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Au Canada, 57 % des personnes âgées de 15 ans et plus, sont mariées (45 %) ou en union libre (12 %; Statistique Canada, 2020). Cependant, un nombre important de ces unions se solderont par un divorce (43 %) ou une séparation (85 %) avant que les partenaires ne puissent fêter leur 10e anniversaire de mariage ou d’union libre (Statistique Canada, 2019). Or, si le fait d’être en couple représente un déterminant du bien-être des partenaires (Grover et Helliwell, 2019; Misheva, 2016) et amenuise les risques de problèmes de santé mentale et physique (Zella, 2017), la dissolution de l’union conjugale est plutôt associée à un déclin de la santé mentale et physique des partenaires (Wu et Hart, 2002; Zella, 2017) et de leurs enfants (Auersperg et al., 2019; Sands et al., 2017), ainsi qu’à un appauvrissement (Institut de la statistique du Québec, 2012) pouvant notamment être relié aux coûts élevés rattachés au divorce (Schramm, 2006; Schramm et al., 2013).

En plus des répercussions négatives liées à l’instabilité des unions, la faible satisfaction conjugale est également associée à une augmentation de problèmes psychologiques et physiques chez les partenaires. En effet, une étude menée auprès de 2 033 participants représentatifs de la population américaine, et suivis sur une période de 12 ans, a révélé que les individus les plus insatisfaits de leur relation conjugale, mais demeurant mariés, étaient susceptibles d’être moins heureux dans la vie en général, d’avoir une plus faible estime de soi et de présenter une plus faible santé mentale et physique que les individus plus satisfaits de leur relation ou ayant divorcé sans s’être remariés (Hawkins et Booth, 2005).

Ainsi, l’étude des facteurs liés à la satisfaction conjugale et à la stabilité des unions est essentielle afin de prévenir ces conséquences délétères sur la santé mentale et physique des partenaires et de leurs enfants. Parmi ces facteurs, une recension de 115 études longitudinales regroupant plus de 45 000 couples mariés a révélé que les comportements positifs et négatifs adoptés par les partenaires durant les conflits conjugaux étaient les variables les plus fortement corrélées à la satisfaction et à la stabilité conjugale (Karney et Bradbury, 1995). Une étude approfondie des processus intra- et interpersonnels, expliquant comment ces variables contribuent à la satisfaction et à la stabilité conjugale, pourrait donc permettre de prévenir la détresse au sein des couples.

Satisfaction et stabilité conjugale

Un examen de la littérature scientifique montre que la satisfaction conjugale est l’un des construits les plus étudiés en lien avec le fonctionnement conjugal (Clements et al., 1997; Fincham et al., 2018). Bien que la satisfaction conjugale soit l’une des variables les plus fortement corrélées à la stabilité conjugale, il convient néanmoins de les examiner distinctement en raison de leur force d’association moyenne à faible (Karney et Bradbury, 1995) et de leur différence sur le plan conceptuel. En effet, la satisfaction conjugale se définit comme étant une attitude concernant la qualité de la relation conjugale et se caractérise par un processus qui est susceptible de changer avec le temps (Clements et al., 1997). La stabilité conjugale réfère plutôt au maintien de la relation amoureuse caractérisé par une absence de séparation (Karney et Bradbury, 1995) ou à la propension des partenaires à envisager une rupture (Amato et al., 2003; Booth et al., 1983; Yucel, 2016). Mesurer l’instabilité relationnelle alors que la relation est maintenue permet d’observer les signes précurseurs de la séparation liés à l’intention de rompre, plutôt que la conséquence de cette intention liée à la séparation des partenaires (Booth et al., 1983). Ainsi, la satisfaction et la stabilité conjugale sont à la fois distinctes et interreliées, permettant aux chercheurs d’examiner la qualité de la relation conjugale sous divers angles convergents.

Stratégies de gestion de conflits (SGC) et qualité de la relation conjugale

Les SGC sont la plupart du temps différenciées et regroupées dans la littérature empirique selon leurs répercussions positives ou négatives sur le partenaire, l’issue du conflit, la satisfaction conjugale et la dissolution de l’union (voir Gottman et Gottman, 2017). Plus spécifiquement, une stratégie positive réfère généralement à un comportement qui permet de favoriser l’échange, la compréhension mutuelle et la recherche de solutions équitables pour les deux partenaires (p. ex., compromis et communication intégrative), alors qu’une stratégie négative mène plutôt à l’évitement du dialogue, une attitude défensive et à l’impasse quant à la proposition de solutions pour résoudre le conflit (p. ex., critique, attitude défensive, mépris, évitement).

