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L’ouvrage Hommage à Jean Pictet par le Concours de droit international humanitaire Jean-Pictet[1], dont l’initiative est attribuée à Christophe Lanord, la direction à Julia Grignon et la coordination à Jérôme Massé, regroupe 41 contributions rédigées par d’anciens participants du Concours Jean-Pictet (le Concours) en français, en anglais ou en espagnol, sur différents thèmes afférents au droit international humanitaire (DIH). Cet ouvrage offre l’occasion unique de présenter un digne portrait des enjeux qui prévalent en 2016 en DIH et d’unir dans un seul volume les préoccupations d’universitaires et de praticiens qui le voient évoluer. Il a également l’avantage de ne pas être cloisonné, abordant à la fois des aspects très concrets ou très théoriques, et analysant de manière transversale plusieurs notions de droit international pénal ou de droits humains en lien avec les conflits armés, sans toutefois glisser vers l’éparpillement. L’ouvrage s’ouvre sur une préface de Christophe Lanord, cofondateur du Concours, et un avant-propos de Julia Grignon, membre du Comité pour le Concours Jean-Pictet et professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, qui parviennent à bien situer l’idée et la pertinence de l’ouvrage collectif, et à en présenter la philosophie et la méthodologie de manière à orienter la lecture.

I. Un ouvrage riche et dense

L’ouvrage est divisé en six sections thématiques pour permettre au lecteur de se situer au sein de ce volume dense. Néanmoins – et c’est là, selon l’auteure, la principale faille de l’ouvrage, par ailleurs extrêmement riche – le volume souffre de quelques répétitions, probablement inévitables au sein d’un tel ouvrage. Au vu des différents thèmes abordés, il aurait été possible de valoriser davantage les liens entre les contributions, ne serait-ce qu’en organisant de manière plus systématique leur enchaînement. Aux fins de la présente recension, pour favoriser une présentation fluide des nombreuses contributions, l’ordre de celles-ci a été bouleversé et chacune des contributions sera introduite au fil de thématiques s’inspirant de celles de l’ouvrage.

II. Jean Pictet : sa vie, ses idées, son héritage

Commençons néanmoins par le commencement. La première contribution, la seule à figurer au sein de la section préliminaire, est celle d’Yves Sandoz, qui vise à présenter non seulement le travail, mais également la personne de Jean Pictet. Il déroule ainsi le fil chronologique de ses accomplissements au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), pour démontrer à la fois son rôle en son sein et dans le cadre du développement du DIH, au fil d’anecdotes qui rendent la contribution dynamique et concrète, mais également, de manière plus inusitée, pour présenter l’homme – l’humaniste –, sa personnalité et ses forces.

Puis, trois aspects spécifiques de la contribution de Pictet au DIH sont brièvement développés au fil de l’ouvrage. Tout d’abord, le chapitre signé par Vesna Knezevic Predic traite de manière formaliste des différentes appellations théoriques du droit applicable au cours des conflits armés, à partir de la formule « DIH au sens large » utilisée par Pictet[2]. Le propos est un peu confus et la pertinence de celui-ci – ses retombées, ses implications concrètes – si elle n’est pas évidente en elle-même, n’est pas non plus expliquée au lecteur. Quant à la contribution de Julia Grignon, elle se consacre à un aspect formel de l’héritage de Pictet, les Commentaires des Conventions de Genève[3] rédigés sous sa direction[4]. Le fil conducteur du texte en est clair, ce qui rend le texte fluide et facile à lire. Il présente différents concepts ou notions de DIH issus des commentaires, avant de se pencher sur l’autorité des commentaires au sein du DIH. Enfin, la contribution de Jonathan Cuénoud et Michael Siegrist, dont le titre suggère qu’elle porte sur l’approche de Pictet au regard de la qualification des conflits, présente plutôt les différentes écoles et les controverses au sein de la littérature sur la qualification des conflits, parmi lesquelles figure la théorie de Pictet[5]. Il s’agit d’une contribution d’une grande clarté et d’une grande pédagogie, au point de rendre ce débat complexe accessible à un public de non-initiés.

