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L‘élection municipale de 2001 à Québec est intéressante à plus d’un titre. Elle est d’abord la première élection à s’être déroulée dans la nouvelle ville issue du regroupement forcé des treize villes qui formaient auparavant la Communauté urbaine de Québec. Elle est survenue, deuxièmement, dans un contexte politique encore fortement marqué par le débat qui a opposé, pendant plusieurs mois, tant sur la scène locale que provinciale, les élus municipaux en faveur et en défaveur des fusions, d’une part, et ceux-ci et le gouvernement provincial, d’autre part. Elle a conduit, troisièmement, à la création de deux nouveaux partis politiques : le Renouveau municipal de Québec (RMQ) issu principalement de la ville-centre et l’Action civique de Québec, surtout implantée en banlieue. Enfin, elle s’est soldée par l’élection d’un maire minoritaire au conseil municipal.

Cet article analyse l’élection à la lumière de quatre facteurs : 1) les arguments qui ont opposé les élus municipaux sur les fusions ; 2) les traditions politiques dans la ville-centre et les villes de banlieue, à l’origine de la création des deux nouveaux partis qui ont brigué les suffrages à l’occasion de cette élection ; 3) les programmes politiques officiels de ces partis ; et 4) le déroulement de la campagne électorale. Notre hypothèse est que cette élection renvoie dos à dos deux conceptions de la gestion municipale ou, plus généralement, deux cultures politiques locales : celle de l’« interventionnisme municipal », portée surtout par les élites politiques de la ville-centre, et celle du « populisme fiscal », prônée principalement par les élites politiques de la banlieue.

Notre étude est divisée en quatre parties. Dans la première, nous rappelons les arguments qui ont opposé, au cours des années 1990, les élus des villes-centres et ceux des banlieues à propos des problèmes de gestion des agglomérations urbaines au Québec. Ces arguments sont ensuite analysés selon les valeurs qui caractérisent l’« interventionnisme municipal » et le « populisme fiscal ». Les programmes politiques officiels des partis sont discutés dans la deuxième partie. Dans la suivante, nous nous penchons sur le déroulement et les enjeux de la campagne électorale[1]. Ces différents éléments sont repris et discutés dans la quatrième partie à la lumière de notre hypothèse.

1. Les élites politiques locales et la réforme municipale de 2000

Au Québec, le débat sur la question de la gestion optimale des agglomérations urbaines remonte au moins au milieu des années soixante. Les élites politiques des villes-centres pressent alors le gouvernement d’agir afin de contrer les effets négatifs de la déconcentration urbaine qui ne cessent de s’amplifier (Andrew, Léveillée et Quesnel, 1985). Une première réforme donne naissance aux communautés urbaines en 1970. À plusieurs reprises au cours des années 1970 et 1980, le mécontentement des élus municipaux, aussi bien des villes-centres que des villes de banlieue, obligera le gouvernement à modifier les pouvoirs et les modes de représentation et de décision en vigueur au sein des structures supramunicipales. Une nouvelle offensive est lancée par les maires des villes-centres des six régions métropolitaines au début des années 1990 (CGVC, 1993). Le contexte d’austérité budgétaire qui prévaut à cette époque, le dépôt, en 1993, du rapport du Groupe de travail sur Montréal et sa région (GTMR, 1993) et le retour au pouvoir, en 1994, du Parti québécois contribuent à raviver le débat sur une réforme en profondeur de la fiscalité et des structures locales au sein des agglomérations urbaines (Belley, 1997).

Prétextant que les difficultés budgétaires de leurs villes s’expliquent avant tout par la concurrence déloyale et l’égoïsme fiscal des banlieues, les maires des grandes villes-centres, en victimes impuissantes, réclament alors des changements qui puissent mettre fin aux injustices fiscales et sociales dont leurs citoyens-contribuables, argumentent-ils, font depuis trop longtemps les frais. Plus grande équité fiscale, rétablissement de leur influence politique au sein des communautés urbaines et des municipalités régionales de comté (MRC), encouragement aux regroupements municipaux et programmes d’aide financière particuliers pour les villes-centres figurent sur la liste des demandes qu’ils adressent au gouvernement. Ces demandes seront reprises peu après par les maires des 28 villes-centres des agglomérations urbaines (Table ronde sur les villes-centres, 1994).

Martelant, au contraire, que les villes-centres avaient couru à leur perte en adoptant des politiques de gestion et de développement urbain coûteuses, sans égard à la capacité de payer de leurs contribuables, les maires des banlieues vont s’opposer vigoureusement à toute tentative de réforme qui les obligerait à payer pour les erreurs passées, commises selon eux par les élus des villes-centres. Tout en se montrant favorables à quelques accommodements susceptibles de soulager les villes-centres, les élus des banlieues ne sont pas pour autant prêts à sacrifier leur autonomie et le droit des citoyens à choisir leur milieu de vie sur l’autel de la solidarité et de l’équité régionales. Aussi rejettent-ils sans appel toute politique gouvernementale qui imposerait des regroupements municipaux ou modifierait radicalement en leur défaveur la gouverne des agglomérations urbaines (Comité sur les agglomérations urbaines, 1996).

La nouvelle réforme municipale, qui s’enclenche véritablement avec le dépôt, au printemps 2000, du Livre blanc sur la réorganisation municipale (Gouvernement du Québec, 2000a) et dont la pièce maîtresse sera l’imposition d’importants regroupements municipaux dans les principales agglomérations urbaines (Quesnel, 2000 ; Baccigalupo et Knot, 2001), peut ainsi être interprétée comme la victoire des maires des villes-centres sur ceux des banlieues. Dans plusieurs régions, le débat sur les fusions municipales se transportera sur le terrain électoral. C’est notamment le cas à Québec où, à mesure qu’approchera la date de la première élection à se tenir dans la nouvelle ville, les arguments pour et contre les fusions seront repris par les élites politiques pour justifier la mise sur pied de nouvelles organisations partisanes et alimenter leurs discours et leurs programmes (Belley, 2001).

