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En 1950, il y a soixante-dix ans, les Pères fondateurs de la Construction européenne adoptèrent ce texte essentiel sous le nom assez long de « Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales » (ci-après, la CEDH ou la Convention).

Au fil des années, ce texte a été complété par de nombreux Protocoles et modifié sur plusieurs points. Il a été adopté par des pays de plus en plus nombreux, qui constituent aujourd’hui la Grande Europe de l’Atlantique à l’Oural (ou Vladivostok), soit l’Europe du Conseil de l’Europe (47 États membres). Tous, pour entrer au Conseil de l’Europe, ont dû adhérer à la Convention. Rappelons aussi que, par la suite, tous ceux qui sont entrés dans l’Union européenne durent d’abord, dans une première étape, être admis au Conseil de l’Europe et, de ce fait, adhérer à la Convention.

Rappelons enfin que l’Union européenne elle-même - pour couvrir son champ d’activités proprement communautaires - a voulu avoir une Charte des droits fondamentaux. Pour ce faire, elle s’est fidèlement inspirée de la Convention en la complétant (par exemple en ajoutant les droits sociaux) et en modernisant son contenu, mais sans modifier l’esprit fondamental ni les principaux droits déjà protégés par la CEDH.

Bref, dès le début et au fil des années, la CEDH est devenue le socle, en quelque sorte philosophique, de la construction européenne. Ce n’est pas rien ! Même si ce texte n’est pas encore vraiment connu par le grand public malgré de réels progrès.

Pour ma part, j’ai « découvert » tardivement la Convention lorsque j’ai pris mes fonctions de Secrétaire générale du Conseil de l’Europe en 1989, l’année de la chute du Mur de Berlin. Depuis lors, je n’ai cessé d’en découvrir la richesse et l’importance. C’est un très grand texte qui a joué un rôle essentiel et qui pourrait encore voir grandir son influence, si…

La CEDH a plusieurs facettes. Elle touche à plusieurs disciplines : l’Histoire, le Droit, la Philosophie, la Politique… N’étant moi-même ni historienne, ni vraiment juriste, ni philosophe, ni vraiment femme politique, je serai modeste dans mes analyses. Mais je suis heureuse de participer à l’anniversaire de ce texte, ne serait-ce que pour rappeler son importance et aider à conjurer, si possible, les menaces qui pèsent sur lui.

En vérité, aujourd’hui, la Convention est contestée. Si ces contestations devaient continuer, cela affaiblirait la force des droits de l’homme, et risquerait aussi de « déconstruire » l’Europe et d’avoir des conséquences néfastes sur l’ensemble de la planète. À nous de réagir avant l’irréparable.

I. L’Histoire

La Convention européenne des droits de l’homme est le fruit d’une longue histoire, très contrastée. Elle a ses racines dans un passé lointain chez les philosophes grecs et les religions monothéistes de Palestine, et un passé plus proche de nous. Pensons au XVIII siècle, à l’Habeas corpus en Angleterre ou à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en France au moment de la Révolution de 1789. C’est l’époque de Montesquieu, Voltaire, Rousseau… C’est l’époque où émergent les droits de l’homme et aussi les grands principes d’une démocratie pluraliste avec notamment le grand principe de la séparation des pouvoirs.

Mais, plus près de nous, au XX siècle, la CEDH est aussi le résultat de l’indignation soulevée par les régimes totalitaires de l’entre-deux-guerres, dans les années 30, avec leur cortège de racisme, de xénophobie, d’antisémitisme, d’absence de libertés individuelles et de pouvoirs sans limites du chef. La CEDH est en quelque sorte l’exact contraire de Mein Kampf et en complète opposition aux thèses belliqueuses de Hitler. Elle s’oppose aussi à Staline et à toute idée de dictature du prolétariat, car celle-ci est surtout une dictature et le prolétariat un sujet.

Les Pères fondateurs de l’Europe ont beaucoup réfléchi dans les années 30 et pendant la guerre. En 1950, ils sont convaincus que la paix ne pourra perdurer que si la démocratie pluraliste et les valeurs humanistes sont reconnues et respectées.

C’est la raison pour laquelle le premier texte important adopté au tout début de la construction européenne a été la Convention européenne des droits de l’homme[1]. La chronologie est importante. Souvent, on présente le Traité de Rome, grand texte économique, adopté en 1957, comme le premier texte de la construction européenne. C’est inexact. Les bâtisseurs ont commencé par construire le socle de l’édifice, les fondations de la maison. Et ce socle est un texte qui fait le choix clair d’une certaine philosophie politique exposée depuis longtemps par des écrivains, des intellectuels de haut niveau comme Stefan Zweig, Denis de Rougemont, Richard Coudenhove Kalergi, en France, Emmanuel Mounier et la Revue Esprit, etc. Ils rejoignaient les philosophes de l’Antiquité grecque et les courants religieux juif et chrétien ainsi que les philosophes du XVIIIe siècle. Tous défendent des valeurs humanistes, tous sont partisans de la démocratie pluraliste et tous espèrent la construction d’une Europe unie.