III. Le Concours et l’enseignement du DIH

Sur le plan de la pédagogie en matière de diffusion du DIH, la contribution de Xavier Philippe, présentée à la fin du livre, développe d’une manière originale et intéressante les défis de l’enseignement du droit, qui découlent notamment de la diversité de sa substance et de sa forme[6]. Ainsi est-il question de la nécessité d’étudier non seulement les règles du DIH, mais également leur application. L’auteur présente également les défis pédagogiques liés au fréquent non-respect du DIH, dernier élément dont la justification fait toutefois défaut dans le raisonnement de l’auteur. Néanmoins, le développement innovant de Xavier Philippe parvient à bien boucler la boucle de l’ouvrage en valorisant le rôle des simulations comme cadre d’apprentissage exceptionnellement bien adapté aux spécificités du DIH. Dans cet esprit, l’article de Chad Austin et du lieutenant-colonel Shawn D McKelvy introduit de manière plus spécifique le rôle de l’apprentissage par simulation en DIH[7]. La contribution s’ouvre sur le récit de l’une des simulations du Concours à laquelle les auteurs ont assisté, captant ainsi l’attention du lecteur de manière originale et dynamique. L’article présente brièvement Jean Pictet, puis chacun des aspects du Concours, dans une description systématique et claire, mais néanmoins répétitive et quelque peu superflue étant donné la position du texte vers la fin de l’ouvrage. Sous un autre angle, James Cockayne présente pour sa part, de manière très imagée et particulièrement agréable à lire, une analyse transversale qui explique de manière succincte comment les sept principes de l’action humanitaire s’articulent au sein de la pédagogie du Concours[8].

Puis, la contribution d’Édouard Delaplace présente un aspect très spécifique du Concours, sous la forme d’un hommage aux porteurs de cette initiative, sous la bannière du Comité pour le Concours Jean-Pictet (CCJP), jouant tout au long de son article avec cet acronyme, en clin d’oeil à ses membres[9]. Finalement, deux contributions traitent des impacts du Concours chez d’anciens participants. En effet, l’article cosigné par Michel Deyra et Christophe Lanord, présenté dès le début de l’ouvrage, après avoir brièvement présenté les aspects centraux du Concours, collige des témoignages d’anciens participants. Si les témoignages ont tout à fait leur place au sein de ce livre hommage, ceux-ci auraient pu être introduits d’une manière plus analytique et vivante, qui en eut mieux fait ressortir l’intérêt. Puis, dans la même ligne d’idées, mais de manière plus spécifique, l’on retrouve, vers la fin de l’ouvrage, une entrevue avec un ancien participant au Concours devenu délégué pour le CICR, Julien Lérisson, qui met en exergue, de manière unique, concise et pertinente, les apports de sa participation au Concours dans la réalisation de son projet de travailler pour l’organisation, ainsi que dans son travail quotidien[10].

IV. L’action humanitaire et ses principes, tels qu’articulés par Jean Pictet

Un aspect important de l’héritage de Pictet, sa contribution à l’articulation des principes de l’action humanitaire, est abondamment couvert par l’ouvrage. Dans un premier temps, deux chapitres portent sur l’action humanitaire de manière générale. Le premier chapitre sur ce thème, sous la plume de Kate Mackintosh, présente tout d’abord les normes en vigueur en DIH pour encadrer l’action humanitaire, avant de le confronter aux enjeux des conflits armés actuels[11]. Elle débute en racontant une anecdote issue de son expérience auprès de Médecins sans frontières, qui permet de situer les enjeux découlant du questionnement présenté par l’auteure au fil de son chapitre. D’ailleurs, les exemples présentés tout au long de la contribution sont utiles à la compréhension et rendent l’article très dynamique. De manière importante, l’intervention de l’auteure permet de rétablir les faits en situant le CICR comme un acteur parmi d’autres de l’action humanitaire. Toutefois, en présentant le cadre juridique de l’action humanitaire, l’auteure omet de mentionner les différences entre le droit des conflits armés internationaux et non internationaux, lesquelles ont pourtant des conséquences cruciales sur cette question spécifique. Puis, la contribution de Janique Alessia Thoele traite du dilemme fondamental de l’action humanitaire entre humanité et souveraineté, une problématique cruciale et tout à fait contemporaine[12]. Cet article, quoiqu’il soit intéressant et bien structuré, apparaît généralement, dans le contexte de l’ouvrage collectif et étant donné sa position en son sein, comme assez répétitif au sujet du cadre juridique de l’action humanitaire et du principe d’humanité, développés quelques fois déjà par d’autres contributeurs de l’ouvrage.