Il semble toutefois que l’opérationnalisation des construits et les méthodes utilisées par les chercheurs pour mesurer ces stratégies diffèrent d’une étude à l’autre. Par exemple, Gottman et ses collègues ont réalisé plusieurs études longitudinales de nature observationnelle visant à examiner les affects positifs (p. ex., joie, humour, affection, validation, intérêt), négatifs (p. ex., mépris, dégoût, défensive, colère, évitement, domination, tristesse) et neutres exprimés par des couples qui tentaient de résoudre un conflit en laboratoire (Carrère et Gottman, 1999; Gottman et al., 1998; Gottman et Levenson, 2002). À l’aide d’enregistrements audiovisuels, les chercheurs ont codifié les expressions faciales, le ton de la voix et le contenu du discours des partenaires durant une discussion conflictuelle afin d’identifier les affects rattachés à ces indicateurs. Les résultats ont révélé que les couples ayant divorcé durant une période de six ans après le mariage avaient démontré plus d’affects négatifs durant les conflits (Gottman et al., 1998; Gottman et Levenson, 2002). Toutefois, la présence d’affects négatifs durant les conflits n’était pas associée à la satisfaction conjugale (Gottman et al., 1998). Quant à la présence d’affects positifs durant les conflits, Gottman et ses collègues (1998) ont trouvé qu’elle était associée à la satisfaction conjugale des partenaires et à la stabilité de leur union.

Rogge et Bradbury (2006) ont également mené une étude longitudinale dans laquelle les comportements de couples récemment mariés ont été examinés durant une discussion conflictuelle. En effet, ils ont filmé les couples durant la résolution d’un conflit afin de codifier et de mesurer la communication verbale et non verbale. Les résultats de l’étude ont montré que la communication négative durant les conflits (verbale et non verbale) était associée à une plus faible satisfaction conjugale chez les partenaires dans une période de cinq ans suivant le début de l’étude, alors que la communication non verbale positive était associée à une satisfaction conjugale plus élevée. Les résultats ont toutefois révélé que la communication positive et négative n’était pas liée à la stabilité conjugale dans ce même intervalle de temps.

Dans un devis transversal, Hooper et al. (2017) ont mesuré les associations entre quatre SGC négatives (c.-à-d., la critique, l’attitude défensive, le mépris et l’évitement) et la satisfaction conjugale à l’aide de questionnaires autorapportés. Leur étude a montré que l’usage de ces stratégies durant les conflits était lié à une plus faible satisfaction conjugale, expliquant 43 % de la variance de celle-ci. D’autre part, l’étude a également révélé que les émotions négatives rapportées durant les conflits étaient associées à une plus faible satisfaction conjugale, mais dans une moindre mesure que les SGC, expliquant 23 % de la variance de cette variable.

Le fait que les études présentées ci-haut aient examiné la relation entre les SGC et la qualité de la relation conjugale de manière unidirectionnelle, c’est-à-dire que les SGC prédisent la satisfaction et la stabilité conjugale, peut en grande partie s’expliquer par les postulats sous-jacents à la thérapie conjugale cognitivo-comportementale (Gottman, 1998). En effet, ce type de thérapie conjugale stipule que la satisfaction des partenaires dépend à la fois des renforcements positifs et négatifs dans les interactions, ainsi que du ratio bénéfices-coûts que procurent les échanges conjugaux (Baucom et Epstein, 1990; Jacobson et Margolin, 1979). Ainsi, les partenaires ayant des habiletés de gestion de conflits lacunaires sont plus susceptibles de se renforcer négativement dans leurs interactions et d’accumuler des ratios bénéfices-coûts déficitaires, minant leur satisfaction et les prédisposant à la séparation (Baucom et Epstein, 1990; Jacobson et Margolin, 1979). Toutefois, les études longitudinales ayant examiné la potentielle bidirectionnalité de la relation entre les SGC et la qualité de la relation conjugale suggèrent que les SGC contribuent significativement à la qualité de la relation conjugale, mais que la relation inverse est inconsistante (Lavner et al., 2016; Li et al., 2018), voire même incohérente avec ce qui serait normalement attendu (Johnson et al., 2018), ce qui rend difficile l’interprétation et la généralisation de leurs résultats.

