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Pour la plupart des couples québécois, devenir parent s’avère une expérience positive même si cela comporte des défis à surmonter (Lacharité et al., 2015). La manière dont ils composent, avec leurs émotions et celles de leur enfant, influence leur vécu en tant que parents. En quelque sorte, la parentalité se construit à partir des perceptions, des croyances au sujet de leur rôle parental et des connaissances acquises sur le développement de leur enfant. Quel que soit le niveau socioéconomique, des facteurs sociaux et contextuels tels que la relation conjugale, le besoin d’information sur le rôle de parent et sur le développement de l’enfant ainsi que le soutien social, ont des répercussions sur l’exercice de la parentalité (Belsky, 1984; Capponi, 2015; Lacharité et al., 2015). Or, la satisfaction ou la détresse vécue par les parents, les besoins de soutien ou le sentiment d’être soutenu et le sentiment d’efficacité parentale, modifient le regard que jette le couple sur leur expérience parentale (Lacharité et al., 2015).

De ce fait, une expérience parentale plutôt négative, pouvant être associée à un sentiment d’efficacité plus faible ou à stress parental plus élevé, est liée à des pratiques parentales plus défavorables (Corneau et al., 2013; Russell et al., 2011). En pareil cas, on peut observer des comportements tels que hausser la voix, crier, être en colère plus souvent, ou raconter moins fréquemment des histoires à leurs enfants de moins de six ans (Lavoie et Fontaine, 2016). De plus, ces chercheuses constatent que les mères vivent plus de pression sociale comparativement aux pères (Lavoie et Fontaine, 2016). En particulier, les mères expriment des inquiétudes relatives à la gestion des différentes tâches à assumer (personnelles, conjugales, parentales, professionnelles ou ménagères) (Capponi, 2015). Cette pression sur la façon dont elles s’occupent des enfants provient de la famille, collègues, amis, médias, intervenants, éducateurs, enseignants, professionnels de la santé ou d’elles-mêmes (Lavoie et Fontaine, 2016). Pour Hall et Bishop (2009), il existe une « anxiété culturelle » relative à la maternité qui s’observe dans les médias. En ce sens, il s’avère intéressant de documenter l’expérience des mères québécoises d’enfants préscolaires en lien avec l’utilisation des réseaux sociaux et Internet.

L’objectif de notre étude vise donc de décrire l’expérience des mères ayant déjà utilisé les réseaux sociaux et/ou Internet,[3] pour exercer leur rôle parental auprès de leurs enfants d’âge préscolaire compte tenu que les réseaux sociaux occupent une grande place dans la vie de nombreuses femmes (O’Higgins et al., 2014). Face à ce phénomène croissant[4], il semble intéressant d’avoir accès à leur point de vue quant à leur expérience associée à l’utilisation des réseaux sociaux, de manière à saisir son influence sur la perception de leur rôle et leurs pratiques parentales. Sachant que la qualité du soutien a une incidence sur l’exercice du rôle parental (Belsky, 1984), nous désirons cibler davantage les dimensions sociale et contextuelle dans cet article. Trois thèmes ont émergé de l’analyse des entretiens : les motivations sous-jacentes à utiliser les réseaux sociaux et Internet, l’expérience proprement dite associée à des réactions socioaffectives, et enfin, leur appréciation. L’anxiété de performance pointe à travers ces dimensions et apparait comme une préoccupation qui correspond à une pression sociale de performer et d’éviter de faire des erreurs en tant que mère (Meeussen et Van Laar, 2018).

Les dimensions du réseau social

Belsky (1984) suggère de tenir compte de l’environnement au-delà du système familial, dans le but d’analyser ses effets sur le développement de l’enfant et les pratiques parentales. Les voisins, amis, collègues de travail, les membres de la famille élargie (p. ex., des membres de la belle-famille) ainsi que les professionnels de l’éducation et de la santé et des services sociaux procurent un soutien, soit de nature affective, matérielle, informative/cognitive, relationnelle, ou économique (Belsky, 1984; Lacharité et al., 2015). Selon le modèle du fonctionnement parental de Belsky (1984), ces facteurs de protection et de risque présents dans l’écologie des parents se répercutent, entre autres, sur les pratiques parentales.

L’influence positive du soutien social sur les pratiques parentales a été démontrée dans plusieurs études. Le soutien social favorise une meilleure cohérence dans les pratiques parentales (Marra et al., 2009), des pratiques plus appropriées (Brown, 2012) et un sentiment d’efficacité plus élevé (Izzo et al., 2000). Le stress parental est significativement plus faible auprès des parents qui évaluent avoir un bon soutien social, comparativement à ceux qui perçoivent avoir un faible soutien social (Ma et al., 2016). Tout particulièrement auprès des nouveaux parents, avoir un bon soutien social aurait une incidence positive sur leurs relations conjugales, la qualité des interactions parent-enfant (meilleure sensibilité) et favoriserait une meilleure santé de la mère (Crnic et al., 1984; Salmela-Aro et al., 2010).

Si le soutien social se vit de façon insatisfaisante, limitée ou stressante, il peut représenter un facteur de risque, puisqu’il est relié à une détresse psychologique élevée chez le parent, au désengagement et à un sentiment de faible compétence parentale (Marra et al., 2009). Non seulement celui-ci peut réduire l’habileté des parents à bien exercer leur rôle parental, mais son effet est aussi nuisible au développement optimal de leur(s) enfant(s) (Bigras et al., 2009; Corneau et al., 2013; Desrosiers, 2013). D’où l’intérêt d’investiguer les différentes sources de soutien, dont les réseaux sociaux et Internet.

MÉTHODOLOGIE

À notre connaissance, peu d’études scientifiques portent sur l’utilisation des réseaux sociaux et d’Internet auprès des mères québécoises d’enfants d’âge préscolaire. Nous avons donc choisi d’explorer leur expérience des réseaux sociaux et d’Internet en lien avec l’exercice de leur rôle parental. Pour répondre à l’objectif de cette étude, une recherche qualitative à visée phénoménologique a été retenue. Autrement dit, elle permet de laisser surgir le phénomène et l’auto-explication de ce que les réseaux sociaux et Internet signifient pour les participantes dans leur rôle parental (Fortin et Gagnon, 2016).

