Comptes rendus

Marie-Nicole L’Heureux, Les voix de l’autonomie ouvrière. Les papetiers de Windsor, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 280 p.[Record]

  • Denis Harrisson

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  • Denis Harrisson
    Département de relations industrielles
    Université du Québec à Hull

Cet ouvrage fort intéressant porte sur l’identification des dispositifs par lesquels les travailleurs réussissent à reconstituer et à maintenir une zone d’autonomie dans le travail à la suite de la construction d’une nouvelle usine de papier entièrement automatisée, remplaçant la vieille usine désuète dans une petite ville ouvrière de l’Estrie. Afin d’intéresser le lecteur à son argument principal, Marie-Nicole L’heureux a surmonté deux obstacles. En premier lieu, les travaux de la sociologie du travail ont abondamment traité de la question des changements technologiques et de leurs effets multiples au cours des dernières décennies. L’organisation du travail, la qualité de vie au travail et les relations de pouvoir dans l’entreprise comptent parmi les sujets les plus couramment discutés à la suite de l’introduction de nouvelles technologies. Dans ces circonstances, un ouvrage qui propose une analyse du processus d’implantation de la technologie et de ses impacts sur plusieurs aspects doit être suffisamment original et créatif pour intéresser le lecteur et ne pas redire ce que d’autres ont déjà dit. En second lieu, l’ouvrage porte sur le changement technologique dans une usine de papier. Or, on connaît l’importance de ce secteur d’activité économique au Québec et nombreux sont les sociologues du travail qui s’y sont attardés dans leurs travaux de recherche. En dépit de cela, le livre de Marie-Nicole L’Heureux intéressera tout lecteur que passionne la question du changement technologique et de ses conséquences sur le travail. L’originalité de l’ouvrage tient à la question de recherche qui concerne l’autonomie, non seulement en association étroite à la technologie et autres dimensions fonctionnelles du travail, mais aussi reliée à un faisceau d’influences socio-communautaires patiemment construites par les travailleurs dans leur rapport quotidien au travail et à son ancrage dans la collectivité. Ensuite, l’intérêt pour ce livre tient aussi à sa méthodologie et surtout à la manière créative de présenter les résultats. L’auteure donne et laisse la parole aux travailleurs qui s’expriment sur une variété d’aspects reliés au travail : technologie, rapports sociaux du travail, lien identitaire, vie communautaire, pour ne nommer que les principaux. Le coeur de l’ouvrage repose sur dix-sept (17) entretiens approfondis auprès d’ouvriers que l’auteure a réalisés au début de la décennie 1990. Il s’agit d’une démarche ethnographique louable puisque, bien que les changements technologiques soient analysés sous plusieurs angles, peu d’études ont été consacrées à la vision exprimée par les ouvriers ayant vécu de profondes mutations du travail. Il s’agit d’une thèse de doctorat en andragogie que l’auteure a remaniée et réécrite. Le processus de formation et d’apprentissage occupe une place de grande importance dans l’argumentation principale. L’ouvrage est divisé en deux parties, la première présentant l’historique de l’usine, le contexte dans lequel le processus de changement technologique se forme et la manière dont on fabrique du papier. Cette première partie descriptive repose sur l’analyse documentaire des archives, des documents officiels de l’entreprise et du syndicat. Le lecteur saisit d’emblée l’importance que revêt l’usine de papier pour la population de Windsor. Ces chapitres permettent aussi de renouer avec la tradition ethnographique qui consiste à situer tout phénomène sociologique dans son contexte élargi. Le lecteur comprend mieux le rôle du changement technologique non pas du point de vue économique, comme c’est souvent le cas, mais surtout par son insertion dans la vie communautaire et l’importance qu’il revêt sur les identités ouvrières. La seconde partie est consacrée au changement technologique et à l’implication des divers acteurs de l’entreprise dans le processus de transformation. La trame de l’analyse repose sur les représentations des travailleurs dont la plupart ont travaillé dans l’ancienne usine, et qui sont en mesure de comparer le travail actuel à celui …