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INTRODUCTION THÉORIQUE

L’intérêt et les questionnements se rapportant aux causes de la délinquance et de la criminalité ont été et sont encore au coeur des recherches en psychologie et en criminologie. Depuis plus d’un siècle, les questions qui mobilisent les chercheurs sont « Pourquoi certains s’engagent-ils dans la délinquance? », « Comment devient-on délinquant? », ou encore « Peut-on identifier les délinquants avant même la commission de leur premier délit? ». Suite aux retombées de l’étude de Glueck (1950), les chercheurs sont forcés de reconnaitre que la délinquance n’est pas un comportement immuable et que « certains s’en sortent ». Les recherches portant sur les trajectoires délinquantes et la criminalité prennent alors un nouveau tournant et s’intéressent aux raisons qui poussent les individus délinquants, à arrêter leurs activités délictueuses (Farrall, 2012; King, 2014; Mohammed, 2012; Weaver, 2019). Les questions deviennent « Pourquoi certains s’en sortent alors que d’autres pas? », « Comment s’y prennent-ils? » ainsi que « Que signifie s’en sortir? ». Depuis les premiers écrits à ce propos, la définition du concept de désistance (ou désistement) a connu des évolutions au gré des avancées de la recherche (Kazemian, 2007). Tout d’abord conceptualisée comme un état caractérisé par l’absence de délits (Mohammed, 2012), la désistance est, ensuite, envisagée de manière dynamique et processuelle (Bushway et al., 2001; Laub et Sampson, 2001; Maruna, 2001; Weaver, 2019). Bien que des variations persistent quant à la définition de la désistance, les auteurs s’accordent sur le fait que c’est un processus progressif et non linéaire au cours duquel, l’individu réduit voire cesse de commettre des délits, et que ce processus résulte de l’interaction permanente entre des facteurs individuels (tels que les changements cognitifs et identitaires) et des facteurs sociaux (tels que les évènements de vie et le soutien social) (Bushway et al., 2001; King, 2013; Kazemian, 2007; Laub et Sampson, 2001; Maruna, 2001; Mulvey et al., 2004). Les recherches dans ce domaine se centrent sur les mécanismes sous-jacents au processus de sortie de la délinquance. Quel que soit le paradigme privilégié, l’étude de la désistance permet le passage d’une clinique focalisée sur les risques à une clinique centrée sur les ressources du justiciable. En effet, « penser » la désistance conduit à s’intéresser aux « délinquants » non seulement au travers de leur histoire et de leurs conduites délinquantes passées, mais aussi et surtout au travers de leurs ressources et de leurs potentialités d’évolution personnelle, identitaire et sociale (Glowacz et Born 2017). Suite à ce changement de focus, l’enjeu de la recherche psychocriminologique consiste à comprendre ce qui sous-tend le processus de sortie de la délinquance dans le but de développer des interventions pouvant soutenir la réinsertion des justiciables (Mohammed, 2012; Marchetti et Daly, 2017; F-Dufour et al., 2018; King, 2013), c’est la désistance assistée. La recherche sur la désistance et la désistance assistée a été initiée et s’est développée à partir d’une population adulte (Amemiya et al., 2017; Barry, 2010; Lussier et al., 2015; McMahon et Jump, 2018). Celle-ci indique que la transition vers un mode de vie conventionnel s’effectue au travers de différentes étapes : la désistance primaire (arrêt des délits), la désistance secondaire (changement identitaire) (King, 2013; Maruna et al., 2004) et la désistance tertiaire (reconnaissance sociale) (McNeill, 2016). L’intérêt pour la population adolescente et jeune adulte est relativement récent (Villeneuve et al., 2019). On peut penser que la reconnaissance d’une désistance spontanée en fin d’adolescence y a contribué. Cependant, ce processus de maturation mettant fin à l’exploration délinquantielle ne concerne pas tous les mineurs délinquants. De plus, l’engagement dans la délinquance, même dans une visée exploratoire, peut avoir des répercussions importantes sur le long terme (stigmatisation, sentiment d’exclusion, possibilités d’avenir réduites, etc.) (Amemiya, et al., 2017; Healy, 2019; Schwartz, 2016). Il ressort des études menées auprès des jeunes, des mécanismes de désistance similaires à ceux des adultes tels que la « volonté » de changer de vie (Haigh, 2009; Panuccio et al., 2012), la réflexion en termes de pertes et des gains (Haigh, 2009), la rupture avec le mode de vie délinquant facilitée par des « tournants de vie » (Haigh, 2009; Panuccio et al., 2012), le développement d’une identité non délinquante (Haigh, 2009), la maturité (Amemiya et al., 2017; Lussier et al., 2015) ou encore le rôle des intervenants de terrain (Puglia et Glowacz, 2018; Panuccio et al., 2012; Zdun et Scholl, 2013). Toutefois, si les facteurs de désistance semblent, en apparence, semblables, ils influencent différemment les trajectoires de désistance des jeunes et des adultes (McIvor et al., 2004; Villeneuve et al., 2019). L’étude de Villeneuve et ses collaborateurs (2020) indique d’ailleurs que les séquences observées dans le processus de désistance des adolescents ne correspondent pas à celles définies chez les adultes. La recherche est à poursuivre afin de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents au processus de désistance chez les adolescents et les jeunes adultes, et d’identifier les processus pouvant enrayer la persistance d’une délinquance à l’âge adulte. Cet article, se basant sur une étude de cas, a pour objectif de mettre en lumière ces processus en utilisant une approche ancrée dans le récit des jeunes. Une telle approche méthodologique permet d’étudier la désistance à travers le vécu et le regard d’un jeune qui expérimente ce processus, et qui dès lors, est en train de se projeter dans une vie sans délinquance et de construire une identité non déviante. L’originalité de cette approche est qu’elle donne accès à l’identification des composantes actives durant les différentes étapes de la désistance au moment où elles se produisent, et rend compte de leur évolution au cours de ce processus.

Méthodologie

Contexte général de la recherche

Le présent article aborde l’étude de cas d’un mineur judiciarisé expérimentant le processus de désistance. Ce cas s’inscrit dans une recherche qualitative longitudinale menée auprès de 21 mineurs judiciarisés. Elle a été réalisée en Belgique où la majorité pénale est fixée à 18 ans. L’objectif est, à partir du récit du participant à propos de sa trajectoire, d’identifier les composantes émergentes qui soutiennent son processus de désistance. Par désistance, nous entendons un processus de sortie de la délinquance progressif, dynamique et non linaire qui survient au carrefour de l’action individuelle et des occasions sociales (Cid et Martí, 2017; Kirkwood, 2016; Nugent et Schinkel, 2016). Pour répondre à cet objectif, 21 jeunes auteurs de faits qualifiés infractions (AFQI) âgés d’au moins 17 ans, ancrés dans une délinquance grave et sévère (de type atteinte aux biens et aux personnes), caractérisée par la présence de délits multiples sur une période d’au moins un an, ont été recrutés au sein de services mandatés par le Tribunal de la Jeunesse. L’étude menée respecte les règles de confidentialité et de non-traçabilité des données en vigueur, et a été validée par le Comité éthique de l’Université de Liège.

