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Avant que les traités communautaires ne soient rédigés, la question de l’application territoriale de traités outre-mer avait déjà reçu certaines réponses dans le cadre européen notamment[1].

Ainsi, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[2], signée le 4 novembre 1950, prévoyait la possibilité pour un État de déclarer l’application de la Convention EDH à l’un quelconque ou à tous les territoires dont il assure les relations internationales[3]. Cette application devant toutefois tenir compte des nécessités locales[4]. La France, notamment, a usé de cette possibilité et consigné dans l’instrument de ratification déposé le 3 mai 1974 une déclaration[5] manifestant son choix d’utiliser cette clause, qualifiée de « coloniale[6] », en ce qui concerne ses territoires d’outre-mer.

Cette clause fut également prévue et utilisée par certains États européens lors de la rédaction de la Charte sociale européenne de 1961[7].

La détermination de l’application outre-mer des traités a ainsi parfois représenté une question sensible, du fait de la possibilité offerte aux États de recourir à la « clause coloniale ». Les traités communautaires ont, pour leur part, adopté une autre approche afin de déterminer leur champ d’application.

À cet égard, le Traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier de 1951[8] et le Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique de 1958[9] ont retenu le critère géographique pour exclure ou inclure certains territoires des États membres de leur champ d’application.

Ainsi, le Traité CECA[10] limite, dans son article 79[11], son champ application aux territoires européens des États membres et aux territoires européens dont ils assument les relations extérieures, excluant de ce fait les territoires non européens[12] des États membres[13]. Le domaine du traité, circonscrit au charbon et à l’acier, ainsi que la complexité des relations liant les États membres à leurs territoires non européens peuvent en partie expliquer ce choix.

Le critère géographique sera repris dans le Traité instituant la Communauté européenne de défense[14] qui n’est cependant jamais entré en vigueur, suite au refus de l’Assemblée nationale française d’autoriser sa ratification[15].

Après la signature du Traité CED[16], le projet de traité portant statut d’une Communauté politique européenne (CPE) témoigne, d’une part, d’un infléchissement dans le recours systématique au critère d’appartenance à l’Europe géographique comme repère d’inclusion ou d’exclusion du champ d’application d’un traité communautaire et, d’autre part, d’une prise en compte de l’outre-mer.

Ce projet de traité prévoit, en effet, l’application adaptée des actes de droit dérivé aux territoires non européens ainsi que l’application partielle du traité à certains territoires[17], notamment ceux dont un État membre assure les relations internationales.

En outre, le titre IV du projet intitulé De l’association prévoit la conclusion de traités ou d’accords, notamment, entre la CPE et un État d’outre-mer uni par des liens constitutionnels à un État membre.

Ces différents éléments préfigurent le choix qui sera fait quant à la détermination du champ d’application du Traité de Rome instituant la Communauté Économique Européenne[18], en ce qui concerne l’outre-mer. Monsieur le professeur Ziller estime que :

ce projet fait (…) apparaître deux caractéristiques principales des relations entre l’Europe, en voie d’intégration, et ses outre-mers :

l’intégration différenciée, d’une part qui se manifeste par l’importance variable de la représentation des peuples d’outre-mer dans les institutions communautaires, et par les possibilités d’application conditionnée du droit dérivé ;

et le régime d’association, d’autre part qui permet des relations étroites entre la Communauté et les territoires qui n’y sont pas intégrés[19].

Toutefois, si on pouvait distinguer dans ce projet l’amorce de l’abandon du critère géographique afin de déterminer le champ d’application d’un traité, le critère géographique ne va cependant pas disparaître définitivement puisque le Traité CEEA, signé le même jour que le Traité CEE, va tout de même s’y référer dans un but différent de l’utilisation qui en était faite jusqu’alors. En effet, dans ce Traité CEEA, pour la première fois, la référence aux territoires non européens des États membres sert à les inclure dans le champ d’application d’un traité communautaire.

À cet égard, en vertu de l’article 198[20] du Traité CEEA, le principe est celui de l’application du Traité CEEA aux territoires européens et non européens des États membres[21].

