Dans cet ouvrage fascinant, G. Bouchard nous offre une première synthèse de ses recherches sur les « collectivités neuves » ; il livre plus précisément la première étape d’un vaste chantier qu’il entreprend sur cet objet dans la perspective élargie d’une histoire comparée. Par « collectivités neuves », il faut entendre les sociétés issues des colonies de peuplement des divers empires européens (français, anglais, portugais et espagnol). On pense d’emblée aux Amériques, mais cela inclut également le continent australien et la Nouvelle-Zélande, à quoi devraient encore s’ajouter, nous dit l’historien, l’Afrique du Sud et l’ancienne Rhodésie. L’objectif de l’entreprise est double, soit réévaluer la spécificité de la société québécoise en comparant sa trajectoire historique avec celle des autres collectivités neuves, tout en fournissant une trame plus générale expliquant les similitudes et différences relevées dans tous ces itinéraires pris globalement. Pour rendre comparables entre elles les diverses sociétés du Nouveau monde, Bouchard conceptualise deux idéaux-types (ou mieux, dit-il, un continuum) caractérisant les deux formes extrêmes du rapport à soi qu’une collectivité neuve serait susceptible de développer – celle de la reproduction à l’identique avec sa mère patrie – schéma de la continuité, et celle de la reproduction dans la différence – schéma de la rupture. Deux catégories de faits sont ensuite prises en compte pour situer une collectivité donnée sur ce curseur : son itinéraire plus strictement politique (la séquence des événements qui en ont fait, ou non, une entité politique autonome, indépendante de l’empire, ou la mère patrie, qui l’a fait naître) ; et les pratiques discursives participant à la création de son imaginaire collectif (principalement l’historiographie, la littérature et les arts, mais aussi la science et la religion). C’est dire qu’ici et là, on reconnaît l’influence de Fernand Dumont, notamment sa notion de « référence », bien que le terme lui-même ne soit pas véritablement employé et surtout, que « l’élève » se soit éloigné en bien d’autres points de son « maître ». Sur le plan de sa structure, l’ouvrage se divise en sept chapitres. Les deux premiers précisent la perspective d’ensemble avec ses concomitants et ses postulats. Ils sont suivis d’un long chapitre sur l’itinéraire du Québec, de la fondation de la Nouvelle-France à nos jours (chapitre III). Défilent ensuite, en survol, les itinéraires d’autres collectivités neuves : Mexique et Amérique latine (chapitre IV), Australie (chapitre V), Canada, Nouvelle-Zélande et États-Unis (chapitre VI). Enfin, le dernier chapitre offre une première approximation de la deuxième étape du chantier évoqué plus haut, c’est-à-dire un essai de modélisation des itinéraires parcourus par les unes et les autres. Avec la conclusion, ce chapitre annonce ce qui sera sans doute le prochain livre de Bouchard, étape ultime de son programme, présentant les mécanismes « objectifs » qui conduisent une collectivité à se forger une identité qui ne serait fondée que sur sa propre donne, ou sur des données empiriques qui n’appartiendraient qu’à elle. Avant de revenir et de nous interroger sur les prémisses de l’entreprise et sa méthode, voyons d’abord la substance de cette première livraison. Les chapitres I et II constituent un éloquent plaidoyer pour l’histoire comparative. L’auteur énumère là les multiples fonctions et vertus de la comparaison du point de vue de la connaissance scientifique. Mais il plaide aussi, dans le même souffle, pour faire de l’historien un agent du changement, un constructeur de culture très actuelle, c’est-à-dire signifiante pour ses lecteurs contemporains. En ce sens, l’histoire comparée qu’il propose doit relayer l’historiographie moderniste québécoise dans son entreprise de relecture du Canada français. Il s’agit de corriger les vues déformées de la société québécoise, sur elle-même et le monde environnant, …
Gérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du nouveau monde. Essai d’histoire comparée, Montréal, Boréal, 2000, 503 p.[Record]
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Sylvie Lacombe
Département de sociologie,
Université Laval.