Design de recherche qualitative

Trois entretiens semi-structurés, dont la durée varie de 30 à 90 minutes par entretien selon les participants, ont été organisés sur une période de 18 mois. Ces entretiens visaient à comprendre le parcours et l’évolution des trajectoires de délinquance et de désistance. Le guide d’entretien a été construit autour de quatre concepts : l’identité, les évènements de vie, les perspectives d’avenir et la trajectoire de délinquance. Les concepts choisis permettent d’étudier le processus de désistance sous différents angles d’approche, tant social que subjectif. La trajectoire délinquante est explicitement abordée lors du premier entretien dans le but de cerner, au cours de la recherche, les changements menant vers la désistance, que ce soit en termes de vécu ou de passage à l’acte incluant la nature des faits, leur gravité et leur fréquence. La désistance, quant à elle, n’est pas questionnée de manière directe. Ce choix méthodologique s’inscrit dans une approche empirique inductive courante en recherche qualitative (Paillé et Muchielli, 2012). Il permet de voir comment les jeunes AFQI se positionnent par rapport à leur délinquance actuelle et à venir, d’explorer leur vécu afin de comprendre comment ils se sentent actuellement dans ce mode de vie, et de relever l’évolution au cours du temps sans prendre le risque d’influencer leur récit. Les concepts d’identité, d’évènements de vie, et de perspectives d’avenir ont été abordés aux trois temps de l’étude. Seule l’approche de la trajectoire de délinquance-désistance varie d’un temps à l’autre. En effet, tandis que l’entretien précédent se termine par la question de la projection quant à l’évolution de la trajectoire délinquante dans l’avenir, l’entretien suivant (6 mois puis 12 mois après) questionne la réalisation ou non des projections que les sujets ont précédemment explicitées, ainsi que les éléments qui ont facilité ou, au contraire, entravé la concrétisation de ces projections à l’égard de la trajectoire de délinquance (celles-ci pouvant aller dans le sens de la persistance ou de la désistance). Avec l’accord des participants rencontrés, chaque entrevue a été enregistrée puis retranscrite mot à mot avant de faire l’objet d’une analyse qualitative.

Méthode d’analyse qualitative

La méthode choisie pour le recueil et l’analyse des données est l’Interpretative Phenomenological Analyze (IPA). Cette méthode consiste en une exploration extrêmement attentive de l’expérience vécue, des représentations, des perceptions et des points de vue subjectifs des sujets (Smith et al., 2009), ce qui est important, puisqu’il apparait que la perception et l’interprétation des événements et changements qui surviennent dans la vie de l’individu sont primordiaux dans le processus de désistance (Maruna, 2001; Mohammed, 2012). L’IPA recommande de mener des entretiens non directifs dans un climat collaboratif, en considérant les participants comme des experts. L’analyse s’appuie sur une approche inductive des thèmes émergents du récit des participants à partir de différentes étapes (lecture intensive des interviews, rédaction des commentaires initiaux, développement des thèmes émergents) successives et itératives. Les allers et retours constants entre les différentes étapes de l’analyse permettent d’enrichir et de complexifier la compréhension du phénomène étudié (Smith et Osboren, 2003). L’IPA est une méthode phénoménologique, idiographique, exploratoire et inductive (Smith et Osboren, 2003; Smith et al., 2009). Elle implique une double interprétation : une première par le sujet lui-même qui tente de donner sens à ce qu’il a vécu, une seconde par le chercheur qui donne sens à ce qui a été dit durant les entretiens (Smith et Osborn, 2003; Smith et al., 2009). Par ailleurs, cette méthode, s’inscrivant dans un paradigme subjectif, soutient que le chercheur fait partie de son cadre de travail et qu’il l'influe dès lors inévitablement.

Analyse de cas clinique : la trajectoire de T.

Le cas de T. a été choisi pour cet article parce que, comme il est recommandé dans la méthode de cas unique (Schauder et al., 2012), il illustre, de manière riche et représentative, le parcours d’un jeune engagé dans la désistance. Tous les sujets rencontrés ne se sont pas engagés dans un processus menant vers la sortie de la délinquance.

Présentation du jeune

T., est un jeune rencontré par l’intermédiaire d’un Service d'actions restauratrices et éducatives (SARE). Ce service, travaillant sous mandat du Tribunal de la Jeunesse, a pour mission d’accompagner les mineurs AFQI en organisant des prestations éducatives. Âgé de 18 ans lors du premier entretien, T. apparait comme un garçon souriant et sympathique. Il se montre rapidement à l’aise lors des entretiens qu’il investit de plus en plus au cours de la recherche. Lors de la première entrevue, T. se présente, notamment, à partir de ses relations familiales et particulièrement la relation à son père décrite comme une relation conflictuelle, dû au manque d’investissement de ce dernier dans la sphère familiale. Ses parents sont divorcés, T., qui est le cadet d’une famille de deux enfants, vit avec sa mère. Sa soeur ainée vit en couple et à deux enfants. Durant ce premier entretien, T. se présente également à partir de son parcours scolaire et professionnel : Après un parcours scolaire en dents de scie et une période de déscolarisation, il reprend un apprentissage dans le domaine de la métallurgie. Il décrit son emploi dans ce secteur de manière positive tant au niveau de la pratique professionnelle qui lui procure une réelle satisfaction personnelle, qu’au niveau relationnel où il développe une relation chaleureuse et bienveillante avec son patron. T. investit de manière massive le domaine professionnel et développe des ambitions professionnelles. Sa trajectoire de délinquance s’étend sur une période d’environ 7-8 ans. Les activités délinquantes sont de fréquence et de gravité croissantes : vols simples, vols qualifiés, cambriolages, vols avec violence, vente de stupéfiants. Les premières conduites délinquantes commencent aux alentours de 11-12 ans, suite au divorce de ses parents, identifié par T. comme un évènement qui affecte son parcours de vie. Cette séparation est vécue comme un abandon, et induit chez lui un état de mal-être, des questionnements et une recherche de reconnaissance. Ainsi, au départ, les conduites délinquantes de T. sont sous-tendues par une volonté d’attirer l’attention de ses parents, et plus particulièrement de son père. Par la suite, la fréquentation de pairs déviants ainsi que l’attrait pour l’argent et le mode de vie délinquant deviennent rapidement des sources de motivation soutenant la poursuite des activités délinquantes. De plus, se référant à son statut de mineur, T. percevait peu de risques liés à la délinquance juvénile, cela allant à l’encontre d’un effet dissuasif. Toutefois, malgré les nombreux « avantages » identifiés, la délinquance engendre un isolement social et familial, amenant T. à s’éloigner de ses proches, à se déscolariser, et elle exacerbe les facettes négatives de son identité. L’expérimentation progressive de ces conséquences négatives est à l’origine de questionnements quant au mode de vie délinquant. À cela s’ajoute une intervention policière à son domicile qui provoque un « déclic » à l’origine de son engagement dans un processus de désistance. Cette arrestation, vécue sur un mode traumatique, l’amène à une nouvelle lecture des conséquences et des risques de la délinquance pour lui, son entourage et son avenir. Au moment de la première rencontre, T. semble déjà engagé dans un processus de désistance; il rapporte une période d’absence de délit de 6 mois.

Analyse de la trajectoire de désistance

L’analyse de la trajectoire de désistance de T. repose sur une analyse de son récit à partir de la méthode IPA. L’analyse de chaque entretien mené est suivie d’une analyse transversale, qui permet de saisir l’évolution des processus au cours des différentes entrevues. Six higher order themes relatifs aux composantes actives dans le processus de désistance de T. ressortent de l’analyse réalisée. Comme le veut l’IPA, l’intitulé des thèmes intègre le sens que le jeune leur donne. Des extraits de verbatims sont intégrés à la description des thèmes afin d’illustrer les propos du jeune.

Expérimenter la désistance comme un processus progressif qui nécessite des adaptations et des efforts

Lors des différents entretiens, T. affirme être désengagé de toute activité délictueuse, et témoigne avec insistance de la difficulté qu’implique la sortie de la délinquance, notamment liée à la persistance de nombreuses tentations et aux obstacles rencontrés. Il met en avant la présence d’une ambivalence le faisant osciller entre l’envie de continuer et de sortir de ce mode de vie.

