Depuis plus de vingt ans, Serge Courville poursuit un minutieux et rigoureux travail de géographie historique afin de déterminer l’origine des formes sociospatiales marquantes du territoire québécois et d’en comprendre l’évolution. Au départ, deux questions préoccupaient le géographe : l’origine du rang, compris comme le témoin d’une planification et d’une politique spatiale, mais dont l’imposition relevait finalement d’un choix éminemment géographique. Sur le rang, la réflexion allait dans le droit fil des contributions de Blanchard, Deffontaines, Derruau, Hariss et Hamelin mais, posant nommément la question des origines, elle devait renouveler l’explication (Cahiers de Géographie du Québec, 1981, 25, 55 : 197-236). Elle allait contredire une hypothèse apparue dans les années quatre-vingt selon laquelle le rang était le fait d’un choix rationnel et l’apanage de planificateurs aveuglés d’idéologie. La deuxième question concernait le développement villageois au Québec. Sujet d’importance s’il en est, puisque le choix du système de rang n’aurait pas favorisé le développement de villages. En 1984, Courville pouvait affirmer « qu’on ignore à peu près tout de l’origine et de la croissance des villages au Québec » (Cahiers de Géographie du Québec, 1984, 25, 65 : 197-236). Courville avait mis en relief les causes démographiques mais aussi économiques de l’essor du village, en particulier vers la fin du XVIIIe siècle alors que les échanges étaient à la hausse et que les industries rurales se multipliaient (Entre ville et campagne, Presses de l’Université Laval, 1990). Ces deux questions reviennent dans le livre ici discuté et, dans la partie intitulée « la trame initiale » du moins, soutiennent le travail géohistorique de reconstitution du territoire québécois. Et il n’est pas inutile de préciser que ce livre synthèse est l’aboutissement du travail colossal, entrepris par toute une équipe et qui a donné la collection des Atlas historiques, dirigée par Serge Courville et Normand Séguin. L’ouvrage est divisé en grandes périodes historiques, suivant l’ordre chronologique, et découpé selon les couches successives d’occupation du territoire, à commencer par la trame initiale, du substratum postglaciaire aux premières incursions humaines en Amérique du Nord menant à la constitution du domaine amérindien, suivies par la période coloniale qui mêlent les objectifs d’expansion territoriale et d’enracinement agricole, puis par la couche urbaine et industrielle et jusqu’à la période actuelle. Il se distingue de Genèse des nations et des cultures du nouveau monde (Gérard Bouchard, Boréal, 2000) et de Canada-Québec 1534-2000 (Jean Provencher et al., Septentrion, 2000), deux synthèses du même genre, par sa démarche résolument géographique, tournée vers la compréhension des conditions d’émergence des formes (le rang, le village, la paroisse, etc.), mais également élaborée à partir des concepts clés de la géographie, à savoir ceux de genre de vie, de paysage et d’aire culturelle. Il n’est pas non plus anodin de signaler que l’articulation entre l’observation des formes spatiales et l’analyse des conditions sociales tient d’emblée à une connaissance fine des matériaux documentaires et au choix méthodologique qui en découle, c’est-à-dire celui de mesurer, chiffrer, énumérer et cartographier pour finalement rester fidèle aux faits. Ce travail est donc l’aboutissement du dépouillement des fonds d’archives, des rapports anciens et des premiers recensements. En ce sens, la géographie historique de Courville cherche à prendre ses distances par rapport à certaines interprétations et représentations traditionnelles de l’historiographie québécoise. Courville revoit l’apport de Blanchard et propose une interprétation qui prête à l’axe fluvial laurentien un rôle structurant et dynamisant. Thème d’ailleurs développé dans Le pays laurentien au XIXe siècle, les morphologies de base (Courville, Robert,Séguin, Presses de l’Université Laval, 1995). Puis, il discute des structures de base, …
Serge Courville, Le Québec. Genèses et mutations du territoire. Synthèse de géographie historique, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2000, 508 p. (Géographie historique.)[Record]
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Gilles Sénécal
INRS-Urbanisation, Culture et Société.