Article body

Au moment de rédiger cette recension, j’hésite encore sur la nature de sa contribution : un excellent livre de science politique ou une étude originale sur les politiques d’intégration ? Il s’agit à coup sûr d’un ouvrage de grande qualité, qui se lit de surcroît avec plaisir. Rédigé dans le sillage d’une thèse de doctorat remarquée mais ayant depuis été retravaillée et bonifiée de façon significative à la faveur d’un séjour au MIT, ce livre n’a qu’un seul défaut : celui de ne pas avoir un titre plus précis. Car l’action publique locale dont il est question couvre une longue période, et elle concerne deux municipalités québécoises distinctes, soit Montréal et Laval. Certes, ces deux villes hébergent à elles seules la majorité des immigrants admis au Québec (respectivement 500 000 et 75 000 en 2006). Mais leur destin en matière de politique d’intégration des immigrants est singulier, comme le montre fort bien l’auteure, qui a choisi de rendre compte de la divergence de leurs trajectoires. En fait, l’action locale en cette matière doit être décrite au pluriel et, pour comprendre la diversité des parcours des municipalités et de leurs partenaires, Aude-Claire Fourot propose une énigme, soit un schéma illustrant la chaîne argumentative permettant de suivre les différentes phases de l’action publique locale. À la différence des travaux de Kristin Good (2009) qui établissent un lien direct entre le degré de « réceptivité » des municipalités face à la diversité et la composition ethnoculturelle de leur population, l’auteur adopte une approche néo-institutionnelle de type historique qui tente à la fois de saisir l’ensemble des variables explicatives dans leur configuration institutionnelle et de repérer les moments décisifs qui séparent ces configurations et marquent des trajectoires institutionnelles différenciées. Après avoir retracé la mise à l’ordre du jour progressive par les villes des préoccupations relatives à l’intégration des immigrants entre 1960 et 1985, l’auteure applique son schéma aux deux villes sélectionnées en suivant la mise en place d’une action publique locale jusqu’aux années 2000, puis son institutionnalisation jusqu’aux années 2010. Solidement appuyée par un travail d’archives, une recherche documentaire fouillée et une cinquantaine d’entretiens semi-directifs, la démonstration est fort éclairante et l’énigme résolue.

Au-delà du contraste entre une ville ouverte à la représentation des intérêts des immigrants et des minorités culturelles et une autre qui adopte au contraire un mécanisme de médiation fermée, le livre d’Aude-Claire Fourot témoigne des vertus d’un dispositif analytique complexe permettant une étude longitudinale fine dans un champ politique à acteurs multiples. Il montre aussi les marges de manoeuvre significatives dont disposent les municipalités en matière de choix politiques pour accueillir la diversité ethnoculturelle sur leur territoire, alors qu’elles sont en principe des acteurs mineurs dans l’intégration des immigrants face aux gouvernements des échelons supérieurs.