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« L’évènement de juger fait partie de la justice au même titre que le droit : il en est la fondation. […] Le premier geste de la justice n’est ni intellectuel ni moral, mais architectural et symbolique : délimiter un espace sensible […], dégager un temps pour cela, arrêter une règle du jeu, convenir d’un objectif et instituer des acteurs. Le procès est l’enracinement premier du droit dans la vie, il est l’expérience esthétique de la justice, ce moment essentiel où le juste n’est pas encore séparé du vivant et où le texte du droit est encore plus proche de la poésie que de la compilation juridique. »

– Antoine Garapon, Essai sur le rituel judiciaire (1997)[1]

En octobre 2015, l’Union européenne (ci-après UE) a inauguré sa stratégie de libre-échange, Le commerce pour tous, qui spécifiait que la Commission européenne (ci-après Commission) inclurait dorénavant dans ses accords commerciaux modernisés un « système juridictionnel public des investissements », composé d’un Tribunal de première instance et d’un Tribunal d’appel qui opèrerait à la manière des cours traditionnelles[2]. La Commission s’est également engagée à établir éventuellement avec ses partenaires une cour permanente multilatérale des investissements[3]. Entre temps, un système juridictionnel des investissements (ci-après SJI) a été intégré à la fois dans l’Accord économique et commercial global[4] entre l’UE et le Canada, dans l’Accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Vietnam[5], dans l’Accord de libre-échange entre l’Union européenne et Singapour[6] et dans l’Accord global UE-Mexique[7].

Malgré ces développements, la mise en application du SJI demeure incertaine pour plusieurs raisons politiques et juridiques. Bien que la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) se soit récemment prononcée sur la compatibilité du SJI dans l’AECG avec le droit de l’UE[8], cet avis, ainsi les procédures nationales de ratification du SJI et les négociations d’autres SJI en cours[9], soulèvent une question fondamentale : est-ce que le SJI relève de l’arbitrage ou du règlement judiciaire en droit international ?

Cette question est d’intérêt non seulement pour les spécialistes de l’arbitrage international, mais aussi pour les praticiens et universitaires du droit international général, particulièrement au Canada et au Québec. De prime abord, le gouvernement fédéral pourrait être appelé à agir comme défendeur en vertu de l’AECG dans des différends concernant des secteurs politiquement sensibles, tels que la santé, le travail et l’environnement et soumis à une méthode de règlement de différends potentiellement innovatrice, mais aussi jamais testée en pratique. De surcroît, cette question fondamentale et plusieurs autres sont également débattues dans le cadre du Groupe de travail III (Réforme du règlement des différends entre investisseurs et États) de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (ci-après CNUDCI), où le Canada joue un rôle de premier plan à l’heure actuelle[10].

On pourrait mettre en doute l’importance de la nomenclature en cause[11]. Après tout, tel que l’a écrit le poète anglais William Shakespeare, « Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom[12] ». Pourtant, cette nomenclature a une importance aux fins de la reconnaissance et de l’exécution des sentences du SJI. Ces sentences sont présagées être exécutoires en vertu de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (ci-après Convention de New York)[13] et de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (ci-après Convention CIRDI)[14]. La forme et la désignation de cette méthode de règlement de différends soulèvent toutefois des questions quant à la compatibilité du SJI avec ces accords internationaux[15].

D’autre part, cette nomenclature est apparemment de grande valeur pour les principaux acteurs en cause, l’UE et le Canada, qui font elles-mêmes référence au SJI comme étant une « cour » et cherche à exploiter la légitimité qui accompagne cette désignation[16]. Ce fait est significatif puisque, ainsi que l’a noté Jean de La Fontaine, un auteur qui occupe une place similaire à celle de Shakespeare mais dans la littérature française, d’un juge « [c]’est la robe qu’on salue[17] ». En effet, le règlement des différends entre les investisseurs et les États (ci-après RDIE ou arbitrage d’investissement) dépend de sa perception de légitimité, car il repose sur le consentement des États qui peuvent s’en retirer[18]. À l’exception d’arbitrages basés sur la Convention CIRDI, le système nécessite aussi la coopération efficace des cours nationales, n’ayant pas la force institutionnelle du pouvoir d’État ainsi que son propre système d’exécution[19]. Plus important encore, comment instituer une réforme du RDIE traditionnel sans réellement comprendre les caractéristiques distinctives de l’arbitrage et celles du règlement judiciaire ?

En fin de compte, la désignation utilisée par les parties signataires de l’AECG ne reflète pas entièrement la réalité. En se fondant sur des arguments de théorie juridique et politique, il ressort de l’analyse que le SJI représente un hybride entre l’arbitrage consensuel et les cours nationales et internationales. En précisant cette affirmation, il devrait être considéré comme une forme plus institutionnalisée d’arbitrage d’investissement. Le SJI est basé sur le consentement bilatéral et limité des parties, il adopte l’idée d’avoir un représentant neutre sur le banc[20] (bien que plus éloigné des parties au différend spécifique) et il est constitué de manière à rendre justice principalement pour les parties en cause plutôt que pour assurer le développement cohérent du droit dans l’arbitrage d’investissement plus largement. Il est vrai qu’il s’écarte de l’arbitrage international ad hoc et des procédures simples dont beaucoup reposent entre les mains des parties au différend, mais il n’abandonne toutefois pas certaines caractéristiques distinctives de l’arbitrage international.

Pour soutenir ces revendications, cet article s’articule en trois parties. Premièrement, les innovations clés du SJI, telles que proposées dans l’AECG et les autres projets d’accords rendus publics, et l’intention déclarée des parties signataires seront mises de l’avant. Deuxièmement, les concepts d’arbitrage et de règlement judiciaire seront définis selon une perspective théorique[21]. Pour remédier au silence des sources formelles du droit international à ce sujet, ces définitions s’articuleront à partir de la doctrine et de la pratique des cours et tribunaux internationaux. D’un point de vue conceptuel, trois caractéristiques principales différencient les tribunaux arbitraux et juridictionnels : le consentement au règlement du différend, la sélection des décideurs, ainsi que le critère de permanence. Troisièmement, il sera évalué si le SJI constitue réellement une cour internationale et, brièvement, s’il répond aux critiques du RDIE traditionnel. En appliquant au SJI ces caractéristiques distinctives, il appert que cette méthode de règlement des différends s’inscrit dans la lignée des réformes successives d’institutionnalisation et de judiciarisation de l’arbitrage international qui ont eu lieu au cours des trois dernières décennies. Le SJI répond efficacement à certaines préoccupations, mais risque toutefois d’en créer de nouvelles.

I. Les innovations clés du SJI : un nouveau rôle ? Ou une nouvelle robe ?

Des innovations clés ont été introduites dans la proposition de l’AECG visant à créer un Tribunal de première instance (ci-après Tribunal) et un Tribunal d’appel (ci-après Tribunal d’appel). Celles-ci concernent principalement le rôle de décideurs qui est traditionnellement dévolu aux arbitres dans l’arbitrage d’investissement[22]. (A) En premier lieu sera examinée la proposition de mettre sur pied un système à deux niveaux, mieux connu sous son appellation anglaise de « two-tier system ». (B) En deuxième lieu, l’intention déclarée des parties signataires sera présentée.