À l’inverse des traités CECA et CEEA, le Traité CEE est indifférent au critère géographique s’agissant de la détermination de son champ d’application territoriale. L’article 227[22] définissant le champ d’application du traité ne fait pas référence aux territoires européens ou non des États membres[23]. En effet, il cite nominativement les États auxquels le traité s’applique dans son premier paragraphe, puis prévoit des dispositions particulières pour certains de leurs territoires, situés outre-mer notamment, dans les paragraphes suivants. Les stipulations déterminant le champ d’application du Traité CEE sont, de ce fait, relativement plus « complexes[24] ».

L’abandon du critère géographique s’explique sans doute par la différence entre les objectifs et buts du Traité CEE et ceux des traités CECA et CEEA, mais également par l’étendue du champ d’application matériel du Traité CEE, alors que le Traité CECA est circonscrit au charbon et à l’acier et le Traité CEEA à l’énergie atomique[25].

La lecture combinée des préambules de ces trois traités montre, ainsi, clairement la dimension intégrationniste du Traité CEE par rapport aux traités CECA et CEEA dont les principaux objectifs sont « le maintien de relations pacifiques[26] » et « le progrès des oeuvres de paix[27] ».

En effet, bien que les rédacteurs des Traités CECA et CEEA laissent entrevoir leurs ambitions, considérant qu’ils ont posé « les premières assises d’une Communauté[28] » vouée à s’élargir et à améliorer « le bien-être[29] » et « la santé[30] » de la population, force est de constater que c’est la Communauté économique européenne (CEE) qui a vocation à réaliser le plus complètement possible ces objectifs, dont le cadre dépasse l’Europe géographique.

Le Traité CEE va ainsi prévoir des dispositions particulières, s’agissant de son application outre-mer. Comment caractériser cette prise en compte initiale des outre-mers dans le Traité CEE ? Comment a-t-elle évolué au fil des révisions du droit primaire ? Les dispositions du Traité CEE induisent-elles une prise en compte pérenne de l’outre-mer au sein de la CEE, puis de l’Union européenne (UE) ?

La prise en compte initiale, originale et différenciée de l’outre-mer dans le Traité CEE (I) a posé les bases d’une prise en compte sans cesse renouvelée de l’outre-mer dans l’UE, notamment perceptibles à travers les évolutions statutaires de certains territoires ultramarins lors des révisions du Traité CEE originaire (II).

I. Une prise en compte originale et différenciée de l’outre-mer dans le Traité de Rome instituant la CEE

La question « de l’applicabilité du Traité CEE aux possessions ultra-marines de quatre des six États fondateurs[31] » a été présentée comme « la seule à soulever des difficultés[32] » lors des négociations ayant précédé l’adoption de ce traité. Il fallait en effet tenir compte de données multiples et variées, telle la nature des liens économiques, politiques et juridiques unissant les États membres et « leurs outre-mers », et les disparités de développement entre ces territoires et les puissances européennes. Parmi les six États pressentis comme membres de la future CEE, quatre étaient confrontés à la question. La Belgique, en ce qui concerne le Congo et le territoire sous tutelle du Ruanda-Urundi, l’Italie avec la Somalie, la France au titre de ses départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane française, Martinique, La Réunion) et de l’Algérie, de ses territoires d’outre-mer[33] (ci-après TOM), de l’Afrique occidentale française[34], de l’Afrique équatoriale française[35], du Togo, du Cameroun, ainsi que les Pays-Bas pour ce qui est de la Nouvelle-Guinée, du Suriname et des Antilles néerlandaises.

Le développement économique de ces outre-mers étant une préoccupation des États dont ils dépendent[36], ces derniers ont proposé un statut particulier tenant compte de leur situation économique et sociale. La Conférence intergouvernementale pour le Marché commun et l’Euratom a tenu compte du voeu des États, conforme par ailleurs aux principes inscrits dans la Charte des Nations Unies[37]. Le choix finalement retenu fut, d’une part, d’associer à la Communauté économique européenne la plus grande partie des territoires entretenant des relations particulières avec les États membres précités ; d’autre part, d’intégrer les départements français d’outre-mer (et l’Algérie) à la CEE à des conditions particulières[38] ; et enfin, d’autoriser le Royaume des Pays-Bas, par dérogation à l’article 227[39], à ne ratifier le traité que pour le Royaume en Europe et en Nouvelle-Guinée néerlandaise[40]. Ces dernières dispositions rappelant la clause de réserve coloniale à laquelle certains États coloniaux avaient déjà eu recours dans d’autres traités[41].