C’est ce courant de pensée qui va inspirer le Congrès de La Haye en 1948. Je cite un extrait du message aux Européens adopté à la fin du Congrès qui exprime bien l’état d’esprit des congressistes :

« Nous voulons une Europe unie… 

Nous voulons une Charte des droits de l’homme, garantissant les libertés de pensée, de réunion et d’expression, ainsi que le plein exercice d’une opposition politique ;

Nous voulons une Cour de justice capable d’appliquer les sanctions nécessaires pour que soit respectée la Charte, etc… »

C’est le Conseil de l’Europe, également proposé par le Congrès de La Haye, qui fut chargé de la rédaction de cette « charte » finalement adoptée sous la forme d’une Convention européenne c’est-à-dire d’un Traité international signé à l’époque par 13 pays.

Malheureusement pour ce texte fondateur, les années qui suivirent modifièrent son environnement. À l’image des États-Unis, grands vainqueurs de la guerre, et devenus première puissance mondiale, sous l’influence des pays protestants comme le dira Max Weber analysant les origines du capitalisme, et évidemment sous la nécessité de réparer les ruines laissées par la guerre, les opinions publiques vont se préoccuper d’abord des questions matérielles, c’est-à-dire de l’économie, de l’agriculture, de l’industrie, du commerce, de la finance, de la monnaie… Bref, le « matérialisme » va l’emporter sur la « spiritualité » et la CEDH va être un peu oubliée, marginalisée au Conseil de l’Europe, à Strasbourg. Sous les feux de la rampe, dans les médias, on parlera de préférence des dossiers économiques, de l’Union Européenne, bref de « l’Europe de Bruxelles ».

En 1989, et dans les années qui ont suivi, la CEDH a connu une extension considérable de son champ d’application et un regain de visibilité. Les pays de l’Europe Centrale ont tout de suite montré leur volonté d’entrer dans la famille européenne. Pour ce faire, ils devaient d’abord entrer au Conseil de l’Europe, pour ensuite pouvoir éventuellement devenir membres de l’Union Européenne. Entrer au Conseil de l’Europe impliquait d’adhérer à la CEDH et aux principes qu’elle défend. Ce qui fut fait.

J’ai le souvenir des entretiens que j’ai eus, à cette époque, avec les nouveaux dirigeants de ces pays, pour expliquer la signification de telle ou telle disposition de la Convention et les modifications qu’ils allaient devoir apporter à leur propre Constitution ou législation. C’est d’ailleurs, en grande partie, pour faire cette pédagogie que fut créée, en 1990, auprès du Conseil de l’Europe, la Commission de Venise composée de juristes venant de l’Europe de l’Ouest. La Commission de Venise avec les juristes du Conseil de l’Europe, a fait un travail remarquable.

C’est aussi à cette époque, en 1993, que le Conseil de l’Europe organisa à Vienne le premier Sommet des chefs d’États et de gouvernements. À cette occasion, l’équipe du Conseil de l’Europe utilisa le concept de « sécurité démocratique » signifiant par-là que la sécurité et la paix sur le continent n’étaient pas seulement l’affaire des organisations dédiées aux questions militaires comme l’OTAN, mais étaient aussi l’affaire du Conseil de l’Europe en tant que défenseur des valeurs humanistes et démocratiques qui sont nécessaires au maintien de la paix.

Mais, au fur et à mesure des adhésions nouvelles, des pays devenus membres du Conseil de l’Europe ont pu « surprendre » les observateurs. Des pays comme la Russie, l’Ukraine, les Républiques du Caucase… peuvent-ils vraiment s’engager à respecter les droits de l’homme tels que nous les concevons ? Leurs histoires sont différentes de la nôtre. Il en est de même de leurs traditions, de leurs cultures.

D’un côté, on ne peut que se réjouir de voir des pays de plus en plus nombreux adopter des principes qui nous semblent les meilleurs. Mais, d’un autre côté, on peut redouter que le socle sur lequel les Pères fondateurs ont bâti l’Europe ne s’effrite et fragilise l’édifice.

Quel est l’avenir de l’Europe ? On y réfléchit beaucoup aujourd’hui et l’histoire de la CEDH n’est certainement pas terminée…

II. Le droit

Le présent anniversaire est l’occasion de rappeler que la CEDH est un instrument juridique de première importance. Ici, il n’est pas question d’analyser ce monument juridique dans les détails, mais seulement de rappeler quelques grandes lignes qui expliquent l’intérêt que lui portent les juristes de tous les pays[2].

