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Les modèles familiaux sont en constante transformation (Demasure et al., 2014), et la diversité ou la pluralité des types de famille d’aujourd’hui présente de grands défis au niveau du vivre-ensemble. « De par ce fait même, cette mutation est source potentielle de conflit » (Demasure et al., 2014, p. vii). Parmi la diversité des modèles familiaux, le type de famille dite recomposée est de plus en plus un fait courant dans les sociétés occidentales contemporaines. Par ailleurs, au sein de ces familles, la situation des différents membres qui la constituent n’est pas la même; elle est particulièrement complexe pour les belles-mères, d’autant plus quand ce sont des belles-mères sans enfant (BMSE). Cet article vise donc à mieux comprendre la situation particulière des belles-mères et des belles-mères sans enfant (BMSE) dans des foyers où le couple est hétérosexuel[3], et ce, dans le but d’éclairer la pratique des thérapeutes travaillant avec des membres d’une famille recomposée ayant une BMSE, puisque leur réalité est très peu documentée dans la littérature scientifique (Gosselin, 2010; Gosselin et Rousseau, 2012), et notamment dans les textes académiques francophones.

Les questions principales posées en lien avec la visée de cet article sont les suivantes : (1) Comment la belle-mère sans enfant arrive-t-elle à se figurer ses images de soi avec la reconfiguration familiale d’une famille recomposée? (2) Quelles sont les implications de cette reconfiguration? Pour y répondre, l’article traitera de divers points. D’abord, seront présentées une définition de la famille recomposée ainsi que certaines grandes caractéristiques qui la constituent. Il sera ensuite question des défis de ces familles recomposées, de ceux des belles-mères et plus particulièrement de ceux que vivent les BMSE. Cet article tente de comprendre les dynamiques qui existent entre les belles-mères et les autres membres de la famille, ainsi que les défis identitaires qui en résultent pour la belle-mère, et plus spécifiquement les difficultés supplémentaires que peuvent vivre les BMSE. Toutes les femmes belles-mères avec ou sans enfant ne seront pas forcément sujettes au même degré à ces défis, cela dépend d’un jeu complexe de facteurs en lien avec le développement psychologique de chaque membre de la famille recomposée et des personnes les entourant et leur degré d’ouverture, de leurs blessures non résolues, de leur capacité de s’affirmer efficacement et du contexte, pour ne nommer que ces facteurs.

Dans cet article, après avoir présenté certains facteurs d’intégration des BMSE, nous traiterons des mythes et des archétypes relatifs aux BMSE, pour ensuite aborder les conséquences de la présence d’une BMSE sur le nouveau système familial (recomposé) et l’impact sur ce dernier. Il sera par la suite question d’approfondir l’influence des images et des mythes concernant la BMSE sur son identité et sur son rôle dans la famille. D’autres thèmes jugés pertinents à la situation de la BMSE seront présentés, dont les deuils, la question de l’attachement, les frontières et les modèles familiaux, ainsi que la crise et la recherche de sens. Ce tour d’horizon de ces divers éléments-clés permettra de mieux saisir la complexité de la situation de la belle-mère et de la BMSE, en mettant, entre autres, l’accent sur son besoin de donner un sens à son rôle complexe et ambigu au sein de la famille recomposée. Enfin, dans le but de fournir des pistes d’éclairage supplémentaires à nos propos, nous présenterons la théorie durandienne de l’imaginaire de Gilbert Durand pour favoriser d’une part, une voie de cohérence entre ces divers thèmes parfois éclatés, et d’autre part, pour mieux cerner, via le potentiel heuristique du cadre durandien englobant, la dynamique relationnelle singulière de la BMSE au sein de la famille recomposée.

Définition d’une famille recomposée et quelques éléments constitutifs (types et statistiques)

Une famille recomposée (ou reconstituée) comporte au moins un enfant adopté ou biologique d’un des partenaires, provenant d’une relation de couple antérieure. Au Canada, un enfant sur 10 demeure dans une famille recomposée (Statistique Canada, 2019). Au Québec, environ une famille sur 6 est une famille recomposée avec au moins un enfant vivant à la maison âgé de moins de 25 ans (Migneault, 2018). Ce nombre est probablement plus élevé (Stepfamily Foundation, 2020; Stewart, 2007) étant donné que de nombreuses familles monoparentales ont vécu parfois quelques épisodes transitoires de familles recomposées en union libre sans toujours les déclarer (Migneault, 2018; Statistique Canada, 2019). Les familles recomposées peuvent être vues comme fragiles puisqu’une majorité des familles recomposées se défont (Dupuis, 2010; Stepfamily Foundation, 2020; Stewart, 2007); cette vulnérabilité est plus présente durant les quatre premières années lorsque les liens sont encore à construire (Furrow et Palmer, 2007; Gold, 2017). Au Québec, particulièrement, les enfants ont une propension à se retrouver dans une famille recomposée à mesure qu’ils vieillissent (Statistique Canada, 2019).

De nombreux facteurs affectent la constitution d’une famille recomposée : l’historique de la famille et du beau-parent qui s’y joint (incluant celui des ruptures), la culture, les valeurs et les modèles familiaux de chacun des partenaires incluant leur vision d’une famille recomposée, toutes les pressions familiales externes incluant celles de l’ex-conjoint, l’âge et le développement des enfants et des partenaires, la présence et la gravité de traumas (d’attachement ou autres), le désir ou non des partenaires d’avoir un enfant ensemble, les besoins relationnels des membres de la famille (incluant le soutien et la communication, et l’ajustement des enfants) (Gosselin et David, 2007). D’autres auteurs ont dénombré des réalités et des facteurs additionnels propres aux familles recomposées (Browning et Artelt, 2012; Chedekel et O’Connell, 2002; Furrow et Palmer, 2011; Ganong et Coleman, 2004; 2017; Gosselin et al., 2007; Kumar, 2017; Papernow, 2013, 2018; Stewart, 2007; Visher et Visher, 1988; 1996) dont le stigma externe (Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008; Miller et al., 2018); le fantasme de la famille recomposée parfaite; la pression de réussir cette nouvelle famille et de s’aimer instantanément (Coleman et al., 2008; Dainton, 1993); les frontières (Dupuis, 2010; Gosselin, 2010); la redéfinition des tâches et des rôles (Coleman et al., 2008); l’intégration affective du nouveau conjoint ou de la nouvelle conjointe (Coleman et al., 2008).

Ainsi, une famille recomposée vit des défis particuliers (Claxton-Oldfield, 2000; Dupuis, 2010; Ganong et Coleman, 2017; Jensen et al., 2018; Kumar, 2017; Papernow, 2013, 2018) en lien avec des visions et des historiques familiaux distincts des parents et de leur famille qui affectent la capacité des membres de cette famille recomposée de communiquer et de s’intégrer au sein de cette nouvelle famille. Bien que certains de ces défis puissent exister dans une famille intacte (non recomposée), ils y sont de moindre intensité; c’est la multiplicité de ces défis, en plus de ceux reliés à la garde et aux soins d’enfants de parents séparés (Kumar, 2017), qui distinguent les familles recomposées des familles intactes, et qui les rendent vulnérables.

Le père et la mère d’origine, ainsi que leur(s) enfant(s), ont un rôle prépondérant à jouer pour aider la belle-mère à se sentir accueillie : cet article démontre que la tâche n’est pas simple à cause de nombreux facteurs. Papernow (1984, 2013, 2018) rappelle que le beau-parent vivra toujours avec un sentiment de se sentir un peu à part, même une fois que (et si) la famille recomposée a trouvé un certain degré d’intégration. Certaines femmes pouvant être considérées belles-mères, ne se voient pas dans ce rôle et se contentent d’être la conjointe de leur compagnon, qui est lui-même un parent ayant eu des enfants d‘une autre relation (Ganong et Coleman, 2017), et ne s’intègrent guère dans cette vie familiale. Mais est-ce vraiment possible de faire abstraction d’un certain rôle de belle-mère s’il y a contact avec les beaux-enfants à certains moments? Peut-être que cet article ne s’applique pas à ces femmes-là, ou peut-être à un degré moindre. Par ailleurs, le piège pour les thérapeutes serait de ne pas être conscients de ces réalités et, par conséquent, de traiter des problématiques dans les familles recomposées qui ont une belle-mère sans connaître certains enjeux sous-jacents spécifiques à ce type de recomposition familiale. Un autre piège pour les thérapeutes serait de vouloir traiter ces problématiques comme s’il s’agissait d’une famille intacte n’ayant jamais connu de recomposition, ce qui peut exacerber les problèmes mentionnés dans ce présent article (Demasure et Tannous, 2014; Ganong et Coleman, 2017; Gosselin et David, 2005; Stewart, 2007).

Facteurs d’intégration et défis généraux du beau-parent sans enfant

Le beau-parent qui s’intègre à une famille monoparentale pour former une famille recomposée, s’il est sans enfant de surcroît, n’a pas le même statut (ni l’expérience) que le parent d’origine (Ganong et Coleman, 2017); il est considéré comme un être externe cherchant sa place dans cette famille ayant un historique avant son arrivée (Demasure et Tannous, 2014; Papernow, 2018). En fonction de l’âge des enfants et de l’histoire de rupture entre les parents d’origine, ce beau-parent peut avoir de la difficulté dans le couple à participer aux décisions reliées aux règles familiales, comme il peut vouloir ajuster le modèle familial afin de refléter ses valeurs (Ganong et Coleman, 2017). Il peut aussi avoir du mal à exercer un minimum d’autorité sur les enfants (selon les besoins du parent d’origine) ou à en exercer trop (selon le parent, les enfants ou des membres de la famille extérieure au couple) (Coleman et al., 2008; Stewart, 2007). Il peut alors être difficile pour le beau-parent de s’intégrer adéquatement dans un partenariat coparental équilibré et satisfaisant pour tous dans la nouvelle famille recomposée (Abignente, 2004; Demasure et Tannous, 2014; Ganong et Coleman, 2017; Gosselin et David, 2005), surtout dans le cas de la belle-mère qui cherche à remplir le rôle qu’elle pense que la société s’attend d’elle (Coleman et al., 2008; Gosselin et Rousseau, 2012). Ce défi et ces attentes sont présentés dans cet article.