Stratégies de gestion de conflits et différences de genre

Alors que les études menées sur la satisfaction et la stabilité conjugale ont parfois révélé des différences entre les hommes et les femmes, ces dernières s’avèrent toutefois peu marquées selon Karney et Bradbury (1995). En effet, ces différences se caractérisent surtout par la présence d’un patron d’interactions de type demande-évitement. Plus spécifiquement, Christensen et Heavy (1990) ont montré que l’interaction conjugale dans laquelle la femme effectue une demande de changement (p. ex., discussion, blâme, pression de changement) à son conjoint, alors que ce dernier évite la discussion, était significativement plus fréquente que l’interaction dans laquelle l’homme demande le changement et la femme évite la discussion. L’étude a également révélé que la demande de changement de la femme et l’évitement de l’homme étaient négativement corrélés à la satisfaction conjugale du couple.

S’inspirant du modèle de Christensen et Heavy (1990), Gottman et ses collègues (1998) ont identifié une séquence de comportements différenciés selon le genre susceptible de mener au divorce : la femme débute l’interaction en critiquant son conjoint, l’homme se replie sur lui-même ou nie l’importance du problème, la femme réagit réciproquement de façon négative, ce qui se répercute par l’absence d’affect positif de l’homme, amenuisant ainsi la possibilité d’alléger le conflit. Les chercheurs concluent que les couples satisfaits de leur relation et ayant une relation stable gèrent leurs conflits différemment : la femme débute la discussion plus positivement, l’homme réagit ouvertement à l’amorce de discussion de sa partenaire, qui en retour utilise l’humour, ce qui allège la charge émotionnelle des partenaires. Toutefois, il semble que les distinctions comportementales durant les conflits, à la fois propres au genre et contribuant significativement à la satisfaction et à la stabilité conjugale, ont été peu investiguées par les chercheurs et se sont avérées inconsistantes (p. ex., Carrère et Gottman, 1999).

Limites des études antérieures

Si l’ensemble des études présentées précédemment permet de mieux comprendre comment les SGC contribuent à la satisfaction et à la stabilité conjugale, elles comportent toutefois certaines limites. Plus précisément, l’usage de méthodologies (observations en laboratoire versus questionnaires autorapportés) et de construits (affects versus communication verbale et non verbale) divergents pour étudier les comportements rattachés à la gestion des conflits pourrait être la source de l’inconsistance retrouvée dans les études. D’autre part, malgré le nombre considérable de recherches menées sur le sujet, très peu d’entre elles ont examiné les associations dyadiques entre les SGC et la qualité de la relation conjugale, privilégiant une méthodologie observant le couple dans son ensemble plutôt que de mesurer les contributions intra- et interpersonnelles de façon distincte.

Or, une méthodologie axée sur un modèle d’interdépendance acteur-partenaire (APIM, Kenny et al., 2006) permettrait d’observer comment les SGC rapportées par les deux membres de la dyade prédisent la satisfaction et la stabilité conjugale de chacun des partenaires en tenant compte de leur interdépendance. Plus spécifiquement, ce modèle permet de mesurer les effets acteurs (c.-à-d., effet du prédicteur d’un individu sur sa variable dépendante) et les effets partenaires (c.-à-d., effet du prédicteur d’un individu sur la variable dépendante de son ou sa partenaire) en contrôlant pour la non-indépendance des deux membres de la dyade. Le fait d’omettre de contrôler pour leur non-indépendance dans les analyses est susceptible d’induire des biais statistiques affectant les variances et les degrés de liberté, ce qui peut mener à une surestimation ou à une sous-estimation de la contribution des prédicteurs aux variables dépendantes (Kenny et al., 2006). Ainsi, l’une des principales limites des études présentées précédemment, ayant conclu à des différences de genre, est que ni les effets acteurs et partenaires ni la non-indépendance des membres de la dyade n’ont été pris en compte dans leurs analyses de variance (Gottman et al., 1998) ou corrélationnelles (Christensen et Heavy, 1990), ce qui a pu contribuer à surestimer les différences de genre et mener à des conclusions erronées.