A. La force juridique de la CEDH

La CEDH, rédigée au sein du Conseil de l’Europe, est de même inspiration que la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies à la même époque en 1948, mais la force juridique des deux textes n’est absolument pas la même. Aux Nations Unies, c’est une « Déclaration d’intentions ». Au Conseil de l’Europe, c’est un véritable traité juridique qui a force obligatoire et doit être respecté par chaque pays qui l’a signé et ratifié. C’est une très grande satisfaction pour les défenseurs des droits de l’homme et c’est symboliquement la preuve d’un fort engagement des États.

Mais la CEDH est un traité international de type intergouvernemental : il ne s’applique qu’aux États qui l’ont signé et ratifié. Il en est de même des modifications et ajouts au texte initial qui doivent faire l’objet de protocoles applicables seulement aux pays ayant procédé à toutes les formalités de signatures et ratifications. Par exemple, ce fut le cas du Protocole N°6 qui abolit la peine de mort.

Cela la distingue clairement du texte des Nations Unies.

Mais cela la rapproche aussi, sur le plan juridique, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, aujourd’hui intégrée au Traité d’Amsterdam. Y a-t-il contradiction entre les deux textes ? Pas du tout. La Charte de l’Union Européenne s’est très fortement inspirée des grands principes reconnus par la CEDH.

À ce sujet, d’ailleurs, il a été envisagé depuis longtemps de faire adhérer l’Union européenne à la CEDH, mais en raison de querelles de juristes et de querelles entre la Cour de Luxembourg et la Cour de Strasbourg, pour l’instant, les hésitations se poursuivent.

B. Droits et Libertés reconnus

Le texte initial de la Convention complété par plusieurs Protocoles, reconnaît un grand nombre de droits et libertés qui sont même devenus des « classiques » dans tous nos pays.

À noter que les nouveaux Protocoles s’appliquent avec une portée différente selon les États concernés :

  • il y a tous les États du Conseil de l’Europe concernés, mais de loin, et qui n’ont pas forcément signé, ni ratifié le texte,

  • il y a ceux qui ont signé, mais pas encore ratifié,

  • il y a ceux qui ont signé et ratifié.

En définitive, aujourd’hui, la liste des droits et libertés reconnus et jouissant de la protection offerte par la CEDH, est longue et riche. On dira aussi quelques mots sur des droits nouveaux encore en discussion soit dans les opinions publiques, soit dans les gouvernements, soit à la Cour européenne des droits de l’homme elle-même.

Telle qu’elle est aujourd’hui, la CEDH (titre 1, articles 2 à 18) reprend les droits et libertés suivants : droit à la vie (complété par les protocoles 6 et 13) ; interdiction de la torture ou de peine ou traitement inhumain ou dégradant ; interdiction de l’esclavage ; interdiction du travail forcé ; droit à la liberté et la sûreté ; droit à un procès équitable ; droit au respect de la vie privée et familiale ; droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; liberté d’expression ; liberté de réunion et d’association ; interdiction de discrimination ; droit au respect de la propriété privée ; droit à l’instruction ; droit à des élections libres. Le Protocole n°4 a ajouté un véritable patchwork qui comprend entre autres la liberté de circulation et d’installation dans son propre pays…

Cette liste adoptée par tous les pays signataires a été élargie par la Cour européenne des droits de l’homme qui a toujours donné une interprétation souple des conditions dans lesquelles elle peut intervenir et du sens à donner aux différents droits reconnus par le texte.

Cela étant, la rédaction des articles concernant ces différents droits et libertés est toujours très prudente. En effet, les rédacteurs ont veillé à préserver les points de vue des États et la « susceptibilité » de ces derniers.

Ainsi, à titre d’exemple :

Article 10 : « Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises à un régime d’autorisation ».

Article 11 : « le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État ».

Article 15 : « en cas de guerre ou en cas d’autres dangers publics menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international ».

La liste des droits et libertés reconnus dans la Convention n’est jamais close. Mais parfois le choix est l’occasion de débats difficiles.

Personnellement, j’ai le souvenir du dossier brûlant sur les droits des minorités en particulier des minorités nationales.

Sur ce dossier l’Europe est coupée en deux.

D’un côté l’Europe Centrale réclame avec passion la reconnaissance de droits propres aux minorités nationales. C’est évidemment le cas de la Hongrie meurtrie par les Traités de Versailles et de Trianon, après la Première Guerre Mondiale, qui avaient « découpé » la Nation hongroise en morceaux rattachés aux différents pays limitrophes. Le peuple hongrois n’a jamais pardonné et réclame pour ses minorités des droits protecteurs.

L’Allemagne a également des minorités allemandes ici et là. Bref, l’Europe centrale a été partout le théâtre de changements de frontières qui ont laissé des traces douloureuses.

En face, les « contres » freinent pour des raisons diverses. Parmi ces « contres », la France se crispe sur le principe de la République Une et Indivisible et redoute les méfaits du communautarisme.

J’ai assisté sur ce thème à des réunions houleuses dans le cadre du Conseil de l’Europe et de l’Organisation sur le Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).