Les autres contributions sur le thème de l’action humanitaire traitent plus spécifiquement des principes du CICR articulés par Pictet. La contribution de Cyril Laucci sur ce thème est magnifiquement rédigée, au point où l’émotion et l’intensité qui transparaissent à travers ses mots doublent l’efficacité du message[13]. Elle débute en faisant bien ressortir les instincts de survie qui refont surface dans un contexte de guerre, pour bien situer la pertinence des principes, et capte ainsi habilement l’attention du lecteur. Si la partie finale sur la responsabilité de protéger crée une dissonance logique au sein du raisonnement de l’auteur, cette contribution souligne en somme très bien la pertinence et la substance des principes. Puis, dans la même ligne d’idées, la contribution de Maria Danielle Marouda vise à présenter l’évolution et les changements ayant modifié l’action humanitaire depuis l’édiction des principes, dans l’optique de déterminer si l’action humanitaire, telle qu’elle existe aujourd’hui, est toujours compatible avec ceux-ci[14]. Après une introduction un peu longue qui tarde à nous mener au coeur du sujet, on en vient au coeur du propos de l’auteure qui semble en fait tenir à la distinction de plus en plus floue entre l’action et l’intervention humanitaires, qui menace la conformité de l’action avec les principes. L’auteure s’appuie sur quelques situations concrètes pour illustrer le problème, avant de finalement conclure sur la question, restée ouverte, de savoir s’il est souhaitable de chercher un compromis aux principes édictés par Pictet, qui tiendrait davantage compte des défis pragmatiques de l’action humanitaire. Quant à la contribution de Sophie Rondeau, elle présente trois fonctions de Pictet – l’homme d’action, l’auteur et l’innovateur – pour associer à chacune d’entre elles les principes de la Croix-Rouge y correspondant[15]. Les trois conclusions qui closent l’article présentent un grand intérêt, et l’on aurait souhaité que l’auteure poursuive pour nous sa réflexion sur celles-ci. Le texte de Thomas de Saint Maurice se concentre pour sa part sur trois des principes du CICR – l’humanité, l’impartialité et la neutralité – en les illustrant et les confrontant au défi de l’utilisation des nouvelles technologies dans l’action humanitaire[16]. Il présente une analyse intéressante, originale, succincte et nuancée, d’une grande qualité, sur leur interaction et les enjeux contemporains s’y rapportant.

V. Du droit international pénal

Une première sous-catégorie de textes en droit international pénal (DIP) s’intéresse aux tribunaux et aux cours pénales internationales. Sur une note générale, le chapitre signé par Richard J Goldstone sur la multiplication des tribunaux pénaux internationaux et sur les défis qu’ils rencontrent, est en fait un discours livré lors de l’une des éditions du Concours[17]. Par sa forme, ce texte destiné à une allocution orale apparaît quelque peu dissonant parmi cet ensemble d’articles scientifiques, sa structure ne le destinant pas à un tel usage. Les anecdotes racontées par le très réputé juriste sur différents évènements marquants de sa carrière sont néanmoins hautement profitables pour le lecteur. Quant au chapitre d’Amrita Kapur et de Christopher M Rassi, il vise à traiter des apports au développement du DIH et des différentes institutions pénales internationales ayant existé jusqu’ici[18]. L’analyse ainsi présentée est dynamique et succincte, mais présente en contrepartie certaines incomplétudes, auxquelles il aurait été possible de remédier en renonçant à faire l’histoire de chacun de ces organes et à détailler leurs avancées pour le DIP, pour pouvoir concentrer les quelques pages dévolues à l’article sur leurs contributions substantives au DIH, tel qu’annoncé.