2. Le choix entre l’interventionnisme municipal et le populisme fiscal

Dans l’ancienne ville de Québec, deux traditions politiques sont présentes au moment où est adopté, en décembre 2000, le projet de loi 170 (Québec, 2000b) qui officialise la réorganisation municipale. La première, celle de l’« affairisme municipal », incarné par le Progrès civique de Québec (PCQ), parti créé en 1962, au pouvoir de 1965 à 1989 (Ézop-Québec, 1981 ; Quesnel-Ouellet, 1976). La deuxième, celle du « socialisme municipal » incarné, tout au moins lors de sa création en 1977, par le Rassemblement populaire de Québec (RPQ). Parti de militants proche des milieux populaires et syndicaux et ardent défenseur de la démocratie locale, de l’habitation sociale et d’un développement urbain à dimension humaine (Quesnel et Belley, 1991 ; Belley, 1992), le RPQ, bien qu’ayant renoncé, à partir du milieu des années 1980, aux éléments les plus « socialisants » de son programme et que l’exercice du pouvoir l’ait conduit, à partir de 1989, à pratiquer l’art du compromis, il pouvait toujours être considéré, en 2001, comme un parti interventionniste[2] d’inspiration sociale-démocrate.

Dans les villes de la banlieue, les traditions politiques partisanes sont moins bien enracinées et sont dominées à la fois par la notoriété personnelle et la longévité politique de plusieurs maires. La lutte contre les fusions forcées sera surtout menée par la mairesse de Sainte-Foy, Andrée Boucher, qui dirige cette ville depuis 1985. Figure connue sur la scène politique régionale et provinciale, celle-ci prend la tête d’une coalition qui réunit, à l’automne 2000, tous les maires de banlieue opposés à la réforme. L’adoption de la loi 170, qui crée la nouvelle ville de Québec, aura pour effet d’amener la coalition à se transformer en parti politique. Considérée dans les sondages comme celle qui aurait le plus de chance de battre Jean-Paul L’Allier dans une course à la mairie de la nouvelle ville, la mairesse de Sainte-Foy sera désignée chef de ce nouveau parti.

À bien des égards, les valeurs et le discours des maires de banlieue, incarnés et défendus avec force par la mairesse de Sainte-Foy, ne sont pas sans rappeler le « populisme fiscal »[3] qui a fait le succès de plusieurs politiciens locaux aux États-Unis et en France à partir des années 1980. Quatre traits principaux caractérisent ces politiciens qu’on a qualifiés de « néo-populistes » (Hoffmann-Martinot et Nevers, 1985 ; Balmeet al., 1987 ; Clark et Ferguson, 1988 ; Clark, 1995) : leur conservatisme sur le plan financier, leur progressisme (ou libéralisme) sur le plan socioculturel, leur style simple et direct et leurs politiques qui, s’inspirant des façons de faire du secteur privé, visent notamment une productivité accrue des employés municipaux.

Préférant s’adresser directement aux électeurs et les consulter au besoin par la voie référendaire, les maires populistes se méfient des groupes organisés traditionnels dont les demandes alimentent le flot des pressions sur le budget municipal. C’est pourquoi, ils donnent la priorité à l’amélioration des services municipaux de base ou encore aux grands équipements collectifs qui, par nature indivisibles, profitent à l’ensemble de la collectivité plutôt qu’à des groupes en particulier. Cherchant à réduire les impôts locaux, les maires néo-populistes comptent financer leurs promesses d’amélioration locale, grâce à des économies générées par l’introduction de politiques visant l’augmentation de la productivité des employés municipaux. Ce discours, en somme, rappelle, dans ses grandes lignes, celui que les élus des banlieues ont tenu au cours de leur croisade provinciale contre l’imposition des regroupements municipaux[4]. Ce discours sera repris, comme nous le verrons, par les maires de banlieue à l’occasion de la campagne électorale de 2001 à Québec.

3. Les élites politiques locales fourbissent leurs armes

Après avoir annoncé, au cours de l’automne 2000, qu’il ne serait pas candidat à la mairie de la nouvelle ville, le maire de Québec, Jean-Paul L’Allier, se ravise et annonce officiellement, le 13 février 2001, qu’il se lance dans la bataille à la tête d’un nouveau parti, le Renouveau municipal de Québec (RMQ). Le RMQ est issu du regroupement du RPQ et de deux partis politiques de la banlieue : l’Union municipale de Beauport (UMB) et Vision Val-Bélair (VVB), deux partis d’opposition qui ont fait la lutte aux maires sortants dans ces deux villes aux dernières élections municipales.

Le 5 mai, le RMQ tient son congrès de fondation qui réunit plus de 160 personnes. C’est à l’occasion de cet événement que le programme du parti est adopté, que les membres de son premier exécutif sont nommés et que sa première campagne de financement est lancée. Élu par acclamation, le chef du parti, Jean-Paul L’Allier, prend alors bien soin de préciser qu’en plus du programme, des plates-formes électorales seront dévoilées plus tard pour chaque district. Présentant sa formation comme celle de l’avenir, il affirme vouloir faire de la réhabilitation de la démocratie municipale et de la mobilisation des jeunes les principaux thèmes de sa campagne à la mairie de la nouvelle ville.

Le RMQ s’est donc doté d’un programme avant que ses candidats ne soient officiellement choisis. Pour défendre les couleurs du parti, les aspirants candidats devront d’abord passer le test des assemblées d’investiture. La nouvelle équipe de 39 candidats comptera des anciens conseillers municipaux de Québec et des villes de banlieue auxquels s’ajoutera une majorité de nouveaux venus. Le RMQ ne réussit à attirer aucun des douze maires de banlieue qui choisissent plutôt d’appuyer ou de faire équipe avec la mairesse de Sainte-Foy.

C’est le 22 février, soit un peu plus d’une semaine après Jean-Paul L’Allier, que la mairesse de Sainte-Foy, Andrée Boucher, annonce officiellement qu’elle sera candidate à la mairie de la nouvelle ville à la tête, elle aussi, d’une nouvelle formation politique, l’Action civique de Québec (ACQ). Cette dernière naît, non sans quelques difficultés d’arrimage, d’une alliance entre le PCQ et les partis dirigés par les maires de Beauport, de Charlesbourg et de Sainte-Foy. Fière de ce mariage de raison, le chef de l’ACQ affirme alors qu’« il est temps de panser les plaies [et de] trouver le moyen d’assurer l’avenir sans trahir le passé […] de faire accepter, d’une part, la ville-centre par la banlieue, et, d’autre part, la banlieue par la ville-centre » (Fleury, 2001a).