Objectif et hypothèses de l’étude

L’objectif de la présente étude était de mesurer les associations dyadiques entre les SGC positives et négatives, et deux indicateurs de la qualité de la relation conjugale, soit la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle (c.-à-d., la stabilité mesurée lorsque la relation est maintenue). Considérant le présent devis de recherche qui est transversal de type corrélationnel et la précarité des résultats obtenus dans les études antérieures concernant la bidirectionnalité du lien entre les SGC et la qualité de la relation conjugale (p. ex., Johnson et al., 2018; Lavner et al., 2016; Li et al., 2018), nous examinerons ces associations de manière unidirectionnelle selon la perspective traditionnelle proposant que les SGC employées par les partenaires prédisent la qualité de leur relation conjugale (Baucom et Epstein, 1990; Gottman, 1998; Gottman et Gottman, 2017; Hooper et al., 2017; Jacobson et Margolin, 1979; Rogge et Bradbury, 2006). S’il n’est pas exclu que cette relation soit bidirectionnelle et que la qualité de la relation conjugale puisse également prédire la fréquence des SGC (Lavner et al., 2016), seules des études longitudinales pourront examiner cette question adéquatement (Kline, 2020). Il est donc attendu que :

  1. Les stratégies positives soient positivement associées à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle via des effets acteurs (c.-à-d., effets des SGC d’un individu sur sa propre satisfaction conjugale et stabilité relationnelle) et partenaires (c.-à-d., effets des SGC d’un individu sur la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle de son ou sa partenaire);

  2. Les stratégies négatives soient négativement associées à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle via des effets acteurs et partenaires.

Méthode

Participants

Un échantillon de 104 couples hétérosexuels a été recruté dans la population générale. Des critères d’âge (20 ans et plus) et de cohabitation (1 an et plus) étaient requis lors du recrutement des participants afin d’assurer une certaine stabilité de la relation. Les femmes étaient âgées de 20 à 58 ans (M = 27,3, ET = 6,6) et les hommes de 20 à 60 ans (M = 29,3, ET = 7,1). Les participants étaient en couple depuis 5.7 ans en moyenne (ET = 5,3) et ils ont entre 0 et 4 enfants (M = 1,2, ET = 0,7). La majorité des couples recrutés avaient un salaire annuel de 35 000 dollars et moins (57,3 %), en plus d’avoir un niveau de scolarité correspondant à un premier cycle universitaire (75,8 %).

Procédure

Les couples ont été recrutés à l’aide de messages de sollicitation sur les réseaux sociaux et de courriels acheminés par la liste d’envoi aux étudiants et aux employés de l’Université Laval. Les participants ont été invités à répondre à quatre questionnaires en ligne via la plateforme web LimeSurvey. Des instructions indiquaient aux couples de répondre aux questions de façon individuelle et sans consulter leur partenaire. Les participants devaient également créer un mot de passe de couple afin de pouvoir jumeler les réponses des partenaires d’un même couple lors de l’analyse des données. Treize certificats-cadeaux de restaurant d’une valeur de 25 dollars ont été tirés parmi les couples ayant participé à l’étude et ayant répondu à l’ensemble des questionnaires.

Mesures

Satisfaction conjugale

Une version abrégée (DAS-16, Antoine et al., 2008) de l’Échelle d’ajustement dyadique (Baillargeon et al., 1986) a été utilisée afin de mesurer la satisfaction conjugale des partenaires. La DAS-16 est composée de 16 items incluant deux dimensions : le degré d’accord dans le couple et la qualité des interactions. Les réponses sont mesurées à partir de trois échelles de type Likert en six points (0 = Jamais d’accord à 5 = Toujours d’accord; 0 = Jamais à 5 = Toujours; 0 = Extrêmement malheureux à 5 = Extrêmement heureux). Le score total peut varier de 0 à 80 et se calcule en additionnant les scores de tous les items; plus le score est élevé, plus l’individu est satisfait de sa relation conjugale. Un score de 54 correspond au seuil au-dessus duquel le répondant est généralement satisfait de sa relation (Antoine et al., 2008). La DAS-16 démontre une bonne validité de critère puisqu’elle est fortement corrélée (r = 0,97) à la version originale traduite en français de 32 items (Baillargeon et al., 1986) et qu’elle permet de discriminer significativement les couples en détresse de ceux sans détresse (Antoine et al., 2008). Dans la présente étude, les coefficients de cohérence interne (α) sont de 0,85 pour le degré d’accord dans le couple, de 0,76 pour la qualité des interactions et de 0,89 pour le total de l’échelle.

