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Nous utilisons ici des données du milieu des années 1990 afin d’examiner deux problèmes liés : 1) les changements dans les inégalités salariales au Québec et en Ontario ; 2) la mobilité entre les divers niveaux de salaire sur une période de cinq ans. Nous nous sommes penchés sur ces sujets parce qu’ils sont, à notre avis, intéressants en soi ; de plus, ils permettent d’observer les effets de changements économiques importants sur la structure sociale. Plusieurs écrits récents font valoir l’existence d’effets négatifs de la « mondialisation » ; en sociologie, bon nombre d’études exhaustives se sont penchées sur le sujet (par exemple, Hirst et Thomson, 1999 ; Swank, 2002). Cependant, de nombreux autres écrits ne se soucient pas des faits[1]. Pourquoi donc se concentrer sur l’inégalité salariale ? Pourquoi examiner la mobilité des individus sur un laps de temps relativement court plutôt que sur des générations ? Et pourquoi comparer le Québec et l’Ontario ?

Nous nous concentrons sur l’inégalité salariale parce que nous sommes intéressés par le marché du travail. Dans les travaux d’économie politique comparative, plus particulièrement ceux traitant de l’État providence, on met habituellement l’accent sur l’inégalité des revenus (par exemple, Esping-Andersen, 1990, p. 56-57 et 1999, p. 114). Cependant, celle-ci est le résultat de processus relevant de plusieurs secteurs institutionnels différents – les transferts gouvernementaux définis sur la scène politique, les profits, dividendes et taux d’intérêts au sein des marchés des produits et des capitaux, ainsi que les processus du marché du travail qui nous intéressent ici. Il est important de distinguer les salaires du marché du travail dans l’analyse, parce que plusieurs recherches récentes affirment que le marché du travail, dans les pays capitalistes, a été soumis à une série de changements réduisant la qualité moyenne des emplois. Plusieurs emplois seraient ainsi devenus moins stables et moins rémunérateurs à cause de la mondialisation ; la croissance du commerce international et de la mobilité des capitaux aurait fait pression sur les salaires moyens et la qualité d’emploi, plus particulièrement au niveau inférieur de la répartition salariale (Wood, 1994 ; Feenstra et Hanson, 2003)[2]. De tels effets négatifs sur les salaires peuvent ne pas être visibles dans la répartition des revenus, puisqu’ils peuvent être amortis par les transferts gouvernementaux. Néanmoins, si de tels transferts compensatoires sont nécessaires, il faut identifier les changements initiaux du marché du travail qui les entraînent, d’où l’analyse des salaires.

Sous-tendue par son intérêt pour l’égalité des chances, la recherche sociologique sur la stratification s’est beaucoup intéressée aux mouvements intergénérationnels entre les professions ; celles-ci sont considérées comme un bon indicateur de cette égalité puisqu’elles sont un indicateur des salaires cumulatifs (lifetime earnings). En dépit des avancées de la recherche dans cette direction, on a récemment plaidé pour une réorientation de la recherche sur la stratification. DiPrete (2002) indique que, bien que la mobilité intergénérationnelle soit importante, la mobilité durant la vie l’est également et permet notamment d’évaluer les conséquences des politiques du marché du travail et d’assistance sociale sur le niveau de vie. Ceci apparaît nettement dans la recherche sur la pauvreté. Une grande partie de la population doit faire face à la pauvreté au cours de sa vie ; cette situation est temporaire pour la plupart des individus ; une pauvreté sévère et continue sur plusieurs années est beaucoup plus rare (Morissette et Drolet, 2000)[3].

Selon toute vraisemblance, les passages entre les divers échelons de l’échelle salariale ne sont pas limités à la partie inférieure de la distribution. Dans cette mobilité salariale, les individus vont agir selon différents niveaux de détermination et de compétence, ainsi qu’avec différents niveaux de chance, afin d’accroître leurs salaires relatifs. Aussi nous examinons cinq années de mobilité salariale individuelle.

Finalement, pourquoi le Québec et l’Ontario ? Ces deux provinces forment le centre manufacturier du Canada. La libéralisation générale du commerce international et de la mobilité des capitaux engendrée par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, remplacé par l’Organisation mondiale du commerce, en 1988, ainsi que l’Accord de libre-échange (ALE) entre le Canada et les États-Unis, auquel s’est ajouté le Mexique dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1994, a sensiblement augmenté l’exposition de l’industrie canadienne à la compétition étrangère. La concentration du secteur manufacturier en Ontario (en particulier) ainsi qu’au Québec indique qu’il s’agit des deux provinces canadiennes où les effets des accords sont vraisemblablement les plus importants. Les conséquences négatives de la concurrence commerciale devraient se manifester dans ces deux provinces.