À la différence de ceux du RMQ, les candidats de l’ACQ sont choisis sans assemblées d’investiture et avant que le parti n’adopte son programme. Questionnée sur le refus de son parti de tenir de telles assemblées, la mairesse affirme : « J’ai horreur de petits groupes qui s’arrogent tous les pouvoirs. Elles [les assemblées] sont un moyen de vendre des cartes de membres et la démocratie n’est pas toujours bien servie » (Lestage, 2001). Pour ce qui est du programme, elle déclare que son parti connaît « les grandes préoccupations des citoyens [et que] des programmes qu’on garroche [sic] pour paraître intelligents, c’est une vision de l’esprit. On ne fonctionne pas comme ça » (Fleury, 2001b).

Le 31 mai, devant plus de 700 militants enthousiastes et dans une atmosphère digne des conventions à l’américaine, Andrée Boucher présente 35 des 39 candidats qui brigueront les suffrages pour l’ACQ en novembre 2001. Parmi eux, tous les maires de banlieue, à l’exception de ceux de Vanier et de Cap-Rouge qui ont décidé de ne pas se représenter, mais qui appuient l’ACQ, 16 conseillers municipaux de la banlieue et quatre de la ville-centre. Les six autres sont des nouveaux venus.

Le 9 juin, les résultats d’un sondage, rendus publics par Le Soleil, montrent que Boucher et L’Allier sont à égalité. La lutte s’annonce d’autant plus serrée que 85 % des répondants affirment qu’ils ne changeront pas d’opinion d’ici les élections du 4 novembre (Moreault, 2001a et 2001b)[5].

4. Les programmes des partis

Le programme du RMQ

Adopté le 5 mai 2001, après plusieurs consultations tenues dans les huit arrondissements de la nouvelle ville, le programme du Renouveau municipal de Québec (RMQ, 2001) compte une douzaine de pages. Il est divisé en six courts chapitres. Chacun débute par un préambule et se termine par des orientations et des moyens d’action. En tout, ces orientations et moyens d’action, que nous considérerons ici comme des engagements, sont au nombre de 93.

Le RMQ affirme, dans son préambule général, que son programme a été construit dans l’enthousiasme, avec une approche démocratique dédiée au service des citoyennes et des citoyens. Il est un instrument de gouverne moderne, vivant et évolutif. Pour le RMQ, la nouvelle ville sera « une ville à s’approprier et à bâtir, une ville pour le développement économique durable et une ville pour le progrès social » (Renouveau municipal de Québec, 2001, p. 7).

Dans le premier chapitre, qui porte sur la démocratie et qui contient une douzaine d’engagements, le RMQ s’engage à ce que la Ville offre à tous les élus municipaux l’ensemble des outils et des ressources dont ils ont besoin pour jouer pleinement leur rôle de représentants de la population. Le RMQ assurera une présence équitable des femmes au comité exécutif ainsi qu’aux différentes instances et créera une Commission « femmes et ville ». Il dotera, de plus, la ville d’une politique d’équité pour les postes de direction. Une place importante sera aussi accordée aux jeunes dans les différentes instances municipales et une Commission Jeunes et Ville sera créée.

Le RMQ encouragera la formation de conseils de quartier et leur accordera un pouvoir d’initiative pour réaliser des projets. Le conseiller municipal demeurera cependant le lien privilégié entre la population et le conseil d’arrondissement. Le RMQ s’engage aussi à examiner les mécanismes qui rendraient possible l’utilisation du référendum. Ses modalités d’application pourraient toutefois différer selon que le dossier concerne le quartier, l’arrondissement ou l’ensemble de la ville. Le RMQ reconnaîtra aux conseillers municipaux le droit de se dissocier publiquement d’une décision ou d’une orientation prise par le Comité exécutif de la ville ou par la majorité de ses élus.

Dans le deuxième chapitre de son programme, qui porte sur le développement économique et social, le RMQ s’engage à ce que la Ville s’associe avec la nouvelle Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) pour élaborer un plan stratégique de développement économique. Le RMQ cherchera notamment à simplifier les structures et à mieux coordonner les efforts des organismes de développement économique présents sur le territoire de la CMQ. Il s’engage aussi à organiser des missions économiques à l’étranger et à y développer des relations économiques et commerciales avec certaines villes et régions. S’il affirme vouloir favoriser la création d’emploi dans les secteurs de la haute technologie, le RMQ s’engage aussi à soutenir le développement de l’économie sociale.

Sous une administration dirigée par le RMQ, la Ville se dotera, outre d’une politique de reconnaissance et d’appui aux organismes communautaires, d’une politique de reconnaissance et de valorisation du bénévolat. Le RMQ s’engage aussi à faire de Québec un pôle d’attraction accueillant pour les immigrants. En matière d’habitation, il cherchera à augmenter le nombre de familles propriétaires dans les vieux quartiers et à favoriser l’accès aux logements publics, coopératifs et sans but lucratif pour les familles à faible revenu. Il promet de consacrer 30 % des sommes attribuées à l’habitation au logement social.

En matière d’aménagement du territoire, le RMQ s’engage à combattre l’étalement urbain, à diminuer les dépenses de construction de nouvelles infrastructures et d’équipements, à rentabiliser ceux existants, à protéger les terres agricoles et à mettre en valeur les espaces naturels de la région.

De manière à faciliter les échanges entre les arrondissements et entre la Rive-Nord et la Rive-Sud, le RMQ promet, en ce qui a trait au transport, l’adoption d’un plan de gestion des déplacements. De même, il dotera la ville d’un plan d’action visant à développer, moderniser et revaloriser le transport en commun. Un plan de développement du réseau cyclable sera aussi élaboré afin de le rendre plus accessible et plus sécuritaire. Au chapitre de la sécurité publique, le RMQ favorisera l’établissement de relations plus étroites entre la police et les citoyens et dotera la ville d’un plan de sécurité urbaine.