Selon plusieurs chercheurs, il est plus facile de remplir le rôle de beau-père que de belle-mère (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017; Miller et al., 2018; Stewart, 2007; Visher et Visher, 1979; Weaver et Coleman, 2005). Les beaux-pères peuvent se contenter d’être le conjoint de la mère d’origine (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017) et moins miser sur une relation avec le bel-enfant, comme cela peut être le cas avec les pères d’origine (Pasley et Garneau, 2012). Cette situation laisse alors aux parents d’origine le poids des responsabilités parentales (l’autorité sur l’enfant et son éducation) (Coleman et al., 2008; Demasure et Tannous, 2014; Vallejo et Fronty, 2006). Les beaux-pères peuvent aussi vivre d’autres rôles, comme celui d’ami, de connaissance, d’ennemi ou adopter un rôle paternel (Ganong et Coleman, 2017).

Pour ce qui est des belles-mères, leur choix de rôle est encore plus complexe et peu de recherches ont été réalisées pour comprendre la réalité des belles-mères dans les familles recomposées (Christian, 2005; Gosselin et al., 2007; Gosselin et Rousseau, 2012; Kumar, 2017; Shapiro et Stewart, 2011, 2012). Cela s’explique peut-être par le fait que la majorité des familles recomposées est constituée d’une mère avec ses enfants d’origine et d’un beau-père. En effet, entre 8 % et 18 % des belles-mères vivent avec leurs beaux-enfants à temps plein (Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007; Orchard et Solberg, 1999; Stykes et Guzzo, 2015) et sont considérées comme ayant peu d’influence sur eux (Coleman et al., 2008; Gosselin, 2010). Dans certains ouvrages traitant de la situation des belles-mères dans les familles recomposées, les belles-mères sont considérées comme étant coupées de la filiation, n’étant pas toujours reconnues dans leur rôle de figure maternelle (Demasure et Tannous, 2014), et se sentant isolées (Gosselin et al., 2007).

La belle-mère peut soit vivre avec les enfants à temps plein ou à temps partiel. Lorsque les enfants ne viennent visiter que la fin de semaine (ou moins que 50 % du temps), elle est considérée comme une belle-mère non résidentielle (Stewart, 2007). La majorité des belles-mères serait des belles-mères non résidentielles (Coleman et al., 2008; Gosselin, 2010; Weaver et Coleman, 2005) puisque les femmes dans les couples hétérosexuels ont plus souvent la garde principale (Ganong et Coleman, 2017). Cette belle-mère peut avoir des enfants d’une relation précédente ou avec son nouveau conjoint. Une part de ces belles-mères n’a pas d’enfant, ce sont les belles-mères sans enfant (BMSE), un groupe sous-représenté dans les études sur les familles recomposées (Craig et al., 2012).

Les BMSE vivent des défis encore plus particuliers que les belles-mères ayant des enfants, et elles sont encore moins étudiées (Coleman et Ganong, 1990; Craig et al., 2012). Parmi leurs défis spécifiques, il y a l’ambiguïté du rôle maternel (Gosselin et David, 2005) qu’elles devront jouer (en rapport avec celui de la mère d’origine, tel que perçu par le père et les enfants) qui a un impact important sur les frontières familiales (Craig et al., 2012; Dainton, 1993; Ganong et Coleman, 2017; Weaver et Coleman, 2005). Gosselin (2010) explique que les belles-mères ont de la difficulté à s’adapter dans les familles recomposées, vivant plus de conflit et de détresse dans les relations belle-mère/beaux-enfants, et une communication plus pauvre que dans une famille intacte. Les belles-mères se plaignent parfois du fait que leur situation est anxiogène et mal définie dans le système familial et dans la société en général, les expériences avec les beaux-enfants constituant le défi principal à cause de l’ambiguïté du rôle de la BMSE (Gosselin et David, 2005) et du défi d’intégrer deux différents modèles familiaux ensemble (Ganong et Coleman, 2017; Riness et Sailor, 2015).

Avec le taux de divorce qui se situe autour de 49% au Québec (Institut de la statistique du Québec, 2011), le nombre de couples qui se font et se défont augmente, ce qui laisse présager que le nombre de belles-mères croît aussi (Claxton-Oldfield, 2000). Bien que le beau-père puisse vivre des défis pour s’intégrer à sa famille recomposée (Claxton-Oldfield, 2000; Ganong et Coleman, 2017; Pasley et Garneau, 2012), la belle-mère vit plus de difficultés dans son rôle (Gosselin et David, 2005; Gosselin et Rousseau, 2012; Pasley et Garneau, 2012) et est davantage stigmatisée (Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008) (surtout par la mère d’origine et les beaux-enfants). Ce faisant, elle est donc confrontée au mythe de la belle-mère (Claxton-Oldfield, 2000; Coleman et al., 2008; Dainton, 1993; Ganong et Coleman, 1997; Miller et al., 2018) et doit ainsi trouver comment inscrire son rôle dans l’archétype de la mère (Coleman et al., 2008; Fine, 1986; Miller et al., 2018).

Mythes et archétypes comme défis spécifiques À la belle-mère sans enfant

Comme la mère d’origine, la belle-mère véhicule l’archétype de la mère, mais peut être considérée comme étant moins expérimentée en ce qui a trait à l’éducation des enfants, surtout si elle n’a pas eu d’enfant elle-même, par la mère d’origine et sa famille (notamment les enfants, qui sont les beaux-enfants de la belle-mère) (Ganong et Coleman, 2004, 2017; Miller et al., 2018). L’archétype de la mère est défini comme un « archétype primordial », le « concept structurel d’une éternelle présence », une manifestation interne de la conscience humaine qui se crée avant la différenciation de l’enfant (Neumann, 1974, p. 3, 7). En d’autres mots, l’archétype de la mère consiste en une présence maternante et nourricière pour l’enfant dès son plus jeune âge sur laquelle il pourrait compter. Selon divers auteurs (Ganong et Coleman, 2017; Moral, 2007; Weaver et Coleman, 2005), les femmes portent en elles cet archétype de mère et la société s’attendrait à ce qu’elles vivent cet impératif de la mère idéale (Coleman et al., 2008) : un phénomène qui n’échappe donc pas à la BMSE. Il est à noter que certains considèrent cet archétype de la mère comme étant limité à la culture occidentale puisque dans certaines sociétés non occidentalisées, les enfants ne sont pas forcément élevés par leur mère d’origine (Visher et al., 2003), mais parfois par les grands-parents, par exemple.

La belle-mère peut avoir un lien d’attachement moins fort avec ses beaux-enfants (Ganong et Coleman, 2017; Stewart, 2007) que la mère d’origine n’a (et d’autant plus si elle est considérée comme une belle-mère non résidentielle) pour diverses raisons, soit à cause d’un historique d’attachement plus court (Coleman et al., 2008; Gibson, 2013), soit parce que les enfants visitent peu son foyer. Malgré cela, les mêmes attentes reliées au rôle de la mère d’origine, en rapport aux tâches domestiques, peuvent lui être imputées (accompagnement en voiture des beaux-enfants, ménage, lessive, repas,…) (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017). Ces attentes peuvent lui paraître conflictuelles selon qu’elles proviennent de son conjoint, de ses beaux-enfants, ou d’autres membres de la famille (Coleman et al., 2008; Craig et al., 2012; Gibson, 2013; Miller et al., 2018).

L’existence possible d’une certaine pression sociale et innée envers la belle-mère pour avoir un bon lien d’attachement avec ses beaux-enfants (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017; Weaver et Coleman, 2005) peut l’amener à choisir d’incarner son rôle maternel (découlant de cet archétype) de diverses façons : de manière plus neutre ou détachée, ou de le vivre de manière plus maternante (Ganong et Coleman, 2017). Elle peut également être affectée par l’archétype de la belle-mère marâtre, la méchante belle-mère (Cann-Milland et Southcott, 2018; Claxton-Oldfield, 2000; Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 1997, 2017; Miller et al., 2018; Paque et Sellenet, 2015; Saint-Jacques et Parent, 2002), d’autant plus si la relation entre les parents d’origine est demeurée conflictuelle ou non résolue (Ganong et Coleman, 2017). Dans ce cas, elle peut être perçue comme une rivale à l’autorité de la mère originale (Coleman et al., 2008; Moral, 2007). Il s’avèrera alors intéressant d’examiner, dans les sections suivantes, les aspects relationnels et sociaux spécifiques à ces deux archétypes, soit ceux de la belle-mère mère (potentiellement maternante) et de la belle-mère marâtre, qui touchent fortement la belle-mère dans son identité à différents niveaux : (1) dans son identité (Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017; Saint-Jacques et Parent, 2002); (2) dans ses relations familiales et (3) dans son rapport à l’extérieur de la famille. Ces aspects peuvent être lourds de conséquences sur le fonctionnement et l’harmonie familiaux.