Nous nous intéressons aux fluctuations de l’inégalité salariale au Québec et en Ontario pour une autre raison. Les deux provinces diffèrent (ou plutôt sont présumées différentes) à certains égards qui peuvent influencer le développement des inégalités salariales et les effets de la mondialisation sur celles-ci. Il existe notamment des différences dans les orientations politiques générales. L’idée de solidarité est récurrente dans la rhétorique politique québécoise. Elle a été et reste incluse dans les noms de plusieurs ministères. Le mouvement syndical québécois a été caractérisé par l’engagement envers cette valeur. C’est ainsi qu’ont été mises en oeuvre des politiques visant le bien-être des employés en général. D’importants secteurs du mouvement syndical ont dépassé les préoccupations corporatistes de leurs propres membres (Fournier, 1991)[4] ; Bourque (2000, p. 189) développe ce thème et parle d’une « reconfiguration du modèle québécois dans une approche partenariale ». De plus, depuis 1976, le Québec a été plus souvent dirigé par un parti se définissant comme social-démocrate, au pouvoir pendant la plus grande partie de la période étudiée dans cet article.

Nous pouvons nous attendre à ce qu’un gouvernement adhérant (souvent) à la social-démocratie, jumelé à un mouvement syndical « solidaire », mette en place davantage de protection pour les faibles salariés que dans une province – telle que l’Ontario – où ces valeurs ont été moins présentes. Durant la période étudiée, le taux de syndicalisation en Ontario était d’environ 10 points de pourcentage plus bas qu’au Québec. Si des fonds de placement syndicaux destinés à la création d’emplois sont utilisés comme indicateurs (tel le Fonds de Solidarité), il est clair que l’Ontario se classe derrière le Québec. Il est vrai que, de 1990 à 1995, le Nouveau Parti démocratique gouvernait l’Ontario. Mais il fut remplacé par un parti conservateur, qui annula la plupart des politiques sociales-démocrates mises en place par son prédécesseur (voir, par exemple, Martinello, 2000)[5]. On peut donc supposer qu’au Québec des barrières contre le niveau grandissant et élevé des inégalités salariales aient été présentes, et ce plus qu’en Ontario.

Des différences existent aussi entre les économies provinciales. Bien que le Québec et l’Ontario constituent le centre manufacturier du Canada, le niveau moyen de productivité est inférieur au Québec. Baldwinet al. (2001) ont examiné en détail ces différences pour la période étudiée ici et arrivent aux conclusions suivantes : 1) le niveau moyen de productivité au Québec était environ 9 % plus bas qu’en Ontario ; 2) le plus grand écart concernait les « services à rémunération forte » (incluant les services financiers, secteur où la concurrence internationale est grandissante) ; 3) la différence résiduelle s’explique par une productivité inférieure au Québec dans les industries manufacturières, très faiblement innovatrices (par exemple, le matériel de transport, les textiles, l’ameublement, l’industrie du vêtement), et ce combiné au fait que le Québec détient une plus grande part des emplois dans les industries manufacturières moins productives[6]. En matière de structure industrielle, le Québec semblait moins bien préparé que l’Ontario pour affronter la compétition croissante dans le cadre de la mondialisation en général et, en particulier, de l’intégration de l’économie nord-américaine. Cela pourrait signifier des inégalités salariales plus élevées et croissantes durant la période étudiée.

Bref, les écrits ont tendance à suggérer que les changements de l’économie internationale devraient avoir accru l’inégalité salariale, ce qui devrait être manifeste au Québec et en Ontario ; ils suggèrent aussi que les emplois dans les secteurs reposant sur le commerce international devraient en subir les retombées négatives notamment en matière de salaires, causées soit par les taux de rémunération horaire peu élevés ou par les heures de travail moindres. Afin de vérifier les effets possibles de l’exposition au commerce international sur la mobilité salariale, nous devons contrôler d’autres facteurs pouvant être associés à celle-ci. Par conséquent, nous incluons des mesures d’exposition au commerce international à l’intérieur d’un modèle de mobilité salariale plus large. Finalement, nous comparons deux provinces qui diffèrent tant dans leurs orientations politiques que dans leur structure industrielle.La discussion ci-dessus suggère les hypothèses suivantes :

  1. La mondialisation devrait avoir mené à l’augmentation des inégalités salariales au Québec et en Ontario au cours des années 1990.

  2. La tradition politique sociale-démocrate du Québec devrait entraîner des niveaux d’inégalité salariale plus bas au Québec qu’en Ontario.

  3. La structure industrielle légèrement moins productive du Québec devrait avoir mené, au cours des années 1990, à une aggravation de l’inégalité plus grande qu’en Ontario.

  4. À cause de la mondialisation, dans les deux provinces, la situation dans les industries les plus exposées au commerce international devrait s’être détériorée au cours des années 1990. Plus particulièrement, toutes choses étant égales par ailleurs, la position dans la hiérarchie salariale des personnes employées dans les industries exposées à la concurrence étrangère devrait avoir baissé.

Données et méthodes

Nous utilisons une base de données de Statistique Canada de haute qualité, l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR). L’EDTR est une base de données de panel. Nous utilisons les vagues de l’enquête de 1993 et 1998. Ce sont la première et la dernière années du premier panel terminé de l’enquête (Lavigne et Michaud, 1998). Cette base de données contient un échantillon assez large pour permettre des analyses à l’échelle provinciale (comme en font foi les chiffres absolus dans les tableaux présentés ci-dessous).

