Notes et commentaires

Où en sommes-nous 70 ans après l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ?[Record]

  • Peter Leuprecht

Professeur au département des sciences juridiques de l’UQAM, ancien Directeur des droits de l’homme et Secrétaire général adjoint du Conseil de l’Europe, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour les droits de l'homme au Cambodge de 2000 à 2005. Ce texte est issu d’une conférence prononcée lors d’un colloque international organisé par l’Institut d’études internationales de Montréal, l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) du Grand Montréal et la Ville de Montréal, le 5 décembre 2019.

La Déclaration universelle des droits de l’homme dont nous célébrons le 70e anniversaire est incontestablement un document de signification et portée historiques. Nadine Gordimer, l’écrivaine sud-africaine, prix Nobel de littérature, l’a appelée « the essential document, the touchstone, the creed of humanity that surely sums up all other creeds directing human behaviour ». La DUDH a bien vieilli; elle reste d’une actualité brûlante. Elle promet à l’humanité une double libération : libération de la terreur et libération de la misère. Elle énonce des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels. Comme tout le droit international des droits humains, elle est fondée sur trois piliers : l’universalité et l’indivisibilité des droits proclamés et la solidarité ou fraternité entre les humains sans laquelle les droits humains ne sauraient être une réalité vivante. Cette solidarité ou fraternité est vécue par les organisations non gouvernementales militant pour les droits humains comme Amnistie internationale que je connais bien depuis longtemps et qui fait un travail courageux et exemplaire. La DUDH a marqué le début d’un énorme travail normatif. De nombreux instruments juridiques ont été élaborés au niveau universel et au niveau régional. Les deux Pactes, sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels, ont été adoptés ainsi qu’une multitude d’instruments concernant des problèmes spécifiques tels que la peine de mort ou la torture ou certaines catégories d’humains, par exemple les enfants. Des mécanismes de contrôle ont été institués – contrôle qui en partie est exercé par des organes composés non de représentants de gouvernements, mais de personnalités indépendantes. Montesquieu a distingué entre « pays légal » et « pays réel ». Je ferai la même distinction entre le monde légal et le monde réel. Le monde légal tel qu’il ressort du droit international des droits humains est trop beau pour être vrai. Le monde réel est – hélas! – bien différent. Le droit international de droits humains ressemble à un gruyère avec de nombreux trous. Le nombre de ratifications varie énormément d’un instrument à l’autre. Les mécanismes de contrôle sont eux aussi très inégalement acceptés. Les États les plus puissants du monde sont particulièrement réticents à accepter un contrôle international. De plus, il faut malheureusement constater que seulement un quart environ des décisions, avis ou conclusions des organes de contrôle sont mis en oeuvre. L’application du droit international des droits humains en droit interne laisse à désirer, même dans un pays vertueux comme le Canada. Il faut ajouter que – hélas! – les Nations Unies sont faibles et les États les plus puissants souhaitent qu’elles le soient et qu’elles le restent. Et le droit international est faible. Anacharsis, philosophe de la Grèce antique, a écrit que les lois sont comme des toiles d’araignées : assez fortes pour tenir les faibles, mais trop faibles pour tenir les forts. Malheureusement, cela s’applique aussi au droit international. On a beaucoup parlé du « mainstreaming » des droits humains, l’idée étant que ceux-ci devraient être un objectif prioritaire et global de la communauté internationale. Or, en réalité il n’est rien. Au contraire, le développement de certains secteurs du droit international, notamment en matière de commerce, de finances et de propriété intellectuelle, et des actions de certaines institutions internationales telles que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale affectent négativement les droits humains. Je viens de commencer à répondre à la question qu’on m’a demandé de traiter : où en sommes-nous 70 ans après l’adoption de la DUDH? Essayons d’aller plus en profondeur! Je suis personnellement – sans doute comme la plupart d’entre vous – interpellé …

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