L’archétype de la mère, dit maternant, constitue typiquement le premier lien d’attachement symbolique avec l’enfant, ce qui peut occasionner une compétition directe entre la belle-mère et la mère d’origine. La belle-mère peut ainsi se retrouver dans une situation inconfortable où elle n’est pas considérée comme la mère à part entière, alors qu’elle est tout de même digne de jouer le rôle d’une figure parentale d’intérêt pour les beaux-enfants (Ganong et Coleman, 2017; Weaver et Coleman, 2005). Notons aussi qu’elle est souvent moins reconnue dans son rôle maternel par les autres, ce qui peut atténuer son lien avec ses beaux-enfants (Ganong et Coleman, 2017; Moral, 2007; Weaver et Coleman, 2005).

Les contes de fées ont largement contribué au mythe du méchant beau-parent en instaurant une réaction primale négative chez les individus à l’égard des beaux-parents et notamment de la belle-mère (Claxton-Oldfield, 2000; Dainton, 1993; Ganong et Coleman, 2017; Paque et Sellenet, 2015). Mentionnons, par exemple, les contes des frères Grimm qui ont utilisé la belle-mère comme bouc émissaire et artifice littéraire pour protéger l’image pure de la mère (Claxton-Oldfield, 2000; Collins, 1988; Ellis, 1983; Hodder, 1985; Paque et Sellenet, 2015), ce qui fait que la belle-mère reste toujours une mauvaise imitation de la mère d’origine. Dans le mythe de la marâtre, par exemple, il y a la notion d’une femme froide et cruelle. Ceci peut impliquer que la nouvelle famille de la belle-mère ou la société pourraient juger négativement une attitude ou un comportement neutre de la belle-mère en l’étiquetant comme étant indifférente et peu affectueuse (Coleman et al., 2008; Ganong et al., 1990), alors que celle-ci optait pour la neutralité en guise de respect, par exemple, envers l’histoire relationnelle des enfants avec leur mère d’origine qu’elle n’a pas vécue. Bien que les mentalités changent envers les belles-mères depuis les 30 dernières années (Claxton-Oldfield, 2008; Coleman et al., 2008), les enfants pourraient être affectés par ce stigma externe (Coleman et al., 2008; Gibson, 2013), ainsi que par cet inconscient collectif (Paque et Sellenet, 2015). Ces enfants peuvent alors interpréter les gestes de la belle-mère en ce sens, par exemple, comme lorsque la belle-mère voudrait appliquer une mesure de discipline (Claxton-Oldfield, 2000).

Impact sur le système familial recomposé

Les familles recomposées, avec une mère sans enfant, surtout si elle est non résidentielle, sont considérées comme étant plus problématiques et plus conflictuelles qu’une famille recomposée avec un beau-père par le fait que le rôle de la BMSE est ambigu et les liens d’attachement avec les enfants peuvent être ténus (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017; Gibson, 2013; Moral, 2007). À ce poids du rôle ambigu pour les BMSE, s’ajoute une autre réalité pour ces femmes : parfois dans certaines familles intactes, les mères ont moins d’attentes envers leur conjoint beau-père concernant les tâches domestiques et le soin des enfants que n’ont les conjoints envers leur conjointe belle-mère (Ganong et Coleman, 2017; Weaver et Coleman, 2005), tandis qu’une belle-mère qui intègre une famille vit le choc de négocier son modèle familial avec celui de sa nouvelle famille (Larrue et Bellehumeur, 2018). La belle-mère peut avoir envie de vivre l’archétype de la mère maternante, se sentant mère (et particulièrement si elle est sans enfant), et se croire au centre du processus décisionnel (Ganong et Coleman, 2017) ou du système affectif familial (Coleman et al., 2008). Ce faisant, la belle-mère peut vivre divers états affectifs et relationnels tels que l’anxiété, les chocs culturels, la confusion et l’enchevêtrement auprès de la famille recomposée (Abignente, 2004; Larrue et Bellehumeur, 2018), ce qui peut créer une perte de sens et de l’insécurité pour toute la famille (Abignente, 2004; Furrow et Palmer, 2011; Larrue et Bellehumeur, 2018). Dans de tels cas, l’image de chaque membre de la famille est à reconstruire (Larrue et Bellehumeur, 2018; Park, 2005), particulièrement celle de la belle-mère. En effet, c’est cette dernière qui vit la plus grande remise en question de son identité (Cann-Milland et Southcott, 2018; Weaver et Coleman, 2005). La belle-mère doit s’adapter davantage que les autres membres de la famille dans le modèle familial (famille recomposée) qu’elle rejoint, dans lequel il y a une certaine exigence qu’elle remplisse un rôle de belle-mère sans toutefois avoir l’autorité de la mère d’origine dans le système familial (Ganong et Coleman, 2017; Weaver et Coleman, 2005). Elle peut d’ailleurs se sentir mise à l’écart des décisions familiales par le père (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017; Gibson, 2013). Des triangulations peuvent aussi advenir, affectant la qualité relationnelle du couple (Anderson et White, 1986; Cartwright, 2012; Papernow, 2013, 2018; Weaver et Coleman, 2005), ainsi que celle entre les enfants et la belle-mère (Gibson, 2013).

L’InFLUENCE DES Images et DES mythes de la belle-mère sans enfant sur son identité et son rôle

« Les mythes représentent une perception particulière du monde qui englobe les croyances d’une culture, même si ces croyances sont fausses » (Dainton, 1993, p. 93). Ces mythes peuvent alors externaliser des images et des identités que les belles-mères peuvent internaliser (à travers les messages et les attentes de leur entourage, de leur conjoint, de leurs beaux-enfants) comme étant leur propre identité culturelle, mais qui est en fait inculquée par l’inconscient collectif dans la société qui les entoure (Bruner, 1960; Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008; Saint-Jacques et Parent, 2002). Les belles-mères peuvent donc être en partie tributaires de la perception des autres dans l’exercice de leur rôle au quotidien; elles peuvent d’ailleurs chercher à améliorer l’opinion que les autres ont d’elles et peuvent redoubler d’efforts à cet effet (Ganong et Coleman, 2017; Dainton, 1993).

Les deux pendants de l’archétype de la belle-mère, soit celui de la mère maternante et celui de la marâtre, sembleraient être largement reconnus dans les cultures occidentales (Coleman et al., 2008; Schulman, 1972), bien que le concept de marâtre puisse même être retracé en Chine au IXe siècle (Coleman et al., 2008). Le mythe de la mère vaut à la belle-mère de devoir rapidement devenir une bonne mère (Dainton, 1993), soit une mère maternante, de s’assimiler immédiatement à la nouvelle famille, et d’aimer instantanément ses beaux-enfants, sans tenir compte du lien d’attachement à bâtir (Dainton, 2003; Visher et Visher, 1988). Selon Dainton (1993), la belle-mère doit se tenir au standard culturel de la mère dans la société et prendre le relais de ce rôle dans une famille recomposée, autant du point de vue domestique, qu’affectif (Coleman et al., 2008). Aussi, il est attendu que les enfants l’aimeront tout de go, et que le rôle maternel qu’elle incarne se vit naturellement et aisément pour toute femme (Ganong et Coleman, 2017; Visher et Visher, 1988). Ces mythes de la belle-mère comme mère parfaite ou belle-mère marâtre peuvent paraître sans fondement dans la réalité actuelle ou passée (Claxton-Oldfield, 2000; Dainton, 1993). Ils contribuent à la difficulté des belles-mères à gérer leur identité au quotidien (Cann-Milland et Southcott, 2018), étant prises entre ces deux polarités extrêmes (Dainton, 1993; Coleman et al., 2008).

L’identité est définie comme le concept de soi de l’individu; elle comprend les croyances concernant comment une personne sent qu’elle devrait être traitée, ce qui englobe ses divers rôles au quotidien. Elle implique aussi la notion de temps et de continuité avec soi, les autres et la communauté, son passé et son futur (Kilpatrick, 1975) : ces éléments sont sectionnés et éclatés dans une famille recomposée, notamment pour la BMSE. La gestion du rôle fait donc partie de l’identité et implique les efforts qui sont faits pour améliorer la perception d’autrui à son sujet, comme la présentation de soi, sans nécessairement avoir le plein pouvoir sur le résultat de ses actions (Dainton, 1993). Selon Gallardo et Mellon-Gallardo (2007), une personne complète sa présentation de soi en se définissant en réponse aux attentes des autres ou à l’idée qu’elle s’en fait. Or, les belles-mères peuvent être aux prises, entre autres, avec des circonstances, une étiquette et des perceptions imposées (Coleman et al., 2008; Dainton, 1993; Ganong et Coleman, 2017). Certaines peuvent chercher à prévenir les jugements à leur égard, ce qui qualifie les belles-mères en tant que groupe stigmatisé selon la définition de McCall et Simmons (1978) et selon Dainton (1993).

Ainsi, l’identité, le rôle et l’image que porte la belle-mère sont en partie attribuables à des influences extérieures imposantes (Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008), ce qui peut créer de la confusion ou un deuil pour la belle-mère concernant l’image qu’elle s’imagine avoir dans la famille recomposée et celle qu’elle a en réalité (Cann-Milland et Southcott, 2018). Citons Moral (2007) : « La place de la nouvelle venue vis-à-vis des beaux-enfants est donc difficile à définir aussi bien sur un plan matériel qu’affectif. » (p. 14) L’identité de la femme belle-mère est donc à construire en lien avec ses attentes, avec ceux de son conjoint et de ses beaux-enfants et avec les circonstances externes (comme les besoins des enfants et du conjoint/parent d’origine concernant les liens affectifs familiaux, la discipline, la communication, les tâches) (Cann-Milland et Southcott, 2018; Ganong et Coleman, 2017).