À ce jour, la reconnaissance des droits des minorités a été bloquée au sein des instances qui s’occupent de la Convention Européenne des droits de l’homme. Mais au sein du Conseil de l’Europe, une nouvelle Convention spécifique a été rédigée et adoptée par certains pays : la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, entrée en vigueur en 1998. Pour en faire la promotion et veiller à son respect, un comité d’experts a été créé sous l’autorité du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

Actuellement, tout le monde travaille sur un vaste secteur, nouveau et très important, celui des nouveaux moyens de communication avec l’arrivée du numérique et des nouvelles technologies. À l’évidence, cette révolution numérique a et aura des conséquences graves et nombreuses sur nos droits et libertés. Aujourd’hui, on ne compte plus les débats, conférences ministérielles et recommandations sur ces questions. En ce qui concerne la CEDH, c’est l’article 10 qui est concerné. Il porte sur « la liberté d’expression » et évoque de très nombreux problèmes qui seront surement examinés avec soin par la Cour européenne des droits de l’homme.

Aujourd’hui, nous ne sommes encore qu’au début du processus d’élaboration des règles pour trouver un bon équilibre entre la liberté d’expression des uns et la protection de la vie privée des autres.

C. La Cour européenne des droits de l’homme[3]

L’instauration de la Cour est certainement la décision la plus originale et la plus importante prise par la CEDH. En effet, la Cour est une véritable juridiction compétente pour juger des États et les obliger à réparer les dommages causés et éventuellement à dédommager financièrement les victimes. Or, les États ne sont pas des justiciables ordinaires. La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas d’équivalent dans le monde. Cette originalité et ses caractéristiques uniques expliquent que la Cour de Strasbourg suscite des appréciations contradictoires. Les défenseurs des droits de l’homme admirent et sont extrêmement attachés à son existence alors que les souverainistes et nationalistes s’offusquent et souhaiteraient lui « couper les vivres ».

1. Organisation de la Cour

Celle-ci a beaucoup changé depuis les premières années de fonctionnement de la Cour. En effet, la Cour a eu un très grand succès, presque un succès « populaire ». Cela a conduit à un engorgement de plus en plus insupportable et à la nécessité de réformes profondes pour alléger les procédures, modifier les organes, avec l’objectif de gagner du temps et de l’argent.

Les remarques qui suivent tiennent compte de ces réformes qui, évidemment, ont modifié l’organisation prévue à l’origine.

2. La saisine de la Cour

Rappelons d’abord que les requérants, quels qu’ils soient, doivent avoir épuisé toutes les voies de recours nationales avant de pouvoir saisir la Cour européenne.

La saisine de la Cour a été facilitée et élargie. À présent, la Cour peut être saisie par des « requêtes individuelles » (très exactement un recours peut être déposé par une personne, une ONG ou tout groupe de particuliers), ce qui permet à un simple particulier de bénéficier directement de la justice de la Cour. C’est un progrès considérable, mais évidemment cela explique aussi l’engorgement.

3. Le fonctionnement

En 1950, la CEDH avait prévu que l’intervention de la Cour proprement dite serait précédée d’un « tri sélectif » effectué par une Commission chargée d’examiner la recevabilité des requêtes, ce qui aboutissait à avoir une juridiction à deux degrés : la Commission puis la Cour. Le Protocole N°11, entré en vigueur en 1998, a supprimé la Commission. La Cour européenne est donc devenue une juridiction unifiée.

Elle fonctionne avec des juges (1 par pays membre) et travaille en formations de plus ou moins grande importance : juge unique, comités, chambres, Grande chambre, Assemblée plénière. Un juge unique peut se prononcer seul sur la recevabilité d’une requête.

Les juges travaillent aujourd’hui à plein temps et ne peuvent avoir aucune autre activité professionnelle. Ce sont des juristes de haut niveau qui, notamment les Présidents qui se sont succédé, ont beaucoup fait pour la notoriété dont jouit la Cour parmi les magistrats, les avocats et les universitaires du monde entier.

Aujourd’hui, les réformes intervenues pour changer l’organisation et les conditions de travail ont amélioré la situation et l’engorgement de la Cour. Mais, malgré ces réformes, la surcharge se poursuit. On réfléchit à de nouvelles réformes, mais les choix ne sont pas encore faits.

Quelques chiffres montrent la gravité de la situation :

Nombre d’affaires pendantes au 31 mai 2020 : 59 650, dont 13 800 contre la Russie, 9 700 contre la Turquie, 9 050 contre l’Ukraine, 8 150 contre la Roumanie, 3 250 contre l’Italie, 2 000 contre l’Azerbaïdjan…

On remarquera enfin que l’organisation de la Cour, telle que l’a fait la CEDH, texte d’origine et réformes confondus, a toujours veillé à l’indépendance des juges. Tout laisse penser que ce résultat est atteint. Toutefois, on doit remarquer que les États ne sont jamais très loin : les juges sont proposés par les États, sélectionnés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe ; enfin, c’est l’Assemblée parlementaire composée de parlementaires nationaux qui fait la dernière sélection et élit le juge de chaque pays.