Puisque nous nous intéressons au marché du travail, dans le sillage de Lerman (1997), nous adoptons une approche « exhaustive » pour la constitution de notre échantillon. Cela implique, premièrement, qu’à la différence de plusieurs auteurs, nous n’analysons pas les inégalités salariales des hommes et des femmes séparément. Si les employeurs tentent de maximiser leurs profits (en réalité, dans un contexte compétitif, ils n’ont pas le choix), ils vont rechercher les employés les mieux qualifiés, et les moins coûteux, hommes ou femmes. Si les femmes peuvent être embauchées à un niveau de rémunération inférieur à qualifications comparables pour un emploi particulier, les employeurs vont le faire. Aux États-Unis, des analyses révèlent qu’un tel phénomène s’est produit (Pryor et Schaffer, 1999). Des indicateurs de ce phénomène sont l’augmentation du taux d’activité des femmes et la diminution de celui des hommes. Il s’ensuit que les effets globaux de la mondialisation sur le marché du travail seront difficiles à distinguer lorsque les hommes et les femmes sont étudiés comme évoluant dans des marchés du travail distincts[7].

Notre approche « exhaustive » veut que, dans le même ordre d’idées que Wolfson et Murphy (1998), nous examinions les inégalités salariales entre toutes « personnes effectivement actives », plutôt que de nous concentrer, par exemple, sur les employés à temps plein, occupés toute l’année. Toutes les personnes disposant d’un salaire annuel de plus de 500 $, en dollars de 1995, sont incluses dans notre échantillon. Récemment, bien des travaux sur le marché du travail ont décrit (et déploré) la migration vers des emplois moins stables – vers le travail à temps partiel, et vers des emplois moins permanents. La hausse du travail à temps partiel et du travail temporaire, peu importe son origine, est une forme majeure de l’inégalité sur laquelle plusieurs analystes se concentrent. Là encore on devrait s’attendre, dans un contexte compétitif, à ce que les employeurs combinent à la fois les heures et les durées de contrat qui maximiseront leurs profits. Afin de comprendre les processus liés à l’inégalité salariale, nous devons inclure dans notre analyse les personnes travaillant moins d’heures par semaine et moins de semaines par année.

Cependant, puisque les heures de travail sont un déterminant important du salaire total, nous examinons l’inégalité comprenant à la fois le salaire annuel total et le taux de salaire horaire[8]. Nous savons que les heures de travail totales ont un effet considérable sur les salaires annuels et que les changements dans les heures de travail ont été une caractéristique majeure du marché du travail, au Canada et ailleurs (Wong et Picot, 2001 ; Houseman et Nakamura, 2001). En analysant séparément les salaires totaux et le taux de salaire horaire, il est possible de distinguer les effets des heures de travail de ceux du taux de salaire horaire sur l’inégalité.

Inégalités salariales et mobilité salariale

L’analyse de Wolfson et Murphy (1998) soulève une interrogation quant à l’effet de la mondialisation sur l’inégalité salariale. Ces auteurs concluent que l’inégalité salariale au Canada s’est accrue entre 1974 et 1985, mais qu’elle est restée approximativement stable de 1985 à 1995. Autrement dit, au moment même où l’on se serait attendu à ce que l’Accord de libre échange aggrave la position relative des personnes au bas de l’échelle salariale, l’inégalité salariale a cessé d’augmenter au Canada. Malgré tout, l’ALE a eu des effets négatifs au chapitre de l’emploi au sein de l’industrie manufacturière canadienne au début des années 1990 (Trefler, 1999). L’Ontario et le Québec représentent une fraction disproportionnée de l’industrie manufacturière canadienne ; de sorte que si nous nous concentrons sur leur répartition salariale respective, il sera peut-être possible d’observer la croissance de l’inégalité, comme le prédit la théorie.

Or, le tableau 1 indique que tel n’était pas le cas. Pour cinq des six comparaisons, le coefficient de Gini était beaucoup plus bas en 1998 qu’en 1993. Ceci est vrai tant pour les taux de salaire horaire et les salaires totaux dans l’ensemble du Canada et au Québec, que pour les salaires totaux en Ontario. Le taux de salaire horaire ontarien est le seul où aucune diminution ne s’est fait sentir ; dans ce cas, il n’y a eu aucun changement significatif. Soulignons aussi que, pour le test bilatéral de niveau 0,05, on n’observe aucune différence significative entre les coefficients de Gini du Québec et de l’Ontario pour les mesures salariales correspondantes et pour les années correspondantes. Par contre, au niveau 0,1, l’inégalité en Ontario était moindre qu’au Québec en 1993. De 1993 à 1998, le niveau d’inégalité québécois a convergé vers celui de l’Ontario.

Tableau 1

Coefficients de Gini, salaires

Coefficients de Gini, salaires

Les erreurs types bootstrapped sont entre parenthèses.