Les belles-mères peuvent se sentir discréditées par la famille (la leur, celle de leur conjoint, leurs beaux-enfants (Gibson, 2013), l’ex-famille de leur conjoint…) (Miller et al., 2018) et non reconnues (Gosselin et Rousseau, 2012) dans leur rôle par les membres extérieurs à la famille (puisque leur stigma de belle-mère est invisible) (Dainton, 1993). Elles rapportent se sentir vulnérables (Fine, 1986), vivant dans une situation familiale, conjugale et sociale qui peut être ambiguë puisque les rôles sont à définir entre la belle-mère, son conjoint, la mère d’origine et les beaux-enfants (Craig et al., 2012; Fine, 1995; Miller et al., 2018). Elles peuvent se sentir incertaines de l’étendue de leurs responsabilités, des comportements nécessaires pour remplir leurs fonctions, des attentes des autres et de l’effet de leurs comportements (Craig et al., 2012; Ganong et Coleman, 2017; King et King, 1990). Elles peuvent considérer avoir peu de modèles à part d’autres BMSE (Craig et al., 2012) et leurs attentes peuvent être irréalistes par manque de repères et d’expérience (Ganong et Coleman, 2017; Visher et Visher, 1988), et à cause des pressions externes déjà mentionnées.

Les BMSE ayant peu de repères quant à leur rôle maternel dans la famille recomposée peuvent alterner entre deux types de rôles (découlant des archétypes de la belle-mère) dans leur famille recomposée. Ces rôles sont reliés à ce que les membres de cette famille attendent d’elles : ne pas trop s’impliquer auprès des beaux-enfants afin de ne pas heurter la mère d’origine, ou, au contraire être très actives auprès d’eux (Ganong et Coleman, 2017; Orchard et Solberg, 1999). Mentionnons aussi le fait que les belles-mères (et tout beau-parent qui n’est pas un parent adoptif) n’ont aucun lien légal avec les beaux-enfants à moins d’adoption (Ganong et Coleman, 2017; Mignot, 2008; Moral, 2007; Ramsey, 1994; Stewart, 2007), ce qui exacerbe cette ambiguïté de rôle, ainsi que la difficulté dans leur tâche de belle-mère (Miller et al., 2018; Orchard et Solberg, 1999).

Certaines recherches vont jusqu’à rapporter que les femmes cherchent souvent socialement à faire croire qu’elles sont des mères naturelles pour se conformer aux attentes sociales (Coleman et Ganong, 1987; Coleman et al., 2008; Claxton-Oldfield, 2000; Dainton, 1993; Morrison et al., 1986) et se démarquer pour dépasser le jugement qu’elles ressentent de tous en prenant plus de responsabilités (Claxton-Oldfield, 2000; Jones, 2004; Morrison et Thompson-Guppy, 1985). Les belles-mères peuvent même avoir tendance à cacher leur statut pour éviter les stéréotypes négatifs (Coleman et al., 2008; Dainton, 1993; Miller et al., 2018; Pasley et Garneau, 2012) et préserver leur image de soi blessée.

Deuils et attachement

Des liens affectifs du passé peuvent nuire aux nouveaux liens à bâtir entre la belle-mère et la famille recomposée et affecter l’image et le rôle maternels qu’elle tente de construire dans sa famille recomposée. En effet, chacun des membres de la famille recomposée peut vivre des tiraillements relationnels dans la famille recomposée en conflit avec des blessures d’attachement ou des liens précédant la nouvelle famille. Il peut s’agir de ruptures amoureuses ou familiales, et certains de ces liens existent encore, mais sous une nouvelle forme et peuvent entrer en concurrence avec les nouveaux liens qui se créent dans la famille recomposée (Papernow, 2018). Par conséquent, un processus de deuil doit être entrepris par chaque membre de la famille recomposée pour améliorer les chances de réussite de cette nouvelle famille (Demasure et Tannous, 2014; Furrow et Palmer, 2011; Larrue et Bellehumeur, 2018; Stewart, 2007). Ainsi, les blessures d’attachement doivent être reconnues et guéries pour sécuriser la famille et équilibrer les moments d’enchevêtrements ou de coupures émotionnelles (Abignente, 2004; Gratwick Baker, 1998; Larrue et Bellehumeur, 2018). Les dynamiques de pouvoir et de confiance font alors surface (Furrow et Palmer, 2011) durant ce processus de deuil et doivent être adressées dans le couple et particulièrement par le père entre ses enfants et sa nouvelle conjointe, la belle-mère (Demasure et Tannous, 2014). D’ailleurs, les conflits de loyauté (Demasure et Tannous, 2014; Dupuis, 2010; Larrue et Bellehumeur, 2018) qui en découlent, où les enfants se sentent tiraillés entre leur attachement et leur loyauté à leurs parents séparés et entre leur attachement avec leur beau-parent et autres membres des deux familles séparées, ont également avantage à être résolus le mieux possible afin d’harmoniser les relations dans la famille recomposée.

Lors du processus d’attachement de la belle-mère dans sa nouvelle famille, le mythe véhiculé par l’archétype de la mère maternante sous-entend que celle-ci s’attache instantanément à ses beaux-enfants (et réciproquement), créant une pression interférant dans le processus d’attachement (Dainton, 1993; Visher et Visher, 1988). Le rôle de la belle-mère est influencé par la qualité et la profondeur de la relation des enfants avec leur mère d’origine et par celles entre les deux ex-conjoints (Ganong et Coleman, 2017; Gosselin, 2010), ce qui peut bloquer ou rendre confuse la relation entre la belle-mère et les enfants (Visher et Visher; 1988). Pour ce qui est de la qualité de la relation entre les parents originaux, si ceux-ci s’entendent mal, cela peut exacerber les tensions entre les enfants et la belle-mère par conflit de loyauté; s’ils s’entendent bien, cela peut permettre à la belle-mère de prendre sa place, en complément à celle des parents d’origine (Ganong et Coleman, 2017; Stewart, 2007), bien qu’un conflit de loyauté soit toujours possible mais probablement alors de moindre intensité.

Dans ces notions de deuil et d’attachement se trouve aussi celle du remplacement. Le mythe de la belle-mère a pris naissance dans celui du père endeuillé qui se remariait (Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007; Ganong et Coleman, 2017; Moral, 2007). Il avait besoin d’une mère pour ses enfants orphelins : de là les attentes envers celle-ci d’incarner rapidement un rôle de mère, avec le même degré d’amour et de devoir que celle qu’elle remplace, tout en tenant maison de la même manière (Weaver et Coleman, 2005) afin de ne pas déranger les habitudes familiales. Selon ce principe, c’est à la belle-mère de s’adapter rapidement à tous les niveaux, comme s’il n’y avait pas un deuil en cours ou un ajustement émotionnel à vivre pour chacun. La belle-mère, dans cette situation, et si la famille se forme rapidement après la séparation du couple original, peut alors apprendre à endosser en quelque sorte l’identité d’une autre (Ganong et Coleman, 2017). Le conjoint a besoin à la fois d’une mère pour ses enfants, d’une nouvelle conjointe, d’un appui pour les tâches quotidiennes (Papernow, 2013). Le père peut parfois se sentir dépassé par l’ampleur des tâches éducatives et domestiques qu’il partageait auparavant avec son ancienne conjointe et peut alors tendre à vouloir se dépêcher à trouver une remplaçante pour diminuer son stress (Ganong et Coleman, 2017; Moral, 2007). Il n’a peut-être pas encore fait le deuil de la mère de ses enfants en lien avec l’admiration de ses forces ou en lien avec son ressentiment envers ses faiblesses qu’il pourrait alors projeter sur sa remplaçante (Moral, 2007), comme les enfants pourraient tendre à faire aussi. La belle-mère remplaçante porte alors ce poids et peut même être considérée usurpatrice par les enfants (Vallejo et Fronty, 2006).

Dans cette optique, cette pression peut être un piège et affecter la belle-mère aux niveaux affectif, social et pratique. En effet, si elle s’engage dans une nouvelle famille où il y a une pression de la part du conjoint à s’y intégrer rapidement pour prendre la place de la mère d’origine, il peut manquer de temps au couple pour mesurer comment réussir leur intégration (Larrue et Bellehumeur, 2018; Papernow, 2013). Dans ces circonstances, le couple peut aussi avoir peu de temps pour se ressourcer et se soutenir sur le plan affectif (Larrue et Bellehumeur, 2018; Papernow, 2013) et leur identité peut en être appauvrie (Craig et al., 2012). La belle-mère, et la BMSE d’autant plus, est alors en terrain fragile pour prendre la distance nécessaire afin de renforcer sa relation amoureuse et la complicité nécessaires (Papernow, 2018) en tant que co-chefs du nouveau foyer, contrairement à un couple pourrait avoir davantage de temps et l’occasion de créer une base amoureuse solide avant d’avoir des enfants (Larrue et Bellehumeur, 2018). La BMSE doit fonder son couple ainsi que gérer les autres tâches éducatives et domestiques en même temps, et avec peu de recul (Papernow, 2013) : tout ceci la vulnérabilise.