A. Un système à deux niveaux : le Tribunal de première instance et le Tribunal d’appel

Dans la présente, la proposition de règlement de différends sous l’AECG est traitée en premier plan étant donné qu’elle est l’une des plus finales. Elle est le résultat de négociations entre les parties signataires et a subi une révision juridique (« legal scrubbing »), bien qu’elle ne soit pas entrée en vigueur provisoirement comme le reste de l’accord. Toutefois, les innovations du SJI varient sensiblement dans les différentes propositions d’accord de l’UE. Ces divergences seront soulignées lorsque significatives. Cette entreprise comporte cependant quelques difficultés. Par exemple, la proposition du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (ci-après PTCI), encore unilatérale, incarne l’expression la plus pure de la pensée de l’UE, mais les négociations ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre à la fin de 2016[23]. De l’autre côté, des « cours » d’investissement similaires à celle de l’AECG, mais non identiques, ont été formellement incluses dans l’ALE UE-Vietnam, l’ALE UE-Singapour et l’Accord global UE-Mexique[24]. Ces propositions ne devraient toutefois pas modifier considérablement le projet actuel. Dans l’ensemble, les innovations du SJI peuvent être divisées en trois aspects aux fins de l’analyse. Elles concernent : le Tribunal, le Tribunal d’appel, ainsi que les deux instances.

D’abord, la proposition de l’UE instaure de nouveaux aspects concernant la structure et la composition du Tribunal de première instance. Elle conçoit un Tribunal composé de 15 membres : cinq d’entre eux proviendront de l’UE ; cinq autres seront citoyens de l’autre partie de l’accord (ici, le Canada) ; et les cinq membres restants seront de la nationalité d’un État tiers[25]. Par ailleurs, les termes « cour » et « juges », qui figuraient dans la proposition du PTCI, ont disparu dans les accords subséquents. Ils ont été remplacés par les expressions moins sensibles et plus neutres de « règlement des différends relatifs aux investissements », de « Tribunal » et de « membres du Tribunal[26] ». Le texte de l’AECG ne fait pas référence à l’arbitrage, sauf dans le cas où la décision rendue par le Tribunal est appelée « sentence arbitrale » et lorsque les règles et documents typiquement utilisés dans l’arbitrage international sont mentionnés[27].

La proposition indique aussi que les membres du Tribunal auront droit à une rétribution mensuelle (le montant proposé dans le PTCI est de deux mille euros par mois)[28] et devront être disponibles en tout temps sur un court préavis. S’ils devaient être nommés dans un panel, ils seraient alors payés au taux horaire du CIRDI[29].

La proposition s’écarte également du processus de nomination des décideurs dans le RDIE traditionnel[30]. Les membres devront être au service du Tribunal pour une période de cinq ans, période renouvelable une fois seulement[31]. Les membres seront sélectionnés par l’UE et l’État partie correspondant au traité (ici, le Canada), vraisemblablement selon les procédures nationales. L’intervention des investisseurs ne serait possible, si tant est qu’elle existe, qu’au travers du processus initial de nomination. Dans tous les cas, il y aura une sélection aléatoire et imprévisible par le président du Tribunal des membres de chaque catégorie (ressortissant de l’UE, du Canada et d’un pays tiers) pour juger un cas particulier[32].

Le Tribunal d’appel est aussi le sujet d’innovations clés proposées. Il est remarquable que l’arbitrage d’investissement traditionnel ne permette pas la possibilité de faire appel des décisions[33]. En revanche, la proposition du PTCI stipule que le Tribunal d’appel sera formé de six membres : deux de l’UE, deux de l’autre l’État partie au traité et deux d’États tiers[34], alors que la proposition de l’AECG prévoit que les membres seront choisis ultérieurement par le Comité mixte et que trois de ces membres seront sélectionnés au hasard pour instruire chaque appel[35]. Selon le PTCI, ils auraient aussi droit à une rétribution mensuelle de sept mille euros par mois[36]. Les membres devront être disponibles sur un court préavis, mais la possibilité d’être employé à temps plein demeure une éventualité, en fonction de la charge de travail des cas. Ils seront sélectionnés pour une période initiale, renouvelable une seule fois[37].

La proposition, finalement, soumet les décideurs à des obligations éthiques robustes contenues à même le traité et joint à celui-ci[38]. Pour répondre aux préoccupations soulevées à l’égard de l’indépendance et de l’impartialité des décideurs[39], la proposition indique que les membres ne pourront pas agir comme avocats et comme experts une fois sélectionnés pour faire partie de la liste de membres. Cette contrainte pourrait même s’appliquer avant leur nomination, car le texte suggère que les membres devront se distancier de conflits d’intérêts possibles s’ils veulent être considérés admissibles pour la liste de membres du Tribunal[40]. Il n’est pas clair si les membres pourront accepter concurremment des nominations pour siéger comme arbitres dans le RDIE traditionnel[41]. Le président de la Cour internationale de justice (ci-après CIJ) sera chargé d’évaluer les conflits d’intérêts dans l’AECG[42], alors que c’est président du Tribunal, tiré au hasard parmi les membres sélectionnés[43], qui remplira cette tâche selon les autres propositions[44].

Le Tribunal et le Tribunal d’appel seront supervisés par un secrétariat[45] qui sera soit le CIRDI[46], soit la Cour permanente d’arbitrage (ci-après CPA)[47]. L’AECG et l’ALE UE-Singapour ont sélectionné le CIRDI[48], tandis que le PTCI et l’ALE UE-Vietnam se réfèrent aux deux institutions et suggèrent que le choix final se fera ultérieurement[49]. D’ailleurs, les règles de procédure choisies sont celles appliquées par l’une ou l’autre des institutions arbitrales visées ou alors par les règles d’arbitrage ad hoc de la CNUDCI[50].

B. L’intention déclarée des parties signataires

Dans un contexte politique européen marqué par une montée du nationalisme[51], et à la suite des ferventes critiques publiques adressées dans le contexte du PTCI[52], la négociation d’Accords de libre-échange (ci-après ALEs) s’est complexifiée pour l’UE. En 2015, le Parlement européen a adopté une résolution visant à éclairer la Commission sur sa conception du tribunal à concevoir dans le cadre de ses négociations du PTCI. Ces recommandations avaient pour but de promouvoir la création

[of] a new system for resolving disputes between investors and states which is subject to democratic principles and scrutiny, where potential cases are treated in a transparent manner by publicly appointed, independent professional judges in public hearings and which includes an appellate mechanism, where consistency of judicial decisions is ensured, the jurisdiction of courts of the EU and of the Member States is respected, and where private interests cannot undermine public policy objectives[53].

Le Parlement européen invitait de la sorte la Commission à transformer l’ancien système de RDIE en un nouveau modèle s’apparentant à une cour publique[54]. Dans le cahier des charges des négociateurs figuraient l’exigence de créer un système de résolution des différends « efficace, juste et transparent[55] ». La Commission présente aussi dans plusieurs rapports les qualités qu’elle souhaite attribuer au SJI : permanence, indépendance, prédictibilité, cohérence et efficacité[56]. De plus, elle décrit les intentions transversales la surplombant, incluant le respect de l’État de droit, la défense de la coopération et gouvernance mondiale ainsi que la simplification du droit international[57].

