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La compréhension des pressions exercées dans notre lointain passé peut nous guider dans notre voyage [dans la vie et vers le bonheur] et comprendre pourquoi il y a autant de difficultés sur la route

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Né en Alaska, William von Hippel a fait ses études aux États-Unis. Après quelques années d’enseignement à l’Université d’État de l’Ohio, il s’est installé à Brisbane (Australie) où il enseigne à la prestigieuse Université du Queensland. Il a publié un grand nombre d’articles et de chapitres portant sur la psychologie évolutionniste. Que nous apporte son ouvrage sur la vie sociale au cours de l’évolution?

DE LA FORÊT À LA SAVANE

Il y a environ 6-7 millions d’années, nos ancêtres lointains ont quitté la vie tranquille de la forêt. En fait, ils ont été « chassés du paradis » par le déplacement des plaques tectoniques qui a créé la Ryff Valley (Afrique de l’Est) et a provoqué la disparition progressive de la forêt. Arrivés dans la savane, ces australopithèques ont évolué par la force des choses : par exemple, changement d’alimentation et défense contre les grands prédateurs. Ils se sont adaptés à ce nouvel environnement, ont survécu et se sont reproduits, comme en témoignent les restes de Lucy découverts en 1974, en Éthiopie, et datant d’environ 3,5 millions d’années.

Ayant adopté – au cours des millénaires – la stature debout, Homo Erectus a créé des outils, inventé la division du travail, utilisé le feu. Ces chasseurs-cueilleurs ont inventé la coopération dans le groupe ou la tribu, une caractéristique à peu près absente chez les autres primates. Ce « saut social » (social leap) - une vraie révolution – a contribué considérablement au développement du cerveau et a changé la destinée de nos ancêtres et la nôtre. Les progrès réalisés par Homo Erectus et l’augmentation du nombre d’individus les ont incités à agrandir leur territoire et à « sortir de l’Afrique ». Ce fut le début de la colonisation du monde.

Au cours de ces six millions d’années, le cerveau s’est développé : de 380 grammes chez le Chimpanzé, à 450 grammes chez l’Australopithèque, à 960 grammes chez Homo Erectus et, enfin, à celui d’Homo Sapiens (apparu il y a 200,000 ans) qui est de 1,350 grammes (poids approximatif de notre cerveau).

L’AGRICULTURE

Les chasseurs-cueilleurs ont progressivement cultivé quelques céréales, ont diminué leur nomadisme, ont augmenté le nombre d’individus dans leurs communautés, de sorte que l’agriculture est apparue il y a environ 12,000 ans. Étape importante dans l’histoire de l’humanité, l’agriculture et l’élevage ont exigé encore des adaptations considérables. Cette période a apporté des avantages (par exemple, plus de stabilité), mais des coûts nombreux et onéreux : manque d’hygiène et proximité avec les animaux domestiques qui causent des maladies, travail long et épuisant, espérance de vie moindre et apparition des inégalités de richesses et de statut. L’auteur conclut que l’agriculture a été difficile pour les individus, mais a apporté du progrès pour l’ensemble (par exemple, les grands travaux de drainage et la construction des villes).

SURVIE ET REPRODUCTION

La théorie de Darwin stipule que la sélection naturelle se produit en vue de la survie, ceux qui s’adaptent ayant plus de chances de vivre plus longtemps. Mais ce grand chercheur a observé que certains faits semblaient contredire sa théorie. Il disait : « Quand je vois un paon, cela me rend malade ». En effet, le paon, avec sa longue queue, peut difficilement se cacher des prédateurs et pourtant elle n’est pas disparue au cours de l’évolution. Même si elle représente un défi pour sa survie, ce magnifique appendice constitue un grand avantage pour sa reproduction, car la femelle choisit celui qui a la queue la plus prestigieuse. Darwin s’est donc rendu compte que la survie a de l’importance en autant qu’elle favorise la reproduction, parce que les gènes « veulent » se reproduire même au désavantage de celui ou celle qui les porte.