Ainsi, si la BMSE choisit de vivre les défis reliés aux deux archétypes de mère (maternante et marâtre) qui lui incombent, elle devra négocier sa place dans un environnement familial peu familier. De son côté, la famille fait le deuil de son modèle familial qui s’entrechoque avec celui de la belle-mère, créant une autre couche de stress et de négociations, en plus des tâches, des rôles, de la discipline et de sa place à clarifier (Larrue et Bellehumeur, 2018). Les familles recomposées sont fragiles et leur couple aussi (Dupuis, 2010; Ganong et Coleman, 2017; Stepfamily Foundation, 2020; Stewart, 2007). Les belles-mères (particulièrement les belles-mères sans enfant) peuvent se plaindre d’avoir peu de soutien ou de compréhension de la part de leur conjoint qui ne se doute pas de la complexité de leur situation (Ganong et Coleman, 2017; Craig et al., 2012; Weaver et Coleman, 2005).

De ce fait, les nombreux deuils et diverses blessures d’attachement s’entrecroisent entre les membres de la famille (et avec les autres de l’extérieur), comme les attentes de chacun envers les rôles des autres dans la famille recomposée, la qualité des relations qu’ils voudraient avoir entre eux, et les modèles familiaux qu’ils voudraient prôner (Larrue et Bellehumeur, 2018). Il y a un risque que la belle-mère puisse se sentir au centre de cette tourmente, faisant figure de bouc émissaire pour la famille lorsque la tension monte. Elle pourrait alors porter le rôle de la marâtre ou d’une figure maternelle incompétente (Claxton-Oldfield, 2000; Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017). Dans ces cas, il se pourrait que le conjoint tende à protéger sa famille originale, son sang, son histoire familiale partagée de plus longue date avec ses enfants fragilisés par la séparation originale, ainsi que le modèle familial de son premier couple, au détriment de la relation avec la conjointe actuelle (Ganong et Coleman, 2017; Papernow, 2018).

Dans une telle situation, la belle-mère pourrait vivre le deuil d’une vie conjugale idéale, percevant manquer de soutien de son conjoint (Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008; Craig et al., 2012) qui est aux prises avec ses défis de coparentalité avec la mère de ses enfants ou confronté à sa capacité à incarner son rôle de père de manière efficace (Ganong et Coleman, 2017). La belle-mère pourrait aussi faire des deuils parmi les suivants : son attente de se trouver au centre de la vie conjugale et familiale, comme dans une famille intacte, ainsi que celui de l’illusion de la famille parfaitement heureuse, de l’amour parfait, de sa capacité de sauver le conjoint et sa famille, de sa propre perfection en tant que « mère » (Cann-Milland et Southcott, 2018; Ganong et Coleman, 2017; Papernow, 2013). Elle tâche également de négocier l’apport d’une part de son propre modèle familial, ayant sans doute à faire le deuil d’aspects de sa culture familiale qui ne colleront pas avec sa nouvelle famille recomposée.

De plus, pour la BMSE, il y a le deuil possible de sa propre maternité biologique, qu’elle ait désiré des enfants ou non, pour elle, et potentiellement selon les attentes de la société et de sa famille d’origine (Cann-Milland et Southcott, 2018). En tant que belle-mère, si elle désirait des enfants, elle s’aperçoit que ce rôle de belle-mère ne remplace pas son rêve initial de mère d’origine. Pour la belle-mère comme pour le reste de la famille, il s’agit d’un enchevêtrement de deuils ayant des implications entre tous les membres de la famille et avec l’extérieur. Ces deuils sont peu reconnus à cause de leur complexité et parce que la famille recomposée a d’autres priorités comme fonctionner au quotidien (Stewart, 2007), éclipsant ou reportant à plus tard les deuils, les rendant alors non résolus et compliqués. Ainsi, le défi de la belle-mère, avec ou sans enfant, est de faire à la fois ses deuils, chercher sa place dans la famille parmi un large éventail de possibilités où elle pourrait se sentir à l’aise, et revoir son identité personnelle et sociale influencée par l’inculcation des mythes et des attentes de la société (Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008).

Frontières et modèles familiaux

Les modèles familiaux incluent les règles de fonctionnement, les rôles de chacun, les valeurs, les modes de vie, la culture familiale, les mythes familiaux, les attentes, les images de soi et des autres (Larrue et Bellehumeur, 2018); toutes ces réalités peuvent être des sources de conflits aux niveaux cognitif et émotionnel (Abignente, 2004; Chedekel et O’Connell, 2002; Ferreira, 1981). Des modèles familiaux divergents peuvent créer une confusion des rôles, des valeurs, des règles et des attentes, engendrant des conflits pouvant mener à l’enchevêtrement dans les relations ou à la coupure émotionnelle (Abignente, 2004; Furrow et Palmer, 2011; Gratwick Baker, 1998; Larrue et Bellehumeur, 2018). Les frontières sont alors floues (Craig et al., 2012; Dainton, 1993; Ganong et Coleman, 2017; Larrue et Bellehumeur, 2018; Weaver et Coleman, 2005) et seuls la confiance et le dialogue peuvent les clarifier (Furrow et Palmer, 2011), ce qui prend un certain temps dans une famille recomposée avec une belle-mère sans enfant où les défis d’harmonisation sont nombreux et complexes.

La BMSE intégrant une famille recomposée apporte ses rêves et son image d’elle-même dans une famille basée sur un modèle de famille autrefois intacte. Elle voudrait participer au foyer familial aux niveaux affectif et domestique (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017). Mais cette famille recomposée a déjà son modèle familial qui inclut les valeurs de la mère d’origine (Moral et Iovane-Chesneau, 2008). De là, les divergences de modèles familiaux et les conflits qui engendrent une renégociation du modèle familial de chacun (Larrue et Bellehumeur, 2018).

Tous les membres de la famille recomposée doivent co-construire un nouveau modèle familial (Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007) qui n’est familier pour personne (Larrue et Bellehumeur, 2018). Ils le font au fur et à mesure, et dans l’urgence du quotidien, sans avoir pu renforcer les liens affectifs auparavant (Larrue et Bellehumeur, 2018). Ces liens ténus mettent en danger le nouveau modèle familial, ce qui fragilise davantage les liens. De là, des alliances et des triangulations (ou des conflits de loyauté) (Afifi, 2003; Cartwright, 2012; Demasure et Tannous, 2014; Dupuis, 2010; Gibson, 2013; Larrue et Bellehumeur, 2018) peuvent naître et créer un sentiment de trahison ou du ressentiment. Minoritaire dans le style de vie familiale, la belle-mère pourrait avoir l’impression de se sacrifier vis-à-vis les règles et les attentes, se sentant exclue du clan familial (Ganong et Coleman, 2017; Moral et Iovane-Chesneau, 2008; Papernow, 2013), à moins qu’elle ne choisisse un rôle plus détaché, celui de conjointe du père seulement et non de belle-mère (Ganong et Coleman, 2017).

Les frontières, dans un contexte familial, délimitent ce qui appartient à la famille et ce qui ne lui appartient pas. Les frontières familiales sont reliées aux rôles de chacun. La belle-mère se heurte contre ces frontières dont la limite est floue (Gibson, 2013; Gosselin, 2010) : parfois, elle en fait partie et parfois, non. La belle-mère, se sentant parfois confuse, peut vouloir chercher l’harmonie concernant son image d’elle-même et clarifier ses rôles et ses limites dans la famille (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017). Ses propositions pour améliorer le quotidien familial peuvent paraître menaçantes pour la famille. La belle-mère tâtonne pour connaître les limites avec ses beaux-enfants, ce qui fait pression sur le couple (Coleman et al., 2008; Gibson, 2013), car le père a tendance à protéger ces limites (Gibson, 2013) sans nécessairement en informer sa conjointe (Riness et Sailor 2015) : celle-ci se sent alors délaissée et invalidée (Craig et al., 2012). La relation père-enfant a un passé qui exclut la belle-mère qui hérite, en quelque sorte, d’enfants à cause d’événements chargés émotionnellement pour la famille tels un deuil, une séparation, ou un divorce (Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007).

Papernow (1984; 2013) qualifie le beau-parent comme étant un membre de la famille de type étranger intime : il fait partie de la famille, mais pas avec le même degré d’intimité que les membres de la famille originale à laquelle il s’est ajouté. Dans la famille recomposée, les rôles sont aussi flous, surtout avec une BMSE (Coleman et al., 2008). Lorsque les enfants ne vivent pas à temps plein dans la famille, cela amplifie l’ambigüité et les conflits, les rôles devant être coordonnés d’un foyer à l’autre (Gosselin, 2010). Cette amplification est due en partie au fait que les belles-mères sont plus impliquées dans la vie de leurs beaux-enfants dans l’ensemble que ne l’est le beau-père, ce qui augmente le potentiel de conflit (Buchanan et al., 1996; Saint-Jacques et al., 2005).

Le père peut se retrouver parfois à être la charnière entre tous les membres de la famille recomposée et sa conjointe, la belle-mère (Gosselin, 2010), et peut se sentir anxieux à gérer les frontières entre les divers sous-systèmes familiaux, ce qui peut affecter sa capacité de communiquer (Ganong et Coleman, 2017); cette incapacité peut alors le culpabiliser envers ses enfants (Moral et Iovane-Chesneau, 2008). La communication aussi bonne soit-elle entre la belle-mère et le bel-enfant, peut être insuffisante pour compenser les manques et pour rééquilibrer les niveaux et les processus relationnels des sous-systèmes familiaux entremêlés (Gibson, 2013; Gosselin, 2010). Comment trouver alors un moyen de communiquer avec chaque membre qui soit satisfaisant afin de diminuer l’anxiété reliée à l’ambigüité des frontières (Larrue et Bellehumeur, 2018), surtout lorsque la belle-mère ressent qu’elle a peu de pouvoir d’autorité (naturelle, légale et mandatée) sur les enfants (Coleman et al., 2008; Moral, 2007) et que le père se sent pris entre deux feux (Ganong et Coleman, 2017; Gibson, 2012) ?

