Comptes rendus

Catherine Bouchard, Les nations québécoises dans L’Action nationale, de la décolonisation à la mondialisation, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2002, 146 p.[Record]

  • Sylvie Lacombe

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  • Sylvie Lacombe
    Département de sociologie
    Université Laval

L’objet de cet essai est le discours intellectuel sur la nation québécoise, de la Révolution tranquille à aujourd’hui. Bouchard analyse le contenu d’articles publiés dans L’Action nationale entre 1960 et 1969 (19 articles), puis entre 1990 et 1999 (20 articles). Elle caractérise ensuite les deux tranches historiques l’une par rapport à l’autre pour en dégager les constantes et ruptures. Le premier chapitre, théorique, recense des travaux récents sur le nationalisme, la démocratie et la citoyenneté pour dresser un tableau simplifié et volontairement contrasté de leurs éléments conceptuels. Le premier axe oppose ainsi les pôles primordialiste (nation culturelle) et moderniste (nation contractuelle) tandis que le second, évaluant le type de démocratie, la fait pencher libérale (avec prééminence des droits individuels). Du survol théorique, l’auteur extrait ensuite les thèmes qui serviront à placer les deux périodes sur son tableau : le culturel, la mémoire collective, le politique, les relations Québec-Canada, le juridique, l’appartenance nationale et le territoire – mais curieusement, ce dernier thème est absent de l’analyse de la première tranche du corpus (1960-1969). Dans l’exposé du contexte social et politique de la Révolution tranquille, Bouchard tente d’éviter les clichés qui font de cette période l’entrée du Québec dans la modernité, sans pour autant y arriver : sous sa plume, les années 1960 sont en effet marquées par le passage d’un nationalisme de survivance, fondé sur une conception ethnique de la nation, à un nationalisme démocratique, ouvert à la diversité culturelle. Son analyse de la première tranche du corpus ne vient que confirmer cette appréciation : elle montre qu’une définition ethnique de la nation et la poursuite du projet de survivance culturelle sont concurrencées par des définitions modernistes émergentes, inspirées de l’approche libérale. Synthétisant le portrait, Bouchard conclut que la nation québécoise est alors pensée comme une entité politique ayant une identité culturelle propre et s’incarnant dans un État de droit. Le chapitre 3 débute par une brève présentation du contexte social et politique des années 1990 à 1999, qualifiées de « révolutionnaires » en raison des ajustements nécessités par la mondialisation économique et culturelle et la recrudescence des revendications identitaires (nationales ou autres). Vient ensuite l’analyse de la deuxième tranche du corpus où prédomine cette fois une définition civique de la nation bien que persiste la conception culturelle. Sans doute le plus frappant à la lecture de ce chapitre est la popularité de la notion de culture publique commune (qui, à ma connaissance, a d’abord été conceptualisée par Gary Caldwell et le père Julien Harvey) : elle s’est véritablement imposée aux intellectuels de toutes allégeances qui réfléchissent sur la nation québécoise, au point d’être devenue incontournable. Parce que fondée sur la langue française comme simple mode de communication et sur les valeurs démocratiques libérales, la « culture publique commune » permet de transcender les modèles culturel et civique de la nation. Ceux qui s’inspirent du premier souhaiteraient créer un État-nation, tandis que les autres rêveraient de constituer un nouvel état souverain. Mais Bouchard ne nous éclaire pas sur la différence – qui serait significative – entre ces deux aspirations politiques. Le dernier chapitre traite des divergences et similitudes entre les deux périodes historiques. Les différences tiennent à la conception de la composition de la population québécoise : postulée homogène dans les années 1960, ce n’est que dans les années 1990 qu’a été prise en compte son hétérogénéité réelle. Théoriquement, dit l’auteure, la conception homogène aurait dû conduire à une pression assimilatrice à l’endroit des immigrants, mais cela ne semble pas s’être produit dans les faits. Ici non plus on n’en saura pas davantage. Cependant, la conception homogène de la première période …