Stabilité conjugale

La version abrégée de l’Indice d’instabilité conjugale (Booth et al., 1983; Giguère et al., 2006) est un court questionnaire à cinq items mesurant l’instabilité relationnelle alors que la relation entre les partenaires est maintenue. Ce questionnaire mesure les pensées et les actions liées à l’intention de rompre l’union conjugale. L’échelle de réponses est dichotomique (c.-à-d., oui/non) et le score total se calcule en additionnant les réponses affirmatives obtenues pour chaque item; plus le score est élevé, plus l’instabilité relationnelle rapportée par le répondant est élevée. Afin de faciliter l’interprétation des résultats, la codification a été inversée de sorte qu’un score élevé reflète une stabilité relationnelle élevée. Cet instrument a démontré une bonne validité de critère et de construit, en plus d’une cohérence interne adéquate (Booth et al., 1983; Giguère et al., 2006). Dans la présente étude, le coefficient de cohérence interne (α) est de 0,73.

Stratégies de gestion de conflits

Les Échelles de stratégies de conflits (Bevan, 2014) ont été utilisées afin de mesurer la fréquence d’utilisation des SGC chez les partenaires. Ce questionnaire comprend 23 items et cinq dimensions : Évitement (6 items), Critique (5 items), Mépris (4 items), Communication intégrative (6 items) et Compromis (2 items). Les réponses sont mesurées à partir d’une échelle de type Likert en sept points (1 = Jamais à 7 = Toujours). Le score moyen de chacune des stratégies est calculé et un score élevé indique un usage fréquent de la stratégie lors des conflits conjugaux. Le questionnaire a été élaboré à partir des résultats d’une analyse en composante principale réalisée sur des items provenant de deux échelles établies mesurant les SGC (Bevan, 2014), ce qui contribue à la bonne validité de construit et cohérence interne de l’outil. Dans la présente étude, les coefficients de cohérence interne (α) pour chacune des échelles varient de 0,83 à 0,87. Deux variables composites ont été créées à partir de ces cinq échelles : les SGC positives (regroupant Communication intégrative et Compromis) et les SGC négatives (regroupant Évitement, Critique et Mépris). Les variables composites ont été calculées à partir de l’addition des scores standardisés de chacune des échelles, tel que recommandé par Song et al. (2013).

Analyses statistiques

Afin d’examiner comment les SGC positives et négatives contribuent à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle des partenaires dans une perspective dyadique, deux modèles d’interdépendance acteur-partenaire (Kenny et al., 2006) ont été testés avec Mplus, version 8 (Muthén et Muthén, 2017). Ce type de modèle permet de mesurer les effets acteurs (c.-à-d., effets des SGC positives et négatives d'un individu sur sa propre satisfaction conjugale et stabilité relationnelle) et partenaires (c.-à-d., effets des SGC positives et négatives d'un individu sur la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle de son ou sa partenaire), en contrôlant pour la non-indépendance des deux membres du couple (Kenny et al., 2006). La satisfaction conjugale (modèle 1) et la stabilité relationnelle (modèle 2) ont été examinées dans des modèles distincts afin de respecter le ratio d’unités d’observation par paramètre libre requis dans les analyses acheminatoires (Kline, 2015). L’un des avantages de tester ce type de modèle à l’aide d’analyses acheminatoires est qu’il est possible d’évaluer la qualité de l’ajustement de celui-ci à partir de plusieurs indices. Plus spécifiquement, un khi carré non significatif, un RMSEA de 0,06 ou moins, un CFI supérieur à 0,95 et un SRMR de 0,08 ou moins indiquent un bon ajustement (Tabachnick et Fidell, 2013).