De manière plus spécifique, la contribution d’Isaline Wittorski, Marine Wéry, Fleur Collienne et Christophe Deprez traite de l’apport de la pratique de la Cour pénale internationale (CPI) sur la qualification des conflits[19]. Si son objectif est ambitieux, les auteurs en viennent à plusieurs reprises à conclure que la toute jeune CPI ne s’est pas encore prononcée de manière définitive ou conséquente, ce qui mène le lecteur à penser qu’un tel exercice - quoiqu’infiniment intéressant - est peut-être encore un peu prématuré. Sur la CPI également, l’article de Carmen Quesada Alcalá met en question la sélectivité et l’effectivité de la CPI, une problématique ambitieuse pour les quelques pages qui y sont dévolues[20]. Elle pose d’abord la question de sa sélectivité géographique, sans toutefois apporter de bilan définitif sur cette question, avant de se pencher sur son effectivité au regard des problèmes des délais, des preuves, des violences sexuelles et de la participation des victimes. La partie de l’article réservée à la complémentarité, présentée à la lumière des cas libyen et colombien, est innovante et d’une grande pertinence.

Les autres articles, formant la seconde sous-catégorie de contributions sur le DIP, traitent d’aspects substantifs particuliers de celui-ci. Ainsi, l’article signé par Thiago Braz Jardim Oliveira s’intéresse à l’immunité des agents de l’État pour les violations du DIH[21]. Sur un sujet pourtant massif, complexe et vivant, on regrette que l’article s’attarde lourdement sur l’histoire des poursuites de Nuremberg, et qu’il s’attaque tardivement au coeur du sujet annoncé. Finalement, l’article d’Éric David qui y fait suite analyse en profondeur et de manière agréable, fluide, et aérée, le potentiel selon lui sous-utilisé de l’entreprise criminelle commune, en comparant son usage effectif, depuis sa conceptualisation, aux potentialités multiples qu’elle présente[22].

VI. Perspectives historiques sur le DIH et contributions nationales

De manière tout à fait inusitée, la contribution d’Emiliano J Buis vise à détecter la présence des réflexes humanitaires au sein de la littérature grecque antique, en particulier dans l’oeuvre Les Suppliantes d’Esquilo, afin d’en déduire les normes de comportement lors des guerres grecques au Ve siècle av. J-C[23]. Si cette contribution apporte un point de vue original sur le droit, elle parle en fait davantage de la protection des réfugiés que de droit humanitaire dans l’ouvrage littéraire auquel elle s’intéresse.

L’article de Lindsey Cameron, pour sa part, traite de la Convention de Genève de 1864[24], en décrivant brièvement son contenu avant de détailler les éléments contextuels qui ont permis son adoption[25]. Il est ainsi question d’un instrument méconnu dont on tend aujourd’hui à omettre l’importance, dans une contribution qui porte également le bénéfice de rappeler certains faits historiques déterminants dans la genèse du DIH.

Finalement, deux contributions sont destinées respectivement au rôle particulier de la Belgique et de la Suisse sur des aspects précis du DIH. Ainsi, la contribution signée par Thomas Graditzky s’intéresse aux origines de la clause de Martens qui, si elle est attribuée à un délégué russe à qui elle doit son nom, aurait en fait été incluse à la Convention de La Haye II de 1899[26] par la délégation belge[27]. La contribution de Paul Seger, pour sa part, présente le rôle particulier de la Suisse en tant que gardien des Conventions de Genève[28] de 1949 et de leurs Protocoles additionnels[29], sous l’angle du respect de leurs règles et de leurs principes[30]. Si son contenu est parfois très technique, cette contribution fournit néanmoins une perspective intéressante sur un sujet original et permet de mieux faire connaître des initiatives suisses d’un grand intérêt sur un thème crucial du DIH.