* signifie qu’il y a une différence significative entre le coefficient de 1998 et le coefficient correspondant de 1993, au niveau (bilatéral) 0,05. Les nombres absolus sous le nom de l’entité politique sont ceux pour 1993 et 1998, respectivement.

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La première leçon du tableau 1 est que l’inégalité dans ces deux provinces n’a pas augmenté durant la période suivant l’adoption de l’ALE. En réalité, elle s’est résorbée. L’hypothèse 1 ne tient pas. La deuxième leçon à tirer est que, nonobstant le rôle du principe de « solidarité » et toutes autres politiques propres au « modèle québécois » qui façonnent les politiques gouvernementales et syndicales, l’inégalité au Québec n’est pas significativement plus faible qu’en Ontario. Au contraire, au début de la période étudiée, le niveau d’inégalité était plus élevé. À première vue, du moins, l’hypothèse 2 ne tient pas non plus. Finalement, l’hypothèse 3 est contredite. Bien qu’il existe des raisons pour croire que l’économie québécoise ne disposait pas des outils nécessaires pour affronter la compétition étrangère dans les années 1990, l’inégalité salariale a diminué plutôt qu’augmenté.

La mobilité globale

Le tableau 1 est intéressant, mais ne fournit que des données d’ensemble. Il est possible que, même si l’inégalité salariale a diminué, les positions sur le marché du travail des personnes les plus exposées à la croissance du commerce international se soient fragilisées. Avant de modéliser l’effet de l’exposition au commerce international, il faut établir l’ampleur de la mobilité salariale à expliquer. Le tableau 2 présente la mobilité. Le point de départ, ce sont les quartiles de la répartition salariale pour tout l’échantillon actif dans les deux provinces en 1993 et le point de destination, les quartiles de la répartition salariale pour tout l’échantillon efficacement actif dans les deux provinces dans le plus grand échantillon de 1998[9].

La population active s’est accrue entre ces deux périodes. En 1998, un nombre important de postes au bas de l’échelle ont été créés. Cela a des conséquences sur la mobilité décrite dans le tableau, soit celle relative à la répartition du nombre de personnes ayant un revenu d’emploi en 1998. Cela signifie que la mobilité inclut : 1) les mouvements verticaux dans la hiérarchie salariale, en comparaison avec les autres personnes déjà actives en 1993, lorsque les répondants ont occupé de meilleurs, ou de pires emplois, ou lorsque les caractéristiques des emplois qu’ils occupaient en 1993 ont changé ; et 2) la position relative occupée par les personnes sur le marché du travail comparativement aux nouveaux venus après 1993.

Le tableau 2 indique des différences variant entre huit et dix points de pourcentage entre certaines cellules du Québec et leurs équivalentes ontariennes. Mais le modèle général est semblable. Pour chaque mesure et province, moins de la moitié des personnes dans le quartile inférieur en 1993 sont demeurées dans celui-ci en 1998. Le reste s’est déplacé vers des quartiles plus élevés. Plus de 30 % des personnes dans le deuxième quartile se sont déplacées vers le haut, et plus de 20 % des personnes dans le troisième quartile en ont fait autant. La mobilité ascendante a donc été fréquente dans cet échantillon. Cela dit, il ne faut pas oublier que les quartiles constituent des groupes plutôt larges. Davantage de mobilité apparaîtrait si les calculs utilisaient des déciles à la place de quartiles[10].

Deuxièmement, la mobilité descendante n’est pas résiduelle. De 20 % à 30 % encore des personnes dans le quartile supérieur en 1993 étaient dans un quartile inférieur en 1998. Les chiffres correspondants pour le deuxième et le troisième quartiles sont entre 15 % et 25 % et entre 16 % et 19 % respectivement. En 1998, le salaire horaire et (ou) le salaire total d’une partie non négligeable de l’échantillon avaient chuté dans la répartition salariale de façon significative, comparativement à leur position en 1993.

Tableau 2

Mobilité par quartile : salaires horaires et totaux, Québec et Ontario, 1993 et 1998

Mobilité par quartile : salaires horaires et totaux, Québec et Ontario, 1993 et 1998

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Troisièmement, les personnes employées en 1993 ont connu plus de mobilité ascendante que descendante. Cela peut être observé en comparant les pourcentages au-dessus de la diagonale de chaque quadrant du tableau avec les pourcentages au-dessous de celle-ci. (La diagonale est composée des pourcentages des répondants qui, en 1998, étaient dans les mêmes quartiles qu’en 1993.) Ce résultat est rendu possible par le fait que les quartiles de 1998 sont ceux de l’échantillon entier de 1998, incluant les personnes ne faisant pas partie de la population active en 1993 qui le sont devenues en 1998. Cet excédent de la mobilité ascendante montre que les nouveaux venus dans la population active, ou ceux qui y retournent, ont tendance à être moins bien rémunérés en moyenne.

Dans l’ensemble, le tableau 2 montre qu’il existe une importante quantité de mobilité salariale à expliquer.