Crise et recherche de sens

Au sein d’un tel système familial, la belle-mère peut se sentir souvent isolée (Gosselin et David, 2005; Gosselin et al., 2007) quand elle ne se sent pas (ou peu) reconnue, ni socialement ni par les membres de la famille recomposée (Gosselin et David, 2005). Elle peut avoir l’impression de porter les blessures et les projections de la famille, elle peut d’ailleurs choisir alors de demeurer discrète par rapport à son statut de belle-mère en raison de la peur engendrée par le stigma social qui en découle (Coleman et al., 2008; Miller et al., 2018). Bien que traditionnellement, la femme prenne une place centrale dans la famille, dans une famille recomposée, par contre, elle peut se retrouver en tant que BMSE reléguée à un rang secondaire, ou du moins ambigu, en comparaison avec les parents d’origine et en référence à ses beaux-enfants, et peut-être même socialement (Coleman et al., 2008). La belle-mère peut être confrontée au deuil de ses attentes, mais aussi à la reconstruction de son identité intime, interpersonnelle, conjugale, familiale et sociale (Cann-Milland et Southcott, 2018). Les deuils peuvent être profonds et la perte de repères peut engendrer une crise de sens pour elle concernant son identité sociale (Cann-Milland et Southcott, 2018).

Certains enfants considèrent leur belle-mère comme leur « vraie » mère (Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007); d’autres la considèrent comme l'« autre » mère, la « deuxième », la « belle-» mère, ou encore simplement une « amie » (Draughon, 1975; Pasley et Garneau, 2012), une figure parentale d’adoption ou de soutien (Coleman et al., 2008; Ganong et Coleman, 2017; Orchard et Solberg, 1999), la conjointe de leur père, le soutien pour le père ou une liaison entre le père et la mère (Ganong et Coleman, 2017; Pasley et Garneau, 2012). Tout ceci peut exacerber son ambiguïté face à son identité de femme, de mère, de membre de la famille et de conjointe (Cann-Milland et Southcott, 2018). Le manque de pouvoir décisionnel de la BMSE envers ses beaux-enfants (Craig et al., 2012) peut alors se répercuter sur son sentiment de manque de pouvoir personnel et aussi sur sa relation de couple, son rôle dans la famille, sa vie familiale, sa perception d’autrui envers elle-même, et donc sur son identité (Cann-MIlland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008) : toutes ces dimensions font partie de son identité que les femmes construisent à travers leurs relations (Cann-Milland et Southcott, 2018; Coleman et al., 2008; Gilligan, 1982).

Selon Riness et Sailor (2015) et Coleman et Ganong (2017), les belles-mères se sentent peu soutenues et mal préparées pour le rôle d’un parent primaire qui renforce les règles; elles se sentent frustrées, mais aussi récompensées (Dainton, 1993; Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007) dans leur rôle complexe et inégalable (Ganong et Coleman, 2017). Parfois aussi, elles peuvent se croire impuissantes, ce qui peut amplifier les sentiments négatifs envers la famille recomposée et leur conjoint (Craig et al., 2012; Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007); d’autres fois, elles voient qu’elles peuvent avoir un rôle important dans la famille recomposée et être un bon soutien pour tous (Ganong et Coleman, 2017). Toutefois, la belle-mère court le risque d’avoir une relation avec son conjoint qui soit fragile : elle peut parfois même tendre à préférer son conjoint aux enfants (surtout si elle est belle-mère non résidentielle, ayant l’impression de n’avoir pas choisi la relation avec les beaux-enfants (St-Jacques et Parent, 2002)), se culpabilisant dans le rôle maternel qu’elle incarne qu’elle peut considérer inadéquat (Coleman et al., 2008; Craig et al., 2012; Ganong et Coleman, 2017; St-Jacques et Parent, 2002). Elle sait aussi qu’elle a besoin de son conjoint pour négocier sa place au sein de la famille : ces réalités la placent dans une situation délicate. Elle peut avoir l’impression que seules d’autres belles-mères comprennent sa situation dans une famille recomposée.

Or donc, avec le temps, les BMSE laissent tomber plusieurs attentes irréalistes et invalidantes comme : penser que leurs beaux-enfants seront plus gentils que ceux des autres belles-mères, que les belles-mères auront le juste retour de ce qu’elles donnent, qu’elles manquent de pouvoir, car elles ne sont pas la vraie mère, qu’elles vont sauver leur conjoint et ses enfants, qu’elles vont devenir la véritable mère et qu’elles seront meilleures que l’ancienne, que cette nouvelle famille remplacera l’ancienne, que leurs beaux-enfants seront obligés de les aimer, que l’amour transcende toutes les difficultés, que les enfants de leur conjoint n’ont aucune incidence sur leur relation de couple (Prilik, 1994). Il peut se passer un certain temps avant que la belle-mère ne se rende compte de ces illusions et de leur impact préjudiciable sur sa place et ses relations au sein de la famille recomposée.

La belle-mère incarne un rôle de mère tout en sachant qu’elle ne l’est pas tout à fait (Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007; Weaver et Coleman, 2005). Elle fait partie d’une famille sans en faire complètement partie (Papernow, 2013, 2018). Par ailleurs, personne n’a la formule exacte concernant la place qu’elle devrait prendre (Larrue et Bellehumeur, 2018). La belle-mère peut avoir l’impression de vivre des relations insatisfaisantes qui contribuent à maintenir son identité diffuse et à en affecter sa gestion (Cann-Milland, 2018; Dainton, 1993). Une perte de pouvoir personnel peut donc être au centre de la crise que vit la belle-mère, impactant son estime et la qualité de son apport à la famille recomposée, et pouvant parfois bloquer l’apport de trésors insoupçonnés qu’elle pourrait lui apporter.

En prenant le temps de faire sens avec cette nouvelle réalité complexe pour se rebâtir une identité, la belle-mère peut patiemment reprendre son pouvoir et trouver une place dans la famille recomposée en constante négociation avec son conjoint et les beaux-enfants, selon l’évolution des situations qui s’imposent (Ganong et Coleman, 2017; Orchard et Solberg, 1999). Malgré les difficultés, le rôle et l’identité de la belle-mère peuvent avoir une grande incidence dans une famille recomposée et profiter aux beaux-enfants, à son conjoint et à la mère d’origine grâce au soutien additionnel qu’elle peut apporter, même si parfois, elle a l’impression de le vivre quelque peu dans l’ombre (Coleman et al., 2008; Gallardo et Mellon-Gallardo, 2007; Ganong et Coleman, 2017).

La BMSE porte un fardeau particulièrement paradoxal, celui d’être à la fois mère présente et mère distante, afin de ne pas s’ingérer dans le modèle familial original (Coleman et al., 2008; Weaver et Coleman, 2005). En plus de gérer le double fardeau des femmes actuelles, soit de trouver sa place dans la société comme femme professionnelle et comme « maîtresse de maison » et mère, elle doit également renégocier son identité féminine en tant que mère sociale (Demasure et Tannous, 2014), mère sans être mère, maîtresse de maison, mais limitée. Il nous semble que cela correspond à un troisième fardeau qui s’impose ainsi à la BMSE.

En réponse à ce triple fardeau, il est préconisé que les BMSE puissent miser entre autres sur leur rôle de femme (au détriment de celui de mère et de conjointe) (Weaver et Coleman, 2005). Par ailleurs, l’intégration de la belle-mère à la famille recomposée, ainsi que la crise identitaire de sens qu’elle pourrait vivre, seront plus ou moins facilités par le degré d’ouverture et le niveau de sécurité affective qu’elle ressent de la famille qu’elle intègre, et particulièrement de son conjoint. La belle-mère doit elle aussi s’ouvrir et demeurer flexible et patiente, tout en reconnaissant ses attentes. Or, soulignons l’étendue et la complexité de la description du portrait des défis et des enjeux que vivent les BMSE au sein de leur famille recomposée. Ce riche portrait descriptif, constitué de nombreux thèmes traités dans les sections précédentes, recèle de nombreuses idées et concepts tout aussi pertinents les uns que les autres, mais en apparence parfois éclatés, ou difficiles à assimiler dans un premier temps, dans un tout cohérent.

Pour pallier cela, nous proposons un cadre théorique englobant : la théorie de l’imaginaire de Gilbert Durand (1960 [1992]). Notons que la pertinence de cette théorie a déjà été démontrée dans le cadre d’études portant sur la famille (Bellehumeur, 2014); les relations conjugales (Bellehumeur et Carignan, 2018); et la résilience et la spiritualité (Bellehumeur, 2011). Faire appel à cette théorie en contexte des familles recomposées ayant une BMSE n’est pas arbitraire. Force est de constater que les défis et les enjeux que vivent les BMSE ne peuvent que solliciter chez elles des ressources, voire une résilience leur permettant d’envisager leur réalité au-delà du déterminisme lié aux conventions et aux normes sociales établies. Il nous apparaît donc incontournable de considérer l’imaginaire : cette capacité symbolique qu’ont les humains, comprise en termes de faculté en eux et présente dans la culture, générant des images et des symboles à la source de leur vision du monde (Durand, 1960 [1992]). Présentons d’abord une brève synthèse de cette théorie, suivie d’une application à la situation de la BMSE.