Par suite des changements apportés à sa politique concernant l’arbitrage d’investissement, plusieurs des communications de l’UE se sont, sans surprise, concentrées sur le SJI. Notamment, la Commissaire européenne au commerce, Cecilia Malström, inscrivait ce système parmi les grandes avancées démocratiques de l’AECG. Pour elle, sa ressemblance aux cours nationales et internationales permettrait aux citoyens de croire en sa capacité à rendre des jugements justes et objectifs et, en cela, le SJI répondait aux objectifs que les États membres et le Parlement européen s’étaient fixés[58]. La ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, a aussi énoncé que la résolution des disputes dans l’AECG adopte une approche « nouvelle », « importante » et « progressiste[59] ». Du reste, les parties ont couramment utilisé la désignation de système juridictionnel d’investissement (en anglais, « Investment Court System[60] »), bien qu’elle n’ait pas été retenue dans la dernière version de l’accord.

Quelle est la nature juridique du SJI à la lumière des notions fondamentales du droit international ? Est-ce que le SJI est vraiment une « cour », tel que l’avancent publiquement les parties signataires ? Pour répondre à cette question, il faut préalablement exposer les perspectives théoriques de l’arbitrage et du règlement judiciaire.

II. L’arbitrage et le règlement judiciaire en droit international : perspectives théoriques

Le nombre sans cesse croissant de disputes transnationales décidées par des tribunaux d’arbitrage international ainsi que par des cours internationales depuis la Seconde Guerre mondiale[61] laisserait présager une littérature riche portant sur la distinction entre ces deux méthodes de règlement de différends. Si la doctrine s’est couramment référée à cette distinction[62], étonnement, elle ne l’a débattu qu’au passage et relativement superficiellement[63]. Même lorsqu’examinées, les opinions divergent à savoir s’ils sont des instances juridiques similaires.

En discutant de la proposition du PTCI, V.V. Veeder note que l’arbitrage consensuel et le règlement judiciaire sont « two very different creatures[64] ». Il met également en doute la possibilité de combiner de manière réussie à l’intérieur d’une même instance juridique certaines caractéristiques de ces deux méthodes de règlement de différends[65]. À l’inverse, David D. Caron a avancé qu’une cour internationale et un arbitrage interétatique ad hoc « can be said to involve the same process[66] ». (A) Pour résoudre ce dilemme, les sources formelles et le portrait sociologique de l’arbitrage et du règlement judiciaire seront mis de l’avant. (B) Puis, les trois caractéristiques distinguant ces deux méthodes seront exposées.

En plus de colliger les intuitions relativement éparses dans la doctrine sur le sujet, cette partie s’attèle à refléter les développements récents dans la pratique du droit international. Elle examine particulièrement la manière dont l’arbitrage et le règlement judiciaire s’inscrivent sur un spectre fluide – plutôt que dans des catégories étanches – dont il est tout de même primordial d’identifier les pôles opposés[67].

A. Les sources formelles et le portrait sociologique de l’arbitrage et du règlement judiciaire

La distinction entre l’arbitrage et le règlement judiciaire de différends internationaux a été établie par bon nombre d’accords et de constitutions d’organisations internationales[68]. Notamment, l’article 33, premier paragraphe, de la Charte des Nations Unies (ci-après Charte) traite des méthodes pacifiques de règlement de différends internationaux et distingue l’arbitrage du règlement judiciaire[69]. L’article 36, au paragraphe 2, de la Charte note même que le règlement judiciaire constitue la méthode privilégiée pour régler les différends d’ordre juridique entre les États[70], ce que reflète la philosophie générale instaurée par le système des Nations unies[71].

Cependant, aucun de ces documents internationaux ne définit ces termes[72]. Les sources formelles du droit international ne font allusion que de manière imprécise aux éléments essentiels et aux caractéristiques distinctives de l’arbitrage et du règlement judiciaire. La Convention de New York décrit ce qu’est une « sentence arbitrale » et présente indirectement les exigences minimales quant au processus d’arbitrage en abordant la reconnaissance et l’exécution de ces sentences[73]. La Convention ne fournit toutefois pas une véritable définition de l’arbitrage international.

Les sources du droit international traitant du règlement judiciaire, quant à elles, sont davantage concernées par les définitions en droit interne. Plusieurs accords internationaux font référence aux cours et à leurs composantes en s’appuyant sur le postulat qu’il s’agit de concepts évidents. Par exemple, l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après PIDCP) stipule que « [t]ous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice », ce qui revient à dire, en termes génériques, que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi[74] ». Le PIDCP n’offre pourtant pas de détail à savoir ce que sont exactement « les tribunaux et les cours de justice ».

La Convention de Vienne sur le droit des traités confirme tout de même que, par sa présence, il faut interpréter cette distinction de manière à donner effet à ces termes[75]. L’évolution du droit international confirme aussi que les États accordent une signification à cette distinction et aux caractéristiques inhérentes de ces instances juridiques, incluant dans des accords internationaux tels que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après CNUDM)[76].

Dans ce contexte, le portrait sociologique est plus éclairant. Résumant la position de plusieurs cours et auteurs, Gary Born définit l’arbitrage international commercial comme « un processus par lequel les parties soumettent consciemment un différend à un décideur non gouvernemental, choisi par ou pour elles, pour rendre un règlement contraignant de ce différend conformément à un processus juridique offrant aux parties la possibilité d’être entendues[77] ». Selon le Black’s Law Dictionary, une cour internationale est « une instance avec autorité jurisprudentielle créée par un traité ou par une organisation internationale qui entend et pose un jugement selon le droit international[78] ».

D’une conception substantialiste de la justice[79], l’arbitrage et le règlement judiciaire sont donc d’une identification quasi parfaite. Arbitres et juges exercent une même fonction, celle de trancher les différends sur la base de règles de droit[80]. La doctrine note plusieurs éléments essentiels partagés par l’arbitrage consensuel et les cours internationales :

i) a body composed of independent and impartial members, ii) is called to take a decision binding upon the parties to the dispute, iii) after an adversarial procedure during which the parties benefit from an equality of rights, and, iv) […] the decision—usually an award in the case of arbitration, a judgment when given by a permanent body—will generally be based on exclusively legal consideration but might be founded on pure equity (ex aequo et bono) if the parties so agree[81].

Dans le cas à la fois de ces deux méthodes, c’est précisément la nature contraignante des décisions qui implique – et requiert – l’indépendance des décideurs, une procédure équitable et le respect de la règle de droit (« rule of law [82] »). Bien évidemment, la question à savoir si cette décision sera éventuellement appliquée ou respectée est un enjeu distinct en droit international[83]. Cependant, les décisions prises sont, dans les deux cas, contraignantes pour les parties impliquées[84]. L’avocat général Melchior Wathelet, par ailleurs, est d’avis que le RDIE traditionnel corresponde aux facteurs établis dans la jurisprudence européenne pour constituer une « cour ou un tribunal » au sens de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE)[85].