VII. Controverses et défis actuels en droit international humanitaire

Le livre sert également de prétexte à discuter de nombreux enjeux contemporains du DIH, servant ainsi de base utile pour tout spécialiste du DIH souhaitant se mettre à jour sur les débats en cours. Tout d’abord, l’article rédigé par Théo Boutruche, en partant de l’idée du « moindre mal » développée par Pictet, présente un débat éminemment actuel et très controversé en droit international humanitaire, sur l’éventuelle obligation de « tuer pour blesser »[31]. Toujours sur la conduite des hostilités, l’article cosigné par Sabrina Henry et Jérôme Massé traite d’un aspect très peu étudié du DIH, la prise en compte des conséquences psychologiques dans le calcul de la proportionnalité d’une attaque, « les blessures invisibles »[32]. Si le sujet est très intéressant et prometteur, et appelle une réflexion complexe à la fois juridique et philosophique qui est entamée par les auteurs, le cadre de l’article est peut-être trop court pour faciliter l’épanouissement des idées de ceux-ci à leur plein potentiel et, surtout, dans toute leur profondeur.

Adoptant pour sa part une perspective jurisprudentielle, l’article de Vaios Koutroulis traite de la distinction entre les « conflits internes », concept introduit par le jugement de la Cour européenne de justice dans l’affaire Diakité[33], et les conflits armés non internationaux[34]. Cette contribution présente un aspect spécifique et pertinent du droit européen en relation avec le cadre multilatéral du DIH, dans un cadre analytique novateur, succinct et clair. Dans la lignée d’une analyse jurisprudentielle, la contribution d’Alex Neve traite de la responsabilité du Canada pour les violations du droit international des droits humains (DIDH) et du DIH commises par ses agents en Afghanistan et à Guantanamo Bay, en confrontant les différentes positions adoptées par les tribunaux canadiens en matière d’application territoriale[35]. Même si sa structure amène quelques répétitions, cette contribution offre néanmoins un aperçu clair des controverses et même des aberrations sur cette question au sein de la jurisprudence canadienne, dont l’approche diverge par ailleurs clairement de l’état du droit international. Une autre contribution, qui s’extirpe du strict cadre du DIH pour s’intéresser davantage au cadre juridique offert par le DIDH, mais adopte elle aussi un angle jurisprudentiel, est celle de Julio Jorge Urbina[36]. Ce dernier présente de manière claire, utile et organisée l’approche de la jurisprudence interaméricaine sur le droit à la vie, en particulier sur l’usage de la force létale par les agents de l’État dans le contexte du maintien de l’ordre public.

Certaines contributions visent pour leur part à clarifier les régimes juridiques en place, en lien avec les conflits armés. Dans cette optique, l’article de Nicolas Falomir Lockhart présente les cadres juridiques de l’usage des drones en vertu du jus in bello et du jus ad bellum[37]. Cette question, bien qu’elle ait été maintes fois abordée au cours des dernières années, est néanmoins traitée de manière simple et claire par l’auteur, qui débute pédagogiquement son analyse à partir des rudiments de la question. Puis, l’article de Yasmin Naqvi sur la très discutée interaction entre le DIH et le DIDH[38] réussit l’exploit d’ajouter une contribution sur ce sujet mille fois parcouru et débattu sans que celle-ci n’apparaisse redondante ou superflue, en résumant de manière claire et originale les différentes approches et en les décrivant comme différentes variations de la méthode d’interprétation systémique figurant à la Convention de Vienne sur le droit des traités[39].