De plus, ce sont les États qui doivent veiller à la bonne exécution des arrêts de la Cour. Or, tous les États ne sont pas toujours très zélés pour réparer les dégâts qu’ils ont causés en ne respectant pas tel ou tel droit reconnu par la CEDH. Il y a de très mauvais élèves…

Or, il faut bien rappeler que les arrêts de la Cour, qu’il s’agisse de modifier la législation ou de réparer les dommages causés à la victime, ont force obligatoire. Ne pas les respecter est une atteinte à l’état de droit. C’est évidemment très grave. Mais dans le cas des arrêts de la Cour européenne, il n’y a ni police, ni armée pour imposer par la force le respect de la sentence par l’État fautif… L’État peut être condamné juridiquement, « montré du doigt », mais il ne peut pas être obligé concrètement. La souveraineté de l’État n’a pas disparu.

4. La jurisprudence de la Cour

Sur la base du texte de la CEDH, les juges ont, la plupart du temps, fait preuve de liberté et d’audace en interprétant de façon large et souple, non seulement les procédures de saisine, mais aussi la liste et le contenu des droits protégés. Les défenseurs des droits ne s’en plaignent pas. Au contraire, mais ce sont les pouvoirs de ces juges internationaux qui suscitent le plus d’agacements et des critiques de la part de représentants politiques, même dans des pays se présentant en champions de la défense des droits de l’homme.

Je pense, par exemple, à la réaction d’un Premier ministre français qui, il y a quelques années, protestait contre la Cour de Strasbourg pour avoir condamné la France alors qu’elle n’était qu’une « juridiction internationale » et pour cela à ses yeux, incompétente pour juger la République !

Je pense aussi à des opinions exprimées ces dernières années, au Royaume-Uni, selon lesquelles les règles britanniques applicables en matière de droits de l’homme sont supérieures à celles édictées par la CEDH et la Cour européenne, en raison de leur ancienneté, de leur longévité, et de leur qualité. Et ce sont des Premiers ministres qui exprimaient ainsi l’idée que le Parlement britannique était souverain quitte à ne pas respecter « nos obligations internationales ». Cette opinion fut exprimée notamment à l’occasion des débats sur le droit de vote des prisonniers.

D. Le rayonnement de la CEDH et de la Cour

Au sein même du Conseil de l’Europe, la CEDH a eu et a toujours une très forte influence. Les droits de l’homme sont devenus - et de loin - la principale activité, la principale inspiration de tous les travaux de l’organisation.

Des bâtiments ont été construits, notamment le Palais des Droits de l’Homme, siège de la Cour, dont la construction fut supervisée par le président Mitterrand lui-même, soucieux que cette construction soit fidèlement adaptée à l’idée de clarté, de luminosité, d’ouverture que portent les concepts de droits de l’homme et de liberté.

Plusieurs organes ont été créés :

  • Le Commissaire aux droits de l’homme

  • La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), créée au Sommet de Vienne en 1993

  • La Direction des droits de l’homme par rapport aux autres directions a été renforcée.

De très nombreuses conventions ont été adoptées qui portent sur les droits de l’homme :

  • Charte sociale européenne (1961, révisée en 1996)

  • Convention européenne pour la prévention de la torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradants

  • Convention-cadre pour la protection des minorités (1994)

  • Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains etc….

Bref, de proche en proche, d’un texte à un autre, le Conseil de l’Europe a élargi le champ de ses actions dans le vaste domaine ouvert par la CEDH. Il y a un dossier dont il s’occupe depuis très longtemps, mais qui n’a pas fait l’objet d’un texte spécifique : c’est celui de l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais – semble-t-il – c’est au Conseil et par conséquent dans la sphère de la CEDH, que l’on a forgé le concept de parité, de démocratie paritaire. Le Conseil de l’Europe avait pris conscience que l’égalité de droit entre les hommes et les femmes était évidemment indispensable, mais que cela ne suffisait pas. Il fallait que les institutions, par souci démocratique, accueillent autant de femmes que d’hommes, autrement dit « la parité ».

Par ailleurs, la CEDH, par l’intermédiaire des arrêts de la Cour, est de plus en plus connue et appréciée par les juristes (magistrats, avocats, universitaires), par les ONG qui défendent les valeurs humanistes et, de plus en plus, par le grand public.

N’oublions pas non plus l’influence qu’a eue la CEDH sur l’Union Européenne lorsque celle-ci rédigea, pour son champ d’activités, sa Charte des droits fondamentaux. Ayant participé moi-même aux travaux d’élaboration de cette Charte, je peux témoigner du souci, qui s’est manifesté constamment, de ne jamais contredire la CEDH du Conseil de l’Europe et, au contraire, de s’en inspirer.