De manière générale, plusieurs raisons font en sorte qu’il est difficile d’établir une distinction franche entre les tribunaux arbitraux et juridictionnels[86]. En analysant les nombreuses méthodes pour régler les différends en droit international, le juge James Crawford explique que la principale cause de ce chevauchement est historique :

the permanent institutions developed historically from arbitral experience. It is now common to see the development of integrated systems of dispute resolution which include international “courts” of relatively formal jurisdiction and process, whilst reserving certain sui generis questions for arbitral tribunals convened under the procedures of the same system, for example, in the procedures of UN Convention on the Law of the Sea (UNCLOS) and the WTO. But independent systems exist as expressed through the actions of many ad hoc arbitral tribunals, mixed commissions and semi-permanent specialized tribunals[87].

Puisque ces cours internationales se sont développées par l’institutionnalisation de formes d’arbitrage, ces deux méthodes partagent certaines caractéristiques, telles que la capacité des parties prenant part aux procédures à influencer – du moins en partie – la composition du banc et un contrôle dans l’établissement des procédures[88].

Certains auteurs avancent donc que la nomenclature binaire est dépassée avec l’apparition d’un « régime mixte[89] », et d’autres que l’arbitrage interétatique dans la période post-1945 ne peut au mieux être défini que comme un locus d’activités plutôt que comme une catégorie d’activité[90]. Ces positions reposent sur une pratique changeante du règlement des différends commerciaux transnationaux, qui peuvent aujourd’hui être résolus dans diverses déclinaisons des instances juridiques suivantes : (i) les cours spécialisées en droit interne [91]; (ii) l’arbitrage commercial international, avec ou sans un État partie ; (iii) le RDIE ou arbitrage d’investissement traditionnel; (iv) l’arbitrage inter-États ; et (v) les cours internationales. En outre, la confusion régnant dans la doctrine et dans les décisions des cours et tribunaux internationaux provient en grande partie du défaut de reconnaître le rôle à la fois d’objet et de sujet de l’État en droit international ainsi que celui de tiers bénéficiaires qu’occupent les investisseurs étrangers en arbitrage d’investissement[92].

Malgré l’absence de distinction franche, il demeure que l’arbitrage et le règlement judiciaire possèdent des caractéristiques qui les distinguent l’un de l’autre. Entre autres, la Cour de Justice des Communautés européennes (ci-après CJE) a, dans plusieurs décisions, refusé d’attribuer à un tribunal arbitral le caractère de « juridictions d’un des États membres » au sens de ce qui est aujourd’hui l’article 267 du TFUE. Dans son arrêt du 17 septembre 1997, la CJE a posé les principales caractéristiques de distinction entre une juridiction et un tribunal arbitral : « l’origine légale de l’organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction[93] ». Cette grille d’analyse provenant du droit européen a certaines similitudes – mais aussi plusieurs différences – avec celle établie en droit international, tel que démontré ci-dessous.

B. Trois caractéristiques distinguant l’arbitrage et le règlement judiciaire

Trois caractéristiques principales différencient les tribunaux d’arbitrage des cours en droit international : le consentement au règlement du différend, la sélection des décideurs, ainsi que le critère de permanence. Conceptuellement, la solution retenue par une méthode de règlement de différend à la première caractéristique – le consentement – est susceptible d’influencer la seconde, soit la manière dont les décideurs seront choisis. Il en va de même pour la seconde caractéristique envers la troisième, c’est-à-dire que le mode de nomination des décideurs va vraisemblablement déteindre sur le critère de permanence. Cela dit, ces trois caractéristiques sont interreliées et adressent toutes de diverses façons la dichotomie publique contre privée (« public versus private divide ») associée au règlement des différends internationaux[94].

La première caractéristique est celle du consentement préalable des parties au règlement contraignant du différend. Puisque la notion de consentement est évasive et peut être utilisée dans plusieurs contextes[95], elle est définie dans la présente principalement sur la base de deux aspects. Ceux-ci étant relativement abstraits, ils seront ensuite illustrés à l’aide de plusieurs exemples. D’abord, le consentement se distingue selon le nombre de personnes morales ou physiques qui peuvent poursuivre une autre partie : il peut être dirigé envers une personne définie (consentement bilatéral, trilatéral ou plurilatéral) ou envers un vaste groupe de personnes (consentement multilatéral)[96]. Ensuite, le caractère consensuel diffère également selon la portée de la compétence de l’instance juridique : il peut inclure des différends précis (consentement limité) ou alors plusieurs types de différends (consentement étendu)[97]. Les exemples étudiés ci-dessous, et mis en parallèle les uns aux autres, montrent que cette distinction en est plus une de degrés que de nature[98].

En droit interne, la justice étatique est imposée aux personnes (et à l’État administratif) en dépit de leur volonté[99]. Dans les cours internationales, la conception westphalienne de l’État en droit international public requiert toujours son consentement[100], mais ces cours se situent tout de même à un extrême du spectre en termes d’engagement et de contraignabilité[101]. En effet, l’approbation explicite ex ante à la compétence d’une instance est typique du règlement judiciaire en droit international[102]. En ce cas, le consentement est souvent multilatéral et étendu[103]. À titre d’exemple, soixante-treize États ont accepté la juridiction obligatoire de la CIJ, ce qui signifie que tout différend juridique international impliquant ces États peut être soumis à la Cour, à condition que tous les États parties au différend aient accepté sa compétence obligatoire[104]. Enfin, le contrôle des parties sur le processus et les règles de procédure est relativement minimal dans les cours internationales[105].

En revanche, le consentement en arbitrage international commercial est souvent bilatéral et limité. Lorsque les personnes et États décident de se soumettre à ce type d’arbitrage, ils le font de leur propre chef en s’accordant aussi communément sur l’identité des décideurs et sur les règles de procédure applicables dans l’affaire en cause[106]. En ce sens, le recours à l’arbitrage est « volontaire, consensuel et non obligatoire » et se traduit par une soumission à la compétence du tribunal arbitral ainsi qu’à sa méthode de composition ou de sélection[107]. Le consentement est donc, tel que le rapporte Gary Born, un aspect « élémentaire » de l’arbitrage international commercial[108].

Dans le RDIE traditionnel, le consentement asymétrique est aussi bilatéral et limité dans l’ensemble, mais cette proposition reste vraie seulement dans la mesure où ces deux aspects reçoivent une interprétation libérale. Mis à part quelques exceptions notables, la majorité des ALEs sont des traités bilatéraux d’investissement (ci-après TBIs) se limitant à protéger les investissements étrangers aux violations du droit international[109]. Les États hôtes ont choisi d’étendre aux investisseurs étrangers d’un autre État une offre unilatérale de recours à l’arbitrage dans les TBIs (et de plusieurs autres États dans certains ALEs), que ceux-ci acceptent au moyen du processus bien connu d’« arbitration without privity[110] », contribuant par conséquent à faire de la notion de consentement une spécificité de l’arbitrage. Par ailleurs, l’objectif d’émanciper l’arbitrage d’investissement du droit interne et de l’édifier en alternative viable est sans équivoque[111].

En résumé, le consentement joue un rôle de premier plan dans l’arbitrage international[112]. Cette caractéristique est centrale pour les personnes malgré quelques nuances, dont celui du Tribunal irano-américain de réclamations (ci-après TIAR)[113]. Même si pour les États la notion de consentement n’est pas unique à l’arbitrage, il est possible d’établir un spectre sur lequel les conventions spéciales et autres accords pour statuer sur un cas particulier distinguent cette méthode de règlement.