Ainsi, alors que le paragraphe 1 de l’article 227[42] du Traité CEE définissant le champ d’application du Traité CEE cite tous les États auxquels le traité s’applique [43]; le paragraphe 2[44], subdivisé en trois alinéas, prévoit des conditions d’application particulières pour les départements français d’outre-mer (DOM) et l’Algérie. Le paragraphe 3 de l’article 227[45] précise, pour sa part, que certains territoires non européens des États membres « ne font l’objet que du régime spécial d’association[46] » défini dans la partie IV du traité. Il s’agit des Pays et Territoires d’Outre-Mer (PTOM) dont la liste est annexée au traité[47]. Le paragraphe 4[48] stipule, enfin, que le traité s’applique aux territoires européens dont un État membre assume les relations extérieures.

Les rédacteurs du Traité CEE ont ainsi prévu des dispositions particulières pour certains territoires ultramarins des États membres. S’agissant des départements français d’outre-mer (et de l’Algérie), il est prévu que les dispositions du traité relatives à certaines matières énumérées soient applicables immédiatement, et que les conditions d’application des autres dispositions du traité soient déterminées par les institutions communautaires, ultérieurement, dans un délai de 2 ans. L’application du Traité CEE aux départements français d’outre-mer et à l’Algérie est donc fragmentée et modulée.

Cette intégration différenciée, qui se révèle spécifique, reflète la reconnaissance et la traduction en droit de la situation particulière de certaines entités, qui exige non pas de les exclure ou de les inclure totalement dans la CEE, ni même de les y associer, mais d’organiser leur intégration de manière progressive et différenciée, en définissant des conditions d’application particulières de certaines stipulations du Traité CEE.

Les institutions n’ont cependant adopté que peu de décisions afin de déterminer des conditions d’application particulières du traité aux départements français d’outre-mer, et n’ont, en outre, aucunement respecté le délai de deux ans durant lequel il leur était possible de le faire[49]. Parallèlement, l’évidente similitude entre les réalités socio-économiques des PTOM et des départements français d’outre-mer a conduit à appliquer aux DOM certaines dispositions de la convention destinée à préciser l’association des PTOM à la CEE[50] et, par exemple, à initialement étendre aux DOM le bénéfice du fonds européen de développement (FED), destiné à favoriser le développement économique et social des PTOM.

Le statut d’association des PTOM, prévu dans le Traité CEE, est, en effet, profondément inspiré de la volonté de favoriser le développement économique et social (voire culturel) de ces territoires. La partie IV du Traité CEE[51], consacrée au régime d’association octroyée par la Communauté, prévoit, à cet égard des dispositions instaurant des relations asymétriques entre la Communauté et ces pays et territoires en autorisant, par exemple, les PTOM à percevoir des droits de douane répondant aux nécessités de leur développement ou ayant pour but d’alimenter leur budget, alors que les importations originaires des PTOM sont exemptés de droits de douane à leur entrée dans la Communauté.

À la suite de l’accession à l’indépendance de certains PTOM, la Communauté va expérimenter une nouvelle forme d’association, négociée et non plus octroyée, avec ces États nouvellement indépendants. Elle va ainsi conclure, en 1963 et 1969, deux conventions dites de Yaoundé[52] avec ces États africains et Madagascar, puis, entre 1975 et 1989, quatre conventions successives, respectivement intitulées Convention ACP-CEE de Lomé, Deuxième Convention ACP-CEE, Troisième Convention ACP-CEE et Quatrième Convention ACP-CEE[53], avec des États d’Afrique[54], de la Caraïbe[55] et du Pacifique[56], dits ACP, qui, au fil des élargissements des Communautés, ont rejoint le cercle des États entretenant des relations privilégiées avec la CEE en raison de leurs relations préférentielles avec de nouveaux États membres. L’objectif de ces conventions CEE — ACP était de promouvoir les échanges entre la Communauté et les États ACP signataires, en tenant compte de leurs niveaux de développement respectifs, et de soutenir les projets de développement dans les ACP, au moyen du fonds européen de développement. La majeure partie de ces conventions furent, de ce fait, accompagnées de protocoles relatifs au sucre[57], à la banane et au rhum[58], établissant un régime préférentiel pour les importations de ces produits en provenance des États ACP[59].