La méthode d’échantillonnage par choix raisonné a été privilégiée (Poupart et al., 1997). Les critères d’inclusion impliquaient que les participantes devaient : être volontaires à participer à ce projet de recherche, avoir déjà utilisé Internet ou les réseaux sociaux afin d’obtenir du soutien dans leur rôle parental, avoir entre 18 et 30 ans, et avoir au moins un enfant d’âge préscolaire (moins de 6 ans). Quatre organismes communautaires dans la région Mauricie-Centre du Québec ont été sollicités. Selon leur suggestion, une affiche de recrutement leur a été envoyée et affichée dans leur salle d’attente. Au total, 14 mères ont accepté l’invitation. Deux de celles-ci n’ont pas retourné l’appel de la chercheuse, alors que trois de celles-ci ne correspondaient pas aux critères d’inclusion du projet en lien avec leur âge ou celui de leur(s) enfant(s).

La taille de l’échantillon cadre avec les critères concernant la recherche qualitative ainsi que ceux suggérés en phénoménologie misant sur l’approfondissement des entretiens (Smith et Osborn, 2003). Les participantes recrutées avaient entre 22 et 29 ans et habitaient dans un milieu urbain de taille moyenne. Sur neuf participantes, trois d’entre elles étaient célibataires, cinq étaient conjointes de fait et une était mariée. Trois participantes avaient un enfant, trois autres en avaient deux tandis que trois participantes en avaient trois. Les enfants de celles-ci étaient âgés entre trois mois et six ans. Les entretiens (d’une durée approximative de 90 minutes) ont eu lieu principalement à leur domicile par la même chercheuse. Les données ont été anonymisées.

En vue de récolter les données, un questionnaire comprenant les caractéristiques sociodémographiques des participantes ainsi qu’un canevas pour les entretiens semi-structurés ont été préalablement préparés. Le canevas comporte différents éléments à aborder lors des entretiens, afin de cadrer avec l’objectif de cette étude. Les questions peuvent être formulées différemment en fonction de l’expérience délivrée par la personne, ou encore, ajoutées dans l’optique d’approfondir le sujet (Rocheleau, 2020) :

  • Les motivations ayant mené à la recherche d’informations sur Internet et/ou les réseaux sociaux. Exemples de question : Qu’est-ce qui vous a motivé à aller recueillir de l’information sur Internet? Ou bien : Racontez-moi l’événement qui vous a amenée à aller chercher de l’info sur Internet/réseaux sociaux.

  • Les sources d’informations utilisées (par exemple, Facebook). Exemple de question : D’où vient l’information utilisée?

  • L’effet de l’information utilisée sur l’enfant et/ou les pratiques parentales de la mère. Exemple de question : Quels ont été les effets de l’information utilisée (sur votre enfant ou vos pratiques parentales)?

  • S’il y avait une chose à retenir par rapport à l’entrevue, qu’est-ce que vous diriez?

Les verbatim des entretiens ont été retranscrits pour permettre la codification des données brutes. L’analyse qualitative à visée phénoménologique a d’abord été réalisée en suivant les étapes proposées de Smith et Osborn (2003). Les verbatim ont été relus à plusieurs reprises de manière à mieux faire ressortir l’expérience des participantes. Une réduction des données a ensuite été réalisée en faisant des fiches synthèses des entretiens, pour identifier les principaux concepts discutés lors des entretiens. À partir d’extraits d’entretiens porteurs de sens et significatifs, un code leur a été attribué pour ensuite les relier entre eux et les grouper. Ceci a permis de créer une liste des thèmes et des sous-thèmes qui découlent des entretiens, pour mieux comprendre le phénomène relié à l’expérience des mères d’enfants d’âge préscolaire d’utiliser des réseaux sociaux et/ou d’Internet (Rocheleau, 2020). De plus, la directrice du projet de recherche a identifié parallèlement les thèmes émergents pour assurer une validité de contenu.

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Trois thèmes découlent de l’analyse des verbatim des entretiens. Il s’agit des motivations sous-jacentes à utiliser les réseaux sociaux et Internet, de l’expérience proprement dite associée à des réactions socioaffectives et enfin, de leur appréciation de cette modalité.

D’emblée, la motivation débute avec leur première grossesse. Plusieurs mères ont mentionné chercher de l’information sur Internet et Facebook pour pallier l’insécurité ou la pression vécue au regard de leur nouveau rôle maternel : « être maman, c’est de se faire confiance, mais ça, ça fait peur là, quand tu le deviens. Y’a pas de mode d’emploi, y’a rien… là, t’sais. » (Joanie). Elles s’orientent davantage vers les plateformes des groupes privés de mères, que vers les sites Internet comme « Naître et grandir », dans l’intention de mieux se préparer à leur rôle maternel. Pour une participante, cela correspond notamment à son exigence d’être une « maman parfaite » et à savoir comment réagir aux situations potentielles qu’elle pourrait rencontrer.

J’ai vraiment été full Internet à essayer de toute, à être la maman parfaite pour que quand mon enfant arrive, j’sache tout pis que j’sois quasiment une encyclopédie sur deux pattes pour si mon enfant a quelque chose, c’est telle façon.

Joanie

Leur expérience acquise avec leur premier enfant diminue leurs questionnements, et les recherches d’informations sur Internet et/ou Facebook lors des grossesses subséquentes.

La seconde motivation englobe leur besoin de réassurance à propos du développement normal de leur enfant, ou des meilleures façons de faire (ou des trucs) pour guider leurs conduites parentales. Selon plusieurs participantes, Internet et Facebook leur fournissent un soutien informationnel en vue de trouver des ressources (par exemple l’achat d’un siège auto ou la recherche d’activités accessibles), des informations supplémentaires sur l’application de routines, ou des services offerts, dont les organismes communautaires. Certaines participantes mentionnent qu’elles aiment regarder les publications d’utilisatrices de Facebook par curiosité, afin de percevoir ce que les autres vivent, pour « un peu à travers la vie des autres (…) partager le[ur] bonheur » (Amélie). Certaines ont créé des liens d’amitié avec d’autres utilisatrices et font des activités ensemble. La recherche de soutien informationnel sur les réseaux sociaux semble étroitement intriquée au soutien émotionnel et social.