J’ai toujours envie de temps en temps de dire « allez tous vous faire foutre, je redeviens comme avant et tout ». Dans des moments où genre t’as l’impression de ne plus avancer. Alors, il y a des moments comme ça où… je crois pour tout le monde dans la vie, t’as des moments où t’avances plus… t’as des moments… enfin, t’as des moments où t’as l’impression qu’on te met des barrières et tout ça.

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T. décrit d’ailleurs un parcours plus compliqué que ce qu’il avait imaginé : Au cours de sa trajectoire de délinquance, il connait une période de déscolarisation qui impacte la suite de sa scolarité et complique la mise en place de ses projets. Contraint de renoncer à son souhait de reprendre des études générales, T. entreprend un apprentissage dans le domaine de la métallurgie.

Pas comme je l’avais imaginé. Moi quand j’ai dit « plus jamais »… je l’avais imaginé mieux que ça pour vous dire la vérité. (…) Je m’étais dit que j’allais retourner en technique ou en générale et que je ferais l’Université. Puis après, il y a des choses qui ont fait que voilà… 17 ans, j’allais recommencer en 3ième générale pff. (…) Je l’avais imaginé mieux que ça, mais je me plains pas parce que je suis mieux qu’avant.

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Par ailleurs, durant son parcours, T. se sent victime des préjugés et du scepticisme de son entourage.

Tout le monde disait à mon père : « Il va aller en prison. 18 ans, il est en prison et tout ça ».

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L’ambivalence ressentie par T. se dissipe progressivement pour laisser place à un processus de réadaptation qui se traduit par la mobilisation de ses ressources internes (volonté de changer, persévérance, optimisme, etc.) et des ressources externes (emploi, soutien familial, relation amoureuse, etc.) en vue surmonter les difficultés rencontrées. La mise en place d’actions concrètes permet la réinsertion dans un mode de vie conventionnel et réduit les risques de réitération d’actes délinquants à travers différents leviers qui seront exposés dans cet article. Par ailleurs, à la fin de la recherche, T. a pris du recul quant à son parcours de vie et sa trajectoire délinquante, et se montre capable d’expliciter non seulement les difficultés rencontrées lors de ce processus, mais aussi les éléments qui ont soutenu sa réinsertion dans un mode de vie conventionnel. Il se décrit comme un délinquant « repenti », ce qui implique que les anciennes manières d’agir ne disparaissent pas, mais se modifient et permettent l’arrêt. Pour lui, sortir de la délinquance implique une lutte continue pour résister à l’attrait de la délinquance.

Comme pour fumer par exemple. On se lève, on a envie de fumer une cigarette. Il faut beaucoup de volonté pour se dire « Non ! Ce matin, je ne fume pas. Demain matin, je ne fume pas » par exemple. C’est un peu la même chose. Faut beaucoup de courage aussi parce que… c’est pas toujours facile. (…) On est toujours un peu tenté parce que quand on y a goûté, c’est dur, c’est comme une drogue.

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Rester en dehors de la délinquance en expérimentant les coûts de la délinquance et les avantages d’un mode de vie conventionnel

Dans les différentes étapes de son récit, T. met en balance les coûts et les bénéfices des modes de vie délinquant et conventionnel. Lors des entretiens, son récit atteste d’un processus de réflexion en termes de coût et de bénéfice qui évolue progressivement, passant d’un attrait pour les avantages d’un mode de vie délinquant à une prise de conscience des inconvénients de la délinquance, pour aboutir à une prise de conscience des avantages du mode de vie conventionnel. Ainsi, si les gains (essentiellement financiers) et les risques anticipés (sanctions pénales, perte d’emploi) du mode de vie délinquant sont à l’origine de l’ambivalence ressentie, les bénéfices acquis dans le mode de vie conventionnel soutiennent le maintien des changements opérés. En effet, expérimenter un mode de vie conventionnel permet à T. de prendre conscience de ses bénéfices (amélioration des relations familiales et de la qualité de vie, emploi, etc.), et contribue à l’envie de rester dans ce nouveau mode de vie. La volonté de sortir de la délinquance n’est alors plus uniquement sous-tendue par une recherche d’évitement des risques, elle est également motivée par la volonté de préserver les nouveaux avantages acquis.

Tu les vois avec l’argent, ils sont là en soirée, ils ont genre, je ne sais pas moi, mille euros sur eux. Mille euros, toi t’es là, tu as treize ans et demi, quatorze ans, tu deviens fou, tu pètes ta tête. Tu te dis « Putain avec mille euros je peux m’acheter un petit quad, je peux faire tchic ». (…) En plus, maintenant je ne vais pas vous mentir. Tous les jeunes, ils connaissent les risques. Quand t’es mineur, il n’y a pas grand-chose. Deux mois et cinq jours, même trois mois en centre fermé, je crois que c’est passé maintenant la loi. Mais… trois mois c’est quoi dans une vie? Si maintenant, moi maintenant que je suis majeur, je vais commencer à passer des… J’ai un ami, ça fait quatre ans qu’il est en prison. Il est sorti lundi, congés pénitenciers et tout, je l’ai vu. Ben il dit « quatre ans, quatre ans ça c’est un vrai chiffre dans une vie ». (…) Tous les mineurs, on connaît nos risques donc c’est pour ça on en profite aussi.

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Là maintenant je suis bien dans ma vie. Je suis bien. Je dors sur mes deux oreilles. Je peux faire ce que je veux. Je suis bien, en allant travailler… mais une fois qu’on a gouté à la vie où on est bien, comme moi je me sens bien dans ma vie. J’ai plus envie de retomber là-dedans.

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De plus, le focus sur les bénéfices acquis permet la réactivation des éléments ayant motivé le choix du changement de mode de vie lors des périodes de découragement.

Comme je vous dis des fois c’est dur. Après, faut penser à la situation familiale par exemple que j’avais avant par rapport à maintenant, comment elle a évolué. Avant, quand je ne travaillais pas, je faisais rien, j’avais pas de contact avec mon père et je me disputais tout le temps avec ma mère et ma soeur, elles… pas qu’elles voulaient pas me parler, mais elles ne voulaient pas me voir. Tandis que là, maintenant je suis bien. Je m’entends bien avec tout le monde. Ça, ça fait beaucoup aussi. Ça aide beaucoup (…) Après, comme je vous ai dit, on pèse le pour et le contre. Et puis même là, je peux dormir sur mes deux oreilles, bien tranquille. Tandis qu’avant, c’était tout le temps, se retourner dans tous les sens 400 fois. Je dors sur mes deux oreilles, tranquille.

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Son processus réflexif amène T. à dépasser le point de vue individuel pour prendre en compte les aspects relationnels : il tient compte de l’impact de la délinquance pour lui (hypervigilance, méfiance ou au contraire bien-être, tranquillité), pour ses proches (dangers, déception ou sécurité, fierté) et leurs relations.

Avant par exemple, quand j’allais prendre mon neveu... Mon neveu était déjà grand, il avait déjà 2-3-4 ans… pour aller à l’agora, ben j’étais pas à l’aise. J’avais peur, je sais pas moi… pas peur, mais dans le sens où je suis avec mon neveu et il peut arriver quelque chose ou quelqu’un qui m’en veut parce que je lui ai fait moi-même du mal avant et tout. Donc j’étais pas à l’aise.

Mettre en question le mode de vie délinquant pour adhérer à des valeurs prosociales auparavant niées et transgressées

Comme dit précédemment, un travail réflexif se construit et s’élabore chez T. tout au long du processus de recherche, celui-ci se marque au départ par un récit essentiellement descriptif et évolue vers un raisonnement plus complexe et abstrait. Celui-ci ne se limite pas à la mise en balance des coûts et des bénéfices, il mobilise autant les valeurs et le sens des modes de vie délinquant et conventionnel. Si au départ, T. met en avant, de manière factuelle, les différences entre son mode de vie actuel et son mode de vie délinquant passé qu’il décrit comme un mode de vie superficiel, risqué et qui isole, il partagera par la suite un processus réflexif évolutif attestant de ses questionnements et de ses idées, quant à son rapport à l’argent, à ses manières d’agir et à son parcours de délinquance. Au cours de ce processus réflexif, le rapport de T. à l’argent évolue, passant d’un principe de plaisir absolu où l’argent est à l’origine des conduites délinquantes, à un principe de réalité où l’argent est associé au travail et à l’effort.