Les facteurs déterminants de la mobilité : la spécification des équations

Les tableaux 3 et 4 contiennent les coefficients et les erreurs types des équations prédisant le volume et la direction de la mobilité entre les quartiles de 1993 à 1998, par province, pour les salaires horaires et annuels. (Les coefficients significatifs au niveau bilatéral 0,05 sont en italique.) Afin de compenser les effets de la complexité du plan d’enquête (utilisant à la fois l’échantillonnage en grappes et l’échantillonnage stratifié), les erreurs types ont été générées en utilisant la procédure bootstrap (Efron et Tibshirani, 1993). Les tableaux présentent des équations prévoyant le changement dans le quartile salarial selon les caractéristiques des répondants en 1993. Un grand nombre de variables indépendantes sont incorporées dans les tableaux. Les motifs généraux pour plusieurs grappes de variables indépendantes sont les suivants :

  1. La mobilité salariale est susceptible d’être déterminée par les mêmes facteurs que ceux des salaires. Donc, à la manière des équations standards pour le capital humain, nous incluons des mesures d’éducation et d’expérience. L’éducation est introduite dans l’équation par une série de variables fictives correspondant aux niveaux pertinents dans le système d’éducation avec, comme catégorie de référence, des études secondaires non-terminées. Cette méthode de mesure de l’éducation produit de meilleures évaluations de ses effets que les mesures plus communément utilisées, telles les années d’études (Ferrer et Riddell, 2002). Il est coutume d’inclure l’expérience sous forme quadratique afin d’anticiper la contribution de l’expérience à la productivité, qui tend à reculer et à diminuer lors des années ultérieures de la vie active. Le sexe est inclus dans l’équation puisqu’il continue d’influer sur les salaires[11]. Il est attendu que les travailleurs plus âgés réduisent leurs heures ainsi que l’intensité de leur travail. Cela peut réduire la probabilité qu’ils se déplacent vers le haut de la répartition salariale, à mesure que la retraite approche. Du même coup, puisque les possibilités de mouvement sont limitées par le quartile de départ des répondants (les personnes dans le quartile supérieur en 1993 n’ont pu monter en 1998 ; celles dans le quartile inférieur n’ont pu descendre), nous contrôlons pour les quartiles salariaux en 1993. Nous nous attendons à ce que ce coefficient soit négatif : les personnes dans la partie supérieure de la répartition sont plus sujettes à descendre, celles dans la partie inférieure sont plus sujettes à monter – puisque, dans chaque cas, si elles ont à se mouvoir dans la répartition, c’est la seule direction qui s’offre à eux.

  2. Les employés peuvent être limités dans les emplois occupés, soit à cause d’invalidité, soit parce qu’ils sont toujours aux études. Les employés invalides devraient être moins susceptibles de monter dans la répartition salariale. Les étudiants, capables d’obtenir un emploi à temps plein au terme de leurs études, devraient monter.

  3. Les emplois professionnels et techniques, en plus de certains emplois de gestion, devraient permettre plus de mobilité ascendante que le travail manuel.

  4. On pourrait s’attendre à ce que les individus avec des responsabilités familiales plus lourdes – soit parce qu’ils sont mariés ou qu’ils ont une famille nombreuse  – se préparent pour monter dans la répartition salariale.

  5. Les plus grands établissements ou compagnies offrent plus de possibilités d’avancement. Les régions de résidences les plus grandes fournissent plus de possibilités d’emplois mieux rémunérés, sans frais importants de déménagement.

  6. La rémunération relative des secteurs privé et public change au fil du temps. Les années 1990 ont été une période de restrictions budgétaires gouvernementales, et cela s’est peut-être traduit par une croissance salariale moins bonne dans le secteur public que dans le secteur privé (Swimmer, 2001). Si tel était le cas, cela aurait réduit la possibilité que les employés du secteur public montent dans la répartition salariale.

  7. En moyenne, les employés syndiqués gagnent davantage que les travailleurs non syndiqués (par exemple, Fang et Verma, 2002). Les années 1990 ont été une période sans grande augmentation des salaires. L’affiliation syndicale peut avoir réduit la probabilité de réduction des salaires – réelle ou nominale – et peut ainsi avoir augmenté la possibilité de mobilité ascendante dans la répartition salariale.

  8. Il existe trois mesures de l’exposition au commerce international. Chaque équation provinciale, pour chaque mesure salariale, est exécutée séparément selon chaque mesure d’exposition au commerce international. La première mesure est une variable fictive indiquant l’emploi dans le secteur manufacturier en 1993. Il est commun de traiter le secteur manufacturier comme la partie de l’économie spécifiquement exposée. La seconde est une variable fictive pour l’emploi dans l’industrie manufacturière ou les finances en 1993 parce que le commerce international dans les services financiers a augmenté de façon considérable au cours des deux dernières décennies. Le troisième indicateur est une mesure plus précise d’exposition au commerce international, il s’agit de la valeur monétaire des importations auxquelles s’ajoutent les exportations comme proportion de la valeur totale de la production industrielle. Cette mesure est seulement disponible pour l’industrie manufacturière. Un nombre plus petit de cas est donc disponible dans ces équations.

