Comptes rendus

Lionel Meney, Dictionnaire québécois français. Mieux se comprendre entre francophones, Montréal, Guérin, 1999, 1 884 p.[Record]

  • Marthe Faribault

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  • Marthe Faribault
    Département de linguistique et de traduction,
    Université de Montréal.

Un dictionnaire qui s’intitule Dictionnaire québécois français s’affiche indubitablement comme dictionnaire bilingue. Et c’est bien de cette démarche que se réclame l’auteur, Lionel Meney, dans l’introduction de l’ouvrage : Pourtant, dans le paragraphe qui suit, l’auteur précise que : Voilà tout le problème posé en quelque dix lignes : le québécois est une langue… qui n’en est pas une ! C’est une langue : on lui donne donc un nom de langue autonome (« le québécois ») et non pas le nom d’une variété régionale du français, auquel cas on l’appellerait « le français québécois » ou « le francoquébécois ». Et on amplifie encore l’illusion en fournissant un instrument permettant la traduction de cette prétendue langue étrangère vers le français. Revenons à la caractérisation que l’auteur donne du « québécois » : celui-ci se distingue du français par sa prononciation, son vocabulaire et sa phraséologie. Cette définition correspond très exactement à celle que l’on donne des variétés non standard du français de France, c’est-à-dire, d’une part, le français populaire urbain avec son accent faubourien, son lexique truffé d’argot et ses expressions figées et, de l’autre, tous les français régionaux comme, en particulier, le français du Midi (ou francitan) avec son accent chantant et son lexique familier. À qui viendrait donc l’idée d’intituler un ouvrage décrivant les particularités lexicales d’un français régional de l’Hexagone, par exemple le francitan : Dictionnaire francitan-français ? Ou encore, en se plaçant hors des frontières politiques de la France mais toujours en Europe, qui aurait l’idée saugrenue d’appeler le français régional de Belgique, « le belge » ou celui de la Suisse, le « suisse », pour faire ensuite des dictionnaires bilingues qui en permettent la traduction vers le français ? Pure rhétorique ! m’objectera-t-on. Et pourtant non. Le français – sa majesté la langue française, se plaît-on à dire – a été perçu, voulu, construit comme monolithique et monumental depuis la création de l’Académie française en 1635 jusqu’à la francisation complète de la France dans le courant du XXe siècle. Le mandat des premiers académiciens était très clair, dans ce sens : surveiller la langue, canaliser son évolution et contenir ses débordements ; d’où la construction progressive non pas du français standard, qui demeure une réalité abstraite et difficilement saisissable, mais du français de référence, c’est-à-dire l’usage du français écrit et oral soutenu tel que décrit dans la grammaire (Grévisse, depuis le milieu du XXe siècle) et le dictionnaire de langue (Petit et Grand Robert ou Petit Larousse et Larousse de la langue française). Parallèlement, le mandat des maîtres d’écoles, depuis la réforme Jules Ferry en 1882, a été de réprimer l’emploi des patois et langues régionales chez les élèves et d’éradiquer toute trace de lexique et de prononciation régionale dans le français employé à l’école. Ce qui correspond à imposer ce que les Africains d’aujourd’hui appellent fort justement « le français des écoles », qui s’oppose au français oral quotidien de la rue. Mais de tous temps et en tous lieux, la langue, le langage humain, demeure un espace de liberté. Aucune entreprise de corsetage ne réussira jamais à l’empêcher d’évoluer dans le temps et de varier dans l’espace. La langue est aussi un espace de création, et la poésie de même que la faconde populaire se plairont toujours à en faire éclater les limites. Maintenant que la francisation de la France est chose faite, les institutions et le public osent se montrer plus accueillants à l’idée d’une image plurielle de la langue française. On a donc commencé, depuis peu, à intégrer les régionalismes de France …