Avant pour moi vivre bien, c’était dormir jusqu’à des midis et rien faire de sa vie, avoir de l’argent qui rentrait, mais t’as pas de mérite. Quand tu l’as, tu ne sais pas à quoi le dépenser. Puis, tu trouves vite fait et tu dépenses tout. Maintenant, je casse mon cul. Donc je ne sais pas, avant, j’aurais eu six cent euros, j’aurais vu un vêtement à six cent euros, je l’aurais pris à six cent euros. Tandis que là, maintenant, je me dis « ah putain c’est quand même chaud, pour six cent euros je peux en prendre deux à cinquante, garder un peu des sous pour moi ». Et voilà… mais quand t’es dans ce milieu-là… l’argent facile en vérité, il ne sert à rien. Des fois, maintenant, je regarde et je me dis « qu’est-ce que j’ai fait avec tout cet argent? » Ouais, je me suis bien amusé dans ma jeunesse. J’ai fait ce que je voulais. J’allais dans des hôtels presque tous les weekends. Mais c’est pas ça la vie, je ne sais pas… jeter de l’argent à gauche, à droite.

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Avant je ne pensais qu’à l’argent, avant je ne pensais qu’à ça et tout. Tandis que maintenant, il faut penser un peu à tout genre euh… là j’ai un travail, je suis bien et tout. L’argent surtout que l’argent sale, il dure jamais. Peut-être aujourd’hui t’as de l’argent et demain t’as pas, tandis que moi avec le travail tous les mois, je suis payé et voilà. Maintenant, faut faire avec. C’est pas le même train de vie non plus. Je la… je veux pas me plaindre, je gagne bien ma vie comme un apprenti genre. Je gagne très très bien ma vie, mais voilà par rapport à avant c’est pas grand-chose. Mais on fait avec, on s’adapte.

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Lors des entretiens, ce processus mène vers une réflexion abstraite centrée sur ses valeurs et ses aspirations de vie, non pas uniquement à un niveau interpersonnel, mais aussi à un niveau sociétal. T. se pense et se définit dans l’interaction à l’autre, ainsi que dans une sphère socioculturelle définie. Il comprend ses valeurs, son attrait pour l’argent et sa tendance à être guidé par un principe de plaisir à la lumière de la société actuelle, qu’il décrit comme une société individualiste et de consommation. En remettant en question la société, il remet en question ses valeurs, ses idées et sa conception du monde, de l’argent et du bonheur. Le processus de réflexion graduel et continu, mobilisé tout au long de son récit, lui permet de s’ancrer dans une réalité plus ajustée et d’adhérer à des valeurs prosociales auparavant niées et transgressées.

Maintenant les IPhone ou les Smartphone, tout ça maintenant c’est devenu une nécessité pour tout le monde. T’as pas d’argent… pas que t’es personne parce que tu peux très bien être quelqu’un sans argent. Mais ça y contribue… même au bonheur ça y contribue. Sans argent, tu pars pas en vacances. On est d’accord. Sans argent, tu peux pas te faire plaisir, aller manger au restaurant ou sans argent, tu peux pas… je sais pas moi comment expliquer. L’argent... moi l’argent… les gens, ils l’associent au synonyme de… ils l’associent au pouvoir. Moi l’argent je… plus au bonheur, mais au plaisir.

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« Complexité de changer tout en restant dans une continuité identitaire »

Lors des différentes rencontres, T. se définit à la lumière de ses expériences vécues, incluant l’expérience de la délinquance. La description qu’il fait de lui lors du premier entretien est teintée d’ambivalence : T. se décrit tantôt comme une personne nerveuse, impulsive, qui présente des difficultés à respecter l’autorité, tantôt comme une personne gentille.

Je suis fort impulsif. Là, vous me voyez calme et tout, mais fort impulsif, nerveux. Maintenant, je sais être gentil parce que je vous parle là on dirait que je suis un monstre. Non, je suis gentil (…) maintenant, je fais un travail carrément pour ça, avec madame D. Je fais un travail avec elle et voilà ça se calme, mais bon ça reste là quand même. On met des trucs en place qui font qu’on n’est plus comme ça.

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Progressivement, lors des entretiens, T. se distancie de cette image négative de lui et met en avant d’autres facettes de sa personnalité, davantage prosociales, comme le courage, la persévérance, les capacités réflexives; des qualités qui sont reconnues et valorisées par son entourage. T. revendique une identité continue en inscrivant la délinquance comme une expérience de vie faisant partie intégrante de son histoire et qui contribue, au même titre que d’autres expériences, à sa construction identitaire. Il identifie les changements au niveau comportemental et non au niveau identitaire.

Je suis toujours le même, sauf que j’ai changé mes habitudes et j’ai pris… j’ai pris conscience que la vie, c’était pas ma vie d’il y a deux ou trois ans. J’ai pris conscience que la vie, c’était pas comme ça

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Par ailleurs, bien que T. reconnaisse avoir adopté des conduites délinquantes, il refuse de se définir au travers d’une identité de délinquant pour lui-même, mais pas uniquement. En effet, il craint de devenir un modèle déviant auquel pourraient s’identifier ses neveux. Plus encore, il veut leur proposer un modèle positif par l’exemplarité. Ce refus d’être étiqueté délinquant peut être considéré comme un besoin d’être vu autrement, de refuser le déterministe de ce stigmate, et de protéger l’image de soi.

Je ne sais pas comment dire… pas du voyou, j’aime pas le mot voyou, j’ai jamais été un voyou.

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L’emploi comme support de sens, de plaisir, de valorisation de soi et de réinsertion

Dès le premier entretien, l’emploi apparait comme un élément central dans le récit du jeune. Il est décrit comme « la bonne voie à suivre », comme une activité conventionnelle qui favorise le changement de mode de vie en mettant de la distance avec le mode de vie délinquant. Cette occupation permet à T. de limiter ses interactions avec les pairs délinquants ainsi que les opportunités de délit.

Dans la vie, t’as plusieurs choix. T’as deux portes qui s’ouvrent, tu choisis la bonne ou tu choisis la mauvaise. Après c’est ton choix. Mais bon si tu choisis la mauvaise, l’autre elle ne s’ouvre plus. C’est pour ça que j’ai pris la bonne, enfin j’espère. La bonne, c’est le travail. Parce qu’il y a plusieurs choix maintenant j’aurais pu rester délinquant et avoir l’argent facile, décider de jamais rien foutre de ma vie parce que c’est de l’argent facile, c’est de l’argent en noir tu ne saurais pas faire ce que tu veux. Tu ne peux pas t’acheter une voiture. On pense à tout ça aussi. Tu ne peux pas construire une vie, vous voyez.

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Par ailleurs, au cours des 18 mois de la recherche, le travail transite d’une fonction financière et de contrôle social informel à une source de sens, de plaisir et de valorisation. En effet, l’activité professionnelle, à la fois, rétablit un cadre et un rythme dans la vie du jeune, et comble en partie les pertes financières autrefois perçues grâce aux délits, à la fois, elle redonne du sens à sa vie.