Cette mobilisation à utiliser les réseaux sociaux et Internet contrebalance la faible présence de l’entourage de la mère. En effet, une participante qui avait un faible soutien social après l’accouchement de sa fille perçoit que ce sont des usagers de Facebook, qui lui apportaient le soutien nécessaire surtout au regard de la DPJ. Quoique plusieurs d’entre elles mentionnent avoir un bon réseau social, elles soutiennent avoir publié sur le réseau social pour obtenir, entre autres, des conseils et astuces par savoir comment intervenir par rapport aux comportements d’un de leur(s) enfant(s). Une participante spécifie : « c’est plus pour me donner des idées! ». Certaines avouent utiliser Facebook et/ou Internet par crainte de déranger leur entourage avec leurs préoccupations. Elles ajoutent que ce sont des situations avec lesquelles elles se sentent dépassées et stressées. Leurs recherches ont pour but de les rassurer à propos des inquiétudes ou des difficultés de langage, ou encore de gérer des comportements difficiles concernant leur(s) enfant(s) d’âge préscolaire, ou finalement « juste ne pas se sentir toute seule ».

Publier sur Facebook permettrait aussi d’aborder des sujets plus difficiles tels que la dépression post-partum, le lien difficile avec son enfant, ou encore un conflit avec un membre de la famille, et d’obtenir des conseils. En pareil cas, une participante parle d’un cri du coeur qu’elle a publié sur les groupes de mères (formés à partir des dates de naissance de leur enfant) :

T’sais moi, à un moment donné, je l’ai marqué quand j’ai fait ma dépression post-partum (…), je savais plus quoi faire, que j’avais besoin de trucs pour pouvoir savoir quoi faire, pour comme m’aider.

Geneviève

D’autres publient des photos de leur(s) enfant(s) sur Facebook parce qu’elles disent subir une certaine pression de leur entourage (membres de leur famille ou des collègues de travail). Elles partagent également sur Facebook, des photos de leur(s) enfant(s) dont elles sont fières. Une participante donne l’exemple de la photo de sa fille qui débutait le primaire ou encore, de moments de complicité entre ses enfants. En résumé, leur motivation vise à obtenir un soutien informationnel, émotionnel et social. Or, surfer sur les réseaux sociaux et Internet, provoque diverses expériences teintées de réactions socioaffectives parfois inattendues, provoquées par des sujets sensibles ou encore, la disparité des réponses.

La disparité entre les réponses reçues et celles attendues, occasionne diverses réactions auprès des participantes. Leur expérience diffère selon les conseils prodigués ou les commentaires émis. Pour certaines participantes, les informations obtenues de la part des utilisatrices de Facebook ont été utiles et efficaces. Par exemple, une participante avoue réaliser ses exigences élevées en fonction de son retour au travail après avoir reçu une publication : « Écoute, tu pourras pas tout faire ». Elle constate à cet effet qu’il « faudrait que tout soit à la perfection » même si elle a des enfants. Une autre participante qui craignait la réaction de son entourage au sujet de l’annonce d’une seconde grossesse rapprochée a obtenu une réponse bénéfique par l’une des utilisatrices de Facebook, qui lui suggérait de se préparer une phrase à dire en cas de réaction négative. Par contre, d’autres ont eu des réactions opposées, puisque les commentaires exprimés créaient des inquiétudes, par exemple lorsque leur bébé ne semble pas suivre les étapes d’un développement normal ou présenter un problème de santé (sommeil, alimentation…) ou encore, des symptômes pouvant s’apparenter à un trouble neurodéveloppemental. Une autre mère rapporte une situation où elle a appliqué sans succès un conseil/truc dans l’intention d’aider son enfant à dormir. Cet échec vécu a amplifié son insécurité par rapport aux difficultés de sommeil de son enfant et son impuissance comme mère. Par ailleurs face à la multitude et la diversification des informations retrouvées sur Internet et/ou Facebook, plusieurs participantes mentionnent ressentir de la confusion et de l’ambivalence. La popularité des réponses influence alors leur choix.

La popularité, mettons de (la réponse obtenue des utilisateurs) t’sais si à revenait souvent j’me disais bon bin si à revient souvent, c’est peut-être parce que t’sais, ça l’a vraiment marché pour beaucoup, fait que ça peut marcher pour moi aussi.

Myriam

Les participantes commentent les publications partagées sur Facebook lorsqu’elles se sentent interpellées par celles-ci ou lorsque les utilisatrices reçoivent des conseils qui sont contre-indiqués à la grossesse. Selon Amélie, commenter les publications des autres sur Facebook favorise son sentiment d’être utile, puisqu’elle a parfois l’impression de n’être qu’une maman.

De pouvoir se sentir utile des fois, t’sais j’veux dire. Des fois, moi t’sais moi là j’suis juste eh… t’sais, des fois, j’ai l’impression que j’suis juste une maman là t’sais. […] Pis là, de pouvoir aider d’autres mamans, des conseiller pis d’me dire bin… peut-être que j’y ai apporté quelque chose aujourd’hui.

Amélie

Les participantes évitent de donner leur opinion au contenu partagé sur des groupes Facebook destinés aux mères pour plusieurs raisons: elles craignent que cela engendre des critiques, chemine vers une confrontation d’opinions, ou entraîne un débat. D’ailleurs, les participantes veulent se montrer respectueuses lorsqu’elles commentent les publications des utilisatrices de Facebook, de telle sorte à ne pas blesser les gens. Certaines ajoutent à leur commentaire qu’elles ne sont pas médecins ou spécialistes pour ne pas donner l’impression qu’elles se perçoivent supérieures aux autres utilisatrices. En ce qui a trait aux commentaires des utilisatrices de Facebook, elles en qualifient certains comme étant négatifs ou peu constructifs.

Les participantes accordent une attention particulière aux jugements qui circulent sur les réseaux sociaux, spécifiquement auprès des groupes constitués de mères ou destinés à celles-ci sur Facebook, incluant le mom shaming, un terme qui désigne « le fait de culpabiliser une mère pour ses choix » (Delinger, 2019). Plusieurs mères trouvent qu’il y en a trop et souhaiteraient que cette pratique disparaisse. Une participante s’attriste de voir les mères se juger entre elles sur des groupes Facebook plutôt que de s’entraider. Selon une autre participante, les jugements peuvent avoir des conséquences négatives sur l’estime des mères. Selon Amélie, observer des personnes se faire juger sur Facebook éveille chez elle de la colère, et elle y intervient en prenant la défense de la personne qui se fait juger.