Tableau 3

Déterminants de mobilité interquartile : salaire horaire, Québec et Ontario

Déterminants de mobilité interquartile : salaire horaire, Québec et Ontario

Tableau 3 (continuation)

Déterminants de mobilité interquartile : salaire horaire, Québec et Ontario

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Les déterminants de la mobilité

Nos résultats les plus notables sont les suivants :

  1. Alors que les variables significatives fluctuent quelque peu dans l’ensemble des équations, on observe un processus similaire de la mobilité à la fois pour les salaires horaires et totaux. Les personnes plus éduquées et possédant une meilleure expérience étaient plus susceptibles d’être en ascension – avec le repli prévu dans la probabilité de mobilité ascendante pour ceux ayant le plus d’années d’expérience et approchant la retraite. Tel était aussi le cas pour les personnes bénéficiant des possibilités de mobilité fournies par de grandes compagnies et de grandes populations dans leur région de résidence. Les employés professionnels et techniques étaient aussi plus portés à être en ascension. C’est à quoi on pourrait s’attendre puisqu’ils ont des compétences générales et transférables qui rendent possible le choix des emplois. Le résultat le plus fondamental des tableaux 3 et 4 est que la mobilité entre les quartiles se présente de la façon attendue dans un contexte de marché. Les compétences et les possibilités augmentent la probabilité de mobilité ascendante.

  2. Les femmes étaient moins susceptibles que les hommes d’améliorer leur position dans la répartition salariale. Ceci n’est pas un effet marginal. Toutes choses égales par ailleurs, au niveau de la répartition du salaire horaire, la mobilité ascendante des femmes était moindre d’un demi-quartile, et au niveau de la répartition des salaires annuels totaux, la mobilité ascendante des femmes était moindre d’un quartile entier. Ces résultats sont intéressants puisque, durant cette période, les salaires moyens des femmes ont augmenté comparativement à ceux des hommes (Heisz, Jackson et Picot, 2002, p. 13-17). Quelle est la cause de la moindre mobilité des femmes ? Cela peut s’expliquer en partie par le fait que l’amélioration relative du salaire des femmes est allée vers les nouvelles venues sur le marché du travail qui, en 1998, ont diminué le salaire relatif des femmes déjà sur le marché du travail en 1993. On pourrait aussi l’expliquer par le fait qu’une grande partie de l’augmentation du salaire des femmes était concentrée chez les femmes dans la portion supérieure de la répartition salariale. Si tel était le cas, il n’y aurait pas eu de place à la mobilité ascendante pour celles-ci.

    Comment expliquer l’effet considérable du sexe sur le salaire total (à l’opposé du salaire horaire) ? La différence entre les salaires des hommes et des femmes peut s’expliquer, en partie, par de plus longues heures de travail pour les hommes (Sheridan, Sunter et Diverty, 2001, p. 16). Il est donc possible qu’en plus des facteurs mentionnés ci-dessus, ayant eu un effet à la fois sur le salaire horaire et sur le salaire total, les hommes montent dans la répartition salariale, comparativement aux femmes, parce qu’ils augmentent de beaucoup leurs heures de travail.

  3. Finalement, les effets de la « mondialisation ». Des douze coefficients estimés qui utilisaient des indicateurs du commerce international, tous sauf un sont positifs. Seulement deux sont significatifs. Deux des trois mesures des effets sur le commerce international en Ontario sont positives et significatives. Autrement dit, lorsqu’il y a un effet, les résultats indiquent que les individus employés dans des industries sujettes à plus de compétition commerciale en 1993 étaient enclins à avancer davantage dans la répartition salariale au cours des cinq années subséquentes que les individus employés dans des industries moins exposées à la compétition internationale. L’hypothèse 4, selon laquelle l’exposition au commerce international est susceptible d’aggraver l’inégalité salariale en faisant baisser les salaires dans les industries exposées, est donc contredite. On pourrait avancer à ce sujet que le principal effet négatif de la compétition étrangère touche plutôt l’emploi que les salaires, c’est-à-dire que les salaires des personnes employées par des industries exposées au commerce international ne diminuent peut-être pas à cause de la compétition. Le libre commerce a plutôt pour effet de détruire les emplois dans les industries exposées. Nous avons examiné cette possibilité, et avons trouvé que, premièrement, le nombre d’individus actifs en 1993 ayant quitté un emploi en 1998 était minime. Deuxièmement, dans la mesure où il existait une différence dans les probabilités, les employés des industries à l’abri du commerce international étaient plus susceptibles d’avoir quitté un emploi que leurs semblables dans les industries exposées au commerce international[12]. Cette base de données ne fournit absolument aucune preuve que la mondialisation aggrave l’inégalité, tant sur les salaires que sur les emplois en général.