Finalement, tester des modèles d’interdépendance acteur-partenaire requiert préalablement de vérifier si le genre est statistiquement distinguable entre les membres de la dyade quant aux variables à l’étude (Kenny et al., 2006). Cette vérification permet notamment d’éviter de conclure à des différences de genre, alors que celles-ci ne sont pas significatives. Ainsi, un test omnibus a été réalisé en ajoutant des contraintes d’égalité sur les variances et les covariances entre les femmes et les hommes pour toutes les variables testées dans chacun des modèles : un khi carré significatif indiquerait des différences de genre significatives et aucune contrainte d’égalité ne serait ajoutée dans les modèles finaux. Le cas contraire, des contraintes d’égalité sur les variances et les covariances seraient ajoutées entre les femmes et les hommes dans les modèles finaux, de façon à ce que le genre ne soit plus distinguable; il serait alors question du partenaire 1 et du partenaire 2.

Résultats

Analyses préliminaires

Le Tableau 1 présente les analyses descriptives et corrélationnelles des variables à l’étude pour les femmes et les hommes, ainsi que les corrélations entre les conjoints, pour chacune des variables. Plus spécifiquement, les analyses corrélationnelles ont révélé que les SGC positives et négatives rapportées par les femmes étaient significativement associées à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle des femmes et des hommes. De façon similaire, les SGC positives et négatives rapportées par les hommes étaient significativement corrélées à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle des femmes et des hommes, à l’exception des SGC positives chez les hommes et la stabilité relationnelle chez les femmes. La taille des corrélations est généralement modérée pour ces variables et les associations vont dans le sens attendu. Quant aux corrélations entre les conjoints, la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle étaient fortement associées entre ces derniers, alors que les SGC positives et négatives étaient modérément liées entre eux.

Associations dyadiques entre les SGC, la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle

Afin d’examiner comment les SGC positives et négatives prédisent la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle dans une perspective dyadique, deux modèles d’interdépendance acteur-partenaire ont été testés. Le premier a examiné la satisfaction conjugale et le second la stabilité relationnelle. Alors qu’il est souvent d’usage de contrôler pour la durée de la relation conjugale dans les études empiriques (Hooper et al., 2017; Karney et Bradbury, 1995), cette variable n’a pas été retenue comme variable contrôle dans la présente étude, puisqu’elle n’était significativement associée ni à la satisfaction conjugale, r(102) = 0,04,p = 0,62, ni à la stabilité relationnelle, r(102) =  -0,05, p = 0,51. D’autre part, un test omnibus a révélé qu’il n’y avait pas de différence significative entre les femmes et les hommes dans les modèles testant la satisfaction conjugale, χ2(9, 104) = 6,91, p = 0,65, et la stabilité relationnelle, χ2(9, 104) = 3,99, p = 0,91. Par conséquent, des contraintes d’égalité ont été ajoutées entre les femmes et les hommes sur les variances et les covariances des variables à l’étude, de sorte que le genre des participants ne soit plus différencié.

Tableau 1

Analyses descriptives et corrélationnelles entre les stratégies de gestion de conflits, la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle chez les femmes et les hommes

Analyses descriptives et corrélationnelles entre les stratégies de gestion de conflits, la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle chez les femmes et les hommes

Note. F = femmes; H = hommes.

*p < 0,05. **p < 0,01. ***p < 0,001.

-> See the list of tables

La Figure 1A présente les résultats des analyses ayant examiné les effets acteurs et partenaires des SGC positives et négatives sur la satisfaction conjugale des deux membres de la dyade. Les résultats ont révélé qu’un usage plus fréquent des SGC positives chez un individu était significativement associé à une satisfaction conjugale plus élevée chez cet individu et son ou sa partenaire. Toutefois, la fréquence d’utilisation des SGC négatives rapportée par un individu n’était pas significativement associée à sa propre satisfaction conjugale ni à celle de son ou sa partenaire. Le modèle s’ajuste adéquatement aux données, χ2(9, 104) = 6,91, p = 0,65; RMSEA = 0,00; CFI = 1,00; SRMR = 0,04, et explique 34 % de la variance de la satisfaction conjugale.

La Figure 1B illustre les résultats des analyses ayant testé les effets acteurs et partenaires des SGC positives et négatives sur la stabilité relationnelle des deux membres du couple. Les résultats ont montré que les SGC positives rapportées par un individu n’étaient pas significativement associées à sa propre stabilité relationnelle ni à celle de son ou sa partenaire. Cependant, un usage plus fréquent des SGC négatives chez un individu était significativement associé à une plus faible stabilité relationnelle chez cet individu seulement, l’effet partenaire n’étant pas significatif. Le modèle s’ajuste adéquatement aux données, χ2(9, 104) = 3,99, p = 0,91; RMSEA = 0,00; CFI = 1,00; SRMR = 0,05, et explique 16 % de la variance de la stabilité relationnelle. Dans l’ensemble, les résultats soutiennent partiellement les hypothèses 1 et 2.