C’était évidemment une obligation pour que l’Europe tout entière montre un visage d’unité sur ses valeurs fondamentales.

III. La philosophie

Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée de construire une Europe unie n’était pas nouvelle. Depuis Charlemagne, certains en rêvaient. Tout le monde connaît les fameux « États-Unis d’Europe » de Victor Hugo. Mais les Pères de l’Europe, après la Seconde Guerre mondiale, avaient connu aussi, auparavant, des évènements très violents avec Hitler et le IIIème Reich, avec les régimes totalitaires de Mussolini en Italie, de Franco en Espagne, de Staline en Union Soviétique… Leurs expériences les avaient convaincus que, après la guerre, la priorité était, d’abord, de se mettre d’accord sur des valeurs communes, des principes fondamentaux sans lesquels la construction à laquelle ils rêvaient serait un fragile château de cartes.

Cela explique que la première tâche confiée au tout jeune Conseil de l’Europe ait été de rédiger la Convention européenne des droits de l’homme. Celle-ci n’est pas un texte neutre. Les rédacteurs du texte ont fait des choix nets et clairs. La nouvelle construction européenne devra respecter les valeurs humanistes c’est-à-dire l’état de droit, les libertés des individus et leurs droits fondamentaux, le pluralisme politique, etc.

La Convention européenne des droits de l’homme constitue le socle philosophique et moral de la nouvelle construction. À l’époque, cette philosophie politique semble faire l’objet d’un très large consensus au sein de l’Europe de l’Ouest.

Un des problèmes est qu’à la même époque, dans les années 1950, une autre question hante les esprits : celle de choisir pour l’avenir de l’Europe entre le fédéralisme et le souverainisme. La nouvelle construction européenne va-t-elle se contenter d’être une organisation interétatique, intergouvernementale ou va-t-on choisir de construire une formule supranationale ? Ce problème, pendant des années, va envahir la scène politique européenne : fédéralisme ou souverainisme.

Progressivement les milieux européens vont se polariser sur cette question, au point de négliger la dimension philosophique du projet. Cela se concrétisera dans un partage des tâches assez regrettable : l’Europe des valeurs sera cantonnée essentiellement à Strasbourg et le Conseil de l’Europe restera le gardien du temple, par contre, l’Europe moderne, vivante, celle qui s’occupera des questions économiques, du marché commun, celle qui utilisera les outils de type fédéral, se développera à Bruxelles dans la foulée du Traité de Rome.

La conséquence de cette évolution depuis 70 ans a été d’appauvrir, dans l’esprit des citoyens, l’image de ce qu’est vraiment le projet européen dans son sens profond et sa globalité. C’est aujourd’hui, sans doute, l’une des principales raisons du « désamour » dont est victime l’Europe dans l’esprit de nombreux concitoyens. Comment « aimer » une entité qui se présente principalement comme une machine institutionnelle pour ne pas dire bureaucratique, avec un projet sans âme ?

C’est la raison pour laquelle, en ce moment où les évènements nous obligent à réfléchir sur l’avenir de la construction européenne, il serait très souhaitable de parler encore plus qu’on ne l’a fait jusqu’à présent de la CEDH, et de la mettre davantage en valeur dans le grand public. Certes, le texte de la CEDH et la jurisprudence qu’il a suscitée sont de plus en plus connus et appréciés mais surtout par les spécialistes, les juristes, de nos différents pays. Fort bien. Mais il faudrait aussi que la CEDH soit connue et appréciée par l’ensemble de la population, ce qui est loin d’être le cas.

Enfin, au-delà de la connaissance du texte de la CEDH, toute réflexion sur l’avenir de l’Europe doit nous conduire à réfléchir sur les fondements philosophiques du projet européen lui-même. Va-t-on continuer à ne montrer que des objectifs économiques et matérialistes ou va-t-on insister sur des objectifs sociaux et spirituels pour lesquels, certes, on a besoin d’une économie prospère, mais non comme but ultime, mais comme instrument. Un instrument certes indispensable, mais au service d’un objectif encore plus ambitieux : le respect de la dignité humaine.

Cette réflexion a été menée, notamment dans les années 1980-1990, à l’époque de la chute du mur de Berlin lorsque les pays de l’Europe Centrale ont voulu rejoindre la famille européenne occidentale.

J’ai le souvenir des réflexions très profondes conduites par des personnalités comme Václav Havel, Bronislaw Geremek, Adam Michnik, etc. Leur désir d’Europe reposait d’abord sur leur soif de liberté et des droits humains avant le désir d’un meilleur niveau de vie. J’en étais arrivée à penser que l’on ne comprenait vraiment ce qu’est le projet européen que si on avait fait soi-même dix ans de prison pour raisons politiques…

C’est aussi la raison pour laquelle j’ai applaudi et soutenu l’initiative de la sociologue russe, Léna Némirovskaya, lorsqu’en 1990 elle me soumit le projet de créer à Moscou une École d’Études Politiques pour former des futurs étudiants et dirigeants de la nouvelle Russie, en leur enseignant ce que sont les droits de l’homme et la démocratie pluraliste.