Après avoir été témoins de mères victimes de mom shaming sur Facebook ou en avoir vécu elles-mêmes, plusieurs des participantes à l’étude choisissent de peu publier sur Facebook au sujet de leur(s) enfant(s) ou de leurs pratiques parentales, ou même, elles s’en abstiennent. Elles craignent de se faire critiquer ou qu’on remette en question leurs pratiques parentales. Caroline ajoute : « Comme ça au moins y a pas de jugements par rapport à mon enfant, fait que ça me met pas en doute non plus en tant que mère sur certaines choses. » Parfois, elles réagissent avec indifférence à leur lecture, alors que d’autres fois, elles ressentent de la frustration, ou bien se sentent blessées. En somme, les mères adoptent différentes réactions et stratégies : rationaliser, supprimer les commentaires, ne pas y répondre, les contredire, écrire un court commentaire ou en parler avec leur conjoint. Parallèlement, quelques participantes trouvent divertissant de voir des conversations qui dégénèrent ou des jugements que les autres mères échangent sur Facebook. Les différents commentaires émis sur les réseaux sociaux font en sorte que les participantes les évaluent.

En accédant ainsi à la vie des gens à partir de leurs publications sur les réseaux sociaux, les mères risquent inévitablement de se comparer entre elles ou évaluer leurs enfants.

Tu fais comme oh boy hein lui y’est vraiment avancé, mais que y’en a qui sont encore plus moins bin qui sont moins avancés que mettons ton ton bébé à toi. […] Tu te dis bon ok on est rendu pas mal dans les mêmes stades. T’sais y va toujours n’avoir des meilleurs pis des pires là, mais, mais non j’pense que ça, ça m’a quand même aidée t’sais faire comme ok j’fais ma job de maman comme il faut (rires).

Myriam

Mettre en parallèle le développement et les comportements de leur(s) enfant(s) avec ceux des autres mères sur Facebook, exerce de la pression quant à leur rôle parental. Selon l’une d’elles, comparer la relation qu’elle entretient avec sa fille avec celles exposées par d’autres mères sur Facebook suscite de la culpabilité, la pousse à se questionner et à se dévaloriser.

Y’en a plein qui mettent leur photo quand y viennent d’accoucher pis « Ahh je l’aime donc bin. ». Pis moi j’me sentais coupable parce que c’est pas que je l’aimais pas ma fille, mais j’ai pas ressenti un lien tout suite avec. Fait que là tu te dis bin, j’suis pas une bonne mère à cause de t’ça, t’sais. […] Pis tu fais pourquoi moi j’suis pas capable d’être de même avec mon enfant?

Joanie

Malgré qu’il soit facile de se comparer ou de comparer leur(s) enfant(s) à l’aide de Facebook, les participantes tentent de s’empêcher de tomber dans ce piège. Elles justifient ce choix en rationalisant la singularité du développement de chaque enfant. Pour éviter de comparer ses enfants avec ceux des autres sur Facebook, une participante dit ne pas lire les publications qui présentent des enfants qu’elle qualifie « d’enfants parfaits ». Lorsqu’elle s’y prête, elle réagit émotivement : « J’regarde les amis pis les enfants pis, les autres... pis là j’me dis mon dieu qu’y ont l’air parfait t’sais. Pourquoi que la mienne est pas de même là t’sais. » (Amélie).

Un autre élément qui ressort de l’analyse concerne la gestion du temps. Si elles apprécient la rapidité et l’accessibilité des informations obtenues par les réseaux sociaux ou Internet, une majorité des participantes réalisent également qu’elles y restent trop longtemps à leur goût. Une participante abonde dans ce sens et se qualifie cyberdépendante, tandis que plusieurs observent qu’elles jettent un regard fréquent sur leur cellulaire ou profitent de pause de 10-15 minutes pour surfer. Selon elles, le lien parent-enfant peut être altéré par le temps accordé à Internet et aux réseaux sociaux. Une participante précise que le fait de regarder un écran lorsqu’elle se retrouve en présence de ses enfants soulève un sentiment de culpabilité. Les participantes aimeraient diminuer la durée d’utilisation, puisque cela leur procurait plusieurs avantages tels que partager plus de moments privilégiés parent-enfant, bénéficier davantage de temps pour vaquer aux tâches ménagères et être un meilleur modèle pour leur(s) enfant(s) en ce qui a trait au temps consacré aux écrans.

DISCUSSION

Les pratiques parentales des mères dépendent bien entendu d’un ensemble de facteurs regroupant les caractéristiques du parent, celles de l’enfant et finalement, les caractéristiques sociales et contextuelles. Les mères s’accordent pour reconnaître la singularité de chacun (enfant et parent). Malgré les caractéristiques de chacun, elles souhaitent obtenir un soutien qui prend diverses formes et tangentes. Les initiatives prises par la mère auprès des réseaux sociaux et Internet ont pour but de composer avec certains comportements de leur enfant, à différentes étapes développementales. Des facteurs tels que la naissance du premier enfant, la pression sociale ressentie, l’éloignement physique de l’entourage, le soutien social perçu, peuvent en partie expliquer leur choix d’utiliser les réseaux sociaux ou Internet.

Dans le dessein de se préparer à leur rôle parental, les participantes cherchent des réponses à leurs questionnements à propos de leur grossesse et du développement de l’enfant. Celles-ci se dirigent entre autres vers des sites Internet axés sur la parentalité, dont le site Naître et grandir. Les études de Madge et O’Connor (2006) et de Larsson (2009) observent aussi qu’Internet est couramment utilisé par les femmes qui s’efforcent de trouver des renseignements au sujet de leur grossesse et du développement foetal. Elles cherchent aussi des informations sur Internet et Facebook en privilégiant spécifiquement les groupes privés de mères explorant des thématiques liées aux soins des nourrissons (par exemple, elles cherchent des informations sur les couches lavables, etc.). Ce soutien informel semble les aider à diminuer leur anxiété et s’ajuster plus adéquatement sur la façon d’exercer leur rôle maternel.