Discussion

L’objectif de la présente étude était d’examiner comment la fréquence d’utilisation des SGC positives et négatives contribue à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle des partenaires dans une perspective dyadique. Les analyses préliminaires ont d’abord révélé que les associations entre les SGC positives et négatives, la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle ne différaient pas significativement entre les femmes et les hommes. Ceci est cohérent avec la conception que lorsqu’elles sont examinées, les différences de genre statistiquement significatives en lien avec le fonctionnement conjugal sont généralement peu nombreuses et de faible amplitude (Karney et Bradbury, 1995). Par conséquent, les résultats rapportés dans la présente étude valent aussi bien pour les femmes que pour les hommes.

Figure 1

Modèles d’interdépendance acteur-partenaire testant les associations dyadiques entre les stratégies de gestion de conflits positives et négatives, la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle

A

B

Note. Seuls les coefficients standardisés et significatifs sont rapportés dans les figures.

*p < 0,05. **p < 0,01. ***p < 0,001.

-> See the list of figures

L’un des résultats les plus saillants de notre étude est la présence d’effets acteurs et partenaires des SGC positives sur la satisfaction conjugale. Tel qu’attendu, plus un individu a fait usage de SGC positives lors des discussions conflictuelles avec son ou sa partenaire, plus cet individu et son ou sa partenaire étaient satisfaits de leur relation conjugale. Ainsi, prendre en compte le point de vue et les sentiments de son ou sa partenaire durant les conflits, reconnaître sa part de responsabilité et proposer des compromis sont des comportements susceptibles de renforcer les partenaires dans l’identification du problème et la recherche de solutions satisfaisantes (Baucom et Epstein, 1990). La formulation de demandes positives et une attitude empathique à l’égard du partenaire permettent également de réduire les risques de critiques mutuelles et de dégradation du conflit, ce qui est susceptible de contribuer positivement au ratio bénéfices-coûts de la relation conjugale, et de favoriser la satisfaction des partenaires (Baucom et Epstein, 1990). Ces résultats sont d’ailleurs cohérents avec les conclusions formulées par Gottman et ses collègues (1998) quant aux effets bénéfiques des affects positifs durant les conflits sur la satisfaction conjugale.

Toutefois, les résultats ont montré que la fréquence d’utilisation des SGC positives chez un individu n’était pas significativement associée à la stabilité relationnelle de ce dernier ni à celle de son ou sa partenaire, contrairement à ce qui était attendu. Bien que les analyses préliminaires aient révélé des corrélations significatives liées à des effets acteurs et partenaires potentiels entre les SGC positives et la stabilité relationnelle, la variance partagée (faible à moyenne) entre les SGC positives et négatives a considérablement réduit la contribution unique des SGC positives à la stabilité relationnelle des partenaires dans le modèle, celle-ci n’étant plus significative. Ces résultats suggèrent donc que la contribution unique des SGC négatives semble plus importante que celle des SGC positives lorsque ces deux types de SGC sont examinés comme variables prédictives de la stabilité relationnelle dans le même modèle.

Quant aux SGC négatives, les résultats de l’étude ont montré que lorsqu’elles étaient plus fréquemment utilisées par un individu, ce dernier était susceptible d’être moins satisfait de sa relation conjugale et de présenter une plus faible stabilité relationnelle, tel qu’attendu. Ainsi, une personne qui critique son ou sa partenaire plus fréquemment, l’insulte ou évite la discussion durant les conflits, est susceptible de se buter à une réaction négative de la part de son ou sa partenaire (p. ex., attitude défensive, évitement, mépris), menant ainsi à l’impasse quant à la recherche de solutions satisfaisantes. Cette personne pourrait alors avoir le sentiment de ne pas être entendue et validée par son ou sa partenaire lorsqu’elle s’exprime négativement dans des discussions conflictuelles, ce qui est susceptible d’affecter sa satisfaction conjugale. Ces résultats concernant l’association entre les SGC négatives et la satisfaction conjugale sont d’ailleurs cohérents avec les études antérieures, bien qu’elles n’aient pas tenu compte des effets acteurs et partenaires (Gottman et al., 1998; Gottman et Levenson, 2002; Hooper et al., 2017; Rogge et Bradbury, 2006).