Cette initiative a été un succès et, aujourd’hui, il y a 21 écoles de ce type dans les pays de l’ancienne Union soviétique et même au-delà[4].

Mais ce succès malheureusement ne veut pas dire que là où il y a une école, le pays connaitra et respectera automatiquement les droits et les libertés. Ce n’est pas suffisant. Mais cela signifie que ces connaissances de base, cette éducation sont absolument nécessaires pour qu’un pays puisse connaître un jour un régime respectant ces valeurs. Il en est de même pour que la construction européenne soit solide.

Le débat sur l’avenir de l’Europe pose de nouveau la question de savoir quel sens donner au projet européen? Quels sont les objectifs fondamentaux ? Quelle place donner aux valeurs humanistes ? Quel rôle accorder à la démocratie et comment la faire fonctionner ?

Ces questions nourrissent les débats.

Les auteurs sont nombreux à y participer. Pour se limiter à la France, je citerai d’abord une personnalité, malheureusement récemment décédée, devenue emblématique en raison d’un long parcours au service de l’idée européenne et des droits de l’homme, Stéphane Hessel. Je le cite, car tout jeune diplomate en 1948, il avait participé à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme à l’ONU et que, durant toute sa longue vie, il resta fidèle à cet idéal : l’Europe et les droits de l’homme intimement liés.

À ses côtés je citerai Edgar Morin qui a publié d’innombrables livres dans la ligne de l’un de ses premiers ouvrages Penser l’Europe. Le dernier en date s’intitule Changeons de voie, les leçons du coronavirus. On peut citer aussi les ouvrages de Marcel Gauchet, de l’équipe qui anime le Collège des Bernardins, de celle qui anime la Revue Esprit… J’ai une pensée particulière pour Jacques Derrida qui, après avoir été très eurosceptique, à la fin de sa vie dans son dernier entretien-testament, a reconnu que l’Europe, malgré les horreurs qu’elle avait commises, avait aussi été à l’origine de valeurs magnifiques au point que l’on pouvait dire avec fierté : « Nous les Européens ».

Du côté des responsables politiques, plusieurs noms viennent naturellement à l’esprit : Robert Schuman et la fondation qui porte son nom, aujourd’hui présidée par Jean Dominique Giuliani, Pierre Mauroy qui présida pendant longtemps la Fondation Jean Jaurès, Jacques Delors et les travaux de l’Institut qui porte son nom, Enrico Letta, ancien Président du Conseil Italien, aujourd’hui actuel président de Notre Europe Institut Jacques Delors. Aujourd’hui, en France on peut ajouter le Président de la République, Emmanuel Macron, qui se réclame des idées du philosophe Paul Ricoeur.

Particulièrement intéressantes sont les personnalités qui sont connues pour leurs parfaites connaissances des dossiers économiques et qui, aujourd’hui, rappellent avec vigueur la nécessité de revenir à une conception de l’Europe plus sociale et plus humaine que celle de ces dernières années. Je pense par exemple à Pascal Lamy, qui fut directeur de cabinet de Jacques Delors puis le Directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et qui aujourd’hui défend avec vigueur la nécessité de « civiliser » le projet européen.

Je pense aussi aux nombreux ouvrages publiés par Philipe Herzog, ancien professeur d’économie politique et ancien parlementaire européen. Dans ses nombreux ouvrages, l’auteur insiste sur le fait que le projet européen va bien au-delà des questions économiques, monétaires, financières, et qu’il est grand temps que la classe politique, toutes tendances confondues, renouvelle ses propositions sur l’avenir de l’Europe.

En définitive, la période actuelle est riche en réflexions, en débats sur la place et le rôle des valeurs fondamentales dans le futur de l’Europe.

IV. La Politique et les politiques

La CEDH est un texte juridique qui repose sur des valeurs philosophiques et qui est devenu un outil politique. Je dirai même parfois un outil de ce que l’on appelle de façon péjorative la « politique politicienne », bien loin des grands idéaux.

En 1950, le texte semble bénéficier d’un large consensus parmi les dirigeants des pays concernés. Mais, au fil du temps, ce consensus s’est effrité. Certes, officiellement, tous ceux qui voulaient entrer dans la famille européenne, d’abord en rentrant dans le Conseil de l’Europe, puis pour certains en entrant ensuite dans l’Union européenne, ont dû signer et ratifier la CEDH. Et ils l’ont fait, même la Fédération de Russie, même la Turquie. Mais aujourd’hui, les contestations se multiplient.