Si la précédente caractéristique concernait l’autorité et la compétence de l’instance juridique, cette deuxième caractéristique différenciant les tribunaux d’arbitrage des cours internationales porte plutôt sur la légitimité des décideurs aux yeux des parties au différend et aux yeux du public. Elle relève, plus précisément, de la sélection et de la rémunération des arbitres et des juges en droit international. Pour que les tiers neutres rendant des décisions contraignantes soient perçus comme légitimes, ils doivent rendre des comptes – d’une manière qui ne compromette pas leur indépendance ni leur impartialité – aux personnes qui seront éventuellement affectées par ces décisions de près ou de loin[114]. Cet objectif est atteint de manière différente dans l’arbitrage et le règlement judiciaire.

En droit interne, le magistrat, payé par l’État, est un « juge public[115] » qui s’impose aux parties d’un différend, celles-ci n’intervenant pas dans sa sélection. L’État (dit, le souverain) tire sa légitimité du mandat de la population et transfère sa prérogative d’établir la justice à ses représentants, les magistrats[116]. Leur légitimité provient du fait que l’État les a choisis au nom du peuple et afin de rendre la justice pour lui[117]. Aux États-Unis, par exemple, certains juges sont élus[118]. Les juges français, eux, sont recrutés suite à un concours spécifique et entrent en fonction après avoir été nommés par le président de la République[119]. Au Canada, seuls les avocats inscrits au barreau depuis au moins 10 ans peuvent prétendre à être choisis par le gouvernement et nommés par le gouverneur à une cour fédérale[120].

La situation est similaire, mais plus nuancée, en droit international public général. Dans plusieurs cours internationales, la sélection des juges est indépendante de la volonté des parties à un différend spécifique. À la Cour pénale internationale (ci-après CPI), par exemple, une assemblée des États partis élit les juges[121]. À la CIJ, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU élisent les juges parmi les listes de candidats proposées par les groupes nationaux d’États, bien que l’État partie à une affaire a tout de même la possibilité de nommer un juge ad hoc[122]. Les États sont toutefois généralement plus réticents à consentir à la compétence d’une cour internationale sans avoir leur mot à dire, au moins de manière oblique, sur l’identité et la sélection des décideurs lorsque leur responsabilité internationale peut directement être mise en cause. À titre d’illustration, à la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH), les juges sont élus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à partir d’une liste de trois candidats proposés par l’État partie dont le juge doit être élu[123]. Ainsi, pour les États, la légitimité des parties tierces qui tranchent des différends internationaux provient toujours de leur rôle dans cette sélection[124], mais leur engagement est généralement plus limité ou indirect dans les cours internationales[125]. D’ailleurs, plusieurs centaines de millions de dollars sont investis chaque année dans ces cours par les États, qu’ils participent ou non aux différends pendants devant celles-ci[126].

En comparaison, dans un arbitrage international (par exemple, entre des personnes dans un arbitrage commercial international ou des États dans un arbitrage interétatique), la légitimité de l’arbitre provient de sa sélection par ces parties et s’inscrit donc dans le cadre d’une justice dite « privée[127] ». L’arbitre n’est ainsi ni un membre de l’appareil judiciaire de l’État[128], ni un membre du gouvernement[129], ni même une quelconque autre émanation de l’État[130]. L’arbitre est rémunéré par les parties au différend[131]. Les modalités de sa sélection offrent une véritable spécificité à l’arbitrage. Sophie Nappert rappelle d’ailleurs que, dans le contexte de la création de la Cour permanente de justice internationale (ci-après CPJI), le Comité consultatif de juristes incluait en 1920 la désignation des arbitres comme caractéristique distinctive de l’arbitrage par opposition au règlement judiciaire[132].

En arbitrage d’investissement, le rôle des parties dans la sélection des décideurs est aussi fondamental dans les faits, même s’il est loin de constituer un « droit » des personnes dans l’ordre juridique international. Pour les personnes, la légitimité des décideurs en droit international public dépend de la manière dont elle est abordée et correspond à une combinaison des sources de légitimité en droit interne et en droit international : elle est assurée par le choix que fait son État d’origine, en tant que son représentant en droit international[133], de lui donner ou non la faculté de nommer un ou plusieurs décideurs. Néanmoins, il serait exagéré d’affirmer, comme certains auteurs se risquent de le faire[134], qu’il s’agit d’un droit des personnes à choisir leurs décideurs en arbitrage d’investissement[135]. Le TIAR, notamment, qui est reconnu comme une forme d’arbitrage international, statuait sur les demandes qui lui étaient indirectement soumises par les États-Unis et l’Iran dans leur exercice du droit de protection diplomatique[136] et ses membres étaient nommés exclusivement par ces deux États[137].

Malgré ce contre-exemple, le rôle des parties dans la sélection des décideurs représente réellement une spécificité de l’arbitrage. Il peut être remarqué, entre autres, dans le RDIE traditionnel où les investisseurs étrangers se sont communément vus octroyer le pouvoir unilatéral de nommer un arbitre dans plus de trois mille ALEs[138]. Tout bien considéré, une caractéristique qui distingue communément l’arbitrage du règlement judiciaire en droit international est la possibilité pour les parties d’avoir un représentant neutre sur l’instance juridique appelée à trancher le différend.

La troisième caractéristique qui différencie l’arbitrage du règlement judiciaire en droit international est le critère de permanence. Celle-ci repose sur deux aspects connexes. Le premier est institutionnel ; il est question de la temporalité de l’instance et de la sécurité d’occupation des décideurs. Le deuxième aspect est fonctionnel ; il concerne le mandat des décideurs et leur rôle dans l’élaboration du droit[139].

L’arbitrage international est typiquement ad hoc ou institutionnel, alors que le règlement judiciaire se déroule invariablement dans des instances juridiques permanentes[140]. En arbitrage, les arbitres sont choisis par les parties au cas par cas après que le différend ne survienne, afin de se prononcer sur un différend particulier ; le tribunal arbitral est démis après avoir rendu une sentence finale. À l’inverse, le règlement judiciaire préexiste à la question qui doit être tranchée[141]. Les juges bénéficient généralement, en droit interne, de l’inamovibilité à vie[142] ou jusqu’à l’âge de la retraite obligatoire[143] et, en droit international, d’un terme déterminé qui varie en durée et en ce qui concerne la possibilité de réélection[144]. Néanmoins, le critère de permanence est l’un des aspects sur lesquels la comparaison ou l’analogie entre les cours internes et internationales est la plus ténue. Ce critère est particulièrement fluide en droit international, tel que le démontrent les exemples des chambres et comités de la CIJ[145] et des emplois à temps partiel à l’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (ci-après OMC).

Du point de vue des sources formelles du droit international, la temporalité de l’instance et la sécurité d’occupation ne sont pas nécessairement déterminantes. La Convention de New York reconnaît d’ailleurs qu’autant les tribunaux d’arbitrage ad hoc que les instances d’arbitrage permanentes peuvent rendre des sentences arbitrales exécutoires[146]. Les travaux préparatoires de la Convention confirment que même une instance permanente de règlement des différends peut être considérée comme un arbitrage[147].