Tableau 4

Déterminants de mobilité interquartile : salaire, Québec et Ontario

Déterminants de mobilité interquartile : salaire, Québec et Ontario

Tableau 4 (continuation)

Déterminants de mobilité interquartile : salaire, Québec et Ontario

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Discussion

En quoi ces résultats sont-ils utiles ? Le contexte est fourni par les tendances générales de l’inégalité salariale. Dans chacune des provinces exposées au commerce international, et dans tout le Canada entier, la libéralisation de l’économie nord-américaine et de l’économie mondiale, de façon générale, n’a pas été accompagnée d’une croissance de l’inégalité salariale. Au contraire, à l’exception de la rémunération horaire en Ontario, l’inégalité salariale a chuté de façon significative. Pour les salaires totaux, l’indice de Gini a diminué de trois à quatre points de pourcentage, ce qui indique que l’inégalité salariale est probablement façonnée par une gamme de facteurs, de sorte que les dommages causés par le commerce international sont contrebalancés dans d’autres secteurs. Ceci serait compatible avec les taux élevés de création et d’abolition d’emplois mis en relief notamment par Davis, Haltiwanger et Schuh (1996) ; voir aussi Klein, Schuh et Triest (2003). Chaque année, de nombreux emplois sont à la fois créés et abolis, et ce, pour différentes raisons, telles que les changements technologiques, les erreurs ou les méfaits de gestion, la résistance des syndicats face aux améliorations en matière d’efficacité, les perturbations des affaires causées par des maladies animales (encéphalite spongieuse bovine) ou des maladies humaines (SRAS), ou encore la concurrence étrangère. Compte tenu de ce contexte, il est difficile de discerner les effets d’un élément en particulier.

Que la baisse de l’inégalité ait accompagné l’augmentation de l’exposition au commerce international pourrait aussi montrer que la concurrence commerciale a un effet égalisateur. Que la compétition commerciale puisse avoir un effet égalisateur n’est généralement pas inclus parmi l’ensemble des effets possibles dans les écrits sociologiques, mais ce n’est pas pour autant invraisemblable. Les positions au niveau supérieur de la répartition salariale indiquent, du moins en partie, des rentes économiques, par exemple des situations de monopole des employeurs de certains groupes de travailleurs. Pour autant que la compétition étrangère sape ces rentes, il pourrait y avoir un effet égalisateur.

À l’opposé, supposons que les effets compensatoires soient importants. Les politiques gouvernementales pourraient façonner les résultats distributifs des marchés du travail. De telles politiques peuvent, par exemple, renforcer les syndicats, fixer les salaires pour des groupes d’employés vulnérables, ou générer de l’embauche, directement ou indirectement (dans le dernier cas, par des subventions aux employeurs). Les résultats du tableau 1 pourraient être interprétés comme la preuve, à la fois favorable et défavorable, des effets des politiques gouvernementales. D’une part, s’il est vrai, comme l’ont affirmé Fournier et d’autres, que les politiques économiques du Québec ont été liées à la solidarité, comment expliquer qu’en 1993 l’inégalité dans cette province était plus grande (et certainement pas moindre) qu’en Ontario[13] ? Une réponse possible est que la spécificité des politiques québécoises a été grandement exagérée. Dans l’ensemble des économies du Québec et de l’Ontario, le Fonds de solidarité peut constituer un effet mineur. D’autre part, tandis que l’inégalité en Ontario et au Québec a décliné entre 1993 et 1998, le déclin était plus accentué au Québec qu’en Ontario, de sorte que, à la fin de la période, la différence des inégalités était disparue. Le résultat pourrait avoir été engendré par un gouvernement, au Québec, plus sympathique aux syndicats que son homologue ontarien.

Il est intéressant, à cet égard, que le tableau 4 montre qu’au Québec, mais pas en Ontario, les syndiqués avaient davantage tendance à être en ascension (et moins portés à être en mobilité descendante) dans la répartition du salaire horaire que leurs homologues non syndiqués. En fait, les syndiqués ontariens étaient même plus susceptibles de descendre dans cette répartition. Il faut aussi noter que les coefficients négatifs d’affiliation syndicale deviennent négligeables dans les équations des salaires totaux, ce qui suggère que l’affiliation syndicale protège les taux de salaire horaire plus élevés dans le contexte d’heures de travail moindres. Ces différences Ontario-Québec pourraient avoir été produites par des politiques gouvernementales protégeant les postes des syndiqués (par exemple, en subventionnant des usines syndiquées qui risquaient de fermer leurs portes), dont un sous-produit pourrait être quelques réductions dans l’inégalité salariale. Cela dit, en dernière analyse, peu importe ce qui est propre à la politique québécoise, les inégalités salariales y sont à peu près les mêmes qu’en Ontario.

