Article body

La commission des États généraux sur l’éducation qui s’est tenue en 1995-1996 a donné lieu à un ensemble de recommandations regroupées autour de 10 chantiers prioritaires visant à rénover le système d’éducation au Québec. Ces chantiers ont été retenus dans leur grande majorité et ont servi de base aux sept grandes lignes du Plan d’action ministériel pour la réforme de l’éducation, Prendre le virage du succès. La seconde ligne d’action « Enseigner les matières essentielles » propose de procéder à une refonte des programmes au primaire et au secondaire. Ce processus devrait être complété par l’implantation d’ici 2005 du nouveau programme au secondaire, celui du primaire étant maintenant en application à tous les cycles. C’est donc dans ce contexte que des chercheurs en sciences de l’éducation ont organisé un colloque dans le cadre de l’ACFAS, en mai 2000, pour analyser certains aspects du Programme de formation du primaire. Leurs présentations ont été rassemblées dans ce livre dont l’intérêt réside dans le choix des auteurs, dans la trame commune du questionnement qui fonde leurs textes respectifs ainsi que dans le moment de sa parution. Les questions qu’ils ont choisi d’aborder émergent de l’examen du nouveau programme du primaire et permettent aussi de réfléchir sur les orientations qui guident le programme du secondaire actuellement en élaboration. En effet, les auteurs ont voulu examiner les fondements du programme au primaire, ses grandes orientations, son approche, sa structure, et certaines compétences, autant d’éléments valables pour les programmes du secondaire. Les thèmes choisis conservent aussi toute leur acuité au-delà des changements qui ont été apportés depuis et qui, pour l’instant, sont mineurs.

Les auteurs sont des professeurs-chercheurs, membres de centres de recherche reconnus dans le domaine des sciences de l’éducation et ils proviennent de diverses universités québécoises. Ils sont aussi, pour la plupart, des observateurs attentifs de la réforme en cours. Certains d’entre eux sont intervenus périodiquement depuis son implantation pour la commenter, alors que d’autres ont travaillé directement à l’élaboration de certains de ses volets. Bien qu’issue des communications présentées lors de ce colloque, la facture du livre ne s’apparente pas, et c’est heureux, à une simple transcription des communications. Les directeurs de la publication ont su organiser la structure du livre autour de deux objets d’analyse : le Programme des programmes sur lequel porte la première partie du livre qui s’étend sur deux chapitres ; la seconde partie a trait aux programmes d’études du primaire et compte six chapitres. Par ailleurs, tous les textes partagent un questionnement commun dont l’objectif est d’apporter un éclairage critique sur les forces et les faiblesses du nouveau programme qui guidera la formation de milliers de jeunes au cours des prochaines décennies au Québec. Déjà les auteurs notent l’écart qui s’est créé entre les intentions premières de la réforme et les programmes proposés et qui résulte du long processus d’élaboration et de planification dont la complexité ne va qu’en s’accroissant.

À chaque réforme en éducation, revient la question de la continuité ou de la rupture avec ce qui précédait. À ce sujet, il faut lire le texte fort intéressant et bien documenté de Stéphane Martineau et de Clermont Gauthier sur l’évolution des programmes scolaires au Québec depuis 1905 et dont l’objectif est de mieux faire comprendre les tenants et aboutissants de la réforme actuelle. La périodisation qu’il propose montre qu’entre 1861 et 1960, c’est la continuité qui a caractérisé toutes les révisions de programmes dominées principalement par l’influence de l’Église catholique, alors que la Révolution tranquille marque une rupture majeure dans la conception des programmes et de leurs finalités. La décennie des années soixante constitue pour ces auteurs la période de la plus grande réforme éducative que le Québec ait connue et qui donnera lieu à l’élaboration des « programmes cadres » dans la décennie 1970. La troisième période importante de réforme des programmes débute peu après 1980 pour se poursuivre jusqu’en 1998. Elle sera marquée par l’implantation des « programmes habiletés ». Pour Martineau et Gauthier, la réforme actuelle axée sur des programmes par compétences se situerait plutôt en continuité avec celle des années 1980 puisqu’elle poursuit la même idée directrice de recherche de la qualité de l’éducation que visait le Livre orange. Au début des années 1980, une véritable rupture s’est produite avec l’idéologie « vécucentriste » des années 1960 et la réforme actuelle poursuit aussi dans cette même voie en mettant de l’avant la centralité de la mission cognitive de l’école. Bien que présentant des éléments nouveaux dans l’organisation pédagogique notamment, elle vient plutôt consolider ce qui émergeait dans la finalité des programmes, il y a 20 ans. Si j’ai voulu insister sur l’analyse proposée par ces auteurs, c’est qu’elle montre l’intérêt d’une approche historique de l’évolution des programmes pour mieux comprendre le sens des réformes et faire contrepoids à certaines prises de position non fondées sur une analyse rigoureuse. Les débats récents autour de la réforme ont fait place à beaucoup d’interventions qui, ignorant trop souvent ces analyses, ont conduit à de fausses pistes d’interprétation et à des débats stériles. À cet égard, tous les chapitres de ce livre constituent un excellent outil pour construire une analyse critique sérieuse de la présente réforme permettant de mieux la comprendre et éventuellement de corriger ce qui doit l’être.