Le traitement réservé par la Communauté à l’outre-mer est ainsi symptomatique de l’originalité de la démarche de construction communautaire. Dès le Traité CEE, les États membres ont clairement affiché leur volonté de favoriser le développement économique et social des entités d’outre-mer et prévu, à cet effet, des statuts particuliers pour les DOM et les PTOM. Sur la base des dispositions applicables à ces derniers, la Communauté a ensuite posé les fondements de ses relations conventionnelles avec les États ACP.

La Communauté a ainsi su s’adapter à la particularité de certaines situations qui lui ont donné l’occasion d’expérimenter une large gamme de solutions allant de l’intégration à l’extériorité, ces deux extrêmes encadrant d’autres modes d’intégration partielle et différenciée[60]. La Communauté a par ailleurs aménagé l’extériorité en établissant des relations particulières avec les États ACP.

À cet égard, les relations entre la Communauté, puis l’Union européenne, et les entités d’outre-mer se sont établies sur des bases asymétriques, de non stricte réciprocité, en ce qui concerne les libertés de circulation, notamment, et en matière d’échanges commerciaux particulièrement. Cette non-réciprocité est parfois de principe, comme dans le cas des PTOM ou des États ACP ; bien que les relations entre l’UE et ces territoires soient progressivement destinées à s’établir sur des bases de réciprocité[61]. D’autres fois, la non-réciprocité et la différenciation représentent une atténuation à l’intégration, comme ce fut initialement le cas pour les DOM.

L’ensemble de ces considérations dénotent une méthode originale de traitement de la différence et de la prise en compte de l’héritage historique des États membres. Cette flexibilité a indéniablement contribué à la diversité de l’UE et certainement à sa pérennité[62]. Cette dernière continue d’afficher son ambition de favoriser le développement économique et social des entités d’outre-mer, d’oeuvrer à leur insertion dans leur environnement régional et de prévoir des évolutions statutaires de l’outre-mer au sein de l’UE. Ces différents éléments témoignent d’une prise en compte renouvelée de l’outre-mer.

II. Une prise en compte renouvelée[63] de l’outre-mer lors des révisions du Traité de Rome instituant la CEE

Les statuts de l’outre-mer vis-à-vis de l’UE, dont les fondements sont issus du Traité CEE originaire, ont progressivement évolué durant 60 ans d’édification des Communautés puis de l’UE (A). Ces évolutions statutaires pourraient se poursuivre et conduire à une prise en compte singularisée des outre-mers au sein de l’UE (B).

A. Les évolutions statutaires des outre-mers au sein des Communautés puis de l’Union européenne

Si les statuts initiaux des PTOM et des États ACP ont connu quelques évolutions, celui des DOM a été profondément modifié et a progressivement conduit à la reconnaissance d’un statut spécifique d’intégration différenciée, inscrit dans le droit primaire[64].

Ainsi, suite à l’adhésion de l’Espagne et du Portugal aux Communautés, dans un contexte favorable à la reconnaissance des particularités régionales[65] et insulaires[66], s’est développée une approche communautaire commune[67] des DOM, des régions autonomes portugaises des Açores et de Madère, de la Communauté autonome espagnole des Canaries[68].

Cette approche s’est ensuite concrétisée par la reconnaissance progressive du concept de régions ultrapériphériques[69] (RUP), utilisée pour qualifier ces régions françaises, espagnoles et portugaises. Une déclaration relative aux RUP a, à cet égard, été annexée au Traité sur l’Union européenne[70]. Cette déclaration, qui préconisait d’adopter des mesures spécifiques en faveur de ces régions, n’avait cependant qu’une portée juridique relative[71]. Il apparaissait dès lors nécessaire d’inclure dans le Traité CEE une base juridique fiable permettant des adaptations, voire des dérogations[72] au droit communautaire, au profit des RUP.