Voilà que nous en sommes aux conclusions en ce qui concerne la troisième hypothèse. Au Québec, on aurait pu s’attendre à ce que le plus faible niveau de productivité rende les travailleurs au bas de l’échelle salariale plus vulnérables à la concurrence étrangère. Cela, en revanche, aurait dû conduire à une augmentation de l’inégalité salariale. Ce ne fut pas le cas. Bien au contraire ! L’inégalité salariale a diminué au Québec. Il est possible, mais peu probable, que cette baisse ait été produite par un ensemble de politiques gouvernementales réduisant l’inégalité salariale à l’encontre des forces de la mondialisation, qui tendaient pour leur part à l’augmenter. Il ne faut pas oublier que l’inégalité salariale a diminué dans l’ensemble du Canada, incluant les régions avec une productivité moindre que celle du Québec, mais sans gouvernement « de gauche » à l’époque (ou jamais, dans le cas des provinces de l’Atlantique). Les provinces de l’Atlantique et le Manitoba se distinguent comme des provinces à faible productivité moyenne (Baldwinet al., 2001, p. 6)[14]. Il nous semble plus probable que l’effet du commerce international ne soit pas d’augmenter l’inégalité, mais de la diminuer. Autrement dit, il est possible que la répartition salariale québécoise ait été davantage marquée par les rentes que celle de l’Ontario, ces dernières ayant été réduites par les effets globaux de la concurrence étrangère.

Finalement, trois conclusions peuvent être dégagées de l’analyse des déterminants de la mobilité salariale. Premièrement, la provenance de la mobilité semble, à tous égards, « classique ». À savoir que, du côté de l’offre, la probabilité de mobilité est associée positivement au capital humain et à la disponibilité d’emplois mieux rémunérés. L’exemple le plus manifeste de l’effet de la disponibilité est la transition du statut d’étudiant employé à temps partiel ou temporaire au statut de personne pleinement active. Du côté de la demande, la mobilité ascendante est associée aux conditions du marché du travail local – soit le marché du travail local interne ou le marché du travail local externe. C’est-à-dire que la mobilité ascendante est associée aux possibilités d’avancement fournies par les grandes entreprises ou à la plus grande gamme d’emplois dans une collectivité plus grande. Cela est plutôt rassurant. Les marchés du travail québécois et ontarien fonctionnent de la façon attendue.

Le deuxième résultat intéressant est la faible performance des femmes en matière de mobilité dans un contexte où, dans l’ensemble, les salaires des femmes augmentaient plus rapidement que ceux des hommes. Nous avons spéculé plus haut sur les raisons possibles de ce fait. Les mécanismes précis qui en sont responsables fournissent un sujet intéressant pour une recherche future.

Le troisième résultat à souligner est l’échec de l’emploi dans les industries exposées au commerce international à produire de la mobilité descendante – soit dans le sens d’un changement vers un quartile inférieur de la répartition salariale ou d’une plus grande probabilité d’être associé au retrait de la population active. En fait, certaines données indiquent que la probabilité de mobilité ascendante en Ontario était plus haute, en 1993, parmi les employés dans les industries exposées au commerce international. Un tel résultat peut s’interpréter comme contredisant l’opinion plutôt négative en ce qui a trait à la mondialisation et à ses effets, qui est plus ou moins de rigueur dans les travaux sociologiques sur ce sujet. Ces derniers énumèrent une gamme de mécanismes pouvant produire des effets négatifs[15]. Par contre, le présent article n’examine que les effets d’une dimension de la mondialisation, soit le commerce international, au niveau de deux marchés du travail régionaux[16]. Nos résultats issus de l’analyse d’une base de données de haute qualité, et de l’utilisation d’une méthodologie quantitative appropriée, devraient pousser les critiques de la mondialisation à revoir leurs analyses. Cela soulève la possibilité que d’autres effets négatifs ne soient pas corroborés par la preuve, lorsqu’ils sont sujets à des tests méthodologiquement adéquats.

Au Canada, le Québec est différent de bien des façons. Il existe un grand nombre d’ouvrages traitant de ces différences. Malgré tout, nonobstant toutes les formes de particularités culturelles et institutionnelles, le Québec est fortement marqué par son inclusion dans l’économie nord-américaine. Cela impose sûrement certaines limites aux possibilités d’action des gouvernements, même pour ceux qui ont des ambitions sociales-démocrates. Nos résultats suggèrent que même si le modèle québécois a été inspiré par une préoccupation pour la solidarité, cela n’a pas permis de générer une répartition salariale plus équitable que chez sa voisine immédiate, l’Ontario. Nos résultats suggèrent plutôt qu’au milieu des années 1990, la répartition salariale plus inégale du Québec était encline à converger vers la répartition moins inégale de l’Ontario.

Mais, de façon frappante, les gouvernements québécois ont agi ainsi dans le cadre de ce qui était perçu comme un contexte défavorable. L’exposition au commerce international augmentait au milieu des années 1990. Une vaste gamme d’analyses suggère que cette situation aurait dû mener à des augmentations de l’inégalité. Les niveaux de productivité du travail plus bas au Québec qu’en Ontario auraient pu aggraver l’inégalité salariale au Québec par rapport à sa voisine. Ce ne fut pas le cas. En tout et partout, nos résultats sont difficiles à réconcilier avec le point de vue que la participation croissante au commerce extérieur, en tant que composante de lamondialisation, conduit inévitablement vers l’augmentation de l’inégalité sur le marché du travail. Si c’est parfois le cas, il y a là encore matière à recherche.