En ce qui concerne l’environnement, le RMQ adoptera une politique sur l’eau potable et un plan d’action visant la dépollution et la réhabilitation de l’ensemble des rivières et plans d’eau de la Ville. Il dotera aussi la ville d’une réglementation sur l’utilisation des pesticides et il favorisera le développement des technologies vertes. En concertation avec les organismes du milieu, il élaborera aussi des politiques dans les domaines du patrimoine, des arts et de la culture, du sport et de l’activité physique. Dans ce dernier domaine, le RMQ créera un Conseil du sport et des loisirs et il mettra à la disposition des arrondissements une enveloppe budgétaire leur permettant de réduire le coût d’inscription à certaines activités.

Enfin, dans le chapitre six de son programme, qui concerne les finances municipales et l’administration, le RMQ s’engage à déployer tous les efforts « afin que le niveau de taxation futur traduise, par rapport à l’année de référence 2000, les économies engendrées par l’unification des 13 villes » (RMQ, 2001, p. 18). Il dotera la ville d’un plan d’investissements qui fera notamment en sorte que le service de la dette générale ne dépasse pas 20 % du budget de la ville. Aussi, de façon à accroître la qualité, l’accessibilité et l’efficience des services, le RMQ élaborera une politique visant à simplifier la réglementation. Il adoptera une politique ayant pour but de faire effectuer par le personnel de la ville, là où c’est possible et avantageux, tous les travaux d’infrastructures plutôt que de les confier en sous-traitance. Il mettra en place des mécanismes de reddition de comptes et créera des cercles de compétence capables de réaliser les contrats habituellement confiés à l’extérieur. De même, il compte faire profiter la nouvelle ville des pratiques innovatrices de gestion qui ont démontré leur efficacité et leur pertinence dans les anciennes villes.

C’est donc un programme interventionniste, prévoyant l’élaboration et l’adoption de pas moins d’une vingtaine de politiques et de plans d’action, que propose le RMQ en 2001. On y retrouve la pensée et l’influence des militants et intellectuels du RPQ, notamment leur attachement aux valeurs sociales-démocrates et l’importance de maintenir et de développer de bonnes relations, voire une saine complicité, avec plusieurs groupes organisés, traditionnels et nouveaux, actifs sur la scène locale. Cette conception de la gestion municipale est aussi mise au goût du jour par un appel au partenariat, à la mobilisation des jeunes, à l’ouverture sur le monde, à l’innovation, à la performance et à la compétence des employés municipaux. Une conception qui s’oppose sur bien des points à celle véhiculée par l’ACQ.

Le programme de l’ACQ

Intitulé « Pour bâtir une ville à la mesure des citoyens » (Action civique de Québec, 2001) et divisé en 14 chapitres, le programme de l’Action civique de Québec, qui comprend 60 pages, contient 56 engagements. Les regroupements municipaux forcés, représentent, selon le parti, un détournement de démocratie et tiennent lieu de fil conducteur. Ils sont présentés comme un bouleversement dont les citoyens seront les seuls à faire les frais (Action civique de Québec, 2001, p. 2).

Dans le premier chapitre, qui porte sur les taxes, l’ACQ met en parallèle deux modèles de gestion municipale. Celui de la Ville de Québec, qui est le modèle à éviter, et celui des banlieues, plus particulièrement celui de la Ville de Sainte-Foy, qui est le modèle à suivre. L’ACQ reproche en effet à la Ville de Québec d’être trop dépensière, d’avoir un nombre anormalement élevé d’employés et d’avoir une dette qui dépasse de loin ses capacités budgétaires et fiscales : « Est-ce vraiment ce modèle de gestion, demande l’ACQ, que la population veut voir étendre à la grandeur de la Ville nouvelle ? » (ACQ, 2001, p. 8).

Sur le plan fiscal, l’ACQ s’engage à harmoniser les comptes de taxes des citoyens en diminuant graduellement les plus élevés pour les ramener, d’ici quelques années, au niveau de ceux qui sont actuellement les plus bas. Elle compte entreprendre des démarches pour que la fiscalité municipale soit revue et corrigée en fonction des responsabilités accrues des villes fusionnées. Elle privilégiera une structure administrative la plus légère possible de manière à réduire les coûts de fonctionnement. Enfin, l’ACQ utilisera les revenus générés par le développement économique pour baisser les comptes de taxes là où ils sont actuellement les plus élevés.

Affirmant que les services de base, comme les réseaux d’aqueduc et d’égout ou la réparation des immeubles, « demeurent l’assise de la qualité de vie dans une municipalité et représentent la base indispensable qu’il faut d’abord assurer avant de privilégier toute autre sorte de projet » (ACQ, 2001, p. 14), l’ACQ s’engage à assurer le maintien de leur qualité et même à l’améliorer.

En ce qui concerne le niveau des services, l’ACQ promet de ne pas imposer de modèle unique et de donner la marge de manoeuvre nécessaire aux conseils d’arrondissement pour leur permettre de refléter les goûts, les choix et les vrais besoins des citoyens. Elle s’engage de plus à réclamer du gouvernement des amendements à la loi 170 qui permettront aux conseils d’arrondissement de recouvrer une part de l’autonomie de gestion que détenaient les anciennes municipalités.

En matière de transport en commun, l’ACQ veut en faire un service de première classe qui assurera la desserte des grands axes touristiques et des grands centres d’emploi. Elle entend aussi réclamer du gouvernement un soutien financier accru. De même, l’ACQ souhaite accorder une attention spéciale aux relations de travail de manière à ce que les conflits et les grèves n’entravent plus le fonctionnement de ce service qu’elle juge essentiel.

Pour l’ACQ, l’autonomie des arrondissements sera respectée dans la détermination de la quantité et de la qualité des services de loisirs, des sports et de la vie communautaire. Elle leur octroiera notamment pleine autorité quant à la décision de les tarifer ou non. Quant aux coûts des équipements à portée régionale et suprarégionale, ils devraient être supportés, selon elle, par l’ensemble des citoyens de la ville et par les gouvernements supérieurs.

