Présentation

Hiérarchies et géométries[Record]

  • David Heap,
  • Svetlana Kaminskaïa,
  • Yahor Tsedryk and
  • Barbara White

Des études abondantes de la micro- et de la macro-variation linguistique, la quête suivie des invariants à travers les langues naturelles ainsi que la recherche extensive en acquisition du langage ont démontré qu’il y a des relations asymétriques entre les éléments d’une même grammaire aussi bien qu’entre grammaires différentes. Ces relations asymétriques, souvent postulées en termes de hiérarchies et de géométries, constituent un objet important de recherche dans la linguistique théorique actuelle. Un des points tournants dans le développement de la linguistique moderne a été l’invention de la matrice de traits binaires en phonologie. Cependant, la représentation des traits en termes des matrices plates, sans structure interne, avec la sous-spécification binaire des valeurs grammaticales, amenait inévitablement à la génération de paradigmes et d’inventaires non attestés dans les langues naturelles. Le problème de la surgénération a été renforcé par l’impossibilité d’inscrire les relations implicationnelles entre certains traits (les cas où la présence d’un trait A implique forcément la présence ou l’absence d’un trait B) au sein de la matrice même. La nécessité de postuler une représentation structurale (géométrique) des traits (d’abord phonologiques) qui démontrerait le rapport entre les composants et expliquerait des processus linguistiques devient de plus en plus pertinente, et dépasse maintenant la phonologie pour se faire sentir dans les différents domaines de la linguistique contemporaine. Bousculée par les faits de l’harmonisation, de l’assimilation, de la prosodie, la phonologie générative a été la première à subir le coup des modifications cruciales survenues avec les travaux de Clements 1985, Sagey 1986, Avery et Rice 1989, Rice et Avery 1993, Rice 1994, 1999; Dresher 1998, parmi d’autres. Les géométries des traits, conçues originalement comme une représentation hiérarchisée des traits phonologiques, s’étendent à la représentation structurale des traits morphosyntaxiques, comme l’attestent les travaux écrits depuis Bonet 1991, 1994, 1995. Une géométrie universelle des traits morphosyntaxiques, telle que proposée récemment par Harley et Ritter 2002, permet de dériver la hiérarchie linéaire des traits postulée par Noyer 1997 et donne une représentation naturelle des universaux morphologiques de Greenberg 1963. Dans la syntaxe minimaliste, la façon dont les traits sont structurés dans le noeud terminal d’une structure syntaxique peut jouer un rôle important pour les opérations de vérification postulées dans ce cadre. Cowper 1999 et Béjar 1999, 2000, entre autres, proposent d’expliquer la notion d’(in)interprétabilité des traits en fonction de leur organisation géométrique. En syntaxe, les traits peuvent s’organiser dans une relation hiérarchique non seulement à l’intérieur d’une tête, mais aussi dans une relation syntaxique qui relie deux têtes structurellement éloignées. Par exemple, dans l’accord à distance tel que présenté par Chomsky 2000, 2001, les traits de genre et de nombre d’une catégorie flexionnelle ciblent une tête nominale qui contient le trait de Cas, alors que la relation inverse, où le Cas ciblerait les traits de genre et de nombre, n’est pas postulée. À part les traits morphosyntaxiques, la notion de hiérarchie peut jouer un rôle important dans les relations anaphoriques (relations de liage) et les relations entre le prédicat et ses arguments, contraintes dans une certaine mesure par des hiérarchies thématiques ou sémantiques comme celles proposées par Grimshaw 1990 ou par Jackendoff 1990. La question est donc de savoir s’il est possible de réduire ces hiérarchies sémantiques à des relations et à des opérations syntaxiques primitives. Les contraintes grammaticales peuvent aussi avoir une organisation hiérarchique. Cette idée est fortement incorporée dans la théorie de l’Optimalité (en abrégé TO), où les hiérarchies des contraintes constituent en fait la grammaire d’une langue, de sorte que les agencements différents des mêmes contraintes peuvent donner des produits propres aux dialectes et langues différents (Archangeli et Langendoen 1997). Dans cette …

Appendices