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Le thème central de cette publication, la démocratie, et plus particulièrement la démocratie internationale ou cosmopolitique, connait depuis les années 1990 une importante prolifération littéraire, notamment dans la communauté anglo-saxonne[1]. Ce développement a motivé la création du programme de recherche à l’origine de cette publication, un programme visant à conceptualiser la démocratie dite internationale ou cosmopolitique. L’ouvrage collectif La démocratie appliquée au droit international : de quoi parle-t-on?[2] est le fruit d’une journée d’étude organisée à l’Université de Cergy-Pontoise le 9 juin 2017. Ce colloque, réunissant divers auteurs participants à ce programme de recherche, est dirigé par Marie-Clotilde Runavot[3]. Le public cible de ce collectif se compose des étudiants, autant des milieux juridique et politique que philosophique, mais aussi des intellectuels et de tous ceux qui souhaitent approfondir leur connaissance du concept de démocratie. En effet, le vocabulaire, la division claire du colloque et l’articulation du propos rendent cette publication accessible à un très large public.

Le but de la journée d’étude est d’expliciter comment l’exercice du pouvoir international est réglé au nom de la démocratie internationale[4]. La piste de conclusion soulevée par plusieurs des auteurs émane du lien entre le droit international et la mondialisation, qui place la démocratie internationale comme une réaction ou encore une adaptation à cette dernière[5]. C’est donc par l’évaluation de l’utilisation de la notion de démocratie internationale dans les discours internationaux que les auteurs du colloque vont appréhender leurs conclusions. Bien que le livre recèle les textes de huit contributeurs différents, ayant chacun leur point de vue et leur spécialisation, le lecteur est en mesure de bien s’y retrouver par l’organisation claire et précise de l’ouvrage. C’est d’ailleurs l’une des forces de cette publication : la forme est bien ficelée de manière à faciliter le travail du lecteur. La démarche employée par les auteurs est donc surtout explicative et se base largement sur la littérature politique sur le sujet : rapports de Secrétaire général, résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies, publications de directeurs d’organisations internationales, etc. Les auteurs de l’ouvrage démontrent la pertinence d’expliciter et de conceptualiser la démocratie internationale par leur utilisation d’un nombre important de rapports d’organisations internationales, telle l’Organisation des Nations unies (ONU), qui attestent la nécessité de réduire la distance entre les individus et les instances de gouvernance internationales. Les auteurs s’appuient également sur une abondante littérature juridique et politique entourant le thème de la démocratie, ainsi que sur les auteurs classiques de la philosophie politique tels Aristote, Kant, Locke ou Rousseau. Le discours qui émane de cette publication est donc teinté d’idées politiques et philosophiques.

L’ouvrage se compose d’un « Rapport introductif : préliminaire conceptuel », d’une première partie « Démocratiser l’ordre international : les sens contemporains » et d’une seconde partie « La démocratie internationale : essence ou contre-sens ». La première partie se subdivise en deux sections : la première met l’accent sur l’orientation représentative, alors que la seconde traite de la tendance participative.

Le rapport introductif écrit par Marie-Clotilde Runavot met la table pour les autres contributions, en insistant sur le cadre conceptuel entourant la démocratie internationale. L’auteure élabore de prime abord ce qu’est la démocratie internationale, c’est-à-dire une nécessité, selon elle, de réduire la distance qui sépare les individus des instances de gouvernance internationales afin de placer ces derniers au coeur de l’exercice du pouvoir international[6]. Ensuite, Runavot appréhende ce qu’est l’objet d’analyse de l’ouvrage en distinguant deux voies qu’emprunte l’exercice du pouvoir démocratique : la voie participative et la voie représentative[7]. L’orientation représentative de la démocratie internationale peut alors être subdivisée en deux directions : les associations interparlementaires, telles l’Union interparlementaire (UIP), et les parlements internationaux, généralement intégrés à des organisations internationales[8]. L’auteure insiste sur le fait que la parlementarisation des relations internationales ne garantit cependant pas la démocratie représentative. Elle met ainsi de l’avant l’importance des mécanismes de démocratie participative qui convoquent la notion de « société civile internationale » (SCI)[9]. Runavot invoque finalement trois techniques participatives internationales : le recours à la participation de la SCI dans les instances de gouvernance internationales[10]; l’accountability[11], qui véhicule une double dimension : les institutions doivent rendre compte de leur pouvoir, mais aussi tenir compte du public affecté par la manière dont elles utilisent ce pouvoir; et finalement les partenariats public-privé[12], souvent utilisés dans le domaine de la santé mondiale.