Ce sont aussi ces principes qui devraient guider, selon l’ACQ, la gestion des services de sécurité publique dans la nouvelle ville. Ainsi, les conseils d’arrondissement devraient avoir toute la latitude pour gérer ces services en fonction des besoins de leur population respective et le gouvernement, à défaut de les dispenser lui-même, devrait assumer le coût des services spécialisés que les villes assument en son nom. Il faut, affirme l’ACQ, que les arrondissements gardent le contrôle sur la police de quartier de façon à éviter la création « des énormes corps de police pourris à l’os […]. La théorie du « think big » s’applique [en effet] assez mal en matière de sécurité publique et de protection policière » (ACQ, 2001, p. 25).

En ce qui concerne la culture et le patrimoine, l’ACQ s’engage à en faire une priorité et à encourager chaque citoyen à se voir comme le gardien d’une part du patrimoine. L’ACQ donnera aux artistes locaux les moyens de développer leurs talents et des lieux pour les faire connaître. Elle fera aussi la promotion de circuits touristiques susceptibles de faire découvrir les richesses de la région.

À l’égard du développement économique qui « ne constitue pas, selon l’ACQ, la mission première d’une municipalité » (ACQ, 2001, p. 33), celle-ci s’engage à faire en sorte que la qualité des services et le niveau de la taxation soient des arguments de vente pour promouvoir le développement de la grande région de Québec. La présence d’une main-d’oeuvre qualifiée et de l’Université Laval constitue, selon elle, un atout pour attirer les investisseurs.

En matière d’immigration, l’ACQ affirme vouloir faciliter l’intégration des immigrants et profiter de leur venue pour encourager la population à s’ouvrir à des cultures étrangères. Elle compte aussi leur faire une plus grande place dans la fonction publique municipale.

L’ACQ affirme vouloir développer un dialogue constructif avec les employés municipaux et établir avec eux, dès le départ, des relations de travail basées sur la confiance. Elle prend cependant soin d’ajouter que la négociation des conditions de travail se fera dans le respect de la capacité de payer des citoyens.

Rappelant l’expérience douloureuse des fusions forcées et la « manière dictatoriale » avec laquelle le gouvernement a procédé dans ce dossier, l’ACQ s’engage, en matière de démocratie locale, à redonner le pouvoir aux citoyens en décentralisant le plus de responsabilités possible vers les arrondissements et à maintenir le droit au référendum sur les sujets qui ont un impact majeur sur leur milieu de vie. Sous une administration dirigée par l’ACQ, tous les anciens hôtels de ville resteront ouverts et deviendront des « lieux de consultation et d’expression des opinions », des « pôles de ralliement » et des « symboles de la vie de quartier ».

Côté environnement, un domaine qui « ne devrait pas être l’affaire que d’un petit groupe d’intellectuels trop souvent arrogants et dont le comportement laisse croire qu’ils sont les seuls à être en possession de la vérité » (ACQ, 2001, p. 54), l’ACQ sensibilisera les citoyens à la protection de leur milieu en leur faisant penser aux mille et un petits gestes qu’ils peuvent poser eux-mêmes pour atteindre cet objectif. Elle s’efforcera de faire comprendre et de faire accepter les actions et les investissements nécessaires à la sauvegarde du milieu naturel, plutôt que de les imposer.

Le programme de l’ACQ se termine sur le thème de « la ville, un milieu de vie ». Faisant une allusion à peine voilée au RMQ, l’ACQ affirme qu’au moment où les candidats doivent gagner la faveur de l’électorat, « la tentation est grande pour certains de séparer les citoyens en catégories et de chercher les moyens de flatter l’une ou l’autre ou l’ensemble de ces catégories » (ACQ, 2001, p. 56). Or, « la ville rêvée par nous, poursuit-elle, ne repose pas, en effet, sur la satisfaction des besoins de certains groupes mais sur celle de tous les groupes » (ACQ, 2001, p. 56). Aussi, l’ACQ s’engage-t-elle à combattre la « ghettoïsation » et l’exclusion sociale de certaines catégories de citoyens tels les gays, les lesbiennes et les personnes handicapées. Elle offrira une ville ouverte où chaque citoyen aura sa place quelles que soient sa race, la couleur de sa peau, sa langue, ses convictions religieuses.

Dans la conclusion de son programme, le chef de l’ACQ, Andrée Boucher, affirme que ses candidats « […] n’auront qu’un seul patron : la population » (ACQ, 2001, p. 60).

Le programme de l’ACQ repose donc en grande partie sur l’argumentation déployée par les maires de banlieue à l’occasion de la lutte qu’ils ont menée contre les fusions forcées. Une large place est faite en effet à la dénonciation de cette réforme qui a été imposée par le gouvernement sans consultation des citoyens. Le rendant ainsi responsable des difficultés budgétaires que pourrait éventuellement rencontrer la nouvelle ville, l’ACQ se sent justifiée, dans un grand nombre de ses engagements, de solliciter l’aide financière du gouvernement afin d’éviter aux contribuables d’avoir à subir des hausses de taxes. En critiquant sévèrement le modèle et le style de gestion en vigueur dans la ville de Québec, l’ACQ s’en prend aussi indirectement au RMQ et à son chef, le maire de Québec, qui s’est fait un ardent promoteur et défenseur de la réforme.

Que le niveau des taxes fasse l’objet du premier chapitre de son programme prouve bien l’importance que l’ACQ accorde à cette question dans la conception qu’elle se fait de la gestion municipale. Une question qu’elle relie, par ailleurs, à la nécessité de consulter souvent et directement les citoyens et de procéder à une décentralisation maximale des pouvoirs vers les arrondissements. Si elle fait preuve de conservatisme sur le plan fiscal, l’ACQ adopte cependant une position « libérale » sur le plan socioculturel affirmant vouloir combattre les différentes formes de discrimination fondées sur la langue, la religion, la race et l’orientation sexuelle.

5. Deux programmes et deux styles de campagne

Le discours de l’ACQ pendant la campagne électorale sera centré sur cinq engagements : le nivellement des comptes de taxes vers le bas, la décentralisation maximale des pouvoirs vers les arrondissements, la consultation des citoyens et le recours au référendum, la priorité accordée à la formule du supplément au loyer plutôt qu’à la construction de nouveaux logements sociaux et le retrait du droit de grève pour tous les employés municipaux.

