Comptes rendus

É.-Martin Meunier et Jean-Philippe Warren, Sortir de la « Grande noirceur ». L’horizon « personnaliste » de la Révolution tranquille, Sillery, Les Éditions du Septentrion, 2002, 207 p.[Record]

  • Raymond Beaudry

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  • Raymond Beaudry
    GRIDEQ
    Université du Québec à Rimouski

Pour plusieurs, la Révolution tranquille vient clôturer un moment de l’histoire. D’elle, nous retenons l’idée du rattrapage, d’un moment d’où va naître de la cuisse de Jupiter la modernité, d’une rupture avec le passé et de la sortie d’une grande noirceur dans laquelle nous avait enfermés la religion. Elle se comprend aussi à travers différents événements (Refus global, grève de Murdochville, lancement de Cité libre, etc.) qui ont jeté ici et là quelques jalons permettant aux Canadiens français de franchir les barrières de la libération dont l’ultime et non la moindre, celle de tous les clochers. Enfin, pouvait-on penser, la fin de la religion. Autrement dit, la Révolution tranquille n’a été qu’un pur phénomène de rationalisation, un saut par-dessus l’Église qui a permis d’y échapper. Meunier et Warren montrent que son moment inaugural ne peut s’abstraire d’un voyage à l’intérieur de la religion catholique (il n’y a pas de rupture entre le politique et le religieux) dans laquelle il puise sa source et dont la lumière est alimentée par les fondements de la modernité. Cet essai s’inscrit donc à contre-courant d’une représentation de l’Église qui a joué un rôle conservateur, a fait obstacle à l’avènement de la Révolution tranquille. S’appuyant sur les travaux de Max Weber, dont L’Éthique protestante et l’esprit du capitaliste, les auteurs posent la question suivante : « la religion catholique, que l’on perçoit généralement comme un empêchement de la Révolution tranquille, comme ce dont il fallait s’arracher pour se sortir enfin de la grande noirceur et rejoindre les avancées du monde moderne, n’a-t-elle pas joué également ici le rôle d’une force révolutionnaire ? » (P. 31.) Cette force révolutionnaire, les auteurs la trouvent dans le mouvement d’action catholique spécialisée (Jeunesse étudiante catholique, Jeunesse ouvrière catholique, etc.), qui puise sa source d’inspiration dans le personnalisme dont Emmanuel Mounier fut l’un des principaux animateurs. Les auteurs abordent ce mouvement en se référant à la sociologie compréhensive qui s’appuie sur les intentions des acteurs afin de parcourir la genèse d’un événement et d’en révéler la part d’ombre refoulée trop rapidement par l’emprise de la rationalité. Autrement dit, comment se défaire d’une image de la religion catholique qui nous empêche de voir qu’une génération de militants chrétiens participait activement et volontairement à l’orientation de leur destinée et à l’édification de la Révolution tranquille ? L’essai est composé de deux parties. La première retrace à grands traits le passage d’une Église catholique qui défend l’éthique post-tridentine où la condition humaine se résume à celle de pécheur, à un ordre naturel immuable et au monopole du clergé sur la vie spirituelle, à une Église qui de l’intérieur va peu à peu faire basculer cette synthèse de la résignation vers une nouvelle théologie de l’engagement que l’on a nommée l’éthique personnaliste. Le mot d’ordre était à peu près le suivant : allez rejoindre le peuple là où il se trouve. C’est désormais sur terre, au nom des grands principes de la modernité (Égalité, Liberté, Fraternité), mais avec l’Évangile en mains que toute une génération de jeunes chrétiens va s’engager dans la transformation et l’analyse de la société selon les principes suivants : voir, juger et agir. Elle s’oppose à une société individualiste, bourgeoise et fragmentée, où l’on assiste à la montée du fascisme et à la soumission de l’individu à l’État, afin de lui substituer un socialisme à visage humain au nom de la dignité humaine. Voilà donc comment plusieurs intellectuels chrétiens européens vont s’engager au début des années 1930, ce qui sera repris par une génération chrétienne au Canada français. La deuxième partie porte sur la diffusion du personnalisme au …