Je me vois mal demain retomber à rester à la maison toute la journée. Ça va me faire devenir fou. Et voilà… Maintenant après, il faut trouver quelque chose qui te plait aussi, et c’est pas facile. Pour s’en sortir ça fait beaucoup. Genre euh… moi j’ai trouvé un travail que j’adore, j’adore, j’adore donc je me donne à fond. (…)  comme je vous ai dit, mon travail, il m’aide beaucoup parce que j’ai un rythme de vie. Je me lève le matin, je vais me coucher tôt le soir. Je mange à telle heure. Avant, il n’y avait pas tout ça et je pense que ça, ça fait beaucoup aussi d’avoir genre des règles

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Par ailleurs, l’omniprésence du travail dans le récit de T. atteste de son investissement dans cette activité et de son rôle dans la reconstruction d’une identité sociale non déviante, celle d’un travailleur qui remplace l’image du « délinquant ». Se sentant stigmatisé à cause de son engagement dans une trajectoire délinquante, T. a besoin que son entourage familial et social reconnaisse sa valeur au-delà de ses actes délinquants passés. L’ascension sociale via le travail apparait comme une manière de démontrer ses compétences et sa valeur aux autres, mais aussi à lui-même.

C’est important de prouver aux gens qu’il faut pas parler mal de quelqu’un ou le rabaisser ou lui dire qu’il est voué à faire quelque chose parce que le destin, il peut changer. Je crois que ma plus grande envie, c’est de réussir ma vie juste pour prouver aux gens de… réussir ma vie, quand j’entends réussir ma vie c’est pas être milliardaire. Non, je m’en fous. Réussir ma vie juste pour prouver aux gens, regarde par où je suis passé, regarde où j’étais à 16 ans, j’étais presque en prison. Il y a eu plein de choses. J’ai dû indemniser la justice, que je vais indemniser encore longtemps. Regarde, j’indemnise pourtant je réussis ma vie.

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Outre la volonté individuelle, le processus de reconstruction identitaire de T. s’appuie sur des modèles non déviants. T. s’identifie à des personnes qui ont connu une ascension sociale via la réussite professionnelle. La description qu’il fait des étapes de leur ascension sociale est similaire à la description de son processus de sortie de la délinquance : les deux processus sont caractérisés par une motivation initiale, de la volonté, de la combativité et de la persévérance sur le long terme afin d’atteindre les objectifs fixés.

Les relations sociales et familiales comme modèle identificatoire, support de soutien et de reconnaissance

Ce dernier higher order themes comprend différents éléments concernant les dynamiques relationnelles. Premièrement, il aborde les relations sociales, d’une part, sous l’angle des modèles identificatoires, et d’autre part, sous l’angle du soutien. Tout au long de son récit, T. décrit ses relations sociales comme des sources d’influence. Il considère s’être construit au travers de ses expériences de vie et de ses interactions. Le groupe de pairs déviants constitue un des premiers modèles identificatoires, abordé par le jeune. Attiré par le mode de vie des « grands » qui semblent récolter beaucoup d’argent avec leurs délits, T. commence lui aussi à commettre des délits.

Puis je ne sais pas, on rencontre… dans le monde de la nuit, on rencontre des gens qu’il ne faut pas. Puis eux ils sont là… par exemple, ils cambriolent et ils ont de l’argent dans leur poche (…) Tu les rencontres, tu les vois avec l’argent, ils sont là en soirée, ils ont genre je ne sais pas moi mille euros sur eux. « Mille euros, toi t’es là, tu as treize ans et demi, quatorze ans, tu deviens fou, tu pètes ta tête. » Tu te dis putain avec mille euros je peux m’acheter un petit quad, je peux faire chic. Puis voilà. On est là, on cherche la facilité.

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Les pairs non déviants constituent un second support identificatoire. T. se compare à ses anciens compagnons d’école, et constate leur réussite dans le parcours scolaire et social, ce qui le renvoie à ses échecs, à son parcours marqué par des perturbations dans la scolarité et dans la vie sociale depuis son engagement dans des activités délinquantes. Cette comparaison sociale ascendante alimente le processus de réflexion du jeune ainsi que la volonté de se réinsérer dans un mode de vie conventionnel.

On voit des amis à nous par exemple. Quand j’étais en secondaire, ils étaient déjà diplômés, moi j’étais là j’avais toujours rien. J’étais toujours en troisième professionnelle. Je ne foutais rien de ma vie, je dormais jusqu’à des midis. Il y a eu ça aussi. Un gros déclic. Tu te dis « putain regarde aujourd’hui où j’en suis, eux ils sont là ». Ils ont rien de plus, un morceau de papier, mais c’est un morceau de papier important.

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Comme dit précédemment, T. s’identifie à des personnes qui ont connu une ascension sociale à travers la réussite professionnelle. Il se montre admiratif des patrons de société, des personnes qui ont connu une ascension sociale en gagnant de l’argent sans commettre de délit, en s’investissant dans leur travail. T. aspire lui aussi à une ascension sociale positive en lien avec son activité professionnelle.

Il y a un copain à mon papa, c’est un gars que je porte sur un plateau en or. Le gars, il est arrivé en Belgique en même temps que mon grand-père. Il doit avoir 65 ans maintenant. Le gars, il est arrivé en Belgique. Mon grand-père, il travaillait à l’usine. Le « petit jeune », parce que c’était un petit jeune par rapport à mon grand-père. Mon grand-père, il avait peut-être déjà 25 ans et lui, il en avait 17. Il décapait les soudures de mon grand-père. Ça veut dire qu’il balayait autour de mon grand-père. Le gars, sur la vie de ma mère, je vous le présente quand vous voulez… le gars, il est millionnaire. Il est devenu rentier immobilier. Moi, j’ai déjà été chez lui, c’est une des plus belles maisons. Même à la télé, j’ai pas vu de maison comme lui. Le gars, il est arrivé ici, il savait même pas parler français. Ces gens-là qui font tout pour leur bonheur… maintenant lui son bonheur, c’était d’être millionnaire. Maintenant, il l’est. Il a atteint son objectif. C’est quelqu’un que je respecte beaucoup.

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Le soutien social perçu par T. est largement abordé dans son récit, notamment à travers une relation amoureuse et la relation développée avec son patron. T. identifie l’expérience d’une relation affective privilégiée avec son ex-copine comme un élément déterminant dans son processus de désistance. Alors qu’il remet en question le mode de vie délinquant, cette relation lui offre un espace de discussions, d’échanges et de soutien. Elle lui permet d’expérimenter une relation authentique et solide, qui résiste aux tensions et aux mauvais choix qu’il fait. Avec sa copine de l’époque, T. se sent (enfin) aimé, pardonné et soutenu dans ses changements. De plus, lorsqu’il est avec elle, il ne commet pas de délit.

Ce qui a été beaucoup positif aussi c’est quand j’étais avec ma copine. C’était positif parce qu’elle m’a beaucoup aidé. Elle m’a aidé, je pouvais lui parler, je pouvais lui dire tout. Comme elle, elle me disait tout. Ça m’a beaucoup aidé parce que j’avais jamais eu ça genre… relation sérieuse, que ça durait longtemps et tout. J’avais jamais eu ça. (…) Elle était là dans les bons moments comme dans les mauvais moments. Elle ne m’a jamais laissé tomber. Pourtant, elle en a vu de toutes les couleurs, mais elle ne m’a jamais laissé tomber. (…) Quand j’étais pas avec elle, je faisais plein de bêtises, mais genre pas quand on était ensemble. Mais avant d’être avec elle, je faisais plein des bêtises. Depuis que je me suis mis avec elle, j’ai plus rien fait...

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T. identifie une autre personne-ressource : son patron. En l’engageant comme apprenti, ce dernier lui donne une occasion de se réinsérer, et implicitement, lui offre un support identificatoire désistant. En effet, malgré un passé marqué par la délinquance, le patron de T. a réussi à retrouver une place dans la société conventionnelle, notamment en s’investissant dans le domaine professionnel. Son parcours donne au jeune l’espoir qu’un changement de mode de vie est possible et positif.