Cinq autres contributions s’intéressent de manière plus formelle à certains mandats spécialisés, en lien avec les conflits armés. Ainsi, le texte de Serge G Kubwimana présente, de manière descriptive et systématique, le mandat de l’ONU sur la protection des enfants affectés par les conflits armés[40]. Cet article, si sa lecture est alourdie par l’aspect très technique de son propos, peut constituer une bonne référence à consulter par quiconque cherche des informations particulières sur ce mandat. La contribution suivante, de Marcos D Kotlik, explore pour sa part l’idée selon laquelle la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées[41] modifierait le cadre juridique applicable au cours des conflits armés, en ce qu’elle pourrait servir à réinterpréter les obligations du DIH, du moins pour les États parties à celle-ci[42]. Puis, la contribution de Ruth Abril Stoffels porte sur le rôle et l’importance du conseiller de genre dans les missions de paix[43]. Servant de prétexte à aborder enfin la question du genre, qui apparaît un peu négligée au sein de l’ouvrage, ce chapitre aurait toutefois pu adopter une perspective plus concrète pour permettre au lecteur de mieux comprendre les implications de cette fonction, en particulier vu le niveau de formalisme du sujet. Est également présentée une entrevue réalisée avec William A Schabas en septembre 2014, alors qu’il présidait la Commission d’enquête créée par le Comité des droits de l’homme de l’ONU sur les violations du DIH et du DIDH commises lors de l’opération Bordure protectrice à Gaza[44]. Les propos du renommé juriste y sont inédits, les questions généralement intéressantes et pertinentes et le format approprié et dynamique. Pour sa part, le lieutenant-colonel Jérôme Cario signe un article sur le rôle du conseiller juridique des forces armées impliquées dans un conflit armé[45]. L’auteur s’attarde d’abord à lister les grands principes du DIH s’appliquant à la conduite des hostilités, puis décrit, de manière plus spécifique le rôle des conseillers juridiques en lien avec ces différents principes. Il aurait été intéressant, toutefois, que l’auteur, vu sa fonction et son expérience, axe davantage son analyse sur les dilemmes réels des conseillers juridiques, et des enjeux concrets des avis émis et des décisions opérationnelles sur le terrain.

Deux contributions sont également présentées qui portent sur les manières de favoriser le respect du DIH. Celle qui est cosignée par Vincent Bernard et Mariya C Nikolova analyse les différents moyens en place pour encourager son respect et sa diffusion[46]. Dans un développement rigoureusement scientifique, les auteurs présentent d’abord le cadre juridique, avant de s’attarder aux réalisations et aux défis des différents acteurs engagés dans les conflits armés puis de conclure sur des pistes de solution pour favoriser un meilleur respect du DIH, tant sur le plan de la recherche que d’un point de vue pratique. Dans la même ligne d’idées, Zoe Richards se penche sur la diffusion du principe d’humanité à travers la diffusion du DIH, notamment pour contrer les messages de haine dans les pays en développement[47].

Finalement, l’ouvrage s’achève de manière grandiose sur une contribution bien documentée et extrêmement bien ficelée de Marta R Vigevano sur les conséquences du conflit armé colombien sur l’environnement[48]. Le choix d’étudier le cas colombien permet une analyse concrète et précise, et le thème est abordé dans ses aspects les plus variés, traitant des conséquences sur l’environnement de certaines cultures, de certaines armes, de certaines attaques et de l’exploitation minière illégale. Qui plus est, l’article ne manque pas de situer de manière concise et utile à la fois le contexte colombien et le cadre juridique de protection de l’environnement en temps de conflits armés.

En somme, l’ouvrage dirigé par Julia Grignon est une idée brillante, qui résulte en une collaboration riche. Son contenu, mais également le seul fait d’avoir pu mobiliser un aussi grand nombre d’anciens participants au Concours, qui gravitent pour la plupart dans le domaine du droit international humanitaire encore aujourd’hui, vient démontrer à elle seule la valeur du Concours – si toutefois quiconque en doutait – qui porte le nom d’un grand humaniste, pilier du droit international humanitaire contemporain.