Des études abondantes de la micro- et de la macro-variation linguistique, la quête suivie des invariants à travers les langues naturelles ainsi que la recherche extensive en acquisition du langage ont démontré qu’il y a des relations asymétriques entre les éléments d’une même grammaire aussi bien qu’entre grammaires différentes. Ces relations asymétriques, souvent postulées en termes de hiérarchies et de géométries, constituent un objet important de recherche dans la linguistique théorique actuelle. Un des points tournants dans le développement de la linguistique moderne a été l’invention de la matrice de traits binaires en phonologie. Cependant, la représentation des traits en termes des matrices plates, sans structure interne, avec la sous-spécification binaire des valeurs grammaticales, amenait inévitablement à la génération de paradigmes et d’inventaires non attestés dans les langues naturelles. Le problème de la surgénération a été renforcé par l’impossibilité d’inscrire les relations implicationnelles entre certains traits (les cas où la présence d’un trait A implique forcément la présence ou l’absence d’un trait B) au sein de la matrice même. La nécessité de postuler une représentation structurale (géométrique) des traits (d’abord phonologiques) qui démontrerait le rapport entre les composants et expliquerait des processus linguistiques devient de plus en plus pertinente, et dépasse maintenant la phonologie pour se faire sentir dans les différents domaines de la linguistique contemporaine. Bousculée par les faits de l’harmonisation, de l’assimilation, de la prosodie, la phonologie générative a été la première à subir le coup des modifications cruciales survenues avec les travaux de Clements 1985, Sagey 1986, Avery et Rice 1989, Rice et Avery 1993, Rice 1994, 1999; Dresher 1998, parmi d’autres. Les géométries des traits, conçues originalement comme une représentation hiérarchisée des traits phonologiques, s’étendent à la représentation structurale des traits morphosyntaxiques, comme l’attestent les travaux écrits depuis Bonet 1991, 1994, 1995. Une géométrie universelle des traits morphosyntaxiques, telle que proposée récemment par Harley et Ritter 2002, permet de dériver la hiérarchie linéaire des traits postulée par Noyer 1997 et donne une représentation naturelle des universaux morphologiques de Greenberg 1963. Dans la syntaxe minimaliste, la façon dont les traits sont structurés dans le noeud terminal d’une structure syntaxique peut jouer un rôle important pour les opérations de vérification postulées dans ce cadre. Cowper 1999 et Béjar 1999, 2000, entre autres, proposent d’expliquer la notion d’(in)interprétabilité des traits en fonction de leur organisation géométrique. En syntaxe, les traits peuvent s’organiser dans une relation hiérarchique non seulement à l’intérieur d’une tête, mais aussi dans une relation syntaxique qui relie deux têtes structurellement éloignées. Par exemple, dans l’accord à distance tel que présenté par Chomsky 2000, 2001, les traits de genre et de nombre d’une catégorie flexionnelle ciblent une tête nominale qui contient le trait de Cas, alors que la relation inverse, où le Cas ciblerait les traits de genre et de nombre, n’est pas postulée. À part les traits morphosyntaxiques, la notion de hiérarchie peut jouer un rôle important dans les relations anaphoriques (relations de liage) et les relations entre le prédicat et ses arguments, contraintes dans une certaine mesure par des hiérarchies thématiques ou sémantiques comme celles proposées par Grimshaw 1990 ou par Jackendoff 1990. La question est donc de savoir s’il est possible de réduire ces hiérarchies sémantiques à des relations et à des opérations syntaxiques primitives. Les contraintes grammaticales peuvent aussi avoir une organisation hiérarchique. Cette idée est fortement incorporée dans la théorie de l’Optimalité (en abrégé TO), où les hiérarchies des contraintes constituent en fait la grammaire d’une langue, de sorte que les agencements différents des mêmes contraintes peuvent donner des produits propres aux dialectes et langues différents (Archangeli et Langendoen 1997). Dans cette …
Appendices
Références
- Archangeli, D. et D. T. Langendoen 1997 Optimality Theory : an Overview, Oxford, Blackwell.