Pierre-Marie Raynal[13], dans son « Préliminaire conceptuel : à propos de la démocratie (nationale) »[14], aborde la démocratie comme une référence incontournable en vue d’une légitimation politique. Raynal passe par la philosophie pour conceptualiser la démocratie en revisitant les écrits d’Hérodote, d’Hobbes, de Locke, de Kelsen, de Kant, etc. Selon l’auteur, toute prétention à la vérité scientifique de la démocratie est utopique et une approche prudentielle vis-à-vis la « beauté » et la « scientificité » de la démocratie est préférable[15]. Ce passage de la publication démontre l’importance de mettre de côté l’argument émotionnel qui entoure l’imaginaire radieux émanant de la démocratie. En effet, Raynal suggère que la démocratie est d’abord et avant tout un outil intellectuel servant la classification des régimes politiques : la monarchie, la tyrannie, l’aristocratie, l’oligarchie, la démocratie et l’ochlocratie[16]. L’auteur confronte également la définition classique de la démocratie à une définition plus contemporaine, ce qui insuffle une touche plus actuelle à une conceptualisation plutôt philosophique et politique. Selon Raynal, trois principes composent la définition contemporaine de la démocratie : le principe représentatif, le principe populaire et le principe libéral[17].

Les textes se retrouvant dans la première partie « Démocratiser l’ordre international : les sens contemporains » explorent les orientations représentative et participative de la démocratie internationale. Les auteurs tâchent d’expliciter les deux voies qui peuvent être empruntées pour mettre de l’avant la démocratie internationale, en s’appuyant sur l’exemple de l’Union interparlementaire (voie représentative) et sur la participation de la SCI aux institutions internationales (voie participative).

La sénatrice Michèle André[18], dans « L’Union interparlementaire, instrument de la diplomatie parlementaire »[19], suggère que l’Union interparlementaire constitue un levier privilégié pour élargir le rôle des parlements sur la scène internationale, une nécessité à l’heure de la mondialisation. La diplomatie parlementaire permettrait d’insuffler plus de démocratie aux relations internationales et au droit international, souvent monopolisés par les gouvernements[20].

Dans son deuxième texte de la publication, « L’Union interparlementaire et la parlementarisation de l’ONU »[21], Marie-Clotilde Runavot nuance la véritable place occupée par l’UIP. Cette dernière est en effet la représentante des représentants élus de façon démocratique à l’échelle nationale[22], mais elle demeure une organisation interétatique, dans laquelle les parlements représentent leur propre État[23]. Runavot suggère que l’UIP n’est qu’en fait qu’une nouvelle forme de représentation étatique plutôt qu’une véritable représentation de la SCI ou des peuples nationaux[24], ce qui n’en fait pas un outil de démocratie internationale.

Pour clore la section sur la tendance représentative, Martin Quesnel[25], dans « Les parlements internationaux et l’exercice du pouvoir normatif international »[26], avance que les parlements internationaux visent maintenant un rôle de véritable législateur et que la conquête ardue d’un pouvoir normatif par ces derniers démontre l’importance d’un tel pouvoir pour leur consécration[27]. C’est avec un regard critique que l’auteur énonce que tant que le droit international sera conçu comme un droit interétatique, le pouvoir normatif ne pourra pas outrepasser les limites des instances gouvernementales. Quesnel conclut donc que les parlements internationaux jouissent d’une légitimité dans l’exercice du pouvoir normatif, bien que cela ne garantisse pas l’émergence d’une opinion publique transnationale se rapprochant réellement d’une démocratie internationale[28].