Perspective durandienne et son application à l’intégration de la belle-mère sans enfant dans une famille recomposée

Une théorie englobante au potentiel heuristique prometteur

La théorie des structures anthropologiques de l’imaginaire (Durand, 1960 [1992]) est une approche théorique dont l’épistémologie est ouverte et englobante, puisque Gilbert Durand y considère l’humain comme un homo symbolicus, et l’ensemble du monde symbolique de celui-ci constitue la capacité imaginaire que Durand nomme « l’Univers humain tout entier » (Durand, 1979, p. 23). Or, selon Durand (1960 [1992]), il existe, à l’origine, des cultures humaines, des réservoirs d’images et de symboles qui ne cessent de façonner nos manières de penser, de vivre et de rêver.

Durand (1960 [1992]) a d’ailleurs maintes fois démontré ― à travers de multiples disciplines (littérature, musique, les courants philosophiques et religieux, les mythologies, les écoles de sciences humaines, l’herméneutique des sciences appliquées, etc.) ― comment toute activité humaine se déploie en divers régimes fondamentaux de structures de l’imaginaire. Il s’agit en fait d’un déploiement en deux grands « régimes » de construction d’images mentales, visuelles et de récits, soit les régimes diurne et nocturne. Ces régimes de l’imaginaire fondent des visions opposées du monde, l’une identifiée à des structures « héroïques et puristes », et l’autre à des structures « intimistes et fusionnelles». Seule une troisième catégorie de structures, « synthétique ou systémique », peut faire en sorte que les régimes opposés de l’imaginaire parviennent à une saine harmonie en se maintenant en présence l’un de l’autre sans volonté d’exclusion. Le Tableau 1, présente en version abrégée, la classification de ces deux grands régimes et de ces trois univers mythiques, selon leurs schèmes verbaux respectifs. La prochaine sous-section décrit plus en détail ces trois catégories de l’imaginaire.

Dans ce qui suit, il est proposé que les diverses notions, phénomènes et dimensions présentés antérieurement dans cet article peuvent être revisités dans le cadre de cette théorie durandienne de l’imaginaire. Au coeur de cette théorie, dont les fondements ont été démontrés empiriquement (Durand, 2005), plusieurs notions discutées jusqu’à maintenant y font écho telles que : l’image de soi et l’identité; le mythe et l’archétype; le développement et l’historique, les frontières, la création de nouveau sens, le système et le paradoxe. Or, plusieurs notions ci-dessus ont déjà fait l’objet de publications récentes, dont celles : des frontières personnelles (Bellehumeur et Chambers, 2017), de paradoxes et de la recherche de sens en lien avec l’identité et de l’intimité (Bellehumeur et Carignan, 2018), de système (Durand, 2011), de développement et d’historique (Bellehumeur, 2014). Par ailleurs, trois publications, en lien avec la famille et l’imaginaire, sont notamment pertinentes à l’étude de la famille recomposée, soit celle de Laprée (2013), celle de Bellehumeur et Carignan (2018) et celle de Bellehumeur (2014).

Tableau 1

Grandes catégories mythiques de l’imaginaire selon G. Durand

Grandes catégories mythiques de l’imaginaire selon G. Durand

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Il est possible de pousser plus loin la pertinence heuristique de la théorie durandienne en tentant de démontrer comment elle s’applique, dans le contexte de la famille recomposée, aux divers enjeux et défis de la belle-mère sans enfant au sein de cette famille. Dans cette section, il est proposé une application associée cette fois à la dynamique relationnelle[4] où la famille est comprise ici comme plus petite entité groupale, telle que proposée dans Bellehumeur et Carignan (2018). Or, St-Arnaud (1989) avance que toute dynamique de groupe comprendrait trois énergies fondamentales associées à trois axes respectifs : de production, de solidarisation et de régulation. Ci-dessous, il est décrit, grâce à la théorie anthropologique de l’imaginaire, qu’il est possible de rapprocher ces trois axes de la dynamique relationnelle aux deux concepts d’identité et d’intimité. Cette démonstration vise à répondre à une préoccupation soulevée antérieurement, soit celle de l’image de soi et l’identité de la belle-mère sans enfant. Cette dernière joue un rôle indispensable dans la famille recomposée, puisqu’elle cherche à arrimer ou gérer simultanément, au sein de la relation conjugale et de la famille recomposée, deux processus : d’une part, celui du développement identitaire et d’autre part, celui de l’approfondissement de l’intimité. Étant donné que cette question est intrinsèquement dynamique et doit aussi tenir compte de l’aspect systémique de la famille, il importe ainsi pour y répondre de faire appel à des approches théoriques capables de tenir compte de cet aspect.

L’univers mythique de type héroïque ou puriste : une énergie de « production » identitaire

Le premier rapprochement proposé s’appuie sur le pôle structurel héroïque ou puriste (Xiberras, 2002) qui relève du régime diurne de l’image et se caractérise par des principes de séparation, de distinction, et d’ascension (Laprée, 2000). Dans ce pôle structurel, les principes d’exclusion, de contradiction et d’identité sont prédominants, alors que le schème verbal qui lui est attribué est de l’ordre de distinguer. Par ailleurs, dans la dynamique relationnelle, l’axe de production (St-Arnaud, 1989) s’observe au fait qu’un couple existe en raison du mobile qui rassemble les partenaires : ils viennent y « faire » quelque chose (c’est-à-dire, fonder une nouvelle famille (recomposée); mettre à profit des intérêts et des valeurs communes) (Bellehumeur et Carignan, 2018). Or, la durée du couple dépend justement de sa capacité à bien se connaître (c’est-à-dire, avoir une idée claire de leur identité conjugale). Pour y parvenir, l’énergie de production est de mise, laquelle fait écho à des verbes d’action tels que combattre, purifier, distinguer, vaincre, élever, alléger, libérer et illuminer (Laprée, 2000). Il s’agit en quelque sorte d’une énergie qui fait écho à l’univers mythique de type héroïque.

Donc, au niveau conjugal, l’axe de production renvoie à des énergies consacrées à la consolidation et au renforcement identitaire : faire des choses pour mieux se connaître, ou se réaliser dans des objectifs communs. Ces actions s’appliquent d’emblée à la belle-mère sans enfant. Elle doit s’occuper des diverses tâches et responsabilités pour faire avancer des projets, pour affirmer sa place et ses droits et responsabilités au sein de la famille recomposée. Toutes ces activités nécessitent de viser juste (c’est-à-dire, « purifier » ses jugements trop hâtifs) pour y voir plus clairement. En somme, toutes ces activités relèvent de l’axe de production, lequel est tributaire du pôle héroïque où siège l’identité (Bellehumeur et Carignan, 2018).

L’univers mythique de type intimiste (ou mystique) : une énergie de « solidarisation »

En revanche, le pôle structurel intimiste/mystique (Xiberras, 2002) est soutenu par le régime nocturne de l’image. Dans cet univers mythique, il s’agit de trouver la paix, sans turbulence. Cette structure renvoie au schème verbal confondre (Xiberras, 2002). Dans cet état fusionnel, tout est amical, doux, heureux, pacifique, chaleureux, harmonieux et intériorisé. C’est pourquoi, on retrouve dans cet univers mythique : « l’emploi privilégié de verbes rattacher, attacher, souder, lier, rapprocher, suspendre, accoler…les mots s’y adoucissent par des figures de style, comme l’euphémisme ou l’antiphrase » (Laprée, 2013, p. 156).

Dans cette ambiance intimiste, les époux, dont la belle-mère sans enfant, se fient à l’expérience de leur ressenti (ex. le goût, le toucher), et recherchent l’harmonie, la douceur et l’affection provenant par exemple de l’étreinte amoureuse. Il s’agit en quelque sorte d’une énergie de solidarisation (St-Arnaud, 1989) qui fait écho aux principes d’analogie et de similitude que l’on retrouve dans l’univers mythique de type mystique (Bellehumeur et Carignan, 2018). En effet, il importe que chaque partenaire se sente bien, qu’il y trouve sa place au sein du couple, mais aussi au sein de tous les membres de la famille vivant sous le même toit. Chacun des époux s’efforce de créer l’un pour l’autre un climat de confiance et de sécurité. L’accueil chaleureux de l’autre est de mise, au même titre que le respect de l’espace intime. La discrétion et la confidentialité sont aussi valorisées (Bellehumeur et Carignan, 2018).

Si l’axe de la solidarisation dans le système conjugal – rappelant l’intimité – semble bien s’arrimer à l’axe de production – référant au pôle identitaire – cela ne constitue pas en soi un motif suffisant pour assurer le maintien de la vie conjugale. En effet, comment concilier le besoin de construction identitaire de la belle-mère sans enfant avec son désir d’intimité conjugale et familiale? Cette question réfère au défi de régulation (Bellehumeur et Carignan, 2018). Il s’agit ici d’un des principaux motifs de difficulté de bien des couples en consultation : ils ne savent plus comment gérer leurs conflits[5]. Il y a eu un dérèglement dans leur mode de fonctionnement conjugal. Dans ce qui suit, un rapprochement entre un troisième univers mythique et un troisième axe est suggéré, celui de la régulation (St-Arnaud, 1989) qui doit intervenir entre ces deux premiers axes (de production et de solidarisation).

