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Cet ouvrage, très bien documenté et d’un style fluide et agréable, se lit comme une enquête sur un personnage marquant du christianisme mais absent des Évangiles. Les quatre chapitres de la première partie sont consacrés à la présentation du rôle du culte des saints et de sainte Anne en particulier dans le passage du paganisme au christianisme. Ce n’est que dans les chapitres de la seconde partie que nous abordons les rivages de l’Acadie avec le rôle de la sainte dans la conversion des Micmacs ; la rivalité entre la dévotion à la Vierge de l’Assomption promue par le clergé et la dévotion à sainte Anne comme pratique populaire ; et les pratiques associées au culte de sainte Anne et à la fête de l’Assomption à partir de la consultation de sources journalistiques et d’entrevues réalisées par divers chercheurs entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Étrangement, en guise de conclusion, l’auteure reprend la discussion abordée au début de l’ouvrage et intitule la première section du chapitre « Sainte Anne chez les Bretons ou le difficile passage du paganisme au christianisme ». Il me semble qu’une conclusion sur le thème de l’ouvrage aurait été plus adéquate.

Les références bibliographiques sont très riches, mais on remarque l’absence de deux oeuvres incontournables de Paul-Victor Charland dont la consultation aurait permis à l’auteure de mieux expliquer l’histoire du culte : Les trois légendes de madame sainte Anne, 1898 et Le culte de sainte Anne en Occident, seconde période : de 1400 (environ) à nos jours, 1921. On remarque aussi l’absence, à une exception près, de l’excellente littérature de langue anglaise sur sainte Anne. Entre autres, l’ouvrage clé de Kathleen Ashley et Pamela Sheignorn (Interpreting Cultural Symbols : Saint Anne in Late Medieval Society, 1990) lui aurait permis d’éviter de nombreux détours ésotériques sur de supposés mystères (une approche que les auteurs français semblent privilégier) et de présenter de façon plus pragmatique et fonctionnelle les rôles et statuts de la sainte dans l’Europe médiévale et, par extension géographique, temporelle et culturelle, au Canada français. Absence également de l’abondante littérature de langue anglaise sur sainte Anne et les Micmacs et, enfin, quelques ouvrages théoriques pertinents, dont celui de John Eade et Michael J. Sallnow (Contesting the Sacred : An Anthropology of Christian Pilgrimage, 1991), qui lui auraient permis de situer sa recherche dans un cadre théorique, conceptuel et méthodologique plus adéquat que celui, un peu daté, des Freud, Weber et Van Gennep utilisé par l’auteure.

Dans cet ouvrage qui se veut une étude ethnohistorique, mais qui n’en respecte malheureusement pas les méthodes, l’auteure, qui se présente comme une « historienne des mentalités », avoue s’être « d’abord sentie étourdie » face aux sources et être « toujours tentée d’embrasser toutes les avenues en même temps » (p. xviii). C’est un peu l’effet que produit cet ouvrage qui part dans toutes les directions et qui mélange les époques, les lieux et les disciplines, bref, qui manque d’unité et de structure et dont la surabondance de données, souvent présentées pêle-mêle, donne le vertige. L’auteure aurait beaucoup gagné à s’en tenir à une approche synchronique basée sur les sources secondaires, très bien exploitées d’ailleurs, et à éviter les emprunts à la psychanalyse et à l’ésotérisme évoquant le mystère, l’inconscient collectif, les sorcières, la psyché collective, la Terre-Mère Gaïa, le matriarcat amérindien (un mythe tenace il faut croire), et « la religion de la Grand-Mère qui aurait été détrônée par Yahvé » (p. 331). Ces références d’un hermétisme contourné et psychanalysant, et la tendance à chercher à résoudre une énigme liée aux grands mystères antiques, portent ombrage à un travail autrement passionnant, sérieux et très bien documenté. Cela dit, cette intéressante mise à jour du culte à sainte Anne s’imposait en raison de la persistance et de la popularité des pèlerinages comme pratique religieuse. L’auteure présente une relecture fidèle de plusieurs études peu connues et ce livre sera utile et plaira sûrement aux étudiants et à un lectorat grand public qui désirent approfondir leurs connaissances sur le personnage de sainte Anne et son culte en Occident, mais je crois que le lecteur acadien, attiré par le titre, aura quelques surprises !