Plusieurs déclarations du chef de l’ACQ au cours de la campagne lui attireront les critiques de nombreux groupes. C’est le cas en matière de logement social où son refus de promettre la construction de nouvelles unités d’habitation lui vaudra de vifs reproches de la part des représentants des coopératives d’habitation. C’est aussi le cas au chapitre des relations de travail où le passage de son programme sur les « énormes corps de police pourris à l’os » et sa déclaration sur le retrait du droit de grève aux employés municipaux déclencheront la colère des syndicats d’employés municipaux.

Ses autres déclarations sur le peu d’intérêt des jeunes pour la politique municipale, l’hostilité des médias à son endroit, le maintien d’une tarification aux usagers pour l’accès aux bibliothèques, le « parasitisme » économique de la Rive-Sud aux dépens de la Rive-Nord et la mise au service de l’appareil gouvernemental au profit de ses adversaires lui mériteront des reproches de la part des représentants des associations étudiantes, des médias, des organismes de loisir, des élus municipaux de la Rive-Sud et de la ministre des Affaires municipales. Ainsi, quatre semaines à peine après le début de la campagne, le chef de l’ACQ avait fait presque l’unanimité contre elle, se mettant à dos bon nombre de groupes locaux et de personnalités connues de la région.

Des attaques personnelles seront aussi faites par le chef de l’ACQ à l’endroit du chef du RMQ. Elle l’accusera tour à tour d’être un mauvais gestionnaire, de vouloir « presser le citron de l’Ouest » pour pouvoir réaliser sa promesse de baisser les taxes pour 75 % des contribuables, d’avoir effectué un trop grand nombre de voyages à l’étranger et d’avoir refusé de participer à un débat télévisé.

C’est donc essentiellement une campagne négative et personnelle que mènera le chef de l’ACQ. Elle lancera plusieurs attaques à l’emporte-pièce, refusera la plupart des invitations qui lui seront adressées, fera peu de promesses et peu de place aux candidats de son équipe. Tout le contraire en somme de la campagne menée par son adversaire, Jean-Paul L’Allier.

Ce dernier démarre officiellement sa campagne en tournant en dérision la promesse du chef de l’ACQ de niveler les taxes vers le bas. Il affirme que la réalisation de cette promesse occasionnerait un manque à gagner de 250 millions de dollars par rapport au budget de 750 millions de la nouvelle ville. Au sujet de ses voyages à l’étranger, il répond à son adversaire que « le développement économique… passe par la promotion internationale […] et qu’on ne fait pas ça en restant dans sa cour ». Tout en condamnant les propos tenus par son adversaire à l’endroit des gros corps policiers, le chef du RMQ affirme au contraire que leur intégration générera des économies annuelles moyennes de 7 millions de dollars.

Au cours de la campagne, le chef du RMQ reviendra, en les précisant, sur une dizaine d’engagements contenus dans le programme de son parti : représentation égale des femmes au sein du comité exécutif et dans les conseils de quartier, adoption d’une politique du sport et de l’activité physique basée sur l’accessibilité et non sur la facturation, accès gratuit aux bibliothèques sur tout le territoire, doublement du nombre d’immigrants, construction de 800 logements sociaux en quatre ans, gel des tarifs du transport en commun pour les jeunes et les personnes âgées, réduction des taxes pour 80 % des contribuables, réduction de 30 % des dépenses d’immobilisations en 2002 et par la suite leur maintien autour de 100 millions de dollars par an durant une période de dix ans, aménagement de trois corridors récréotouristiques, création d’un guichet unique pour l’accueil des entrepreneurs, réduction de moitié du nombre d’organismes voués au développement économique et création d’un comité Jeunes au conseil municipal.

Ces engagements vaudront au chef du RMQ l’appui de plusieurs personnalités connues du milieu politique et culturel de la Capitale et de plusieurs groupes représentant les femmes, les jeunes, les coopératives d’habitation, les milieux sportifs et culturels et les immigrants. Le chef du RMQ s’attirera cependant les critiques des médias pour avoir refusé plusieurs offres de participation à un débat télévisé et d’une partie des gens d’affaires pour s’être déclaré favorable à la fusion des chambres de commerce sur le territoire de la nouvelle ville.

C’est donc sur un ton positif et rassurant que le chef du RMQ a conduit sa campagne, bien orchestrée, professionnelle et misant sur l’image d’une équipe qui allie à la fois l’expérience et la jeunesse. Un message et une image que rend bien le choix de son slogan : « Une ville autrement plus positive ! ».

Dans ses éditoriaux, le journal Le Soleil se montrera plutôt favorable à l’endroit de Jean-Paul L’Allier, le qualifiant de « visionnaire réfléchi » et « d’entrepreneur à la philosophie précise et réaliste », « affichant une confiance inébranlable face au succès de la nouvelle grande ville ». Il se montrera, au contraire, très dur à l’endroit du chef de l’ACQ lui reprochant son « conservatisme à la Stockwell Day », « son manque de réalisme sur le plan fiscal », « sa difficulté à travailler en équipe » et son discours « sur des scénarios apocalyptiques qui entretiennent les craintes des citoyens ».

6. Les sondages se confirment

Le soir du 4 novembre, le chef du RMQ, Jean-Paul L’Allier, est élu à la mairie de la nouvelle ville avec 57 % des suffrages exprimés contre 37 % pour Andrée Boucher, le chef de l’ACQ[6]. Toutefois, aux postes de conseillers, l’ACQ réussit à faire élire 23 candidats contre 16 pour le RMQ[7]. Malgré sa victoire éclatante à la mairie, le maire L’Allier et son équipe se retrouvent en minorité au conseil municipal de la nouvelle ville comme l’avait prédit le dernier sondage (Fleury, 2001c). Une situation d’autant plus délicate sur le plan politique que les conseillers de l’opposition proviennent tous des anciennes villes de banlieue et que 14 conseillers du RMQ sur 16 proviennent de l’ancienne ville-centre. Sauf pour ce qui est du vote à la mairie, la ligne de partage politique qui caractérise le premier conseil municipal de la nouvelle ville correspond donc presque parfaitement à celle qui, jusque-là, séparait administrativement la ville-centre et les banlieues.