L’un des éléments de la réforme qui a donné lieu à plusieurs critiques et incompréhensions est l’introduction des notions de compétence et de compétence transversale, comme optique de l’acquisition des savoirs. Le texte de Marie-Françoise Legendre, une spécialiste de cette approche, est à mon avis crucial pour quiconque veut en comprendre les fondements et s’interroge sur la pertinence d’en faire un élément majeur de la réforme. L’auteure note avec raison le caractère ambigu de ces notions et elle se propose de répondre à plusieurs questions qui se posent à leur égard dont celle des liens avec les savoirs disciplinaires. Elle construit son exposé autour de l’élément le plus novateur de la présente réforme, le Programme des programmes qui regroupe les compétences transversales dont elle analyse chacun des termes avec un souci de rigueur et de pédagogie tout en montrant les risques de dérive dans leur application. Le texte de Presseau, Lamothe et Brouillette porte aussi sur cette thématique. Ces auteurs s’intéressent davantage à l’analyse des programmes d’études du secondaire les plus récents, soit ceux qui ont été publiés entre 1990 et 1999, dans le but de dégager de leurs lignes directrices, des composantes des compétences transversales proposées dans la réforme en cours et qui seraient déjà présentes dans les programmes actuels d’avant la réforme. Leur analyse devrait permettre de mieux voir, au moment de la publication du nouveau programme, s’il y aura lieu de parler de continuité ou de rupture avec les programmes précédents, et ce, pour chacune des disciplines.

La deuxième partie du livre présente un ensemble de textes sur les nouveaux programmes d’études au primaire, soit les programmes de français, de mathématiques, de sciences de l’humain et de la société, d’art, et d’éducation physique et à la santé. Les auteurs suivent une même trame dans l’élaboration de leur analyse des programmes qui font l’objet des différents chapitres. Cette approche stimule l’intérêt du lecteur qui pourrait ne s’intéresser qu’à une discipline donnée mais qui voudra probablement mieux connaître comment l’ensemble des programmes disciplinaires ont évolué depuis une cinquantaine d’années, que ce soit pour les comparer, ou encore pour mieux comprendre de quelle nature est la réforme du programme en cours, tant dans ses composantes que dans son ensemble.

Tous les auteurs font une analyse systématique du programme qu’ils ont choisi d’étudier dans une perspective historique afin de mieux situer les changements proposés par la présente réforme et de formuler une évaluation critique qui soit contextualisée. Ainsi, Gérard-Raymond Roy s’est penché sur l’enseignement du français au primaire depuis un demi-siècle. Il constate que les programmes d’études de français de 1995 « maintiennent un lot incommensurable de connaissances traditionnelles lourdes, encombrantes et non nécessaires à la maîtrise de l’orthographe grammaticale ». Beaucoup de réflexion reste nécessaire pour que les contenus de formation en langue répondent aux besoins des élèves et que ceux-ci disposent « d’un instrument d’appropriation qui correspond à l’âme de cette langue et à la culture particulière qu’elle véhicule ». L’analyse du programme de mathématiques fait surgir une inquiétude chez Louise Poirier qui attire l’attention des enseignants sur l’importance de ne pas perdre de vue la discipline en tant que telle dans l’élaboration d’activités qui seraient trop axées sur la résolution de problèmes et la communication.