J’ai eu aussi un travail que je suis bien tombé, un travail en or. (…) Si j’aurais eu un patron casse-pied genre euh des vieux patrons et tout qui te parlent pas, te font faire des trucs de chien et tout ça, m’aurait énervé, je serais parti direct. Mais là j’ai un patron en or. (…) C’est tout le temps comme ça parce que mon patron, il est passé comme moi. Je ne sais pas, peut-être pas vous dire la même chose, mais il a fait la même chose que moi on va dire. Il me dit « ouais c’est dur, t’y penses tout le temps ». Même lui qui est patron, il me dit « ouais des fois j’y pense des fois et tout, à faire deux trois petits trucs ».

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Par ailleurs, le patron est décrit comme une personne soutenante, à l’écoute, toujours disponible pour T. quand il en a besoin. Au-delà d’être un modèle de changement, le patron se révèle être un substitut du père et vient pallier les fonctions paternelles absentes dans la vie du jeune.

Mon patron m’aide beaucoup parce que voilà… Il m’aide beaucoup parce que c’est quelqu’un que je sais lui parler. C’est comme un père pour moi. Enfin genre, je sais lui dire tout. Par exemple, je peux lui dire euh… enfin… je peux lui dire tout, genre quand je me dispute avec papa ou quoi, je peux lui dire. Le gars, il est là, il m’écoute. Puis après voilà, on se le rend bien. Moi je l’aide beaucoup. Lui, il m’aide beaucoup.

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Deuxièmement, T. aborde les relations familiales sous l’angle de la souffrance vécue et occasionnée. Tout au long de son récit, T. décrit la relation qu’il entretient avec son père; une relation complexe qui joue un rôle tant dans l’entrée que dans la sortie de la délinquance. T. explique ses premiers délits comme des tentatives d’attirer l’attention de son père, et de remobiliser la fonction paternelle.

Il y a eu comme une sorte de… où je me sentais renié par mon papa. Puis ben… moi, je ne sais pas, je me sentais nié. Au début, ça avait commencé, c’était même pas pour faire de l’argent au début parce que c’était des couillonnades. Ben j’étais petit. Au début, ça a commencé à mon avis pour avoir une reconnaissance de mon papa, enfin montrer que j’existe à mon avis. Mais… puis, après, après c’était pas les mêmes bêtises. Quand on grandit, il y a tout qui grandit.

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Cette tentative infructueuse incite T. à chercher d’autres manières de restaurer les relations familiales. Son récit met en lumière une conscientisation progressive de la souffrance occasionnée à ses proches, surtout à sa mère, ainsi que de l’impact indirect de ses conduites délinquantes notamment sur ses neveux, et d’un refus de continuer de ce sens.

Mon avenir, je l’imagine avec ma famille parce que ma mère je lui ai fait du mal. Enfin, je ne sais pas, durant ma jeunesse je lui ai fait du mal donc euh… ma famille, je crois que c’est tout ce que tu as besoin. (…) Rien que je vois ma mère heureuse… Ma mère des fois je suis au travail et je reçois bonne journée mon petit prince. Ça fait plaisir. Avant, j’avais pas ça. Avant, moi et ma mère, on se parlait pas.

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Quand j’étais jeune et que je faisais des bêtises, mon petit neveu il était à la maison et tout, il a déjà vu la police et tout ça, et là il y a encore des fois où il en parle donc... des fois encore il en parle genre euh… « tu te souviens, il y avait la police, ils étaient venus à la maison parce que tu avais pas mis ta ceinture. » On lui avait raconté des bêtises. D’un côté c’est rigolo, tu te dis « punaise, il s’en souvient encore ». Après tu te dis « ça a dû le choquer quand même sur le moment même » et je ne veux pas qu’il ait à revivre ça.

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Au cours des entretiens, T. fait part d’une amélioration progressive de la qualité des relations qu’il entretient avec sa famille. Il se rapproche de sa mère et développe plus de complicité avec sa soeur. Celle-ci devient une ressource dans les périodes de découragement, ainsi qu’une source de validation des changements opérés. Le soutien reçu lui permet, d’une part, de se sentir valorisé et reconnu, et d’autre part, de se sentir épaulé. En restaurant des liens auparavant « abîmés », T. se sent davantage inséré dans un mode de vie conventionnel et, par conséquent, moins attiré vers la délinquance; celle-ci étant incompatible avec le maintien des relations familiales de qualité.

Avant, quand je ne travaillais pas, que je faisais rien, j’avais pas de contact avec mon père et je me disputais tout le temps avec ma mère et ma soeur, elles… pas qu’elles voulaient pas me parler, mais elles ne voulaient pas me voir. Tandis que là, maintenant je suis bien. Je m’entends bien avec tout le monde. Ça, ça fait beaucoup aussi. Ça aide beaucoup » … parce que des fois… quand j’ai envie de tout envoyer péter ou quoi, ben je passe chez ma soeur, on se parle avec ma soeur et elle me dit pourquoi… tandis qu’avant jamais j’aurais fait ça.

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En revanche, alors que les contacts avec son père ont repris, ceux-ci restent ponctuels et leur relation reste conflictuelle et source d’insatisfaction pour T. qui a l’impression que ses changements, ont peu d’impact sur leur relation. T. espère une reconnaissance et un soutien de la part de son père, mais tente de ne pas se décourager et de maintenir ses efforts de changement. Les périodes de découragement se raréfient avec le temps. T. parvient à progressivement se distancier de la souffrance occasionnée par cette relation, pour en tirer une motivation à sortir de la délinquance et à « réussir sa vie » pour obtenir le respect de son père.

Ça m’a aidé aussi à prendre… comment dire, à prendre l’absence de mon père comme une force et pas comme une faiblesse. Mon père avant, il était pas présent et je disais « mon père, il m’aime pas, mon père… il veut pas être là avec moi. ». Tandis que maintenant je prends ça comme une force.

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Au cours de la recherche, T. parvient à accepter son père, et donc leur relation, telle qu’elle est, sans en attendre davantage. L’empathie qu’il développe à l’égard de son père lui permet de dépasser la frustration ressentie initialement, et ainsi, de trouver une nouvelle manière d’être en lien avec lui. En effet, T. décrit l’enfance de son père comme une enfance difficile marquée, comme la sienne, par une relation conflictuelle avec son propre père. De plus, il suit la même voie professionnelle que son père, à savoir une formation en soudure et un investissement massif dans le travail. Enfin, T. espère que, comme son père, il parviendra à ouvrir sa propre entreprise en se débrouillant seul, à passer d’un statut « ouvrier » à un statut « entrepreneur ».

Mon objectif de vie, c’est de devenir comme mon père. Pas sur le plan familial et tout parce que là, il y a eu un peu des hauts et des bas, sur le plan travail et de la vie en gros.

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L’investissement de la sphère professionnelle et la (re)construction identitaire autour du labeur, de l’effort et du travail, apparaissent dès lors à la fois comme une tentative de ressembler à son père et comme une recherche d’approbation et de reconnaissance de la part de celui-ci. Réussir dans le domaine professionnel apparait pour T. comme une manière de se rapprocher de son père, de chercher sa reconnaissance, de le rendre fier de lui.

Je suis plus une fierté qu’avant. Maintenant, il [son père] peut parler de moi avec la tête haute dans le sens où « regardez d’où mon fils, il a démarré et regardez où il est passé… » parce qu’avant, tout le monde disait à mon père « ouais, il va aller en prison. 18 ans, il est en prison et tout ça ». Puis maintenant, ils me voient, 19 ans, je suis là, je suis bien, je travaille. Je vais à l’école toujours, je suis en apprentissage.