7. L’interventionnisme municipal sous l’oeil bienveillant du populisme fiscal

Pourquoi les électeurs de la ville-centre ont-ils voté majoritairement pour les candidats du RMQ, aussi bien à la mairie qu’aux postes de conseillers, alors que les électeurs des banlieues ont appuyé majoritairement, sauf dans huit districts à la mairie et deux districts aux postes de conseillers, les candidats de l’ACQ ? Plusieurs facteurs[8] pourraient bien sûr être invoqués pour rendre compte de ce résultat. Quatre ont été retenus : les arguments des élus pour et contre les fusions, les traditions politiques et les valeurs idéologiques des partis, leur programme politique officiel et le style de campagne qu’ils ont mené.

En ce qui concerne le premier facteur, notre analyse montre que les élus gouvernementaux et les maires des villes-centres, dont notamment le maire de Québec, ont fait alliance pour promouvoir un projet de réforme des institutions municipales dont la pièce maîtresse était l’imposition de regroupements municipaux. Trois arguments ou atouts normatifs (Lemieux, 2001, p. 24) ont été utilisés pour convaincre les électeurs du bien-fondé de cette réforme : l’équité fiscale, une plus grande cohérence dans les politiques municipales, notamment en matière d’aménagement et de développement économique, et une amélioration de la compétitivité économique des nouvelles grandes villes à l’échelle internationale. De leur côté, les maires des villes périphériques ont fait alliance avec le Parti libéral du Québec, le parti d’opposition sur la scène provinciale, pour empêcher l’adoption de la réforme. Leurs arguments ou atouts normatifs étaient fondés, d’une part, sur le risque d’une diminution de l’efficience dans la gestion et la prestation des services municipaux et d’une augmentation consécutive des taxes municipales, et d’autre part, sur une réduction de la démocratie locale du fait de l’augmentation de la taille démographique et de la lourdeur bureaucratique des nouvelles villes.

Ces arguments et les valeurs qui les sous-tendent seront repris respectivement par le RMQ et l’ACQ pendant la campagne électorale. On peut cependant affirmer que les critères d’équité fiscale, de cohérence (ou de meilleure coordination) et de compétitivité (ou de plus grande efficacité) économique sont apparus d’autant plus plausibles aux yeux des électeurs que les élus des villes-centres et du gouvernement ont fait progressivement la démonstration, exemples à l’appui, que la fragmentation municipale et les guerres de clocher avaient engendré, au cours des trente dernières années, beaucoup d’iniquité fiscale, d’incohérence et d’inefficacité sur le plan de l’aménagement et du développement dans les agglomérations urbaines.

La décision gouvernementale de créer, dans les nouvelles villes, des arrondissements[9], correspondant grosso modo aux anciennes municipalités, a fourni, par ailleurs, un argument de poids supplémentaire aux partisans des fusions. Elle leur a permis de rassurer les citoyens à propos de leur crainte de voir les élus s’éloigner d’eux et de perdre le sentiment d’identité à leur ancienne ville, des craintes largement entretenues par les opposants aux fusions.

En ce qui concerne les traditions politiques et les valeurs idéologiques des partis, le deuxième facteur, il ressort clairement que le RMQ et l’ACQ ne partagent pas la même conception de la gestion municipale. Descendant du RPQ, le RMQ, comme en fait foi son programme politique, est un fervent représentant de l’« interventionnisme municipal ». Il veut ainsi faire un usage maximal des pouvoirs que lui procurent les lois municipales en vigueur et des nouvelles possibilités d’intervention que lui offre la création de la nouvelle ville.

Le contexte d’austérité budgétaire et les demandes des citoyens pour une réduction des impôts ont conduit, ces dernières années, les élus du RPQ à pratiquer une gestion municipale prudente sur le plan fiscal et budgétaire. Leurs préférences et leurs engagements sont néanmoins allés bien au-delà de l’amélioration des services municipaux de base. La gestion municipale, à la fois entrepreneuriale et concertée qu’ils préconisaient, les a donc conduits à transiger souvent avec les gouvernements supérieurs, les milieux d’affaires et les groupes communautaires pour la réalisation de projets à caractère économique, social et culturel.

Héritier des valeurs idéologiques et des traditions partisanes qui ont fait l’originalité et le succès du RPQ, le RMQ adhère parfaitement à ce style de gestion. Il en a fait la promotion aussi bien dans son programme politique qu’au cours de la campagne électorale. Doter la nouvelle ville de politiques et de plans d’action dans ses grands champs de responsabilités, étendre et renforcer ses réseaux de relation avec les gouvernements supérieurs et les organismes et groupes actifs à l’échelle de la nouvelle ville dans le cadre d’une gouvernance urbaine renouvelée (Le Galès, 1995) fondée sur la consultation et la participation des citoyens, tel est le projet municipal qui anime le RMQ et qu’il a proposé aux électeurs de Québec en 2001.

Le programme du RMQ est aussi au goût du jour. Il n’oublie pas de mentionner que la gestion de la ville se fera au nom de la rigueur budgétaire, fiscale et administrative. Il emprunte ainsi plusieurs expressions chères au nouveau management public, comme l’allégement de la réglementation, la simplification des procédures administratives, la qualité des services, la revalorisation des tâches des employés et l’atteinte d’une plus grande performance. Fidèle à l’idéologie du RPQ, le RMQ prend cependant ses distances par rapport à certaines politiques municipales également à la mode, comme le recours à la tarification, à la sous-traitance et à la privatisation (Bailey, 2001). Des politiques plus proches du conservatisme financier promu par la nouvelle droite populiste. Le RMQ réaffirme plutôt sa préférence pour des politiques qui favorisent l’accessibilité aux services municipaux pour le plus grand nombre et sa confiance envers les employés municipaux, promettant même de leur confier à l’avenir un plus grand nombre de travaux municipaux.