Lorsque les participantes se sentent dépassées ou stressées face à des situations relatives à la parentalité, elles espèrent obtenir des conseils, des trucs ou des solutions rapides sur Facebook. Ce constat est conforme aux résultats des études de Duggan et al., (2015) et ceux de Chalken et Anderson (2017) qui indiquent que les parents partagent sur les réseaux sociaux des questions en lien avec la parentalité en vue de résoudre des difficultés vécues.

Le fait d’avoir peu de soutien émotionnel de la part de leur entourage encourage les mères à se tourner vers les communautés en ligne (Hall et Irvine, 2009). Une participante rapporte qu’en l’absence momentanée de soutien de la part de son entourage, elle a obtenu du soutien émotionnel de la part des utilisateurs de Facebook lorsqu’elle y partageait des publications reliées à son vécu avec la DPJ. La recherche d’information en ligne, en ce qui concerne la santé et le développement de l’enfant, peut être attribuable à la diminution du soutien provenant des amis et de la famille ainsi qu’aux modifications apportées au sein de notre société quant aux contextes entourant la parentalité (Beck-Gernsheim, 2002). Ces résultats concordent avec les résultats de l’étude de Bernhardt et Felter (2004) qui soulèvent que les mères recherchent des renseignements en ligne sur la santé pour en apprendre davantage à l’égard du développement infantile et foetal, ainsi que sur les diagnostics et traitements des problèmes de santé infantiles. Spécifiquement, les participantes ont le réflexe de chercher et d’utiliser des informations se retrouvant sur Facebook qui proviennent de l’expérience des mères comme elles. Ceci concorde avec les résultats de Mendelsohn (2010) qui expliquent que les mères préfèrent recevoir des informations en ligne provenant d’autres mères, plutôt que des informations divulguées par des experts ou dans des livres. Un autre facteur explicatif serait que le séjour à l’hôpital après l’accouchement, dure de moins en moins longtemps. L’étude de Persson et Dykes (2002) démontre l’importance que les parents aient de l’information et du soutien nécessaire pour qu’ils se sentent en sécurité au retour à la maison avec leur nouveau-né. Les réseaux sociaux et Internet compensent ainsi l’isolement ressenti des mères à cause des exigences du nouveau-né (McDaniel, Coyne, et Holmes, 2012) et l’éloignement géographique qui les sépare de leur famille (Gibson et Hanson, 2013). Les mères peuvent alors recevoir du soutien social par l’intermédiaire des réseaux sociaux (Jang et Dworkin, 2014; Moon et al., 2019; Nolan et al., 2015). De façon spécifique, les participantes utilisent les réseaux sociaux dans l’intention de maintenir des liens avec des membres de leur famille, ou avec des ami(e)s qu’elles voient rarement à cause de la distance géographique. Elles leur partagent leur fierté en publiant des photos de leur(s) enfant(s) sur Facebook (Archer et Kao, 2018; Ellison, Steinfield, et Lampe (2007). Enfin, on note que des mères publient leurs questionnements sur Facebook, puisqu’elles ont peur de déranger leur entourage. Ces résultats s’apparentent aux résultats de l’étude d’Harrison, Neufeld et Kushner (1995) qui indiquent que les mères hésitent parfois à demander du soutien social par peur d’être un fardeau ou d’être jugées comme inadéquates. Par ailleurs, c’est comme si les mères devaient tout savoir, cette recherche de certitude pour réussir comme parent les motive à naviguer sur les réseaux sociaux et Internet. Ce mécanisme pourrait être aussi relié à l’anxiété puisque les participantes se soustraient d’interagir, par crainte d’être jugées ou de devoir se justifier. Les mères craignent une désapprobation lorsqu’elles ont l’impression de ne pas se conformer aux idéaux d’une « bonne mère » (Henderson, Harmon, et Newman, 2016; Liss, Schiffrin, et Rizzo, 2013). Ainsi, elles évitent de devoir tolérer des émotions dérangeantes telles que l’anxiété, la honte, la culpabilité ou d’être confrontées à l’échelle de leurs croyances et d’apprivoiser de ne pas tout savoir.

Certaines valeurs sociales et culturelles peuvent même accroître cette attitude de perfectionnisme adoptée par les mères. Curran et Hill (2017) observent que les individus sont plus perfectionnistes qu’autrefois et que les sociétés occidentales contemporaines valorisent la performance et le perfectionnisme. Warner (2005) estime que l’obsession de la perfection place les mères à vivre dans une anxiété permanente. De fait, les médias sociaux peuvent propager ces idéaux (Sherry et Smith, 2019). Les mères sont confrontées à des attentes maternelles idéalisées par la société (Hays, 1996). Douglas et Michaels (2004) dénoncent alors le « mythe de la mère parfaite ». Lancelette et Germain (2018) traduisent cette idéologie du « new momism » comme « un ensemble d’idées, de normes, de pratiques, représenté la plupart du temps de façon puissante dans les médias et qui, en surface, semblent célébrer la maternité, mais qui, en réalité, font la promotion de normes de perfection hors de portée » (p. 2). En ce sens, plusieurs participantes affirment se sentir obligées d’exposer des photos de leur(s) enfant(s) sur Facebook ou par l’intermédiaire de Facebook Messenger pour répondre à la pression de leur entourage. Les mères semblent tiraillées entre satisfaire aux attentes d’être une « bonne mère » en publiant des activités avec leur enfant sur les plates-formes, et ouvrir sur leurs difficultés vécues au quotidien. En effet, une recherche qualitative révèle que les mères se sentaient obligées de correspondre à l’idéal de la maternité, par conséquent, elles « présentaient des images irréalistes et parfois idéalistes de la famille et d’elles-mêmes » [traduction libre] (Djafarova et Trofimenko, 2017, p.24) allant à l’encontre d’échanger sur les défis réels de la parentalité. Une autre participante parle de son exigence que tout soit parfait (ménage, repas, etc.), ce qui correspond souvent à l’image véhiculée dans des magazines ou les blogues. Les discours tenus peuvent être attrayants, mais aussi présenter des normes inaccessibles de perfection à propos des performances domestiques, éducatives et des soins des enfants, ainsi que de la relation avec son image corporelle (mère se bichonnant et s’entrainant malgré ses diverses tâches) (Douglas et Michaël, 2014; Odland, 2010; Johnson et Swanson, 2003). Alors que les mères espèrent obtenir du soutien informationnel et émotionnel pour mieux exercer leur rôle parental en utilisant les médias sociaux, celles affichant des traits élevés de perfectionnisme sont plus susceptibles d’accroitre leur stress et leur anxiété et de présenter des traits dépressifs (Padoa et al., 2018).