Certains hommes politiques ironisent sur les abus des « Droits-de-l’hommistes », sur les ONG qui manquent d’expérience et vivent dans leurs rêves. D’autres, hostiles à tout ce qui est supranational et européen, insistent sur les dangers de porter atteinte à la complète souveraineté des États y compris dans le domaine sensible des droits de l’homme. D’autres encore vont jusqu’à contester que les droits de l’homme soient des valeurs universelles non seulement à l’échelle de la planète, mais aussi à l’intérieur du continent européen. Bref, aujourd’hui, il serait sans doute difficile de faire signer et ratifier la CEDH par certains pays qui pourtant l’ont signée dans le passé.

1- Les contestations viennent d’un peu partout. Souvent, les opposants privilégient de s’attaquer principalement, non pas au texte de la Convention lui-même, mais à la Cour pour sa façon d’élargir la liste des droits protégés et d’assouplir les procédures de saisine au bénéfice des victimes. Évidemment, ces critiques sont particulièrement nombreuses dans les pays très souvent mis en cause, c’est-à-dire les pays de l’Europe de l’Est.

Mais, dans l’Europe de l’Ouest, les mouvements et partis politiques les plus conservateurs et les plus nationalistes expriment souvent leurs « agacements » voire leur totale opposition à certaines décisions de la Cour considérées comme trop « avant-gardistes ». Et on a vu plus haut que même dans les pays humanistes et démocratiques depuis longtemps, ce genre de critiques existe. Pensons par exemple aux questions relatives au mariage pour tous ou à la procréation médicalement assistée qui ont suscité des oppositions passionnées. Un exemple de cet esprit contestataire mettant en cause la CEDH et la jurisprudence de la Cour existe à Strasbourg même. Le Centre Européen pour la Justice et le Droit (ECLI) regroupe plusieurs mouvements et partis politiques réputés conservateurs et nationalistes. Ce Centre européen pour la Justice et le Droit en France est proche de la Manif pour tous. Il exprime avec vigueur son opposition à la Cour et l’accuse d’être sous l’influence d’étrangers mal intentionnés, les juges étant eux-mêmes accusés d’avoir reçu de l’argent venant également de l’étranger. Tout cela n’est pas sérieux et n’a pas été prouvé. Mais cela contribue à entretenir des débats dans des conditions malsaines et dégradantes.

2- Derrière ces débats, il y a la question évidemment fondamentale : quelle Europe voulons-nous ? Les réponses aujourd’hui portent sur différents points : quelle organisation lui donner (pouvoirs de la Commission, du Parlement, du Conseil européen, du Conseil des ministres), quel sens donner au projet européen, quel rôle donner respectivement à l’économie, au social, à l’humanisme ?

Au milieu de toutes ces questions, il y a celles dont on s’occupe en ce moment en liaison avec le 70e anniversaire de la CEDH : quelle place, quel rôle pour les valeurs humanistes dans l’Europe du futur ?

Cette question est abordée aujourd’hui en Europe par les plus hautes autorités politiques, de droite (tradition de la démocratie chrétienne) comme de gauche (socialiste et social-démocrate).

Pour ne citer que quelques noms, connus de tous, je pense à l’ancien Président du Conseil européen Herman Van Rompuy connu pour sa culture humaniste très profonde. Je pense aussi aux prises de position récentes de la nouvelle Présidente de la Commission Ursula van der Leyen, de la Chancelière allemande Angela Merkel, du Président de la République Française Emmanuel Macron, qui se réfère au philosophe Paul Ricoeur auprès duquel il travailla (comme indiqué plus haut). Jacques Delors malheureusement ne s’exprime plus guère, mais sa personne, son « oeuvre » si l’on peut s’exprimer ainsi, tout cela est imprégné de valeurs humanistes. Et l’on voit de plus en plus émerger le constat : oui, il faut réaffirmer et redéfinir le vrai sens politique du projet de la construction européenne, redonner une âme à la construction européenne en respectant les êtres humains et en respectant la planète. Mais ce dernier souhait déborde un peu le cadre de la CEDH

En définitive, en cette année 2020, nous sommes peut-être à un tournant important qui touche la CEDH malgré les apparences.

L’un des facteurs très récents qui pourrait favoriser ces changements est la pandémie causée par le coronavirus. L’Europe est évidemment concernée. Elle voit l’importance des problèmes de santé, de solidarité, de souffrance humaine, elle voit les conséquences économiques et politiques de ce drame sanitaire et humain et elle s’interroge. En Europe (et dans le reste du monde) ne s’est-on pas trompé, n’a-t-on pas fait un mauvais calcul, en oubliant que pour avoir une économie vraiment forte il fallait d’abord avoir une société respectueuse de justice sociale et de libertés et que faire des petites « économies » à tout prix pouvait entraîner un effet boomerang en détruisant des pans entiers de l’économie et en détruisant des pans entiers de la société. Destructions que l’on regrette à postériori…

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En définitive, en cette année 2020 dans laquelle nous célébrons le 70e anniversaire de la CEDH, l’Europe a toujours à choisir entre le respect de l’homme et… la Barbarie.