Cette base juridique semblait s’imposer d’autant plus au regard de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)[73], qui avait strictement limité les possibilités d’adaptation du droit communautaire aux DOM en rappelant les rigueurs de l’application du droit de la libre circulation des marchandises dans ces départements français. À l’occasion de la révision des traités par le Traité d’Amsterdam[74], l’article 227 § 2[75], initialement consacré aux DOM (et à l’Algérie), a été renuméroté 299 § 2[76] et substantiellement modifié. En outre, son champ d’application territorial a été élargi non plus aux seuls DOM[77] mais également à Madère, aux Açores et aux Canaries. Cet article, qui fonde le statut d’intégration différenciée des RUP, rappelle l’application du droit communautaire à ces régions tout en permettant au Conseil d’adopter des mesures spécifiques en leur faveur. Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne[78], les dispositions de l’article 299 § 2[79] se retrouvent, avec quelques modifications, aux articles 355 § 1[80], et surtout 349[81] du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Ce statut de RUP, élaboré à partir de celui des départements d’outre-mer (DOM) au sein de la CEE, apparaît particulièrement intéressant, car il constitue une réponse juridique à un défi de taille en reconnaissant un haut degré de différenciation au sein de l’intégration.

En vertu de ce statut d’intégration différenciée, le droit de l’UE est applicable aux RUP, cependant les institutions peuvent adopter des mesures spécifiques, en leur faveur, afin d’adapter le droit de l’UE ou d’y déroger sur la base de l’article 349 du TFUE[82]. C’est notamment ce que la Cour de Justice de l’Union européenne a eu l’occasion de préciser dans un arrêt du 15 décembre 2015 relatif à la nouvelle RUP de Mayotte[83].

Ainsi, en tant que régions intégrées à l’UE, les RUP sont tenues de respecter le droit de l’UE, notamment les règles relatives à la libre circulation des marchandises et des personnes. Elles bénéficient, en outre, des politiques mises en oeuvre au sein de l’UE, et sont notamment éligibles aux fonds européens structurels et d’investissements (ESI), tel le Fonds européen de développement régional (FEDER)[84]. Cependant, les RUP bénéficient également de mesures spécifiques, éventuellement dérogatoires, leur permettant, par exemple, de maintenir des impositions protégeant la production locale[85].

Ce statut d’intégration différenciée des RUP se différencie de celui des PTOM qui continuent de bénéficier du statut d’association prévu dès l’origine de la CEE. Ce statut est actuellement défini à l’article 355 §2 TFUE[86] qui renvoie à la IVème partie du TFUE. Les principes de l’association sont précisés dans cette IVème partie (articles 198 à 204 du TFUE[87]) qui prévoit l’adoption, par le Conseil de l’UE, de décisions afin de déterminer les modalités de l’application du droit de l’UE dans ces pays et territoires d’outre-mer[88].

Ces décisions d’association successives comprennent généralement des dispositions en matière de coopération commerciale, de financement du développement, et définissent les régimes applicables à la libre circulation des personnes, au libre établissement des sociétés et aux services.

Les PTOM, associés à l’UE, sont autorisés à maintenir, voire introduire, des droits de douane et des restrictions quantitatives sur les marchandises provenant de l’UE, en dépit de l’application du principe de libre circulation des marchandises. Ces pays et territoires ne sont, en outre, pas éligibles aux fonds ESI. L’UE continue néanmoins de contribuer à leur développement par le biais du FED, alimenté par des contributions des États membres.

C’est également ce fonds qui soutient les projets de développement financés par l’Union européenne dans les États ACP[89], avec lesquels l’UE entretient des relations conventionnelles.

À cet égard, l’accord de Cotonou[90], signé le 23 juin 2000, a succédé à la Quatrième Convention ACP-CEE[91], en conservant toutefois le même objectif de promotion des relations commerciales préférentielles. Toutefois, cet accord prévoyait notamment que l’UE et les États ACP concluent de nouveaux accords commerciaux, compatibles avec les règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).

Dans cette optique, un accord de partenariat économique (APE)[92] a été adopté le 15 octobre 2008 entre la CE et ses États membres, d’une part, et certains États ACP caribéens regroupés au sein du forum caribéen des États ACP[93] (CARIFORUM), d’autre part. L’APE UE-CARIFORUM établit un cadre réglementaire permettant la libéralisation progressive des échanges entre les parties, au sein de la région[94], en matière de commerce et d’investissements.

L’UE expérimente ainsi une large gamme de modalités de prise en compte de l’outre-mer, qui s’étend de l’intégration différenciée à l’établissement de relations conventionnelles privilégiées, et dont l’origine remonte aux débuts de la construction communautaire, au Traité CEE notamment.