Beaucoup plus proche des valeurs qui ont inspiré le « populisme fiscal », notamment de celles fondées sur la responsabilisation et l’initiative individuelles, l’ACQ s’est faite, quant à elle, la propagandiste d’un style de gestion municipale minimaliste dicté par l’obsession fiscale. L’imposition des regroupements municipaux est venue amplifier cette obsession et a fortement teinté son programme politique, lui fournissant notamment amples munitions pour attaquer le gouvernement et le RMQ. Mélange de conservatisme financier et de libéralisme socioculturel, l’idéologie de l’ACQ s’abreuve aussi au populisme. À plusieurs reprises, son chef affirmera préférer le contact direct avec les citoyens et le recours au référendum, plutôt que la pratique qui consiste à consulter les groupes organisés. Attentive aux discours sur le nouveau management public, l’ACQ s’est aussi faite la propagandiste, notamment au cours de la campagne électorale, d’une gestion serrée des finances municipales assortie d’une remise en question des monopoles syndicaux et d’un recours accru à la sous-traitance. L’insistance de son chef, pendant la campagne, sur la réduction des taxes et le contrôle serré des dépenses et son refus de promettre quoi que ce soit aux groupes, notamment en matière de logement social, l’auront sans doute fait paraître, aux yeux d’un bon nombre d’électeurs, trop préoccupée par l’enjeu fiscal et pas suffisamment, voire aucunement, par les questions sociales.

Il en est un peu de même de la question touchant la défense des droits des groupes marginalisés, pourtant bien présente dans son programme, mais sur laquelle l’ACQ restera muette pendant la campagne électorale. C’est plutôt sa position sur l’abolition du droit de grève des employés municipaux qui retiendra l’attention des électeurs. Une attaque risquée dans une ville où un grand nombre de travailleurs et d’électeurs sont des fonctionnaires municipaux, provinciaux et fédéraux. Dénonçant les attaques de l’ACQ à leur endroit, le RMQ cherchera au contraire à s’en faire des alliés. Comme il tentera de le faire avec les jeunes, les artistes, les femmes et les membres des minorités culturelles.

Les atouts personnels et relationnels des chefs y sont aussi pour beaucoup dans le résultat de l’élection. Le style rassembleur de Jean-Paul L’Allier, ses talents de communicateur et d’argumentateur, tout autant que son vaste réseau de contacts dans les milieux politique, culturel et d’affaires de la Capitale et à l’extérieur, lui ont valu le respect et l’appui de personnalités influentes et de nombreux groupes. Ajoutons à cela plusieurs réalisations importantes, comme l’embellissement de la ville et la revitalisation du quartier Saint-Roch dans la basse-ville, en dépit d’un contexte économique difficile. Des réalisations que les médias et des membres de l’élite locale ne manqueront pas de souligner et de mettre au crédit du maire sortant. Par contraste, le style plus direct et tranchant d’Andrée Boucher, ses attaques ou remarques malhabiles et à l’emporte-pièce à l’endroit de nombreuses personnes et de plusieurs groupes lui ont valu, sinon l’hostilité et la désapprobation publiques, du moins la neutralité polie des leaders d’opinion.

Pour l’emporter à la mairie de la nouvelle ville, il fallait donc plus que la notoriété publique, ce que les candidats L’Allier et Boucher possédaient. Il fallait pouvoir compter sur un réseau étendu et varié de contacts avec des personnalités et des groupes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la ville. La campagne électorale a bien montré que L’Allier disposait de ce point de vue d’un plus grand nombre d’atouts relationnels que sa rivale. Les maires et les conseillers de la banlieue ayant fait équipe avec elle, disposaient, par contre, à l’échelle de leur ancienne ville, d’un plus grand nombre d’atouts relationnels que leurs opposants du RMQ, dont plusieurs étaient de nouveaux venus en politique.

En regard de notre hypothèse, notre analyse montre que le débat autour des fusions forcées, notamment les arguments des principaux protagonistes, a assurément influé sur la nature du nouveau système partisan mis en place, le contenu des programmes officiels du RMQ et de l’ACQ et la dynamique de la campagne électorale. Issue d’une alliance conjoncturelle d’opposition à un projet de réforme, proposé d’abord par le maire L’Allier et repris ensuite par le gouvernement, l’ACQ, appuyée en cela par un allié politique de taille, le Parti libéral du Québec, n’a pas su ou voulu se distancier de cette lutte. Son discours et son action sont ainsi demeurés prisonniers de cette lutte en tablant essentiellement sur l’enjeu fiscal des fusions. Ceux du RMQ, au contraire, ont été plus positifs, misant sur les aspects dynamisants de la réforme tout en cherchant à s’en détacher par la présentation d’un programme politique moderne et rassembleur.

Notre analyse montre que les cultures politiques locales que sont l’interventionnisme municipal et le populisme fiscal, incarnées et défendues respectivement par le RMQ et l’ACQ, sont perméables aux nouvelles idées qui sont dans l’esprit du temps. Le RMQ a ainsi fait une place, plus pragmatique qu’idéologique dans son programme et dans son discours, au conservatisme financier et au nouveau management municipal. L’ACQ a, quant à elle, fait une place, plus idéologique que pragmatique dans son programme, au progressisme socioculturel. Un emprunt qu’elle n’a toutefois pas exploité pendant la campagne.

Première élection à s’être déroulée dans la nouvelle ville de Québec, celle de novembre 2001 a conduit à la mise en place d’un nouveau système partisan. Dans ce nouveau système bipartite, le RMQ contrôle la mairie et le comité exécutif, soit les organes exécutifs, alors que l’ACQ domine le conseil, soit l’organe législatif. Sur le plan politique, comme sur le plan géographique, le RMQ contrôle le centre et l’ACQ la périphérie. Le RMQ est donc en position d’initiative et l’ACQ en position de blocage ou de veto. L’interventionnisme municipal est, pourrait-on dire métaphoriquement, en liberté surveillée sous l’oeil « bienveillant » du populisme fiscal.

En 2001, le RMQ et l’ACQ se seraient ainsi montrés incapables, tout au moins aux postes de conseillers, de faire triompher leur projet politique au-delà de leurs châteaux forts « naturels ». C’est pourquoi entre les deux pôles politiques que constituent l’interventionnisme municipal et le populisme fiscal à tout crin, ces partis chercheront, au cours des quatre prochaines années, des positions d’accommodement entre la fidélité à leur programme et le réalisme politique que leur imposera le fonctionnement optimal de la nouvelle ville.