La reproduction s’avère également importante pour les humains depuis toujours, d’où le désir sexuel et d’où la compétition pour l’obtention d’un partenaire. En effet, chaque individu s’efforce d’attirer quelqu’un de l’autre sexe en montrant les caractéristiques valorisées par ceux de ce sexe et de posséder ces caractéristiques à un degré supérieur à son voisin du même sexe. C’est la sélection sexuelle. D’observation courante, cette théorie a été démontrée par plusieurs études. Celle de R. Ronay et von Hippel[1] est ingénieuse et significative. Ces chercheurs ont montré que des jeunes qui pratiquent la planche à roulettes font preuve d’un niveau plus élevé de testostérone et prennent plus de risques devant une expérimentatrice attrayante que devant un expérimentateur masculin. Devant la prise de risque fréquente et dangereuse, certains observateurs ont parlé de la « stupidité des jeunes mâles ».

Pour comprendre comment les communautés anciennes ont évité les relations sexuelles entre proches parents (inbreeding), on a examiné les dents des restes humains trouvés sur de nombreux sites archéologiques. On savait que dans certaines ethnies, les jeunes femmes quittent le groupe pour aller trouver un partenaire dans un autre groupe. Dans d’autres ethnies, ce sont les jeunes hommes qui partent. Ces façons de faire se pratiquent également chez d’autres primates. On a donc mesuré le niveau de strontium des dents trouvées. Si la composition des dents d’un individu est semblable à celle des autres individus de la région, c’est que la jeune personne n’est pas une immigrée. Si, au contraire, le niveau de strontium est différent, c’est que la jeune personne a changé de communauté après l’enfance. Puisque les dents des femmes sont légèrement plus petites que celles des hommes, on sait alors de quel genre il s’agit.

ÉVOLUTION ET BONHEUR

Le bonheur est le fruit de l’adaptation. Il est donc possible de penser que nos ancêtres lointains ont été heureux puisqu’ils ont survécu et se sont reproduits. C’est ce qui fait dire au professeur Lykkens que nous, aujourd’hui, faisons partie d’une « lignée heureuse ». Par ailleurs, le bonheur nous motive à faire des choses facilitant la reproduction, mais il ne constitue pas un but final, puisque nous le sacrifions parfois pour d’autres buts, comme effectuer certains apprentissages exigeants, s’engager dans sa communauté ou s’efforcer de surpasser les voisins.

Pour s’approcher du bonheur, W. von Hippel propose dix éléments de réflexion en s’inspirant de l’approche de la psychologie évolutionniste.

  1. Vivre dans le moment présent.

  2. Accepter le fait que nous ne pouvons pas être heureux en permanence.

  3. Compter sur le fait que le bonheur protège la santé (et vice versa).

  4. Accumuler des expériences plutôt que des biens.

  5. Donner priorité aux proches et aux amis (relations sociales et intimes).

  6. Pratiquer la coopération qui est extrêmement importante (avec ses corollaires, l’altruisme et la compassion).

  7. S’engager dans la communauté.

  8. Apprendre de nouvelles choses.

  9. Utiliser nos forces personnelles.

  10. S’abreuver aux sources originelles comme la famille (attention aux multiples gadgets non nécessaires).

APPRÉCIATION

Le présent ouvrage porte fondamentalement sur l’importance des relations sociales, de l’appartenance à un groupe, et cela, tout au long de l’évolution humaine. À part la puissance de nos habiletés cognitives, la coopération est ce qui nous distingue des autres primates chez qui cette forme de vivre ensemble est peu ou pas présente. Ce « saut social » a contribué au progrès de notre espèce et au développement de notre cerveau.

The social leap conviendra aux étudiants en sciences humaines, à leurs professeurs et aux personnes cultivées[2] qui s’intéressent à l’évolution de notre espèce. S. Lyubomirsky a raison d’écrire : « von Hippel offre un aperçu hors pair de la vie de nos ancêtres et, dès lors, de la nôtre ».

Nos ancêtres ont réussi dans la savane [et ailleurs] malgré le fait qu’ils
étaient petits, lents et faibles parce qu’ils ont développé la capacité
incroyablement efficace de travailler ensemble

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