Toutefois, ces aspects institutionnels affectent considérablement, en pratique, le mandat des décideurs et leur rôle dans l’élaboration du droit. En arbitrage international, des panels tripartites ad hoc entendent le plus souvent les affaires[148]. Les arbitres, décideurs privés, rendent justice pour les parties[149]. Même s’ils se réfèrent matériellement à d’autres décisions et ont contribué indirectement au développement du droit international[150], ils n’appliquent pas la « loi du précédent » et leur opinion n’est rien de plus, en théorie, que celle d’individus nommés pour résoudre un différend juridique spécifique[151]. Comme les tribunaux arbitraux sont destinés à trancher uniquement le différend qui leur est soumis et sont dissous à l’issue de la procédure, des affaires similaires peuvent potentiellement trouver des conclusions différentes, voire contradictoires, d’un tribunal arbitral à l’autre[152]. En outre, il n’y a pas de possibilité d’appel pour revoir les décisions en fait ou en droit ou alors pour assurer la cohérence de celles-ci à long terme[153]. Les dissidences y servent plus à exprimer le point de vue de l’arbitre nommé par une partie qu’à assurer le développement du droit[154].

De l’autre côté, l’autorité du juge d’une cour internationale provient d’un mandat public et ses décisions sont, par nature, un bien public[155]. Ils décident plutôt dans l’intérêt général et, bien qu’ils soient chargés de résoudre les affaires devant eux, ils contribuent à l’élaboration cohérente des règles dans un domaine spécifique du droit international, car « [t]hey sit on the body’s bench and decide a series of cases[156] ». Concrètement, le TIAR, une forme d’arbitrage singulière[157], a créé une  jurisprudence  qui représente une contribution significative au développement du droit international[158], particulièrement dû au volume des sentences décidées par un nombre limité de membres.

Le cas de la CIJ illustre mieux encore l’incidence de la permanence d’une instance juridique sur son rôle dans l’application et le développement cohérent du droit international public. Selon l’article 59 du Statut, « [l]a décision de la Cour n’est obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé[159] ». Cet article a été interprété comme reconnaissant seulement que les États tiers ne sont pas liés par la décision rendue dans un différend particulier[160]. La CIJ a elle-même noté que, « [p]our autant que les décisions en question contiennent des conclusions de droit, la Cour en tiendra compte, comme elle le fait habituellement de sa jurisprudence ; autrement dit, quoique ces décisions ne s’imposent pas à la Cour, celle-ci ne s’écartera pas de sa jurisprudence établie, sauf si elle estime avoir pour cela des raisons très particulières[161] ».

D’ailleurs, dans les négociations sur la création de cette nouvelle cour internationale au milieu du 20e siècle, on a noté les caractéristiques que cette méthode de règlement judiciaire devait posséder pour permettre la progression de l’ordre juridique international :

Only such a court should succeed in “forming a series of precedents” and possibly develop a body of international law: “The Court of International Justice, being composed of judges, permanently associated with each other in the same work, and […] retaining their seats from one case to another, can develop a continuous tradition, and assure the harmonious and logical development of International Law”[162].

En effet, les juges de la CIJ entendent tous chacune des affaires, ce qui contribue à créer une jurisprudence constante et à assurer l’uniformité du droit[163]. Dans la même veine, bien que les cours internationales ne prévoient pas toujours un mécanisme d’appel, d’autres moyens, tels que les révisions et les dissidences, aident au développement du droit international[164]. L’arbitrage et le règlement judiciaire, en résumé, sont des méthodes sensiblement différentes de règlement de différends internationaux. Cette conclusion découle de la distinction entre celles-ci dans les sources formelles du droit international, mais surtout de la pratique de ce droit dans les deux derniers siècles. Émergent de cette pratique trois caractéristiques : celle du consentement, de la sélection des décideurs et du critère de permanence. Ces caractéristiques sont maintenant comparées à la situation du SJI.

III. La SJI et l’institutionnalisation progressive de l’arbitrage d’investissement

Le SJI a déjà fait l’objet de plusieurs analyses et les auteurs se sont référés à cette instance juridique de manières variées. Sophie Nappert fait valoir que le SJI s’éloigne de l’arbitrage international[165]. Céline Lévesque avance que le SJI est simplement un système « sui generis[166] ». August Reinisch[167], tout comme Catherine Kessedjian et Lukas Vanhonnaeker[168], parle d’une institution « hybride ». Bien qu’il y ait une part de vérité dans chacune de ces affirmations, la dernière est la plus convaincante. En effet, l’application au SJI de la grille d’analyse développée précédemment révèle que cette instance est issue d’un croisement entre un tribunal arbitral et juridictionnel. (A) En précisant cette affirmation, il ressort de cela que le SJI constitue une forme davantage institutionnalisée d’arbitrage d’investissement. (B) De plus, l’UE et le Canada cherchent avec cette proposition à répondre à certaines préoccupations liées au RDIE traditionnel, mais risquent, ce faisant, d’en créer de nouvelles.

A. Est-ce que le SJI relève de l’arbitrage ou du règlement judiciaire ?

En appliquant au SJI les caractéristiques du consentement, de la sélection des décideurs et du critère de permanence, il appert que cette méthode de règlement de différends internationaux s’inscrit dans la lignée des réformes successives d’« institutionnalisation[169] » et de « judiciarisation[170] » de l’arbitrage international qui ont eu lieu au cours des trois dernières décennies. Autrefois une procédure aux règles et institutions rudimentaires[171], l’arbitrage international a connu un processus autosuffisant d’évolution institutionnelle marquée par l’introduction progressive, entre autres, de caractéristiques traditionnellement associées aux cours en droit interne et en droit international[172]. Le SJI représente un pas de plus dans cette direction. S’inspirant de l’Organe d’appel de l’OMC[173], il s’écarte de l’arbitrage international ad hoc et des procédures simples, dont beaucoup reposent entre les mains des parties au différend, sans toutefois abandonner certaines caractéristiques distinctives de l’arbitrage international.

Premièrement, la notion de consentement, telle qu’elle se révèle dans le SJI, permet de classer cette méthode de règlement dans l’ordre de l’arbitrage plutôt que dans celui du règlement judiciaire[174]. L’accord bilatéral des parties a lieu de manière très similaire, voire identique, à ce qui est prévu dans les TBIs du RDIE traditionnel. Pour l’UE et le Canada, le consentement asymétrique à la présentation d’une réclamation concernant un investissement étranger est contenu spécifiquement dans l’AECG et aux conditions que ce traité détermine.

Dans la présente, cet accord inclut l’application des règles de procédures communément utilisées en arbitrage international[175], mais aussi plusieurs autres conditions et limites qui servent à circonscrire l’offre d’arbitrage[176]. En particulier, l’AECG limite l’offre de recours à l’arbitrage uniquement aux violations alléguées des dispositions de fond de l’accord, comme c’est le cas de l’Accord de libre-échange nord-américain[177] et du Traité sur la Charte de l’énergie[178]. En comparaison, d’autres ALEs permettent généralement à un tribunal arbitral de trancher « tous » les litiges relatifs à des investissements[179], ce qui a été interprété comme couvrant les demandes fondées sur des protections autres que celles offertes par l’ALE lui-même[180]. Ces deux approches au consentement demeurent dans le domaine de l’arbitrage, mais les comparer illustre, dans l’ensemble, comment le consentement dans l’AECG est relativement limité.