- Avery, P. et K. Rice 1989 «Segment structure and coronal underspecification», Phonology 6 : 179-200.
- Béjar, S. 1999 «Structural markedness and Minimalist checking theory», dans S. F. Bird, A. Carnie, J. D. Haugen et P. Norquest, Proceedings of the 18th West Coast Conference on Formal Linguistics, Somerville (Mass.), Cascadilla Press, p. 27-42.
- Béjar, S. 2000 «Structural Markedness in Formal Features : Deriving Interpretability», dans D. Heap et J. Ndayiragije, Traits et interfaces, numéro de la Revue québécoise de linguistique 28-1 : 47-72.
- Bonet, E. 1991 Morphology after Syntax : Pronominal Clitics in Romance, thèse de doctorat, Massachusetts Institute of Technology.
- Bonet, E. 1994 «The Person-Case Constraint : A Morphological Approach», MIT Working Papers in Linguistics 22 : 33-52.
- Bonet, E. 1995 «The feature structure of Romance Clitics», Natural Language and Linguistic Theory 13 : 607-647.
- Chomsky, N. 2000. «Minimalist Inquiries : The Framework», dans R. Martin, D. Micheals et J. Uriagereka, Step by Step, Cambridge (Mass.), MIT Press, p. 89-147.
- Chomsky, N. 2001. «Derivation by Phase», dans M. Kenstowicz, Ken Hale : A Life in Language, Cambridge (Mass.), MIT Press, p. 1-53.
- Clements, G. N. 1985 «The geometry of phonological features», Phonology Yearbook 2 : 225-252.
- Cowper, E. A. 1999 «Feature Geometry and Verbal Inflection», Toronto Working Papers in Linguistics 17.
- Dresher, E. 1998 «Contrast in Inventories», communication présentée à l’atelier Montréal-Ottawa-Toronto, Université d’Ottawa.
- Dresher, E., G. Piggott et K. Rice 1994 «Contrast in Phonology : Overview», Toronto Working Papers in Linguistics 13 : 3-27.
- Greenberg, J. 1963 «Some universals of grammar with particular reference to the order of meaningful elements», dans J. Greenberg, Universals of language, Cambridge (Mass.), MIT Press, p. 73-113.
- Grimshaw, J. 1990 Argument structure. Cambridge (Mass.), MIT Press.
- Hale, K. et S. J. Keyser 1993 «On argument structure and the lexical expression of syntactic relations», dans K. Hale et S. J. Keyser, The view from Building 20 : Essays in Linguistics in Honor of Sylvain Bromberger, Cambridge (Mass.), MIT Press, p. 53-109.
- Harley, H. et E. Ritter 2002 «Person and Number in Pronouns : A Feature-Geometric Analysis», Language 78 : 482-526.
- Jackendoff, R. S. 1990 Semantic structures, Cambridge (Mass.), MIT Press.
- Kager, R. 1999 Optimality Theory, Cambridge University Press.
- Lasnik, H. 1999 «Chains of argument», dans S. D. Epstein et N. Hornstein, Working Minimalism, Cambridge (Mass.), MIT Press, p. 189-215.
- Noyer, R. 1997 Features, positions, and affixes in autonomous morphological structure, New-York, Garland Press.
- Rice, K. 1994 «Peripheral in Consonants», dans Revue canadienne de linguistique 39 : 191-216.
- Rice, K. 1999 «Featural markedness in phonology : variation» Glot International 4.7 : 3-6 (1re partie), 4.8 : 3-87 (2e partie).
- Rice, K. et P. Avery 1993 «Segmental complexity and the structure of inventories» Toronto Working Papers in Linguistics.
- Sagey, E. 1986 The representation of features and relations in nonlinear phonology, thèse de doctorat, Massachusetts Institute of Technology.