peines sévères pour les auteurs de crimes sexuels et réclamé l’entraînement des Casques bleus de l’ONU pour prévenir et réagir à ces crimes. Plus encore, son travail a exposé le problème endémique de la violence sexuelle, celui-ci s’inscrivant dans une vision holistique de l’humanité portée par l’organisation tout entière, au sein de laquelle les femmes doivent occuper une position centrale.

L’auteur avance ensuite que l’ONU bénéficie grandement du travail des organisations non gouvernementales (ONG) qui façonnent les résolutions et défient le statu quo. Malgré une influence parfois contestée, les ONG ont la capacité de demander des comptes aux gouvernements et de mettre en lumière des enjeux majeurs. En donnant une voix aux citoyens et en incitant les gouvernements à tendre l’oreille, elles contribuent à rendre le monde plus sécuritaire.

Finalement, Douglas Roche conclut que l’ONU est capable de beaucoup et qu’elle l’a déjà démontré à de nombreuses reprises, mais qu’il est indispensable de la réformer pour la rendre plus efficace. Il propose donc une augmentation du nombre de sièges non permanents au Conseil de sécurité de l’ONU et un processus électoral plus démocratique pour la nomination des futurs Secrétaires généraux. Par-dessus tout, il espère un changement d’attitude des États par rapport à l’ONU. Par exemple, un recours plus fréquent aux mécanismes de coopération, un respect des engagements et un meilleur financement permettraient à l’ONU de poursuivre leur quête d’un monde plus pacifique et égalitaire. Convaincu de son indispensabilité, Roche croit que l’ONU gagnerait beaucoup à mieux communiquer son message et ses accomplissements.

L’ouvrage de Douglas Roche propose une perspective intéressante sur l’ONU et revendique une meilleure reconnaissance des accomplissements de l’organisation, souvent méconnus ou ignorés. Il s’adresse surtout aux néophytes qui voudraient se familiariser avec l’ONU. C’est un essai teinté d’optimisme, qui fait la part belle à l’organisation internationale, mais qui tire parfois vers l’utopie. Vraisemblablement, Roche ferme souvent les yeux sur l’absence de résultats en avançant qu’au moins, le travail de l’ONU aura permis de mettre les enjeux à l’agenda mondial. Malheureusement, le fait de tenir une discussion n’est pas toujours garant de résultats concrets. Qui plus est, l’ajournement indéfini d’enjeux majeurs, comme la protection du climat, a des conséquences concrètes et souvent irréversibles. Également, l’argumentaire de Roche gagnerait à regrouper les chapitres selon des thématiques qui correspondraient aux quatre piliers de la sécurité humaine qu’il évoque au début de l’ouvrage. Néanmoins, The United Nations in the 21st Century est un essai intéressant, accessible et positif, qui propose certaines pistes de solutions qui pourraient aider l’ONU à surprendre ses détracteurs et à mieux accomplir son objectif ambitieux : aider les États à construire un monde meilleur.