Pour l’investisseur étranger, la soumission d’une réclamation au SJI est volontaire et emploie le processus d’« arbitration without privity », c’est-à-dire que l’investisseur accepte librement l’offre de l’État de régler le différend relatif aux protections contenues dans l’ALE en engageant une procédure arbitrale. En résumé, l’investisseur a d’autres alternatives : il peut choisir de son plein gré entre les cours internes de l’État hôte (et, dans une moindre mesure, de son État d’origine)[181] et l’instance juridique au plan international que constitue le SJI[182].

Deuxièmement, la question de la nature juridique de cette instance dépend en grande partie de l’importance que l’un accorde au choix des décideurs[183]. La sélection de ceux-ci permet d’assimiler le SJI non pas à de l’arbitrage commercial international, mais plutôt aux arbitrages interétatiques et aux cours internationales.

Tel que mentionné précédemment, il y aura une répartition au hasard des affaires au Tribunal à des panels tripartites composés de membres de chaque catégorie (ressortissants de l’UE, du Canada et d’un pays tiers)[184]. Cette disparition du choix des parties dans la sélection des décideurs (remplacée dans chaque différend par la sélection par rotation de membres des trois catégories) est l’aspect qui éloigne le plus le SJI du RDIE traditionnel[185], alors que la répartition des coûts par les parties au différend le rapproche de cette forme d’arbitrage[186].

Bien que les parties ne jouent aucun rôle dans la nomination des membres du Tribunal dans un différend particulier, l’idée d’avoir un « représentant » neutre sur le banc comme c’est le cas dans l’arbitrage interétatique – et dans certaines cours internationales – n’est pas abandonnée avec le SJI. Les investisseurs joueront vraisemblablement un rôle négligeable dans la sélection des décideurs préalablement au différend. Pourtant, les États, eux, ont choisi de nommer de leurs ressortissants en nombre égal au SJI. Du reste, la structure tripartite, avec un représentant de chaque partie signataire et un président neutre, reflète le fonctionnement de l’arbitrage :

States are wary of the international legal process, as an external check on their sovereignty, and have traditionally insisted on the unilateral right to appoint at least one arbitrator or judge to international tribunals. This is all the more understandable when one considers the generality and abstraction with which so much of public international law is formulated, the controversies as to their sources and interpretation, and the likely politicization of such disputes[187].

Cette situation n’est pas particulièrement surprenante puisque les États sont, encore aujourd’hui, favorables à l’idée d’avoir un représentant sur le banc en droit international public. D’ailleurs, la proposition reproduit étroitement sur ce point la structure du TIAR.

La logique et le bien pensé de cet aspect de l’AECG sont sujets à discussion. Choisir ses décideurs représente certes une source importante de légitimité des instances juridiques pour les États en droit international public[188] ; une interprétation de cette caractéristique pourrait faire valoir qu’une forme de représentation culturelle sur le SJI assure la légitimité démocratique de l’instance[189]. Cependant, si l’objectif de la proposition est de dépolitiser les différends relatifs aux ALEs, la sélection de ressortissants n’est pas forcément la meilleure voie à emprunter[190]. La mondialisation, par ailleurs, a atténué les différences entre les traditions juridiques et, parallèlement, la nécessité d’un membre de l’instance de sa propre culture[191].

Troisièmement, le critère de permanence juridique recoupe en théorie plusieurs aspects propres au règlement judiciaire même si, en réalité, la balance de ceux-ci fait en sorte qu’il s’agit plutôt d’arbitrage international institutionnalisé. Avant tout, les membres du Tribunal et du Tribunal d’appel sont nommés pour une période fixe qui est renouvelable une fois seulement[192]. Ces nominations pour des termes confèrent un aspect public au SJI, du moins en apparence. La proposition élimine également la question du « double hat », c’est-à-dire qu’elle interdit aux membres d’agir comme avocats et experts en arbitrage d’investissement. La proposition contient aussi un code de conduite pour les membres, bien que dans l’AECG ce code sera adopté ultérieurement par le Comité des services et de l’investissement[193].

En dépit de ces améliorations, aussi à l’aspect public, l’indépendance judiciaire des membres du SJI est un sujet de préoccupation dans les faits. Peut-être ceux-ci seront-ils formellement indépendants, mais ils n’auront pas de garantie d’emploi permanent (pas de salaire, de retraite, etc.). Concrètement, la plupart des membres auront besoin d’un autre emploi ou auront besoin d’être positionnés financièrement pour ne pas avoir besoin d’un revenu régulier. En effet, la proposition du PTCI prévoit une provision annuelle de 24 000 euros pour les membres du Tribunal et de 84 000 euros pour les membres du Tribunal d’appel[194]. Bien que cette dernière semble raisonnable, elle représente certainement une réduction de salaire importante pour la plupart des arbitres et avocats actuels.

La SJI contient aussi un mécanisme d’appel interne qui a pour but avoué d’assurer la cohérence des décisions. Le Tribunal d’appel a le pouvoir de réexaminer des décisions suite à des erreurs de droit ou des erreurs manifestes dans l’appréciation des faits, en plus d’examiner les motifs d’annulation figurant actuellement dans la Convention CIRDI[195]. Dans les dernières années, une incohérence alléguée dans l’interprétation des articles de droit matériel dans les ALEs a soulevé des questions de légitimité dans l’arbitrage d’investissement[196]. Il a été souvent suggéré qu’un mécanisme d’appel soit établi de manière similaire à l’Organe d’appel de l’OMC[197].

En ce qui concerne la cohérence et la prévisibilité des décisions, il est probable que celles-ci seront améliorées en raison du nombre limité de membres du Tribunal et du Tribunal d’appel, chacun siégeant pendant une période relativement longue. Cette conclusion doit cependant être tempérée par plusieurs considérations et questions qui restent sans réponse dans la proposition de l’AECG. Il est surprenant, a priori, que la proposition n’adresse pas la valeur de précédent des décisions du Tribunal et du Tribunal d’appel. Une pratique s’est développée à la CJI[198] et à l’Organe d’appel de l’OMC[199] de sorte qu’avec le temps les décisions de ces instances ont pris une force de précédent. Au regard de l’approche en arbitrage d’investissement de codifier les meilleures pratiques établies en droit international, on aurait pu s’attendre à ce que la proposition adresse (plus qu’implicitement) la question de la valeur des décisions vu son objectif avoué d’assurer le développement cohérent du droit international relatif aux ALEs.

Ensuite, si le pouvoir du Comité des services et de l’investissement d’outrepasser les décisions du SJI répond de toute évidence aux préoccupations des États de demeurer maîtres de leurs ALEs, il s’accorde toutefois plus difficilement avec l’intention déclarée des parties signataires de transformer le RDIE traditionnel en incluant dans le SJI des garanties procédurales souvent associées aux cours nationales et internationales[200]. Non seulement ce pouvoir laisse paraître un certain manque de confiance envers les membres du SJI, mais il remet aussi en question la volonté des parties signataires de créer une cour réellement indépendante, car c’est le Comité qui aura le dernier mot sur l’interprétation de l’ALE.