Patrick Jacob[29], dans son texte « Démocratie et participation aux institutions internationales »[30], explore la tendance participative de la démocratie internationale au sein des institutions internationales. Bien que la participation des individus ou de la SCI renforce la démocratie internationale, Jacob met de l’avant les nombreuses limites qui sous-tendent cette avancée. Il s’agit notamment de l’objection cosmétique[31], de la représentativité des acteurs non étatiques, de la procédure de désignation de ces derniers, des critères de participation et de la concurrence des légitimités.

Les textes de la deuxième partie intitulée « La démocratie internationale : essence ou contresens ? » tâchent de mettre en lumière les sens de la démocratie internationale en droit international. Cette section de la publication est de nature davantage théorique, car elle interroge les significations, les définitions et l’utilisation du concept de démocratie internationale.

Olivier de Frouville[32], dans son texte « Vers une théorie démocratique du droit international »[33], propose la démocratie internationale comme cadre théorique pour concevoir le droit international de manière plus transitionnelle. Le droit international public devrait donc, pour reprendre les idées de Kant, être plus cosmopolitique, et son fondement devrait être, selon de Frouville, le principe d’autonomie et non plus la souveraineté des États.

Dans le texte « La démocratie comme outil de réforme des organisations internationales ? »[34], Makane Moïse Mbengue[35] suggère que la démocratisation est un instrument incontournable de la réforme des organisations internationales. Elle avance que la démocratisation est aujourd’hui un discours rhétorique dont la concrétisation passe par la mise en place de plusieurs éléments qui pourraient permettre aux organisations internationales d’être plus performantes tout en contribuant à leur réforme[36]. Il s’agit notamment d’associer des acteurs non étatiques aux travaux des organisations internationales, car les États ne sont plus seuls et que la SCI occupe une place trop importante pour être négligée[37].

Niki Aloupi[38], dans « Une rhétorique de la mondialisation? »[39], replace le discours sur la démocratie internationale dans son contexte socio-économique. Ce discours serait en fait une réponse à la mondialisation, même une possible gouvernance de la mondialisation. Cependant, la rhétorique démocratique dans les discours sur la mondialisation traduirait plus une démocratisation des valeurs que des sources formelles du droit international[40]. Il s’agirait donc plutôt de choix étatiques démocratiques dans leurs valeurs que d’une réelle démocratie internationale.

Cette dernière contribution amène de judicieuses pistes de réflexion et un jugement critique apprécié pour boucler la lecture. L’utopie, cette beauté fictive non scientifique, émane du thème de la démocratie internationale et se retrouve à certains passages dans les textes qui composent le livre. La force de plusieurs des textes publiés est de déconstruire cette utopie pour mettre de l’avant l’importance de la réalité et de la prudence dans la réflexion sur la démocratie internationale. Un bémol de cette publication relève d’une tendance chez les auteurs à adopter une vision eurocentrée ou occidentalocentrée, sans mettre de l’avant la vraie réalité des relations internationales et du droit international. Le centre d'intérêt est mis majoritairement sur l’ONU, l’Union européenne et l’Union interparlementaire, alors que l’Union africaine ou les pays asiatiques sont pratiquement absents de la publication. Une perception réellement internationale aurait certainement bonifié le propos du livre, si près de la réalité actuelle avec les thèmes de la mondialisation et de la démocratie internationale. Cependant, ce point faible est compensé par la pertinence de la réflexion qui est à la base de cette publication. En effet, le thème choisi ne saurait être plus actuel, notamment avec toutes les remises en question et les propositions de réforme qui planent sur les plus grandes organisations internationales. Il est judicieux de se questionner sur la place de la démocratie en droit international et cette publication contribue assurément à la réflexion de manière claire, organisée, nuancée et accessible.