Après avoir analysé en profondeur les différents programmes des sciences de l’humain et de la société et s’être réjoui des orientations données au nouveau programme des sciences humaines, Yves Lenoir craint une incompatibilité « avec les modalités organisationnelles et théoriques effectives qui régissent le nouveau curriculum et (que( la stratification sociale qui l’affecte (entre les disciplines( pourra encore accroître sa mise à l’écart ». L’épilogue ajouté à son texte, un an plus tard, au regard de la réécriture de ce programme, laisse entrevoir que certaines de ses craintes étaient fondées. Cela montre l’importance d’une analyse de tous les programmes en cours d’implantation au primaire. Il faudra aussi suivre de près leur implantation, car l’analyse d’un programme tel que décrit sur papier est une chose et celle du programme réel tel que donné en classe en est une autre. Les écarts, selon le cas, peuvent être plus ou moins importants et signifiants et il est fort important de les analyser pour dégager ce qui fera réellement l’objet de la formation des élèves au primaire et au secondaire. C’est l’angle choisi par Denis Simard et Zara Pier-Vaillancourt pour étudier les nouveaux programmes d’art. Ils se demandent si l’approche par compétences pourrait compromettre le rehaussement du niveau culturel de la formation, ou dit autrement, si la compétence joue contre la culture. L’examen qu’ils ont fait du nouveau programme montre que, comme dans les programmes précédents, l’éducation artistique est reconnue comme un des « grands domaines d’apprentissage » et comme un des « savoirs essentiels ». Pour que cela se réalise dans la formation des élèves, ils appellent à « un changement général d’attitudes des administrations et du milieu scolaires dans son ensemble […] afin que les arts soient pleinement et concrètement soutenus sur les plans administratif, politique et pédagogique ». Yvette Genet-Volet et Pauline Desrosiers constatent dans leur analyse de l’évolution des programmes d’éducation physique et à la santé que l’approche par compétences y est déjà présente depuis 1981. Cependant, leur étude des composantes du nouveau programme (encore provisoire au moment de l’analyse) fait ressortir que ce sont les savoirs génériques qui semblent y avoir été sacrifiés. Ces auteures insistent sur l’importance de préparer un matériel didactique et pédagogique qui s’appuie sur des recherches récentes et pour cela, la recherche collaborative leur semble fort prometteuse.

Ce livre se clôt sur un thème central qui devrait en préoccuper plusieurs, celui de la place effective de la culture dans le nouveau programme. Il est traité avec profondeur par Diane Saint-Jacques et Adèle Chené dont c’est le thème central de recherche depuis plusieurs années. Elles ont analysé les publications officielles sur la réforme actuelle afin « de décrire l’écart où se construit la place effective de la culture entre l’intention de rehaussement culturel et sa réalisation ». Se référant à Fernand Dumont qui met en tension la culture première et la culture seconde dans un rapport dialectique, elles proposent de retenir sa définition de la culture pour aborder le rôle et la place de la culture dans le programme. « La réflexion sur le concept de culture gagnerait donc à se poursuivre en s’attardant moins à son contenu qu’à sa fonction dans un curriculum. » Pour ces auteures, « la réforme du curriculum a pris le virage culturel, mais de façon moins prononcée qu’initialement prévue ». Ce constat est appuyé par une analyse qui donne à réfléchir pour revoir les finalités du programme et retrouver le sens initial de la réforme.

La publication de ce livre arrive à un moment opportun, celui de l’implantation de la réforme du programme au primaire en voie de se compléter et de son implantation prochaine au secondaire. Sa lecture est à recommander à tous ceux et celles qui oeuvrent à l’élaboration et à la mise en oeuvre de cette réforme et pour qui la qualité de la formation et la réussite éducative de tous les jeunes Québécois et Québécoises constituent une priorité.