Dans la même veine, la proposition semble tenir pour acquis que les membres du SJI, maintenant « réunis » dans une même instance, vont miraculeusement s’entendre sur de difficiles questions de fait et de droit, ce qui est loin d’être certain. Vu la pratique répandue de dissidences en arbitrage d’investissement, l’inclinaison de certains membres du Tribunal à faire valoir leur point de vue séparément est très probable et n’assurerait pas forcément la cohérence cherchée. La proposition s’attarde d’ailleurs peu à définir le rôle des dissidences dans le SJI ; l’ALE UE-Vietnam reconnaît simplement qu’elles sont permises, mais sans attribution à leur auteur[201].

Plus importante pour la présente caractéristique, la nature éphémère du SJI met en doute la possibilité de créer une cour et une jurisprudence unifiées. Comment ses membres devraient-ils raisonner ? Comment devraient-ils lier leur autorité à celle des autres institutions de gouvernance nationales et internationales [202]? Espère-t-on que les décideurs cessent de penser comme des avocats ? Les membres seront-ils capables de développer un éthos institutionnel ? Démontreront-ils une loyauté envers l’AECG [203]? Plusieurs facteurs institutionnels permettent de le questionner : le travail sur demande des membres, l’absence de secrétariat ou de greffier permanents[204] et l’absence de bureaux côte à côte comme l’ont souvent les juges. Tous ces éléments signifient que les membres n’auront pas nécessairement de moments où ils siègent ensemble – développant ainsi une camaraderie et une collégialité et parfois, selon les circonstances, des conflits et des frustrations – comme les juges des cours nationales et internationales.

Plus étonnement, la nature bilatérale de l’AECG impose une limite inhérente dans l’élaboration du droit. Dans sa proposition actuelle, il y aura un SJI pour chaque TBI signé par l’UE. Même si les membres parviennent à assurer la cohérence des décisions au sein de chaque accord, il restera probablement une interprétation différentielle des autres ALEs toujours en vigueur dans le RDIE traditionnel. Dans la mesure où ces différences sont rendues publiques, elles seront encore utilisées par les critiques du système pour discréditer l’idée de règlement des différends entre investisseurs et États[205]. Par exemple, plusieurs de ces critiques ne feront probablement pas la distinction entre l’AECG et le système général d’arbitrage d’investissement. Tout compte fait, le SJI ne résoudrait pas la « fragmentation »[206] du droit qui est l’une des plus virulentes critiques du RDIE traditionnel[207]. Par ailleurs, il n’est même pas clair qu’une cour multilatérale parviendrait à dispenser ces critiques vu le grand nombre d’ALEs et les différences dans la formulation de leurs articles respectifs. Sans un accord unique ou véritablement multilatéral pour régir l’arbitrage d’investissement, la cohérence et la prévisibilité souhaitée seront difficilement atteintes.

En somme, il est possible de défendre la qualification d’arbitrage du SJI. Il est basé sur le consentement bilatéral et limité des parties, il adopte l’idée d’avoir un représentant neutre sur le banc (bien que plus éloigné des parties au différend spécifique) et il est constitué de manière à rendre justice principalement pour les parties en cause plutôt que pour assurer le développement cohérent du droit dans l’arbitrage d’investissement plus largement. Il est vrai que le SJI introduit certaines nouveautés, principalement suivant le modèle de l’OMC (et du TIAR), et cristalliserait ainsi un système auparavant typiquement ad hoc en des institutions « permanentes » sur demande[208]. C’est d’ailleurs pourquoi la proposition de SJI représente un pas de plus dans l’institutionnalisation de l’arbitrage d’investissement.

B. Répondre efficacement à certaines préoccupations... mais en créer de nouvelles ?

Il est important de savoir si le SJI dans l’AECG est une instance de règlement judiciaire. Les parties signataires cherchent clairement à exploiter la légitimité de cette désignation. Peut-être qu’au final la Commission et le Canada ne se sont pas posé la bonne question. Plutôt que de mettre l’accent sur la dichotomie « arbitrage contre règlement judiciaire », ou « privé contre public », l’enjeu central aurait pu être de trouver le niveau optimal de judiciarisation en arbitrage d’investissement. Dans une contribution importante, Laurence Helfer se demande si le droit international relatif aux droits humains est devenu « overlegalized », ce qui aurait provoqué une réaction hostile de la part de certains États[209]. Des préoccupations semblables ont été soulevées par les spécialistes du droit commercial international[210].

Même si le SJI est considéré comme une cour internationale, il n’est pas clair à quel point cela sera utile étant donné le mécontentement envers les institutions internationales – et vis-à-vis l’UE en général[211]. Est-ce que l’UE souhaite vraiment créer l’équivalent d’une CJUE pour l’arbitrage investissement ? Ce n’est certainement pas le cas, surtout si cela veut dire d’élever le droit international au-dessus du droit européen. Reste que l’institutionnalisation proposée est surprenante dans un contexte où le mouvement de judiciarisation des dernières décennies s’est récemment essoufflé et où l’on voit plusieurs États en combattre vigoureusement les effets. Tel que l’écrit Fabien Gélinas, « [a]djudicative institutionalisation today is just as important as the legislative and executive aspects of institutionalisation which are so carefully avoided in treaty-making[212] ».

La proposition ambitieuse des parties signataires de l’AECG a manifestement été ébauchée dans l’optique de répondre aux inquiétudes exprimées par les États et par les organisations de la société civile par rapport au RDIE traditionnel[213]. Même s’il y a des changements importants et potentiellement bénéfiques dans la proposition, tout dépendamment du point de vue de chacun sur les défauts de l’arbitrage d’investissement[214], ces changements ne vont probablement pas assez loin[215]. En d’autres termes, autant les critiques que les partisans du RDIE trouveront des éléments qu’ils apprécient et d’autres qu’ils décrient. La proposition maintient l’arbitrage d’investissement indépendant des cours nationales (bien que moins indépendant des États). Elle prévoit un groupe de décideurs présélectionnés et des délais plus courts, ce qui devrait contribuer à la capacité des membres du SJI à rendre des décisions dans des délais raisonnables. La proposition prend également en compte et élimine certaines des préoccupations éthiques les plus flagrantes (même si quelques autres pourraient être introduites).

Bien que les efforts des parties signataires de l’AECG pour répondre aux préoccupations valables à propos du RDIE traditionnel doivent être applaudis, les préoccupations adressées et celles irrésolues suggèrent moins une philosophie globale à propos de l’arbitrage d’investissement qu’une réponse ciblée sur les points les plus sensibles du processus actuel[216]. De plus, comme c’est le cas avec toute nouvelle méthode créée dans le but de remplacer ce qui est considéré comme défectueux, elle comporte le risque de répondre efficacement à ces préoccupations tout en en créant, du même coup, de nouvelles.

Les parties signataires proposent une méthode de résolution des différends qui est unique et qui, conséquemment, n’a pas encore été mise en pratique. Le caractère limité de la proposition devrait permettre l’expérimentation[217] et la poursuite de réformes spécifiques sans modifier radicalement le régime tel qu’il existe aujourd’hui[218]. Ce qui demeure incertain encore aujourd’hui, particulièrement avec les processus de ratification nationaux en cours et les négociations sur la création d’une cour multilatérale des investissements, est de savoir si ou quand ces articles novateurs entreront en vigueur afin que le SJI puisse passer le test de la pratique.