Toutefois, un usage plus fréquent des SGC négatives chez un individu n’était pas associé à la satisfaction conjugale ni à la stabilité relationnelle de son ou sa partenaire, contrairement à nos hypothèses. Bien que les analyses préliminaires aient révélé des corrélations significatives quant à des effets partenaires potentiels, il semble qu’une fois examinés dans un modèle incluant les variables des deux membres de la dyade, les effets partenaires ne soient plus significatifs. Ces résultats soulignent l’importance de tenir compte des variables des deux partenaires lorsqu’il est question d’examiner le fonctionnement conjugal, afin d’éviter de surestimer ou de sous-estimer la contribution des prédicteurs aux variables dépendantes (Kenny et al., 2006). D’autre part, le fait que les SGC négatives aient été rapportées peu fréquemment en moyenne par les participants dans la présente étude peut également contribuer à expliquer pourquoi l’effet partenaire n’est pas significatif. Il serait utile d’examiner cet effet partenaire auprès d’échantillons de couples qui vivent une détresse significative et qui risquent d’utiliser plus fréquemment des SGC négatives que les couples de la population générale, permettant ainsi de valider cette association dans un contexte clinique.

Dans l’ensemble, ces résultats mettent en lumière la présence d’effets acteurs et partenaires liés aux SGC positives et à la satisfaction conjugale, alors que seuls des effets acteurs ont émergé en ce qui a trait aux SGC négatives, à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle, soutenant partiellement nos hypothèses. Le fait d’avoir contrôlé pour la variance partagée entre les deux membres du couple a permis d’optimiser la validité interne de l’étude, ce qui a toutefois été omis dans les recherches antérieures. Par ailleurs, le fait que les modèles expliquent respectivement 34 % et 16 % de la variance de la satisfaction conjugale et de la stabilité relationnelle souligne l’importance de promouvoir la gestion constructive des conflits dans le cadre d’une thérapie conjugale en enseignant aux partenaires l’importance de prendre en considération le point de vue de l’autre, proposer un compromis et formuler une demande positive plutôt que de recourir à la critique (Baucom et Epstein, 1990; Gottman et Gottman, 2017).

Malgré les retombées empiriques et cliniques rattachées à l’étude, celle-ci comporte toutefois trois principales limites. La première concerne la nature corrélationnelle de notre devis de recherche et à l’impossibilité de conclure en des relations causales entre les variables. La deuxième limite réfère à l’utilisation de questionnaires autorapportés pouvant avoir mené à des réponses biaisées par la désirabilité sociale (Hogan, 2013). Ce phénomène aurait pu altérer les réponses des participants quant à l’usage de SGC négatives et aux problèmes conjugaux vécus par les partenaires. Néanmoins, la confidentialité des réponses a été assurée aux participants afin d’amoindrir ce biais. La troisième limite est liée à la généralisation restreinte des résultats à l’ensemble de la population en raison de la non-représentativité de l’échantillon. Une étude de plus grande envergure, reposant sur un échantillon représentatif de la population générale, permettrait de tirer des conclusions ayant une meilleure validité externe.

CONCLUSION

La contribution novatrice de la présente étude réside principalement dans l’analyse des processus intra- et interpersonnels liés aux associations dyadiques entre les SGC positives et négatives, la satisfaction conjugale et la stabilité relationnelle. Les résultats suggèrent qu’un usage plus fréquent des SGC positives chez un individu est bénéfique, autant pour cet individu que pour son ou sa partenaire, puisqu’il est associé à une satisfaction conjugale plus élevée via des processus intra- et interpersonnels. Un usage plus fréquent des SGC négatives chez un individu contribue à une plus faible satisfaction conjugale et stabilité relationnelle chez ce dernier, mais ne contribue pas significativement à celles de son ou sa partenaire. Une étude clinique permettrait de vérifier si les résultats de la présente étude tiennent toujours chez des couples en détresse. Ces résultats mettent donc en lumière les différentes contributions des SGC positives et négatives à la satisfaction conjugale et à la stabilité relationnelle, et soulignent l’importance d’apprendre à gérer les conflits conjugaux de façon constructive afin d’augmenter le bien-être des partenaires et la longévité des couples.