Les participantes sont soucieuses de valider l’information en recherchant des sources fiables, cependant, elles tendent à accorder une importance particulière à l’opinion des mères. Par conséquent, plusieurs participantes ont tendance à privilégier les réponses les plus populaires. La fonction « aime » signifie en quelque sorte l’appréciation de l’utilisatrice au groupe sur Facebook. De ce fait, une des modalités de Facebook permet d’afficher des suggestions de groupes similaires aux groupes suivis par l’utilisateur et encourage ainsi l’abonnement à d’autres groupes supplémentaires. Cette fonction offre aux mères de créer de nouvelles amitiés, et ce, de façon imprévue. Des participantes rapportent avoir développé des amitiés grâce au site Internet Blablaland et les groupes fermés de mères sur Facebook. Une mère explique qu’en participant à un groupe fermé de mères sur Facebook, elles finissent alors par se reconnaître lorsqu’elles se croisent en dehors des sites virtuels. Le nombre de publications partagées sur Facebook facilite la conversation et permet occasionnellement de réaliser des activités ensemble et ainsi, de développer des amitiés. Ce constat semble converger avec les résultats de l’étude de Chalken et Anderson (2017) qui soulignent que des mères développent des amitiés, par l’intermédiaire de Facebook, avec des personnes qui leur apportent du soutien. Selon une participante, les activités gratuites ou peu coûteuses publiées sur des groupes Facebook d’organismes communautaires encouragent les mères à sortir de l’isolement. Ces résultats concordent avec ceux de l’étude de Tomlin (2014) qui confirment la possibilité d’interagir avec d’autres personnes qui vivent des défis semblables, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, et par conséquent, d’offrir l’opportunité aux mères plus isolées de se sentir moins seules.

Selon les informations ou les rétroactions fournies, la navigation à travers plusieurs sites ou groupes Facebook peut toutefois générer du stress. Des inquiétudes émergent lorsque les résultats de leurs recherches, mènent les mères à croire que les symptômes de leur enfant, peuvent s’apparenter à une maladie grave ou à un problème de santé/neurodéveloppemental, ou encore que l’enfant ne semble pas suivre les étapes de développement normal, ou bien lorsqu’elles constatent que les conseils appliqués ne fonctionnent pas auprès de leur enfant. Les informations trouvées sur Internet paraissent crédibles aux yeux des mères, pourtant l’étude de Pandolfini et al. (2000) révèle que les informations à l’égard de la santé sur les réseaux sociaux peuvent aller à l’encontre des recommandations données par les directives générales en santé. Toutefois, plusieurs mères expriment ressentir de la confusion vis-à-vis la diversification et à la multitude des informations disponibles sur Facebook et/ou Internet, ce qui concorde avec les résultats de l’étude de Strange et al., (2018), à l’effet que de nombreux parents trouvent les informations contradictoires en ligne. Les participantes affirment alors chercher la validation des informations auprès de personnes travaillant au sein de ressources communautaires ou de personnes en qui elles ont confiance. Certaines vérifient les sources d’informations en examinant leur provenance. Plusieurs mères cherchent à se rassurer, se remettent en question, ou doutent d’elles-mêmes lorsqu’elles reçoivent des commentaires contradictoires sur Facebook. La réaction causée par un biais cognitif les amène à repérer des informations qui confirment le plus souvent leur façon de penser et à écarter les informations qui les contredisent (Frimer et al., 2017; Nickerson, 1998).

Par ailleurs, avoir facilement accès à la vie des autres par l’intermédiaire des réseaux sociaux encourage la comparaison sociale, comme démontré dans plusieurs études (Appel et al., 2016; Chou et Edge, 2012; Fox et Moreland, 2015; Haferkamp et Krämer, 2011). Elles mettent en parallèle les commentaires ou les publications sur les réseaux sociaux destinés aux mères en ce qui concerne la relation parent-enfant, les philosophies parentales, le rôle des mères ainsi que la santé maternelle et physique (de Los Santos, Amaro et Joseph, 2019). Plusieurs participantes affirment qu’elles ne veulent pas comparer leur(s) enfant(s) avec ceux des utilisatrices de Facebook, mais elles admettent céder à cette tentation. En fait, l’étude de Drentea et Moren-Cross (2005) indique que les mères peuvent accéder à un ensemble de normes sur les forums en ligne pour les femmes, concernant le développement du nourrisson, et ainsi comparer leur(s) nourrisson(s) aux autres. De cette manière, les mères tentent de maîtriser la « science de l’enfant » [Kidologie] et de satisfaire aux normes dictées en tant que mère, pour rendre heureux l’enfant et l’élever adéquatement (Dworkin et Wachs, 2004). Lorsqu’elles s’identifient aux situations vécues par les autres ou apprennent que les comportements de leur(s) enfant(s) correspondent aux normes citées, cela influe sur leur satisfaction parentale à l’égard de leur rôle, surtout auprès des nouvelles mères (Amaro et al., 2019). Toutefois, cette évaluation exerce de la pression et sème du désarroi quant à leur rôle parental, puisqu’elles associent les comportements ou le développement de leur(s) enfant(s) comme étant une conséquence directe de leurs conduites parentales. Plusieurs études sur la psychologie sociale expliquent que la comparaison sociale crée des émotions agréables et désagréables pouvant influencer la santé mentale et le bien-être psychologique des individus (Buunk et Ybema, 2003; Gibbons et Buunk, 1999; Smith, 2000; Wood et al., 1994). La culpabilité et l’envie engendrées par la comparaison sociale issue de l’utilisation des réseaux sociaux, affectent négativement le bien-être psychologique des utilisateurs (Park et Baek, 2018), et peuvent avoir une incidence sur l’augmentation des symptômes dépressifs (Feinstein et al., 2013; Meeussen et Van Laar, 2018). Le fait que les utilisatrices des réseaux sociaux tendent à divulguer davantage d’informations positives sur eux-mêmes, comparativement à la réalité quotidienne (Qiu et al., 2012), provoque inévitablement un écart avec le vécu quotidien de certaines lectrices et par conséquent, leur fait vivre un sentiment d’infériorité. La comparaison sociale présente sur les réseaux sociaux, déclenche des jugements par rapport aux pratiques parentales des mères. Pourtant, les participantes s’orientent vers des groupes privés de mères, en raison d’y trouver une certaine confraternité et entretenir des relations égalitaires avec les autres utilisatrices sur des sujets pratiques, alors que près d’un quart des publications comportent des messages portant un jugement négatif (de Los Santos et al., 2019).