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DISCUSSION : QUELLE(S) COMPOSANTE(S) ACTIVE(S) DANS LE PROCESSUS DÉSISTANCE DE T.?

Cet article avait pour objectif, à partir d’une étude de cas unique, d’étudier l’expérience vécue et subjective de la désistance de T., et d’identifier les composantes qui soutiennent ce processus. Au cours de la recherche, T. partage ses réflexions, son évolution, sa trajectoire de vie et le combat qu’il mène pour sortir de la délinquance. Avant de discuter des composantes émergentes de l’analyse du récit de T., il nous semblait intéressant de relever l’intérêt de la méthode qualitative, tant en termes de recherche qu’en termes de clinique. S’il est généralement admis que les études les plus prometteuses dans le champ de recherche en matière de désistance, utilisent des méthodes qualitatives permettant d’accéder à l’expérience détaillée de la désistance (Veysey et al., 2013), ces méthodes pourraient également, indirectement, soutenir le processus de désistance. En effet, le dispositif de recherche utilisé dans cette étude et la posture adoptée par le chercheur, offre au participant un espace de narration dédié au partage de son expérience où le sujet ne se sent ni jugé ni réduit à ses actes délinquants. Le chercheur donne ainsi au sujet l’opportunité de se raconter, de raconter son histoire et de réfléchir sur son parcours de vie. La relation positive créée entre le chercheur et le sujet, que nous avons appelé « alliance de recherche », s’apparente à l’alliance thérapeutique indispensable au processus de désistance assistée (F-Dufour et al., 2018; Glowacz, 2020; Glowacz et al., 2020). Ainsi, nous nous demandons si, comme cela est le cas dans la désistance assistée, cette relation positive, ici créée grâce au dispositif de recherche longitudinal qualitatif, pourrait accompagner le processus réflexif du sujet; ce processus étant identifié comme une composante importante de la désistance (King, 2014; Villeneuve et al., 2020; Weaver, 2019). Il est généralement admis que la désistance assistée ne se limite pas aux relations établies avec des professionnels, cela peut concerner les relations que les délinquants entretiennent avec leur entourage familial et social (F-Dufour et al., 2018). Se pourrait-il qu’avec le dispositif de recherche qualitative, le chercheur joue un rôle dans la désistance assistée? Dans son récit, T. n’identifie pas de manière explicite des interventions qui ont soutenu sa sortie de la délinquance. Il aborde, néanmoins, des relations significatives et de qualité qui l’ont, chacune à leur manière, accompagné durant ce processus. Cela rejoint le concept de désistance assistée informelle, c’est-à-dire la manière dont les relations non professionnelles soutiennent la sortie de la délinquance (F-Dufour et al., 2018). Cela sera explicité au cours de la discussion.