L’univers mythique de type synthétique (ou systémique) : une énergie de « régulation »

La régulation de la dynamique conjugale est une tâche fort complexe puisqu’il importe de bien gérer les tensions qui peuvent émerger à travers de multiples différences identitaires, les besoins divers d’intimité, les rythmes divers de chacun, etc. L’énergie requise est celle que l’on retrouve dans l’univers mythique de type synthétique (ou systémique) (Xiberras, 2002). Les principes d’explication et de justification sont évocateurs du dynamisme retrouvé dans cette structuration qui relie les contradictions dans le temps, diachroniquement ou synchroniquement, où joue à plein le principe de causalité sous toutes ses formes (Durand, 1960 [1992]).

Selon Laprée (2013), la structuration « systémique » réfère « plutôt à un lieu imaginaire de rapprochement de ces deux premiers pôles » (c’est-à-dire, héroïque et intimiste). Chez un individu ou dans une collectivité, si un pôle imaginaire prend trop de place au détriment de l’autre, qui tombe presque en léthargie, un état malsain s’installe et engendre des malaises (c’est-à-dire, les troubles de la personnalité, les conflits interpersonnels, etc.). Pour remédier à ces problèmes, les structures synthétiques (ou systémiques) se distinguant par une cohabitation équilibrée des deux pôles structurels précédents (Durand, 1960 [1992]) « relient » (schème verbal) les opposés par des modalités rythmiques ou cycliques (Xiberras, 2002, p. 65). Cette structure systémique représente les notions de santé optimale et de l’équilibre psychique (Durand, 1980; Laprée, 2000), de l’idée de progrès et de la croissance saine, et, pour être plus précis encore, du recyclage des éléments essentiels et fondamentaux du passé dans le présent (c’est-à-dire, processus d’historisation, ainsi que la capacité d’entrevoir un avenir) (Xiberras, 2002).

Sur le plan de la dynamique relationnelle, l’axe de régulation constitue donc une précision fortement utile puisque les énergies de production et de solidarisation sont dites principales (Laprée, 2013), en plus d’être essentielles au développement conjugal. En possédant des fonctionnalités différentes, ces deux énergies peuvent oeuvrer ensemble afin qu’une activité de couple atteigne son objectif plus facilement, ou encore, si elles ne sont pas bien régulées, elles peuvent nuire au projet conjugal. Illustrons ces propos par deux exemples relatifs à la belle-mère sans enfant.

Dans le cas d’une belle-mère sans enfant, on peut penser au double mythe où la belle-mère maternante (p. ex., univers mystique) qui doit, pour être pleinement acceptée être quasi « parfaite » dans ce rôle (univers héroïque), peut facilement basculer dans le rôle de la belle-mère marâtre (univers héroïque négatif). On peut donc comprendre combien l’énergie de production « identitaire » est fort sollicitée chez la belle-mère, qui pourtant, tout en apprenant à tolérer une identité « ambiguë », se retrouve à chercher à combler ses besoins d’intimité (l’énergie de solidarisation) en présence d’une co-existence de plusieurs modèles familiaux différents, soit l’ancien modèle de son conjoint avec sa famille d’origine et ses enfants, et le sien (son modèle et ses origines à elle).

Un autre exemple qui traite de la pertinence de bien doser l’univers héroïque par rapport à l’univers mystique se voit dans un scénario de vie bien normal, soit lorsqu’un conflit survient au sein du couple (Laprée, 2013). Il importe ici de solliciter l’énergie de solidarisation en raison du caractère émotif de la relation. Plonger trop rapidement au coeur du litige pourrait garder les deux partenaires sur la défensive. Il faut plutôt trouver un terrain neutre et un temps propice commun aux deux époux, et s’y préparer, notamment en prenant soin de soi et de l’autre. Il vaut mieux temporairement mettre de côté les explications rationnelles, et prendre soin d’abord des blessures émotives.

En somme, un couple pourra réguler la bonne dose nécessaire à déployer selon les circonstances et les besoins de chacun et selon ceux découlant des situations de la vie. Il ne s’agit donc pas ici de se maintenir dans une zone médiane entre des niveaux égaux d’énergie de production et d’énergie de solidarisation. Par conséquent, la fonction auxiliaire du troisième axe de régulation (Laprée, 2013) devient indispensable en tant qu’énergie qui se met au service des deux premières, en surveillant le « flux de l’une et [de] l’autre énergie principale et leur en insuffle une dose supplémentaire au besoin » (Laprée, 2013, p. 160). Enfin, d’autres aspects qui font référence à l’univers systémique sont dignes de mention en ce qui concerne la famille recomposée : soit la notion d’historicité, de croissance et de développement, et celle de paradoxe. Un premier paradoxe lié au temps est celui qui se rapporte à la période de lune de miel très écourtée pour les couples formant une famille recomposée (Larrue et Bellehumeur, 2018). Dupuis (2010) note qu’il prend de cinq à sept ans pour une famille recomposée à trouver un certain équilibre. Or, avec le temps, il est aussi paradoxalement possible pour cette même famille, donc pour le couple, de devenir plus satisfait de la vie de couple au sein de cette famille recomposée, alors que bien des nouveaux couples (d’une famille nucléaire traditionnelle) qui ont connu une plus longue lune de miel pourront vivre des difficultés avec le temps, notamment avec l’arrivée des enfants. Alors que pour le couple d’une famille recomposée, les enfants viendront à quitter le nid familial, laissant plus de temps pour les époux pour se retrouver. En d’autres mots, métaphoriquement parlant, si dans la famille nucléaire traditionnelle, la température du thermomètre (cf. la satisfaction conjugale) est élevée au début de la relation (pour ensuite parfois ou souvent diminuer avant de se stabiliser ou augmenter doucement); celle du thermomètre de la famille recomposée a le potentiel d’augmenter au fil du temps (bien qu’il faille aussi reconnaître qu’il est aussi possible que le climat familial puisse s’envenimer, car le couple peut être trop blessé par tout ce que la famille recomposée leur a fait vivre).

Un autre paradoxe est lié aux thèmes de la souffrance liée à la solitude versus le bonheur dans l’engagement et la notion du troisième fardeau (que nous avons déjà brièvement évoqué antérieurement). S’il y a une souffrance associée à la vie de célibataire si elle n’est pas choisie, et qu’il y a plus de bonheur dans l’engagement amoureux (Dubé, 2006), on peut donc dire que malgré les nombreux défis de la belle-mère sans enfant, il y a plus de bonheur pour elle dans son choix d’engagement au sein d’une famille recomposée que si elle évitait les souffrances qui y sont associées en demeurant célibataire. Or, la belle-mère sans enfant porte donc trois fardeaux. Alors que les deux premiers fardeaux sont bien connus des femmes en Occident, le troisième et dernier fardeau se rapporte à la belle-mère sans enfant.

  1. la vie professionnelle. Il est bien connu que les femmes gagnent en moyenne encore moins que les hommes pour des compétences équivalentes (Boulet, 2014). Elles ont aussi l’impression de devoir démontrer davantage leurs compétences que les hommes.

  2. la vie familiale et domestique. Il est également connu que les femmes en général s’impliquent davantage que les hommes dans les soins et l’éducation des enfants (Institut de la statistique du Québec, 2016; Lavoie, 2015). Elles expriment souvent l’impression de porter davantage que leur conjoint, la charge mentale nécessaire à l’organisation et à la planification des tâches domestiques.

  3. les défis rattachés à la belle-mère sans enfant, notamment celui de faire sa place dans une famille recomposée. Enfin, soulignons la pertinence de diverses stratégies[6] que les belles-mères pourraient utiliser pour gérer leur rôle dans la famille, basée sur la taxonomie des stratégies de présentation de soi selon Jones et Pittman (1982). Les belles-mères doivent tenir compte des stratégies suivantes :

    1. promouvoir leurs compétences de mère (cf. univers héroïque),

    2. aider les autres en demeurant aimable (positive et empathique; cf. univers mystique);

    3. et se présenter comme un modèle à suivre, donc être un modèle de croissance (cf. univers systémique).

Conclusion

Il a été démontré que Durand (1960 [1992]) propose une vision intégrative qui tient compte de la possible polarisation des positions de la famille par rapport à la belle-mère qui s’y insère. Cette approche permet d’élaborer une vision plus englobante et réconciliatrice en tenant compte des dualités existantes de chaque camp, de leurs besoins, de leurs frontières et de leurs actions. Ce recadrage facilite l’élargissement de la subjectivité de chacun afin de créer un nouveau système (Larrue et Bellehumeur, 2018; Moral, 2007) en mesure d’accueillir les différences, les oppositions, ainsi que les besoins et les valeurs de chacun, renouvelant le modèle familial dans une loupe de famille recomposée inventant sa nouvelle image et engendrant un nouveau sens pour tous (Larrue et Bellehumeur, 2018). Gosselin et Rousseau (2012) proposent d’ailleurs l’androgynie des rôles dans une famille recomposée et plus particulièrement avec une belle-mère comme une manifestation possible de ce renouvellement du modèle familial.

En somme, la théorie durandienne de l’imaginaire offre un cadre conceptuel englobant permettant d’élucider la complexité entourant la régulation des tensions conflictuelles au sein de la relation conjugale. Cette théorie peut dépasser le dualisme cartésien de certaines études empiriques qui auraient tendance à isoler les phénomènes ou à décortiquer les éléments d’un système, au lieu de les appréhender à l’intérieur d’un tout plus large, plus systémique (Durand, 1988, 2011). Or, l’imaginaire est complémentaire à la raison. Alors que la raison tente de saisir le plus clairement possible la réalité, l’imaginaire tente d’ouvrir l’être humain aux possibilités d’être et d’agir, ce à quoi bien des couples aspirent.