Selon les participantes, beaucoup de jugements circulent sur les réseaux sociaux, dont le mom shaming (Delinger, 2019). Plusieurs mères célèbres ont reçu des critiques quant à leurs choix parentaux, dont Beyoncé, Pink et Amy Schumer (Simard, 2019). Après avoir vu des mères célèbres être blâmées sur les réseaux sociaux au sujet de leurs pratiques parentales, l’actrice américaine Lauren Conrad a volontairement choisi de publier peu de photos de son enfant sur son compte Instagram, dans le but d’éviter d’être analysée à son tour (Pham, 2017). La chanteuse populaire Pink a, quant à elle, décidé de ne plus partager de photos de ses enfants après avoir reçu des critiques sur une photo publiée sur Instagram (Gardner, 2019). Selon les résultats de notre étude, les critiques sont principalement liées aux pratiques parentales des mères en ce qui concerne la manière de combler les besoins de base de l’enfant (par exemple, l’habillement, l’alimentation et les techniques pour favoriser l’endormissement chez les enfants). Le Mott Poll Report (2017) indique que les mères d’enfant d’âge préscolaire sont principalement critiquées sur la discipline qu’elles appliquent auprès de leur(s) enfant(s) et sur leur façon de satisfaire aux besoins de base de leur(s) enfant(s) (l’alimentation, le sommeil, la sécurité et les soins). Ce rapport mentionne également que les mères ayant été blâmées ont tendance à éviter les personnes trop critiques à l’égard de leur rôle parental. Ce constat converge avec les résultats de notre étude qui montrent que les mères semblent éviter de recevoir des rétroactions négatives concernant leur rôle parental ou leurs enfants sur Facebook. Par conséquent, elles partageant peu de contenu et/ou des questionnements personnels. Les participantes souhaitent une diminution ou le retrait des jugements acerbes, puisque cela suscite plusieurs émotions et réactions négatives. Ce constat concorde avec les résultats de l’étude de Strange et al. (2018) qui a démontré que les jugements négatifs représentent une préoccupation importante chez les parents qui utilisent les réseaux sociaux. Une participante mentionne que cela joue négativement sur l’estime des mères. Effectivement, l’étude de Moujaes et Verrier (2020) relève un lien entre l'anxiété et l'engagement sur les sites de groupe de mères, avec le niveau d’estime de soi de et la propension à la comparaison sociale.

Dans un autre ordre d’idée, les participantes identifient plusieurs aspects utilitaires qui justifient leur utilisation d’Internet et des réseaux sociaux. Puisque les mères ont des cellulaires, il est facile pour elles d’avoir accès à Internet et aux réseaux sociaux. L’étude de Bennett et al. (2017) note aussi cette accessibilité comme un aspect très apprécié. Les participantes peuvent obtenir sans délai des réponses à leurs questionnements à l’aide, notamment, d’informations basées sur l’expérience des parents, et ce, sans avoir à quitter leur domicile ou encore, à appeler un organisme en fonction de ses heures d’ouverture (Moon et al., 2019). Les résultats de l’étude d’O’Connor et Madge (2004) démontrent effectivement que la possibilité d’accéder immédiatement à des échanges sur des situations semblables avec d’autres parents est fort appréciée. Ainsi, les mères peuvent alors obtenir du soutien informationnel, émotionnel et social facilement et rapidement par l’intermédiaire de leur cellulaire. Cette accessibilité devient aussi une contrainte en termes de gestion de temps et de sentiment d’efficacité. La majorité des participantes considèrent qu’elles consacrent trop de temps à l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux. Elles attribuent plusieurs avantages à une meilleure gestion, dont avoir plus de temps pour réaliser les tâches ménagères et privilégier davantage de moments de qualité parent-enfant. De plus, les mères se préoccupent quant au modèle de référence qu’elles offrent à leur(s) enfant(s) en regard de l’utilisation du cellulaire. L’étude d’Archer et Kao (2018) cite aussi cette préoccupation à l’effet que les mères voudraient être un modèle de référence adéquat sur l’utilisation des médias sociaux et Internet pour leurs enfants. Par ailleurs, l’accessibilité quasi instantanée à des réponses ou des échanges avec d’autres mères sur différentes plateformes, peut avoir comme effet de diminuer rapidement le malaise ressenti par une mère anxieuse, mais de façon éphémère. Ultimement, ce réflexe peut freiner le développement du sentiment d’efficacité personnel en maintenant ce comportement, en particulier pour les mères très perfectionnistes qui ne reçoivent pas la validation ou le soutien espéré (Padoa et al., 2018; Schoppe-Sullivan et al., 2017).

En résumé, les réseaux sociaux peuvent procurer du soutien social aux mères (Jang et Dworkin, 2014; Nolan et al., 2015), ainsi que du soutien informationnel et émotionnel (Niela-Vilén et al., 2014; Nolan et al., 2015), et ce, plus spécifiquement à partir des communautés virtuelles, dont celles apparaissant dans Facebook et les forums de discussion (Daneback et Plantin, 2008). Selon les résultats de l’étude de Bartholomew et al., (2012), la majorité des mères se servent de Facebook afin de se connecter en ligne avec leurs ami(e)s, ce qui peut les aider à renforcer et à maintenir des liens sociaux sans avoir à quitter leur domicile. Les médias sociaux (notamment les réseaux sociaux) sont devenus des variables ayant le potentiel d’influencer la satisfaction parentale (Amaro et al., 2019). Les commentaires positifs, reçus par leurs amies Facebook, accroissent leur satisfaction parentale et leur confiance en leurs pratiques parentales surtout auprès des jeunes mères (Bartholomew et al., 2012; Nolan et al., 2015).