Les statuts des entités d’outre-mer vis-à-vis de l’UE continuent d’être l’objet de réflexions envisageant de nouvelles évolutions afin de définir des statuts sur mesure pour certains territoires ; ces perspectives d’évolutions statutaires nécessitant de réviser plus ou moins significativement les traités relatifs à l’UE.

B. De nouvelles perspectives d’évolutions statutaires des outre-mers vis-à-vis de l’UE, vers le dépassement des catégories statutaires et une prise en compte singularisée des outre-mers

Le Traité de Lisbonne a introduit dans le TFUE une procédure spécifique et simplifiée permettant de réviser les traités afin de permettre à certains PTOM[95] et à certaines RUP[96] de changer de statut vis-à-vis de l’UE.

Cette procédure, prévue à l’article 355 § 6[97] TFUE[98], a d’ores et déjà été utilisée afin de modifier le statut de Saint-Barthélemy, ancienne RUP caribéenne devenue PTOM[99], ainsi que celui de Mayotte, ancien PTOM devenu RUP[100].

Cette possibilité de modification statutaire séduit, par ailleurs, certains PTOM néerlandais de la Caraïbe (Aruba[101], Bonaire, Saba, St Eustache, notamment[102]) qui ont émis le souhait de changer de statut à l’égard de l’Union afin de devenir des RUP[103].

La collectivité française caribéenne de Saint-Martin pourrait également bénéficier de la procédure de révision simplifiée de l’article 355 §6 TFUE[104] dans le cadre d’une éventuelle évolution statutaire en droit de l’Union européenne, à l’instar de Saint-Barthélemy et de Mayotte.

Certaines réflexions se font jour, à cet égard, s’agissant de la possibilité d’envisager un statut original, sui generis[105], pour la partie française de l’île de Saint-Martin, actuelle RUP. Ce statut, qui ne serait ni celui de RUP, ni celui de PTOM, pourrait être applicable à la fois à Saint-Martin, partie française de l’île, et à Sint-Maarten, partie néerlandaise de l’île, actuel PTOM[106]. Il semble que l’article 355 §6 TFUE[107] permette de négocier et d’obtenir un tel statut. En effet, si les changements statutaires jusqu’alors réalisés ont consisté, pour les entités concernées, à opter pour le statut de RUP ou de PTOM[108], les termes de l’article 355 §6[109] ne limitent toutefois pas les choix d’évolutions statutaires au passage de RUP à PTOM ou inversement. Il est cependant proposé de réviser le TFUE afin d’y introduire une disposition prévoyant un statut sui generis pour les outre-mers[110].

D’autres propositions envisagent également de réviser le TFUE afin d’y intégrer une clause Saint-Martin qui prévoirait un degré supérieur de différenciation pour cette collectivité à l’intérieur du statut d’intégration différenciée de RUP[111]. Il est ainsi question de réécrire l’outre-mer dans les traités, selon l’expression du Pr. Loïc Grard.

Outre les RUP, cette réécriture concerne également, potentiellement les PTOM. On peut, en effet, s’interroger sur le sort des pays et territoires d’outre-mer relevant de la souveraineté du Royaume-Uni, dans le contexte du Brexit, après le retrait du Royaume-Uni de l’organisation[112]. La situation de ces PTOM sera certainement l’objet de négociations entre l’État sortant et l’UE[113] afin de déterminer les modalités concrètes de la perte de ce statut et la gestion de ses incidences, s’agissant notamment de leurs relations avec l’UE, ainsi qu’avec leurs voisins, RUP et ACP, en ce qui concerne les PTOM caribéens notamment. Le statut envisagé pour ces PTOM pourrait-il se rapprocher de celui des États ACP vis-à-vis de l’Union européenne ? Les traités seront-ils modifiés afin de prévoir un tel statut pour ces pays et territoires britanniques ?

L’appréhension de l’outre-mer par l’Union européenne suscite encore bien des questions et ouvre de nouvelles perspectives de révisions des traités relatifs à l’UE. Ainsi les chemins empruntés par les traités, s’agissant de l’outre-mer, partent de Rome, empruntent les voies modifiées, d’Amsterdam et de Lisbonne notamment, et s’ouvrent vers de nouveaux horizons parfois encore inexplorés, eu égard aux perspectives d’évolutions statutaires des outre-mers vis-à-vis de l’Union européenne.