La sortie de la délinquance de T. est associée à un évènement « choc » (à savoir une arrestation policière). Comme le démontre Glowacz (2015), la confrontation au dispositif protectionnel pourrait être un moment clé dans la trajectoire d’un mineur délinquant, non seulement par le rappel à loi, mais aussi et surtout, par la confrontation directe aux conséquences liées aux agirs délinquants. Dans le cas de T., cet événement a fait écho à un questionnement préalable à l’arrestation, et a alimenté l’insatisfaction à l’égard du mode de vie délinquant et la volonté d’en sortir. Comme le démontre l’analyse, le processus de désistance de ce jeune s’accompagne d’une mise en balance des coûts et des bénéfices des modes de vie délinquant et conventionnel. Si l’engagement dans une délinquance active implique un focus sur les avantages de ce mode de vie, la confrontation aux coûts de ce mode de vie peut activer la remise en question du mode de vie délinquant et le souhait d’en sortir (Haggård, Gumper et Grann, 2001; Haigh, 2009). Par la suite, les avantages identifiés au sein du mode de vie conventionnel, tels que l’emploi, l’amélioration de la qualité des relations, l’amélioration de la qualité de vie, etc., permettent le maintien du nouveau mode de vie. Le maintien dans un mode de vie conventionnel est dû à la volonté de l’individu de ne pas risquer de perdre les nouveaux avantages acquis en récidivant (McMahon et Jump, 2018). L’emploi est omniprésent dans le récit de T., et se révèle être une accroche à la réinsertion dans la société conventionnelle qui interagit avec de nombreuses composantes de son processus de désistance. Il apparait comme une activité professionnelle qui, au-delà d’être une source de revenus pour T., redonne un sens à sa vie, lui procure un sentiment de plaisir et de valorisation. La recherche d’un sens à la vie est peu présente dans la littérature sur la désistance des mineurs délinquants, elle constitue pourtant un enjeu important pour tout jeune durant le stade de l’émergence vers l’âge adulte (Mayseless et Keren, 2014) et pourrait dès lors, également jouer un rôle dans les sorties de la délinquance. (Re)Trouver une vie qui a du sens, notamment via le travail, constitue une base pour agir en accord avec son identité authentique (Mayseless et Keren, 2014), pour se projeter et investir l'avenir (Lanz et Tagliabue, 2007), ainsi que pour (re)construire une identité « adulte non délinquante » (Mizel et Abrams, 2018), autant de composantes qui soutiennent la désistance. Par ailleurs, les études indiquent que les interventions les plus prometteuses, en termes de désistance des jeunes, sont centrées sur l’identification, la planification et l’actualisation d’un « projet de vie » concret, réaliste et satisfaisant (Barry, 2010, C.-Dubé et F-Dufour, 2020). De plus, l’emploi en tant qu’activité sociale, lorsqu’elle permet la rencontre de pairs prosociaux et la création des liens institutionnels conventionnels (Mohammed, 2019; Sampson et Laub, 2003), offre aux mineurs AFQI de nouvelles routines qui les tiennent occupés (Amemiya et al., 2017), favorise la réinsertion sociale (Healy, 2020) et réduit la récidive (Amemiya et al., 2017). Elles constituent des sources de contrôle social informel (Farrall, 2002; Sampson et Laub, 2003) ou encore des « crochets pour le changement » (Giordano et al., 2002) puisqu’elles redirigent l'attention de l’individu vers les préoccupations présentes et futures et permettent de se projeter et de s’engager dans des « rôles normatifs prosociaux ». Le rôle de l’emploi dans le processus de désistance de T., notamment dans la transition de l’identité « délinquante » vers une identité de « travailleur », témoigne de la manière dont les interventions menées pourraient soutenir la réinsertion sociale via la réinsertion professionnelle, en proposant, par exemple, des lieux de formation. L’étude de C.-Dubé et F.-Dufour (2020) va dans ce sens en démontrant que les interventions visant la réintégration des adolescents AFQI, dans la société à travers la mise en place de projets de vie (souvent en lien avec la reprise de la scolarité ou l’emploi), sont indispensables à la désistance des mineurs. Ainsi, en parallèle à un travail réflexif, les interventions pourraient cibler le réancrage des jeunes dans une fonction sociale à travers un projet professionnel. En effet, même si l’introspection est importante, la clinique ne se limite pas à une clinique introspective, elle implique à la fois une démarche réflexive, à la fois une clinique psychosociale, qui soutient la réinscription du jeune dans des relations professionnelles positives tout autant que familiales et sociales. Une autre dimension relevée par notre étude porte sur les relations et l’ouverture aux autres. T. se sentant jugé et sous-estimé dans ses compétences, il manifeste le besoin d’être reconnu en tant que personne à part entière dans sa globalité, avec des qualités et des défauts. Il refuse de limiter son identité à la délinquance et revendique le fait d’être considéré au-delà des actes délinquants commis. T. a besoin qu’on reconnaisse sa valeur et ses compétences au-delà de ses passages à l’acte et de ses failles, qu’on valorise les efforts mobilisés et la persévérance dont il a fait preuve pour sortir de la délinquance et rebondir positivement. Cette volonté d’être vu comme une « personne », et de ne pas être stigmatisé et réduit à la délinquance a toujours été présente (pendant et après la période de délinquance) et se révèle être un moteur de changement. Nous retrouvons ici le poids de la reconnaissance sociale sur le changement pour pérenniser les changements (Maruna, 2001; McNeill, 2016; Nugent et Schinkel, 2016; Weaver, 2019). Cela rejoint le concept de désistance tertiaire qui implique que les changements opérés au cours du processus de désistance se consolident avec la reconnaissance des efforts de changement par autrui, ainsi que le développement d’un sentiment d’appartenance sociocommunautaire (C.-Dubé et F.-Dufour, 2020; McNeil, 2016; Nugent et Schinkel, 2016). La posture agentique du jeune, perceptible entre autres à travers le sentiment de maitrise, l’espoir et la persévérance est un autre moteur dans le processus de désistance qui peut être soutenu et encouragé par les intervenants. Par ailleurs, la décentration de soi permet à T. d’intégrer l’Autre dans sa sphère interpersonnelle, de prendre en compte l’impact possible de ses actes sur les autres, d’abord sa famille (mère, neveux, soeur) puis les victimes de ses délits. Pour T., s’ouvrir à l’Autre ne se limite cependant pas à développer de l’empathie pour les autres, cela implique aussi de s’ouvrir à des modèles identificatoires non déviants remplaçant les modèles identificatoires déviants. Ces nouveaux modèles identificatoires peuvent se manifester dans différentes sphères. Ils offrent un « guide de conduite » auquel se référer pour réduire l’angoisse de l’inconnu inhérent à tout changement et encouragent l’abandon de l’identité négative au profit d’une identité positive. De plus, le développement de considération et d’empathie pour son entourage et pour les victimes alimente la remise en question du mode de vie délinquant et constitue un frein à la commission de nouveaux délits. Cette ouverture aux autres s’accompagne également d’une amélioration de la qualité des relations familiales et sociales. En effet, au cours de la recherche et de son parcours de désistance, T. réinvestit des relations familiales fragilisées, et fait l’expérience de relations plus sereines et plus proches. La relation avec son père s’apaise. Sa mère et sa soeur deviennent des personnes-ressources, c’est-à-dire, des personnes à l’écoute et disponibles, lorsqu’il a en besoin, des personnes qui le soutiennent dans ses changements et le valorisent dans une identité non délinquante. Son ex-petite amie et son patron sont également identifiés comme des personnes-ressources. Dans la littérature sur la désistance, il est établi que les relations significatives et de qualité jouent un rôle primordial dans le processus de sortie de la délinquance (Laub et Sampson, 2003), c’est la désistance assistée (F-Dufour et al., 2018). Que ce soit dans les relations familiales, sociales ou sentimentales, la dynamique relationnelle, plus que la nature du lien, s’avère déterminante (De Lerminat, 2019; Glowacz, et al., 2020). Il est donc nécessaire de reconnaitre que les parents, l’ami ou le partenaire amoureux, mais aussi l’intervenant de terrain, peuvent apparaitre comme des « agents de désistance » susceptibles d’infléchir la trajectoire de délinquance, ceux-ci pouvant servir de modèles d’accroche positive. Il est d’ailleurs reconnu qu’une relation professionnelle chaleureuse, respectueuse et empathique, basée sur l’authenticité thérapeutique, aidera l’individu à surmonter les obstacles rencontrés dans son processus de désistance (Kirkwood, 2016); la qualité de la relation pouvant être aussi (voire plus) importante que la nature du programme d’intervention (Burnett et McNeill, 2005; Glowacz et al., 2020; Kennealy et al., 2012; Kirkwood, 2016). En créant une relation patient-intervenant de qualité, l’intervenant social donne à vivre aux mineurs délinquants une expérience relationnelle particulière qui permet d’échanger, de se confronter, de découvrir et d’expérimenter de nouveaux modes relationnels. Il crée ainsi un espace privilégié au sein duquel un réaccordage du mineur délinquant à la société conventionnelle peut s’opérer. En tant que représentant de la société de laquelle les mineurs AFQI se sentent exclus, l’intervenant participe à la reconnaissance sociale du changement (ce qui renvoie au désistement tertiaire) et renforce l’espoir et la confiance en soi ressentis par les « délinquants ». Aussi, en considérant les jeunes AFQI au-delà de leur étiquette de délinquant, l’intervenant contribue à une reconstruction identitaire positive. En effet, comme le démontre la théorie de la prophétie autoréalisatrice, la confiance a priori de l’intervenant quant à la capacité de changer d’une personne, augmente la probabilité que le changement de comportement survienne (Maruna et Lebel, 2012; Miller et Rollnick, 2006). Si cette posture optimiste de l’intervenant peut soutenir la désistance, l’absence d’un tel style d’intervention pourrait, au contraire, entraver la sortie de la délinquance, comme le montre l’effet Golem (Maruna et Lebel, 2012; Miller et Rollnick, 2006). Par ailleurs, un espace de travail chaleureux et sécurisant permet aux mineurs délinquants de s’engager dans un travail d’introspection et de réflexion qui les aide à donner du sens à leur parcours, à mobiliser leurs ressources, mais aussi celles présentes dans leur environnement, en vue de surmonter les obstacles rencontrés dans le processus de désistance et à se saisir des opportunités de changement qu’ils rencontrent. Ces conclusions sont corroborées par d’autres études portant sur la désistance assistée (C.-Dubé et F.-Dufour, 2020; F.-Dufour et al., 2015, 2020; Healy, 2020; King, 2014). Le cas de T. démontre l’importance dans le processus de désistance, de combiner à la fois une clinique introspective (questionnement sur soi et ses valeurs, mise en balance des coûts et des bénéfices, décentration, empathie, etc. ) et une clinique psychosociale (relations, modèles identificatoires, accroches positives, etc.), dans des séquences uniques et singulières au sujet. Cela rejoint le modèle interactionniste (Weaver, 2019; F.-Dufour et al., 2015; Giordano et al., 2002; Healy, 2013; Maruna, 2001) modélisant la désistance comme un processus complexe, varié et incertain, qui résulte d’une interaction complexe et réciproque entre des facteurs individuels et des facteurs sociaux.

Limites de la recherche

Au-delà des apports de notre recherche, nous pouvons relever certaines limites ainsi que des perspectives pour des études futures. Une première limite que l’on pourrait relever est l’absence de référence à des données judiciaires officielles pour objectiver la désistance. Toutefois, cette démarche serait contraire aux principes méthodologiques choisis. On pourrait dès lors avancer que cette limite constitue une caractéristique de notre recherche, en ce sens qu’elle nous a permis de nous centrer sur le récit du jeune pour analyser les processus et les dynamiques évoqués, tout en nous distanciant des données officielles qui auraient pu entraver le regard que nous portions sur lui et son récit. Une autre limite concerne la période de suivi. Celle-ci s’arrête au début de la période de l’émergence vers l’âge adulte, et ne permet dès lors pas d’analyser les mécanismes en jeu dans la stabilisation du réaccordage du jeune à la société et dans le développement de sa vie adulte. Une période de suivi plus longue durant la période de l’âge adulte permettrait d’évaluer les schémas de désistance à long terme et ainsi de compléter et d’apporter plus de nuances et de précisions, aux dynamiques en jeu dans le processus de désistance. Une autre limite encore inhérente à l’étude de cas unique est qu’elle ne permet pas la généralisation des résultats, et donc, la transférabilité des résultats à l’ensemble de la population, elle permet néanmoins une généralisation théorique où l’analyse du particulier permet de comprendre le phénomène social étudié (Smith et al., 2009).