Limites de l’étude et avenues pour les futures recherches

Les résultats de cette étude ne sont pas généralisables à l’ensemble des mères québécoises qui utilisent Internet et/ou les réseaux sociaux, dans le but d’obtenir du soutien dans l’exercice de leur rôle parental. Bien que l’âge et le sexe des participantes de notre étude, correspondent aux caractéristiques des individus les plus enclins à utiliser les réseaux sociaux et Internet (Bernhardt et Felter, 2004; CEFRIO, 2018; Sarkadi et Bremberg, 2005), et que nous ayons obtenu des résultats similaires à plusieurs études, l’échantillon est trop restreint. La méthode qualitative visait plutôt la transférabilité, soit de mieux saisir cette nouvelle réalité dans l’écologie actuelle des mères d’enfants d’âge préscolaire. Les résultats obtenus sont reliés aussi aux caractéristiques de nos participantes. La réalité familiale de ces femmes représente diverses réalités (famille intacte, monoparentalité, primipares ou multipares). Bien entendu a posteriori, certains éléments comme le perfectionnisme serait intéressant à investiguer davantage. Il apparait essentiel de préciser que les participantes bénéficiaient ou avaient accès en quelque sorte, au soutien de la part d’intervenants, puisqu’elles ont été recrutées à partir d’organismes communautaires situés dans la région Mauricie-Centre-du-Québec.

CONCLUSION

Avec les résultats de cette étude, il est possible de mieux comprendre le vécu et les besoins des mères qui emploient Internet et/ou les réseaux sociaux, pour pallier l’isolement ou l’insécurité ressentie. Cette étude a également permis d’augmenter les connaissances en ce qui concerne l’influence d’Internet et des réseaux sociaux sur l’exercice du rôle parental des mères. Les réseaux sociaux et Internet offrent une accessibilité et une disponibilité incroyables, procurant un sentiment d’appartenance à divers groupes de mères sur Facebook, qui partagent divers intérêts similaires (allant de l’achat des couches lavables à la dépression post-partum ou le développement de l’enfant…)

Les éléments proximaux (l’entourage immédiat de la mère) et les éléments distaux (différents groupes de mères sur Facebook) interviennent en guise de soutien offert aux mères. Le soutien social reçu de l’entourage et celui institué par l’intermédiaire des réseaux sociaux et Internet répondent aux solutions tentées, pour contrer l’insécurité vécue par les mères d’enfants d’âge préscolaire. La recherche d’information et de soutien social se transforme en quelque sorte en lignes de conduite pour les parents, offrant des représentations sociales de ce qui est acceptable (ou inacceptable) dans les conduites parentales, et même dans les achats de tels ou tels produits (les couches ou autres).

Malheureusement, les mères font face à une multitude d’informations affirmant tout et son contraire. Devant une telle abondance d’informations, les mères s’orientent vers des proches, des réseaux formels (par exemple des organismes communautaires), pour se valider. Ce qui au départ servait de réassurance peut provoquer de l’insécurité, c’est un peu comme si les réseaux sociaux ou les forums de discussion deviennent la tribune des croyances, des représentations et des discours sociaux portant non seulement sur comment devrait être un enfant, mais aussi sur comment devrait être une mère. Certaines mères parlent alors de la « mère parfaite » ou des « enfants parfaits ». Plusieurs facteurs contextuels et sociaux peuvent expliquer cette pression ressentie des mères de correspondre à cet idéal. Certains auteurs invoquent la pression de réussir parfaitement autant au point de vue familial que celui professionnel (Meeussen et Van Laar, 2018), tout en souscrivant la maternité comme un objectif de vie central pour l’accomplissement des femmes (Chrisler, 2013). Ce discours dominant renforce les mères à assumer les soins comme principale responsable, même au détriment de ses propres besoins (Liss et al. 2013; Newman et Henderson, 2014). D’autres auteurs s’intéressent à l’idéologie du maternage intensif (Butler, 2010; Hays, 1996). En dépit du fait que la collectivité contribue théoriquement au bien-être des enfants, une pression s’active auprès des parents pour se conformer à la « science de l’enfant » qui dicte les normes, pour élever les enfants, les stimuler et les rendre heureux (Amaro et al., 2019; Dworkin et Wachs, 2004). Butler (2010) observe que ces guides exercent en quelque sorte un contrôle sur les agissements des parents. Derrière ce diktat, se cache aussi une anxiété de performance alimentée par la comparaison sociale qui soulève parfois un sentiment d’infériorité et affecte le bien-être des utilisatrices (Parket Baek, 2018). Ainsi, ces comparaisons déteignent sur leur bien-être émotionnel et leur incidence semble avoir augmenté ces dernières années avec l’émergence des réseaux sociaux et des sites de réseautage (Djafarova et Trofimenko, 2017; Padoa et al., 2018), tout particulièrement auprès des femmes qui aspirent à la perfection (Moujaes, et Verrier, 2020). Pourtant, ces images de perfection tendent à divulguer des informations embellies comparativement à la réalité quotidienne des parents (Qiu et al., 2012). Il serait intéressant d’explorer davantage cette comparaison sociale vécue à la fois par les mères, et par les pères dans des études ultérieures, de comprendre les facteurs contribuant à tomber dans le piège d’un mode de conduites parentales pour devenir des parents performants et parfaits. Cette recherche de certitude risque de les éloigner de leur propre senti, de faire confiance en leurs propres capacités ou d’être des parents suffisamment bons (Winnicott, 2006). Enfin, les participantes préfèrent interagir en personne ou au téléphone. Les conversations réalisées sur Facebook ou Facebook Messenger sont moins appréciées, puisqu’il est plus difficile de décoder les émotions de leur interlocuteur. Certaines participantes souhaitent des groupes Facebook animés par des professionnels. Cette alternative nous apparait particulièrement intéressante auprès des jeunes parents, puisque ceux-ci nomment peu les professionnels comme ressource sociale significative (Capponi, 2015). Comment alors offrir des services complémentaires aux groupes privés des mères sur Facebook, puisque ces groupes assurent une entraide et confraternité entre les mères? Balado, école de parents? Chose certaine, les réseaux sociaux deviennent des incontournables pour comprendre la parentalité et les valeurs véhiculées en 2021.