Comptes rendus

Pierre Hébert, La nouvelle université guerrière, Québec, Nota bene, 2001, 77 p.[Record]

  • Gilles Labelle

…more information

  • Gilles Labelle
    Département de science politique,
    Université d’Ottawa.

Depuis l’annonce par Michel Freitag du Naufrage de l’université, en 1995, on a l’impression que la plupart des ouvrages ou articles consacrés à la « crise » de l’université au Québec répètent tous, à peu de chose près, les mêmes observations. D’abord, la nécessaire distance entre l’université et la société, plus particulièrement les forces du marché qui en déterminent de plus en plus ouvertement les contours dans le contexte de la mondialisation, aurait disparu ou serait en train de disparaître. Ensuite, en conséquence, l’université s’éloignerait de sa vocation classique, humaniste, elle renoncerait à produire des esprits et des citoyens éclairés pour se conformer au rôle d’usine à diplômes professionnels. Ce discours, on le répète maintenant depuis des années et on continuera certainement de le répéter encore longtemps pour une raison très simple : aussi convaincant soit-il, tout se passe comme s’il n’engendrait pour ainsi dire à peu près aucun effet concret. On peut bien montrer, comme Pierre Hébert le fait ici, les conséquences catastrophiques d’une telle conception de l’université, cela n’empêche ni les gouvernements, ni les administrations universitaires de s’engager toujours plus aveuglément en faveur de l’« université guerrière », d’une université qui se conçoit au service de l’État dans la guerre qu’il mène sur le marché mondial pour conserver son rang. En ce sens, il en est au Québec de l’université comme de l’éducation primaire et secondaire : tout le monde qui se fait entendre dit que ça ne va pas et appelle de ses voeux une réforme, qui vient effectivement, mais pour empirer encore les choses (si c’est possible). Tout se passe, étrangement, comme si la société québécoise avait perdu la capacité d’entretenir à propos de l’éducation une dialectique : plutôt que des discours qui s’entrechoquent, se contredisent, entrent en débat, en discussion, il y a apparemment d’un côté la critique, qui se répète à force de ne pas être entendue, de l’autre une véritable langue de bois totalement imperméable, complètement fermée sur elle-même. Pour prendre encore l’exemple de l’éducation primaire et secondaire : après tous les discours critiques, de Jean Larose à Denise Bombardier, sur la pauvreté de l’éducation québécoise, un technocrate patenté du Ministère déclarait il y a peu avoir compris que l’éducation devait être « branchée » sur la « vraie vie » le jour où il a constaté qu’on ne lui avait pas montré à l’école comment effectuer un « changement d’huile ». Ce qui fait qu’on reste bouche bée est moins la bêtise de l’auteur (on s’est habitué, il faut croire) que le fait qu’il puisse énoncer une telle ânerie impunément, comme si tout ce qu’on avait dit et écrit depuis des années ne voulait strictement rien dire. Pierre Hébert met à juste titre l’accent sur la colonisation de l’univers quotidien des universitaires par l’imaginaire et le langage de la guerre menée tambour battant pour s’emparer des parts du marché mondialisé. Là réside probablement l’aspect le plus original de son petit ouvrage. Plus un mot de la langue à l’université, montre-t-il, qui n’ait été contaminé : parle-t-on de la « mission » de l’université, de la « formation » qu’elle doit assurer à la « clientèle étudiante », c’est toujours de la même visée qu’il s’agit : assurer la « dépendance de l’université en regard de la demande sociale » (p. 59). L’université ne pense plus que « recrutement, positionnement, performance, compétitivité » (il ne manque que la désormais fameuse « synergie »), comme si les « forces de l’intelligence » se prêtaient à la « militarisation » (p. 12). Le plus troublant, cependant, à mon sens, est que Hébert n’a aucune …